Salut à vous Philippe Jaffeux,

 

 

 

Un matin à l’instant de l’éveil, j’ai soudain entendu ceci. Elettricité. 

 

 

Je n’ai pas eu l’impression que c’était un mot, un mot pensé à l’intérieur de la tête, j’ai plutôt eu le sentiment que c’était une torsade de lettres (ou encore un thyrse de lettres), une torsade de lettres autour de la tête. 

 

 

L’électricité révèlerait une élection de lettres. L’électricité parviendrait ainsi à citer et aussi à relier des lettres élues, des lettres élues plutôt que lues c’est à dire qui sait des lettres éludées par leur lecture même.

 

 

 

 

Je viens de lire Ecrit Parlé, votre entretien avec Béatrice Machet. 

 

 

essayer de transposer l’énergie de nos paroles imaginaires.

 

Ou encore essayer de projeter la métamorphose imaginaire de la parole. Essayer de projeter  le tourbillon de tact de la parole. 

 

 

 

J'essaye d'être agi par des formes, impersonnelles et déformables, ainsi que par un style presque automatisé et pulsionnel qui devient aussi vital qu'une respiration ou qu'une invocation.

 

Apparaitre respiré par des formes. Apparaitre respiré par la pulsation des formes. Apparaitre respiré par la pulsation de formes du silence. 

 

 

 

 

A l'instar de mon corps, mes textes sont traversés par une multitude incontrôlable de courants électriques qui sont à l’origine de mes pensées, de mes paroles et de mes actes. 

 

la pensée orientale m’aide alors à réintégrer l’électricité dans mon souffle.

 

L’enjeu de votre écriture serait ainsi aussi de respirer l’électricité, de respirer le rythme même de l’électricité. Et ce qui parviendrait à respirer le rythme de l’électricité ce serait le rire du vide, le rire de hasard du vide. 

 

 

 

j'essaye d’être dépassé par un rythme ; d'écrire sans écrire en vue de disparaître dans l'immédiateté de la musique, dans une danse de mes sens (dans un non-sens ?).

 

Ecrire afin de provoquer la danse de la parole. Ecrire afin de projeter la danse de la parole. Ecrire afin de projeter la danse de la parole à l’intérieur de la respiration du silence. Ecrire jusqu’à projeter la danse de la parole à l’intérieur de la respiration du silence. Ecrire jusqu’à projeter la danse de feu de la parole. Ecrire jusqu’à projeter la danse de feu de la parole à l’intérieur de la respiration de silence du sang. 

 

 

 

L'écrivain analphabète voit les mots avant de les lire 

 

Tous les mots sont alors soudainement déjà là et ils attendent seulement d'être transformés,

 

Et aussi l’écrivain analphabète touche les lettres avant même de voir les mots. L’écrivain analphabète touche le lointain des lettres avant de voir la distinction des mots. L’écrivain analphabète touche le lointain aléatoire des lettres avant de voir la distinction idéale des mots. L’écrivain analphabète touche le lointain nocturne des lettres avant de voir la venue idéale des mots au jour, avant de voir la distinction idéale de la venue des mots au jour. 

 

 

 

 

Je découpe mes phrases pour monter mes mots comme les images d'un film ; je m'efforce à retranscrire la mobilité cinématographique d'une prolifération de vocables. Comme pour des plans de films, le montage articule mes phrases avec l'animation d'un langage qui inspire le rythme de mes textes. 

 

Le montage aléatoire de mots me permet d’appuyer mes phrases sur le ressort animal d’une pulsion qui anime mes rebonds sur une langue imprévisible 

 

ce livre a été conçu dans une sorte de présent anachronique.

 

Chaque phrase apparait comme un montage de lettres, un montage animal de lettres. Chaque phrase apparait comme un montage d‘instants, un montage de lettres à l’instant, un montage de lettres à l’instant l’instant. 

 

 

 

Le vide s'entrecroise avec l'écriture et celle-ci devient un point d'intersection entre la parole et le silence.

 

« Il est impossible d’oublier que la découverte de l’Extrême-Orient et le développement de l’art baroque au XVII et au XVIIIème siècle ont été synchroniques et que c’est de la première que le second a préalablement reçu l’accentuation décisive. » P. Claudel, Eloge du Chinois. 

 

« Dans le rapport entre la Chine et le baroque, (…) il y a introduction brusque de la découverte d’un vide créateur, qui fonctionne aussi bien par l’évacuation de toutes les formes  que par leur exaltation. (…) Vous n’allez pas avoir la même expérience si vous vous introduisez dans un rouleau chinois ou si vous vous introduisez dans telle ou telle toile occidentale. Pas du tout. Les points de vue, dans le premier cas, viendront de partout, il n’y aura pas de hiérarchie. Vous pouvez être cette petite forme, aussi grande que la plus grande et il n’y aura plus de contradiction entre le minuscule et l’immense. (…) Dans toutes les petites choses comme dans les plus grandes, l’aisance sera la même. »  Philippe Sollers, La Divine Comédie. 

 

 

Votre technique d’écriture serait ainsi une tentative de transformer l’écran d’ordinateur en rouleau chinois de telle manière que les images de chaque lettre apparaissent en dehors de la hiérarchie optique de la raison, de telle manière que les images de chaque lettre apparaissent comme formes du hasard, comme formes de hasard du chaos.  

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                             A Bientôt              Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci pour vos commentaires sur Ecrit-parlé, Boris Wolowiec.
Je répondrai bientôt à votre mail.
La citation de Claudel est très pertinente.
Hier, j'ai pensé exactement à ce que vous écrivez en conclusion de votre mail : ordinateur/rouleau chinois.
A bientôt,


Philippe Jaffeux

 

 

 

 

 

 

 

 

Oui, très bien, Boris Wolowiec,
Ce que je veux dire, c'est que votre texte sur Jean Dubuffet(Capharnaüm) est stupéfiant ! Je ne connaissais pas votre admiration pour cet artiste mais c'est certainement celui que je préfère entre tous et c'est aussi à mon avis, votre meilleur texte. Vos textes sur Michaux aussi sont très bien, Ponge un peu moins parce que je m'éloigne de plus en plus de la verve protestante de cet auteur.

 

J'ai aussi lu tous vos textes sur l'enfance (Avec l'enfant) qui sont passionnant bien que, à mon goût, pas assez "enfant" (ingénu) ; ils sont parfois un peu trop démonstratif et rhétorique...La lettre (l'esprit) a, me semble-t-il, contribué à tuer l'enfant (la parole) qui est en nous...voir cela aussi du côté de J.Dubuffet, peut-être.
Mon entretien avec Béatrice Machet est peut-être, parfois, trop pesant. Je ne sais pas si cela est intéressant d'étudier son propre travail ; c'est peut-être même totalement absurde...

 

Oui, électtricité, comme cela c'est parfait, je ne peux rien vous dire de plus.... Une énergie au-delà  de la compréhension et du mental ? L'électtricité a-t-elle enfin trouvée son âme ?

 

Merci pour vos commentaires stimulants... Là je pense : l'écrivain analphabète peut aussi toucher les mots avec ses yeux, comme on regarde une toile de Pollock ou de Rothko...et Mallarmé bien sûr...L'écrivain analphabète serait plus du côté de l'expressionnisme abstrait que de la "littérature". Aujourd'hui, je pense et j'essaye d'écrire, avec difficultés, dans ce sens.

 

Je connais mal l'approche que Sollers a de la Chine mais j'apprécie celle, peut-être un peu surannée, de Claudel. 

 

La reconnaissance vocale fonctionne très mal ; je dois vous laisser.

 

(…)

 

A bientôt  

 

 
Philippe Jaffeux