Salut à vous Philippe Jaffeux,

 

 

 

Avez-vous vu le documentaire de la BBC Histoire de l’Electricité diffusé sur Arte il y a quelques mois ?

 

 

C’était passionnant. J’ai beaucoup pensé à vous en le regardant. J’évoque très vite quelques aspects de manière superficielle.

 

 

La relation entre l’électricité et le vide. En effet une des premières expériences scientifiques ayant mis en évidence le phénomène d’un flux électrique (en dehors de la simple constatation de la foudre) était une expérience où le (quasi) vide avait d’abord été créé à l’intérieur d’un globe de verre.

 

 

La relation entre l’électricité et l’animal. L’étude de l’anatomie du poisson-torpille a été très importante pour comprendre le fonctionnement de l’électricité.

 

 

La relation entre l’électricité et l’œuf. Le courant triphasé a été découvert par Tesla en utilisant un œuf de métal en révolution incessante.

 

 

La relation entre l’électricité et le zéro absolu. Un des problèmes de l’électricité du futur sera de découvrir des structures de cristaux ou de métaux supraconducteurs afin d’atténuer les défauts de surchauffe de la conductivité électrique (surchauffe jugulée de nos jours à travers des systèmes de résistance qui consomment d’énormes quantités d’énergie). Ainsi le problème de l’électricité du futur sera sans doute de parvenir à développer à température humaine (disons) des phénomènes électriques qui pour l’instant ne s’accomplissent qu’à des températures extrêmement froides. Le problème de l’électricité du futur c’est ainsi le problème du froid. Comment projeter la vie quotidienne de l’homme à l’intérieur du froid extrême ou à l’inverse comment transmuter des formes de froid extrême à l’intérieur de la vie quotidienne humaine.

  

 

 

J’ai aussi parfois pensé à vous à la lecture d’un livre d’entretiens avec le designer Philippe Starck intitulé Impression d’Ailleurs. Ce passage par exemple. « Tant que vous voyez la lune en deux dimensions, tout va bien, c’est confortable, c’est un papier peint. Mais lorsque vous commencez à lui reconnaitre une troisième dimension, vous vous trouvez face à l’infini. Le jeu est tout autre.

 

Faire l’effort de comprendre qu’il s’agit d’un volume est déjà incroyable. C’est pourquoi  l’une des premières choses que je montre à mes enfants, c’est une orange éclairée par une lampe de poche, afin qu’ils comprennent que ce qu‘ils voient là est à la fois un volume et une ombre.

 

J’aimerais dans ma vie, avoir une fulgurance  qui me fasse vraiment envisager l’infini. Ce serait pour moi une raison d’avoir vécu. Mais je n’ai aucun espoir. Mon cerveau est bien trop petit. Le cerveau de l’humain, même au niveau scientifique le plus haut, en est-il d’ailleurs capable ? Je ne le sais pas. Certains me diraient que ce n’est pas faisable puisque cela n’existe pas. Ainsi on est tranquille. Cela étant, j’aurais bien aimé, aussi comprendre réellement la notion de zéro : la notion d’un « rien » qui n’est pas rien est assez extraordinaire. »

 

 

J’ai le sentiment que l’expérience de Starck avec la lune est assez proche de votre expérience avec les lettres. Pour vous les lettres n’ont pas deux dimensions, les lettres disposent plutôt d’innombrables dimensions (et aussi d’innombrables ombres, les lettres disposent d’autant de dimensions que d’ombres). Ainsi par l’électrification de l’alphabet l’espace d’inscription des lettres apparait comme un cosmos, comme un écran de cosmos, et qui sait même comme un cosmos-écran. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                             A Bientôt              Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Post-scriptum.

 

  

 

«Imaginez qu'un électricien d'aujourd'hui se rende soudain compte que lui et ses amis n'ont fait que jouer avec quelques galets qu'ils avaient pris pour les fondations du monde; imaginez qu'un homme de cette sorte voie l'espace suprême s'ouvrir devant le courant, et les mots des hommes filer comme l'éclair jusqu'au soleil, et au-delà du soleil, dans les univers qui sont là-bas, et qu'il perçoive les voix des hommes dont le langage articulé résonne dans le vide désert qui borde notre pensée.»
Un tel homme, à coup sûr, saisi d'effroi devant ce que désormais il est capable de comprendre, du moins en partie, pourrait affirmer qu'il a «vu cette faille vide, profonde, s'étirer obscure sous [ses] yeux, et à ce moment un pont de lumière s'est projeté de la terre au rivage inconnu», et qu'il a contemplé «le gouffre inexprimable, le gouffre impensable qui bée si profondément entre deux mondes, le monde de la matière et le monde de l'esprit»  Arthur Machen, Le Grand Dieu Pan (cité par Stalker)