Notes en Désordre.

 

 

 

 

Salut à vous Philippe Jaffeux,

 

 

 

Avez-vous lu les mémoires de N. Tesla, ce prodigieux génie de l’électricité ? Il y a des passages passionnants en particulier à propos de ses caractéristiques visuelles et auditives.

 

 

« J’adorais les sciences mathématiques et le professeur vantait souvent mon aptitude pour le calcul mental. Je la tenais de ma faculté à visualiser naturellement les nombres et à calculer, non de manière automatique classique, mais comme si les nombres existaient bel et bien. »

 

 

« Lorsque j’étais un petit garçon, je souffrais d’un handicap singulier : l’apparition d’images, accompagnées souvent de puissants « flashes » de lumière, troublait ma perception des objets  réels et interférait avec mes pensées et mes actions. C’étaient des images d’objets, de scènes que j’avais réellement vues, jamais imaginaires. Lorsqu’on me disait un mot, l’image de l’objet qu’il évoquait se présentait brutalement devant mes yeux, et parfois je ne pouvais dire si ce que je voyais était réel ou non. »

 

 

« A Budapest, je me flattais d’entendre le tic-tac d’une pendule qui se trouvait trois pièces plus loin. Une mouche se posant sur la table dans la pièce envoyait un bruit sourd dans mon oreille. Une voiture roulant à plusieurs kilomètres de moi parvenait à faire trembler mon corps. Le sifflement d’une locomotive, circulant entre 30 et 50 km plus loin, faisait vibrer le banc ou la chaise sur lequel je me trouvais, au point que la douleur pouvait devenir insoutenable. Le sol sous mes pieds n’arrêtait pas de remuer. Pour pouvoir dormir un tant soit peu, il fallait des coussinets en caoutchouc sous les pieds de mon lit. J’avais fréquemment l’impression que des grondements proches ou lointains devenaient des paroles qui auraient pu aisément m’inquiéter si je n’avais pas été en mesure d’en analyser les composants insignifiants. »  Nikola Tesla, Mes Inventions

 

 

 

« Je me suis transfiguré en zéro des formes. (…) J’ai détruit l’anneau de l’horizon et suis sorti du cercle des choses. (…) Les objets ont disparu comme de la fumée. »  K. Malevitch

 

 

En regardant le générique d’un film de Tsui Hark (dont j’ai oublié le titre) j’ai soudain eu la révélation des corps chinois comme idéogrammes vivants. Par leurs gestes de gymnastique (ou d’arts martiaux) chaque homme chinois parvient à transformer son corps en idéogramme. L’homme chinois transforme son corps en lettre, en silhouette de lettre. L’homme chinois transforme la présence de son corps en une silhouette littérale.

  

 

« La beauté d’une meute de lettres saisit l’esprit animal d’un abécédaire fabuleux. » 

 

Il y a ainsi une meute animale des lettres, une masse animale des lettres. Chaque lettre révèlerait une forme à la fois animale et stellaire.

 

 

« Le hasart est d’autant plus objectif qu’il est défini par la signature d’une lettre arbitraire. »

 

Vous avez la tentation de transformer l’alphabet en signature, en signature à la fois aléatoire et fabuleuse. L’alphabet serait la signature même du monde. L’alphabet révèlerait à la fois la signature aléatoire comme le nom illisible du monde et le nom aléatoire comme la signature illisible du monde.

 

 

« Sa page s’illumina lorsque la totalité de ses neurones fut égale à toutes les lettres qu’il avait écrites. »

 

Les lettres seraient ainsi les images des neurones mêmes, les images des connections neuronales mêmes. Les lettres révéleraient les trajectoires des neurones, les tournures des neurones, les tournures d’évolution des neurones, les tournures de réversibilité, les tournures de transmutation des neurones, les tournures de danse des neurones. Les lettres révèleraient les tournures chorégraphiques de la danse des neurones à l’intérieur du cerveau et aussi au dehors. « Sa pensée dansait dehors lorsque l’intérieur de son corps disparaissait dans la musique. » Les lettres révèleraient ainsi la danse du dehors de la pensée. Les lettres dessinent ainsi les schèmes de danse du dehors de la pensée, les tournures de danse du dehors de la pensée. Les lettres réversibilisent le corps au dedans de la musique (ou la musique au dedans du corps je ne sais) et révèlent ainsi la danse du dehors de la pensée. 

 

 

 

L'imprimerie fut inventée par un orfèvre. Eric Blanco

 

C’est une intuition magnifique. Il serait ainsi intéressant d’imaginer l’imprimerie comme parure, comme une composition de parures ou même comme une composition de bijoux. Avec l’imprimerie l’homme invente une manière de parer l’espace, une manière de parer l’espace avec des lettres, une manière de parer l’espace avec des suites de lettres. L’imprimerie serait une manière de parer l’intervalle entre l’espace et le temps. L’imprimerie serait une manière de parer le vide entre l’espace et le temps.

 

 

 

 

(Merci pour votre lecture de Tu Sauf.) 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                             A Bientôt              Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Boris Wolowiec,
 
Je réponds tardivement à votre mail. Je vous en enverrai un autre lorsque j'aurai fini ma lecture de Tu Sauf.
 
Votre citation de Malevitch m'a beaucoup touché. Un processus…une pratique...beaucoup d'efforts pour  atteindre le vide, ce savoir de l'ignorance ? 
 
Les taoïstes avaient renoncé à toute forme d'enseignement oral (voire d'enseignement tout court).Ils  échangeaient des intuitions en modelant leur corps et leur voix sur celles des animaux. L'écriture chinoise s'en est peut-être souvenue.
 
Merci pour vos lectures de courants.  J'avais l'impression que c'était déjà loin. Mais non pas tant que cela grâce à vous.
 
Mon besoin d'écrire est peut-être simplement un moyen de rééquilibrer un état troublé. Aujourd'hui c'est un peu différent pour moi. Le lien avec la musique est de plus en plus fort. Ce qui m'importe le plus c'est de parfaire mon approche musicale de l'écriture. Cela cache aussi mon attirance pour l'abstraction qui se mélange plus ou moins bien avec un goût pour l'absurde.

Quoiqu'il en soit, vous êtes toujours aussi clair dans vos remarques. Je vais poursuivre ma lecture roborative de Tu Sauf qui me renvoie souvent une très bonne énergie.

 
A bientôt,

Philippe Jaffeux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Boris Wolowiec,
 
Félicitations ! j'ai fini ma lecture de Tu Sauf. Ce texte m’a enchanté et m'a permis de voir certaines choses autrement.

 

La publication (reliure) aidera certainement à améliorer la lecture.

 

Dans chaque chapitre, il y a au moins une phrase stupéfiante.
Je vous souhaite le meilleur.

 


Philippe Jaffeux