Salut à vous Philippe Jaffeux,

 

 

 

 

Notes à propos de l’Electricité.

 

 

 

Avant l’époque de l’électricité, la nuit existe au dehors. A partir de l’invention de l’électricité la nuit est abolie. L’électricité anéantit la nuit. La structure de l’électricité anéantit le dehors de la nuit. Avant l’époque de l’électricité, les formes des désirs inaccomplis et même celles des volontés hésitantes se perdent à l’intérieur de la nuit. Avant l’époque de l’électricité, les hommes à la fois projettent et reposent les résidus de formes de ces désirs inaccomplis et de ces volontés hésitantes à l’intérieur de l’obscurité des forêts ou encore parmi les espaces sombres des maisons. C’est pourquoi ces forêts et ces maisons apparaissent à la fois féeriques et hantées, saturées par les aspects hagards des innombrables rêves humains.

  

 

A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, l’électrification de la vie quotidienne institue une sorte de jour incessant (en tout cas dans les villes), les hommes ne peuvent plus déposer les restes de leurs rêves à l’intérieur de la nuit du dehors, ils sont donc désormais contraints de les stocker, de les emmagasiner, de les enregistrer à l’intérieur de leur cerveau  et c’est sans doute alors que se développe l’inconscient psychique.

  

 

Une hypothèse : l’électricité a engendré l’inconscient psychique. L’inconscient psychique ne serait que le résultat de l’électrification de la vie quotidienne. Ce qui développe l’inconscient psychique c’est la structure technologique de l’électricité. Ce qui refoule donc les désirs à l’intérieur du cerveau, c’est le système technologique de l’électricité. En effet le dehors du monde est désormais totalement illuminé, le seul espace obscur qui soit encore disponible c’est l’intérieur du cerveau. Avant l’électricité il y avait évidemment des formes d’inconscients diverses, cependant ces formes d’inconscients n’étaient pas psychiques, elles étaient plutôt des formes d’inconnus matériels.

 

 

Il me semble très révélateur que Freud ait découvert l’inconscient psychique justement à l’époque où l’électricité s’installait partout, découverte d’ailleurs accomplie dans une des villes les plus éclairées de l’époque, celle de Vienne. Freud a donc découvert l’inconscient psychique sans jamais découvrir pourquoi l’inconscient était désormais psychique. Selon Freud ce qui refoule les représentations du désir c’est l’instance psychique du surmoi, cependant il n’a jamais eu l’intuition qu’une instance technologique pouvait effectuer un tel refoulement. Freud n’a jamais eu l’intuition selon laquelle l’homme a un inconscient psychique à partir du moment où il s’assujettit quotidiennement au système de l’électricité. L’inconscient psychique ne serait donc rien d’autre qu’une sorte de croyance distraite en l’électricité. (Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier l’histoire de la psychanalyse à travers ses relations impensées au système électrique, l’utilisation des électrochocs par exemple.)

 

 

Il y a aussi une époque passionnante, celle de la transition entre l’éclairage à la bougie et l’éclairage électrique c’est à dire celle de l’éclairage au gaz. Il me semble aussi très révélateur que l’époque de la révolution poétique de la fin du 19ème siècle, celle de Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Laforgue et Mallarmé corresponde précisément à cette époque de l’éclairage au gaz. Sur ce point c’est sans doute Baudelaire qui a été le plus lucide. Baudelaire évoque par exemple souvent les effets sensoriels de l’éclairage du gaz dans Le Spleen de Paris. A l’époque de l’éclairage au gaz, c’est comme si les formes des rêves ne s’étaient pas encore définitivement enfouies à l’intérieur des cerveaux et qu’elles restaient ainsi visibles et mêmes lisibles à la surface des murs des bâtiments bourgeois. Les formes mythologiques deviennent alors presque instantanément visibles parmi l’ameublement. Il serait par exemple intéressant de lire l’œuvre de Mallarmé ainsi. 

 

 

Il me semble enfin que nous vivons désormais à une époque où l’intérieur même du cerveau  est sans cesse illuminé. D’une certaine façon à notre époque il n’y a plus d’inconscient psychique parce que cet inconscient psychique est sans cesse analysé, commenté et expliqué et aussi surtout parce que l’obligation de transparence sociale abolit de plus en plus la différence entre le public et l’intime. L’intérieur du cerveau est désormais structuré à la façon d’un plateau de télévision. C’est le principe idéologiquement dominant de la télé-réalité autrement dit le principe selon lequel ce qui est réel c’est exclusivement ce qui est télévisé ou ce qui est diffusé à travers des réseaux d’information. Dès lors il serait intéressant de savoir où se situe désormais l’inconscient psychique. Il n’est pas certain qu’il se situe à l’intérieur du cerveau puisque le cerveau biologique interne s’est changé de nos jours en cerveau informatique externe, le cerveau informatique externe de l’ordinateur. L’inconscient psychique aurait donc peut-être été changé en une sorte d’inconscient informatique. L’inconscient ce serait désormais l’électricité même, l’échange de signaux de l’électricité, l’échange de signaux automatiques de l’électricité.

  

 

« Pendant longtemps, l’inconscient a servi d’environnement au conscient. Les rôles d’hôte et d’invité ont tendance, aujourd’hui à se renverser. Tout un siècle de sondage consciencieux a permis de récupérer certaines structures et de nombreux éléments constitutifs de l’inconscient  et les a fait émerger dans la conscience. Graduellement c’est au tour de la conscience de servir d’environnement à l’inconscient, si bien que nous en arrivons à une sorte de « rêve éveillé » tout en perdant le sens des limites entre le privé et le collectif.  » M. Mc Luhan Du Cliché à l’Archétype

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci Boris Wolowiec.
Je vais lire ces notes.
Je vais souvent sur votre site. Ces publications en ligne sont une grande réussite à mon avis. 
J'ai de plus en plus de mal à écrire malgré la reconnaissance vocale. Ma voix s'affaiblit et je n’arrête pas de me corriger.
Excusez donc ce court message mais je ne manquerai pas de vous lire ; c'est ce que je fais de mieux aujourd'hui.
Je vous répondrai bientôt.

A bientôt,

Philippe Jaffeux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Boris Wolowiec,

 

 

 

Merci. Oui...Peut-être que l'électricité a pris la place de nos rêves parce qu'elle est venue à bout de la nuit. Et si le rôle des ordinateurs se réduisait à essayer de nous faire comprendre que nos vies sont (aussi) des rêves ?

 

Moi aussi, j'ai du mal à apprécier la pensée de Freud qui ne m'apparait être rien d'autre qu'un ixième dogme dualiste. L'essentiel est toujours, par contre, pour moi de pouvoir me livrer au chaos, au mélange, aux polarités complémentaires, au métissage etc…

 

Votre analyse est pertinente mais, si je peux me permettre, elle s'appuie (un peu) sur un tour de force rhétorique, une argumentation, un discours et je préfère vos approches (intuitions) immédiatement poétiques (Sang/silence, par exemple).  

 

Néanmoins, le rapprochement que vous faites entre l'inconscient et l'informatique est très pertinent et c'est peut-être celui-ci qui détermine aujourd'hui, en partie, l'état de nos sociétés occidentales.

 

J'essaie de m'intéresser à l'après Ponge (électrique aussi) ; J.M.Gleize en particulier.

 

J'essaierai de vous écrire bientôt plus longuement mais pour l'instant c'est un peu difficile.

 

 

 

A bientôt,

  

 

Philippe Jaffeux