Salut à vous Philippe Jaffeux,

 

 

D’abord merci pour l’envoi des Autres Courants.

 

(…)

 

Je vous envoie à mon tour d’autres extraits en désordre de Tu Sauf.

 

 

 

 

 

                                                                                             A Bientôt              Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Lorsque vous écriviez "Un coup de fil est la plus folle des tortures. », j’écrivais, sans répit, des histoires sur le téléphone ; ma première véritable obsession, avant l'alphabet. Les connexions sont karmiques et planétaires.


Dans Tu sauf, la structure gigogne, les superpositions de phrases ne sont pas encore en place.
J'aime beaucoup ces textes (innocents ?) et j'espère que vous parviendrez à les faire lire au plus grand nombre.

 
A Bientôt,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Salut à vous Philippe Jaffeux,

 

 

Je vous envoie un extrait de la Vie Filtrée de Malcolm de Chazal à propos de l’alphabet (le chapitre intitulé La Transcription Auditive). L’alphabet qu’y évoque Chazal serait semblable à votre alphabet préhistorique.

 

 

« Dans la Genèse de la conception des choses, le Nombre préluda à la Forme. De la Forme naquit le geste. Geste et forme en se conjuguant formèrent l’image, dont le symbolisme à l’infini constitue, depuis, la forme la plus immédiate du parler – tout au moins du parler visuel, qui transcende et est antérieur au parler phonétique.

 

(…)

 

Aux temps très anciens où l’homme percevait le symbolisme des choses, et où la puissance d’extériorisation par les gestes du visage était chez lui totale, la nécessité du langage - ce « grand détour » vers l’expression- était d’importance secondaire, car l’homme pouvait, en ces temps très anciens, exprimer infiniment plus de choses en infiniment moins de temps  qu’aux temps actuels, par une simple gesticulation de la face ou par un rapprochement  indicatif entre choses naturelles- et cela avec infiniment plus de facilité et de profondeur que ne réussirait à le faire l’homme actuel avec de longs discours.

 

(…)

 

Lorsque se dissipa cette science des correspondances, art du symbolisme entre toutes les formes des choses (…) , il  fallut à l’homme en cette période nouvelle, transmettre ses sentiments et ses idées à d’autres avec d’autant plus de précision que la richesse des nuances  qu’il obtenait naguère par les modulations de son visage et l’infinie plasticité visuelle de sa face - mode par lequel il corrigeait les faux pas et les « manques » de l’expression- toutes ces richesses n’étaient plus désormais à sa portée comme naguère.

 

Pour obtenir cette précision d’expression, l’homme « solidifia » donc sa voix, qui était précédemment ultraliquide, en lui mettant le carcan du vocabulaire- discipline qui dès ce moment mis les rênes au timbre de la voix humaine. Pour obtenir ces blocs de départ de l’idéation qu’est le vocabulaire, l’homme s’éloigna du détail et de la forme plastique des images à inter-échanges à l’infini, et se borna à saisir l’essence des images en bloc, à les condenser dans des formes phonétiques correspondant le plus possible à la synthèse de ces images. Pour l’alphabet lui-même l‘homme divisa le vaste monde en ce qu’il croyait être les blocs essentiels de vie expressive (…). De ces grands blocs-éléments, il fit son alphabet, dont chaque son correspondait à un son-élément retrouvable dans la grande voix du vent, dans les plaintes de l’eau, le sifflement du feu, les « grands diviseurs communs » des voix des bêtes etc -principes concrétisés en essence dans la Voix humaine.

 

(…)

 

Les « premiers hommes de la langue parlée » connaissaient l’origine de leur alphabet, et chaque mot avait pour eux, en sus de son sens réel et extérieur, un sens intérieur, qui lui venait des modulations des lettres accouplées dans un ordre défini, exhalant leur origine d‘éléments-images et d’éléments-sons de départ qui leur donnèrent le jour, et dont l’homme connaissait le sens symbolique initial. Ce sens interne des lettres et des mots bien vite s’estompa lui aussi et disparut. Mais malgré cela, la langue « solidifiée » de cette nouvelle époque pouvait encore être considérée comme un flot mouvant, par rapport au sens adamantin de notre alphabet actuel, anonyme et incolore et d’implasticité absolue, dont la liaison ne donne plus que des gerbes de lettres-idées par rapport aux lettres-images de jadis qui étaient tellement plus souples et plus vivantes pour exprimer les sentiments et les nuances impalpables des idées. »

 

 

 

Post-scriptum. 


Je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas le sentiment d’écrire pour le plus grand nombre, même si évidemment je n’ai pas l’extrême audace d’écrire pour la plus petite lettre c’est-à-dire le zéro.

 

 


 


                                                                                             A Bientôt              Boris Wolowiec


 










 

 

 

 

 

 

Bonjour Ivar,
Bonjour Boris Wolowiec,
 
Je vous adresse un seul mail qui pourra peut-être répondre, à la fois, à l’article de Ivar sur « la poésie populaire » et à mon explication adressée à Boris Wolowiec sur le plus grand nombre.


Je me souviens d'une phrase de Gombrowicz, quelque chose comme : « je ne veux pas écrire seulement pour des amis » (dans sa correspondance avec Dubuffet, je crois.). Ces mots m'ont beaucoup frappé et, sans avoir l'intention d'être un poète populaire, je me suis toujours dit que je ne voulais pas écrire pour une
clique, groupe, clan, bande, coterie... J’écris, bien entendu, pour des individus avec lesquels je signe un contrat mais ces lecteurs ne doivent, en aucun cas, être prédéfinis (ni même imaginés) d’avance. La « littérature » est un moyen de transcender toutes les formes de connivences et donc aussi de conventions. C'est peut-être pour cette raison que j'ai développé cette obsession (surfaite ?) pour les analphabètes. Si Dubuffet a été le meilleur détracteur de l’art et de la culture c’est parce que cela lui a permis, au travers de l’art brut, d’inspirer un élan universel, le plus formidable de tous.

 

 

 

Le fait d’écrire en Picard est aussi, bien évidemment, un moyen de rejoindre l’universel ; ceux qui voudront lire dans ce patois ne seront pas forcément les lecteurs habituels de poésie. La rédaction d’un texte dans une langue régionale est donc un moyen de s’accorder à des forces universelles (voire planétaires ou cosmiques) même si ce texte est apprécié par une minorité de lecteurs. La poésie prend corps spontanément dans l’unanimité d’une antipoésie : la reconnaissance d’un patois. Si comme Ivar le note « ces intentions sont des tentatives désespérées », il n’empêche que d’un point de vue humain (c'est-à-dire cosmique) elles sont parfaitement logiques et raisonnables.

 

 

Dans le même ordre d'idée peut-être, j'essaye de me ranger du côté de l’esprit ou de quelques souffles (alphabet, parole, images, musique, nombres) contre la lettre (l’écriture).

 

 

La folie, un pays ou une forme d'extase sont des moyens qui nous permettent d'être inspirés par une simplicité, par une vitalité populaire et peut-être, plus spontanément, par une âme commune à tous. J’associe alors le mot « populaire » à l'inconnu, à la rencontre et au hasard.

 

 

 

Je veux dire que les seuls commentaires sur ce que j'écris (ou dis) qui peuvent me toucher sont ceux auxquels je ne m'attends pas. Ces échanges (surprises) sont très rares mais ce sont les seuls qui m'importent vraiment. C'est aussi ce que je ressens, par instants, dans les textes de B.W; C'est pour cela que je lui ai écrit, certainement aussi avec un esprit de provocation, que j'espérai que ses textes seraient lus par le plus grand nombre. Je veux dire par tous ceux pour lesquels il n'avait pas prévu d'être lu. La sentence de Gombrowicz est réversible (aujourd'hui, le problème c'est que tout le monde sait écrire) si l'on admet que la solution est aussi, aujourd’hui, que tout le monde sait lire. 

 

 

Par ailleurs, j’éprouve le besoin de laisser la place libre à toutes les propositions magiques de notre alphabet. En ce sens, les ordinateurs et internet peuvent, à l’occasion, favoriser un essor de la poésie populaire.

 

 

Le ton de ce mail est un peu bizarre parce qu'il s'adresse à vous deux ; mais bon c'est comme cela...le hasart (et la flemme aussi peut-être !).  

 

 
Amitiés,

Philippe Jaffeux