Salut à toi Léonore,  

 

 

J’ai écouté les chansons des trois cd que tu m’avais envoyés (Les Pointes et les Détours, Square Ouh La La et Feigen Feigen). J’ai écouté ça dans la voiture la fenêtre au vent quand j’allais chercher des trucs à Angers. Cette manière d’écouter de la musique n’est évidemment pas la plus élégante, c’est malgré tout quasiment la seule que je parvienne maintenant à accomplir. En effet écouter de la musique à la maison, cela me distrait trop, même pour de la musique admirable, je veux dire par exemple celle de Bach, de Monk ou de Stravinsky. Et puis le flux du vent, c’est malgré tout aussi du chant, une cantate de vide confus.  

 

 

J’ai commencé par Square Ouh la la. Ce titre me plait beaucoup. J’avais d’ailleurs déjà aussi utilisé cette formule quasi féerique du ouh la la à l’intérieur de Rhapsodie avec Gertrude Stein. Il y a à ce propos parfois dans ta manière de chanter des sortes de hoquets acrobates qui évoquent la rythmique mentale de Gertrude Stein. 

 

Le grand 2. C’est une chanson khlebnikovienne je trouve. Ce jeu d’évoquer un chiffre comme un caractère ou un personnage, comme si c’était une figure humaine, ou même un personnage philosophique comme disait Deleuze. « Attentivement je vous fixe, ô nombres ! Vous me paraissez habillés comme des bêtes dans leurs peaux. » Khlebnikov, Zanguezi.  

 

 

Lied. Oui Kandinsky évidemment, les spirales de chaos strident de Kandinsky. Ce qui est très beau dans la peinture de Kandinsky c’est la puissance d’impact des ponctuations chromatiques à l’intérieur de l’espace. Sa manière de multiplier des virgules ou des points d’interrogations de teintes chromatiques, ponctuations de teintes chromatiques qui parviennent à enrouler et à dérouler les cristaux du vide en spirales comme des pelures de silicium ou de quartz. Il y a ainsi chez Kandinsky une manière étrange de transformer des processus de cristallisations en rubans, et même en brouhahas de rubans. Puissance de la ponctuation de Kandinsky. C’est déjà ce dont tu m’avais parlé au restaurant à propos de Perec, les effets de ponctuation des bâtiments et de la circulation urbaine si je me souviens bien. Un très grand virtuose de la ponctuation c’est aussi Cummings. Je n’avais pas eu le réflexe de t’en parler alors.  

 

J’ai écrit ceci à propos de Kandinsky dans une lettre à Philippe Crab. « Webern serait proche de Malevitch, Berg plutôt proche de Kandinsky, » Il y a par exemple parfois des sortes de flottements incisifs, d’arachnéismes brutaux plutôt bergiens dans les Pointes et les Détours (avec parfois aussi il me semble des échos de piano à la Lenny Tristano). 

 

« C’est à ce moment que quelqu’un a parlé dans une langue étrangère, une langue étrangère, le film était déjà commencé. »

 

J’ai l’impression que cette question de la langue étrangère c’est à dire aussi de l’étrangeté de la langue à elle-même traverse à chaque instant tes chansons. Dans Lied, ta voix semble ainsi mélanger bizarrement plusieurs langues. En effet tu chantes en allemand avec des intonations orientales, tu chantes en allemand comme si c’était du chinois, du japonais ou du balinais. Cela provoque alors une sorte de trouble historique, tu changes l’aboiement conventionnel de la langue allemande en pépiement scintillant de bengali. C’est comme si avec une simple chanson, avec les seules intonations du chant, tu parvenais à détruire un préjugé français envers la laideur phonétique supposée de la langue allemande. (Ou pour le dire autrement de façon plus polémique, c’est comme si par une simple chanson tu parvenais à critiquer superbement la métaphysique factice de la poésie de Paul Celan, cette idée idiote selon laquelle l’allemand serait la langue même de la mort.) 

 

C’est comme si pour toi il y avait un film du chant, un cinéma du chant antérieur au chant même. C’est comme si pour toi le chant n’était pas à l’origine du chant, ce qui était à l’origine du chant ce serait plutôt une sorte de kaléidoscope d’images mentales, un kaléidoscope de teintes mentales. Il y a quelque chose qui tinte à l’intérieur de ton chant, quelque chose qui tinte à la fois cintré et cinglé. Chanter c’est ainsi commencer à chanter alors que le film du chant apparait toujours déjà commencé. Chanter c’est ainsi pour toi prendre le film du chant en route ou encore prendre le film du chant au vol. Et la boulangère en toi s’amuse alors à pétrir ce film du chant, ce kaléidoscope du chant, ce kaléidoscope kandinskien du chant. (J’ai vu sur internet que tu avais fait du théâtre avant de chanter. Il y aurait ainsi une comédie du chant, un marivaudage du chant, un marivaudage kandinskien du chant. « Oh comme ils sont jolis à se courir après. ») 

 

 

Il y a parfois aussi un aspect presque vieillot à l’intérieur de ton chant, la vieillerie honnête des années soixante disons. C’est la voix d’une jeune fille sage qui reste « au pays de sa chambre », jeune fille sage pourtant légèrement azimutée. J’ai par exemple aussi un peu entendu dans un des ouh la la de la fin, la dinguerie majestueuse de Magali Noël. 

 

Les Pointes et les Détours évoque souvent les intonations de Barbara, surtout quand tu chantes en medium fermé, (je ne sais pas si cette expression est musicalement correcte), par exemple « Tiens je préfère dormir Dormir jusqu’en décembre. ». L’espièglerie initiale de Comme Ils Sont ou encore la modulation de « Ce jeudi en janvier Dites Monsieur l’horloger » me semblent aussi proches des chansons moqueuses de Barbara. 

 

 

Feigen Feigen. Comment une Figue de Paroles et Pourquoi disait déjà Ponge. Je t’envoie ainsi aussi ces phrases extraites de L’Indiscipline de l’Eau de Jacques Darras à propos de la distinction du chant et de la parole. Il me semble en effet que cela pourrait t’intéresser. (J’avais déjà envoyé ces extraits à Philippe Crab.) 

 

« Parler c’est avec la voix. 

Chanter c’est avec la voix. 

Parler n’est pas chanter. 

La voix peut chanter des paroles. 

La voix ne peut pas parler la chanson. 

La voix qui parle la chanson parle les paroles de la chanson. 

Dans ce cas elle n’a plus besoin de la chanson. 

La voix qui parle les paroles d’une chanson est étrange. 

Si je me mets à parler les paroles d’une chanson sans la chanson 

J’aurai l’air de dire un poème. 

La voix qui parle les paroles d’une chanson dit en fait un poème. 

Tous les poèmes ne sont pas des chansons. 

Tous les poèmes ne veulent pas avoir l’air de chansons. 

Aujourd’hui les poèmes des poètes sérieux n’ont pas l’air de chansons. 

Surtout pas l’air de chansons. 

Aujourd’hui les poèmes n’aiment pas la musique. 

La voix qui parle dans le poème se méfie terriblement de la voix qui chante. 

La voix qui parle dans le poème veut prendre son indépendance. 

La voix à chanson et la voix à parole ne se parlent plus. 

Le dernier poète chanteur s’appelle Aragon. 

C’est la parole qui ne parle plus à la musique. 

C’est sa décision et pas l’inverse. 

La chanson, elle, continue à chanter toutes sortes de paroles sans espèce de distinction. 

La chanson ne recule devant aucune parole. 

La chanson qui est musique emporte toutes les paroles. » 

 

 

J’ai aussi apprécié le bazar rigoureux des timbres instrumentaux de Feigen Feigen (gong, sifflets-yoyos et autres bidules tutti quantiques). J’ai vu que ce disque avait été enregistré dans un ancien atelier de forgeron. Eh bien c’est parfois comme si ta musique devenait une manière de forger des bulles de savon ou encore une manière de marteler des fleurs. 

 

 

Pendant que j’écoutais La Petite Fille de Rouen, j’ai entendu de façon inexacte une des phrases de la chanson. Au lieu d’entendre les yeux sont comme des océans, j’ai entendu les yeux saouls comme des océans. Saoul comme l’océan, cette formule me plait. Je t’envoie ci-joint une rhapsodie élaborée autour de cette phrase.

 

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt                         Boris

 

 

 

 

 

 

  

Corps du courriel (autres nouvelles du silence) 

 

 

 

Après j’ai redécouvert les notes dispersées de mon premier geste à te répondre mais dans mon inconsistance cette lasse discipline de mon indiscipline je n’avais chaque fois pas écrit le nom de l’auteur.  

 

Dès lors utiliser ces notes sans nom, est-ce moi-même ou l'auteur, et l’auteur est-ce moi-même, j’oublie si vite ce qui me traverse la présence.

 

Toi-même tu sembles dire dans tes correspondances dans tes rebonds,  la phrase n’appartient à personne personne n’est la phrase la phrase n’est personne elle est la phrase de personnes qui sont la phrase devant la phrase de personne.

 

Il y a un portail vers la phrase dans toute phrase qui arrive par la phrase, il y a une reconnaissance de la phrase de la phrase par la phrase de personne.

 

La phrase est une seule et se livre sans répit à la pesée des mondes flottants. Ainsi du haïku le chant du monde son impermanence, sauf celle-ci l’impermanence alors pour le monde de la phrase n’est plus fatalité mais fluide arborescent et divinatoire.

 

 Aussi comment ne pas prendre ici et là pour te répondre, la chose attendue de même pour le partage des nerfs de données. 

 

La citation des "étoiles" de ce monde encore une façon en définitive de « glorifier les humbles » comme cher à Ponge, pour donner à l’objet chaque fois l’unique forme du monde en présence de l’objet le monde comme la chose comme la chose est son objet.  

 

«  il existe un ciel »  (Laurent Albarracin) 

 

il existe un ciel ou je retombe que je retombe et je me mets dans la chose et je fais faire la chose pour qui je suis gigogne et le monde avec moi.
 

 

«  Was ist gestürzt, das steht doch auf. Und was nicht sprach, das singt ein Lied. »

 

(Ce qui est tombé se relève. Et ce qui ne parle pas chante un Lied. )

 

Voici la phrase dans le poème de Wassily Kandinsky, celui que je chante et que je citais l’autre jour dans le restaurant.

 

 

Où l’expérience Wolowienne apparait comme un modificateur de clarté  

dans sa face de oui la fleur d’érosion de sa phrase accueille le gag de sidération du flow d’éternité du comment ça sent ça existe. 

 

Encore l'océan Wolo fait tanguer de tout bâbord tribord au nord et au sud les ancres sagaces de sa générosité.  

 

 

Je médite:

 

la pensée nous dépasse la pensée nous dépasse la pensée dépasse la pensée 

 

sa transparence autorise l’invisibilité du troisième plan 

 

«  en quoi une vague est-elle un tout ? » (P. Valéry) 

 

le sang est un fil électrique tout près de se dénuder 

 

 

Tu dis : 

 

« les nuages surgissent comme des lecteurs absolus » 

 

J’avais réflexion pour qu’ils soient eux même la littérature, une littérature pour le végétal, l’humble, l’ancré. 

 

20H de ses gros nuages et flotte la littérature au végétal 

un catalogue de livres et d’auteurs rétrécissant en d’autres districts  

pour les jeunes plants vieillissants en rosette et d’autres mieux malins  

pisse-au-lit, couronne de moine, dent-de-lion. 

 

et c’que je ‘m demande bien ce qu’y en a t’ à dire  

ne quitte jamais l’idée qu’au fond d’un texte est une chanson*

 

 

*chanson objet à part entière (et son sujet propre), émue ou armée, de même qu’une table, un couteau et qui délivre enfin son nom, soudain et après tout.

 

chanson : comme une tentative d’épuisement dans le raccourci et la possibilité de rajouter quelque chose au monde.

 

 

«  Ce monde n’est pas à l’image du réel mais est une création pure, ne répondant qu’à 'la nécessité interne au tableau’ » écrit Kandinsky*.

 

*S’il existe un malentendu heureux pour que les génies ne soient point des maitres de concepts mais des concepteurs à postériori (comme telle voilà aperçue l’une de ses toiles dans la lumière déclinante du crépuscule montre à Kandinsky le chemin vers l’abstraction, ou comme voici Gertrude Stein écoute les hoquets de son chien Basket laper l’eau)  

..., alors nous arrivons à croire à croire dans le voyage un temps nous dispense un temps nous arrivons. 

 

De la cloche son château il est une fête de ce que nous croyons entendre  

le talent ordinaire trouve un jeu à tout voir une maladie de peinture 

…, d’un jour à l’autre il y a des choses qu’on ne peut plus dire.
 

 

 la phrase de Khlebnikov Merci!

 

« Attentivement je vous fixe, ô nombres ! Vous me paraissez habillés comme des bêtes dans leurs peaux. » 

 

Ceux-là aussi méditent notre attention. 

 

 

Ton texte à propos de Malcom de Chazal éclaire de beaucoup ton écriture, son éthique, et m’encourage à parler un peu. Comme lui affirmatif le plain-chant, tu dis : 

 

« Pour Chazal l’écriture vient de la sensation et non de la pensée, et cela simplement parce que la pensée elle-même vient de la sensation. » 

 

Il dit : «  écrire une phrase, c’est apparaitre possédé par une sensation, c’est apparaitre possédé par la certitude d’une sensation. »  

 

Je crois que j’ai tenté à un moment de comprendre, savoir que j’avais décidé de quitter la sensation fugitive, l’impressionnisme qu’il y avait dans "les pointes et les détours » pour descendre au cœur même de la sensation, et tenter de nourrir concrète la sensation : 

par la force d’insister le réel insister le réel jusqu’à ce qu’il en devienne étrange.  

 

 

Dans « Espèces d’espaces » Georges Perec, comme toujours parle d’écriture, de l'exercice :

 

« Continuer 

Jusqu'à ce que le lieu devienne improbable 

jusqu'à ressentir, pendant un très bref instant, l'impression d'être dans une ville étrangère, ou, mieux encore, jusqu'à ne plus comprendre ce qui se passe ou ce qui ne se passe pas, que le lieu tout entier devienne étranger, que l'on ne sache même plus que ça s'appelle une ville, une rue, des immeubles, des trottoirs… »
 

 

Ce que tu as relevé à l’écoute de nos disques, à propos du "trouble historique" ces langues étrangères qui se touchent dans la chanson, il y a la volonté et le jeu c’est certain de dépayser la chanson, laisser entendre et laisser voir la parole qui s’échappe, et la confier à l’étrangeté.

 

« C'est comme si pour toi il y avait un film du chant, un cinéma du chant antérieur au chant même. C'est comme si pour toi le chant n'était pas à l'origine du chant, ce qui était à l'origine du chant ce serait plutôt une sorte de kaléidoscope d'images mentales, un kaléidoscope de teintes mentales. Il y a quelque chose qui tinte à l'intérieur de ton chant, quelque chose qui tinte à la fois cintré et cinglé. Chanter c'est ainsi commencer à chanter alors que le film du chant apparait toujours déjà commencé. Chanter c'est ainsi pour toi prendre le film du chant en route ou encore prendre le film du chant au vol. Et la boulangère en toi s'amuse alors à pétrir ce film du chant, ce kaléidoscope du chant, ce kaléidoscope kandinskien du chant. » 

 

Merci de le dire pour avoir remarqué, l’image du film pour l’image du chant, et son cours sans fin ni commencement. Comme toute chose est ronde d’ailleurs on en fait le tour.

 

 En effet la chanson s'appelle « Voir » et je chante « Le film était déjà commencé ».

 

Comme dans le film lettriste de Maurice Lemaître de 1951 « le film est déjà commencé » , il se produit dans cette chanson (chanson sur un ostinato chanson modale) certains courts circuits qui font le caractère, si l’on poursuit la référence aux lettristes, de ce qu’on pourrait appeler une chanson "discrépante". Avec comme dans le cinéma ou la poésie sonore d’Isidore Isou, un certain rapport à la disjonction du langage, entre l’image et le son. Mais aussi entre l’image et l’image et le son et le son.  

 

 

 J’ai pu lire que Kandinsky aura dit avoir travaillé du concret vers l’abstraction ; particulièrement je dirais dans le moment de ses « Klänge » (« Sonorités") ses poèmes d’un seul geste qui glissent un autre geste dans la sensation en allemand.

 

Ça a fait chez moi une petite résonance, 4 coins dans un cercle, de quoi butter sur un son, loucher dans un "Square Ouh la la » et dans l’oeil de ses gravures sur bois ; le disque en 2013 a voulu traduire une ou deux sensations dans la saynète  de 'Ouh la la' :  parce qu'il y a un côté à le dire où l’on ne sait plus très bien ce qu’on raconte. 

 

Et c’est pour ça que la phrase quand elle se mêle à la couleur du rouge de sentir en nécessaire le dedans du dehors, à la loupe ça sonne un petit extrait dans la durée louche.

 

(«  Le poème, cette hésitation prolongée entre le son et le sens » Valéry) 

  

 

Encore une fois la lecture de ce texte inespéré sur Chazal résonne avec un idéal de la modernité tel qu’il vient se fixer dans la ponctuation de mon diorama, dans ce lien tendu vers le court-circuit du monde, et son langage, par «  la coïncidence intégrale des cinq sens. »

 

Dès lors je n’ai plus qu’à casser la vitre de mon diorama et enfourcher cette "Bible des couleurs" vers "l’enfant du futur".  

 

À propos de Jean Paulhan, connais-tu cette histoire de ses 22 ans à Madagascar (on sait qu’il a recueilli là bas et traduit quelques hain-teny) , histoire d'un "malentendu agréable » (« les incertitudes du langage » - collection idées nrf ) 

 

«  Il n’y a pas de gloire plus entière, plus émouvante qu’une gloire sportive ! »   

 

S’étant inscrit pour une course de motos entre Tananarive et Antsirabé, Paulhan prend le départ avec quelques douze concurrents, un départ dit-il très apprécié des amateurs. Après une demie heure où il est encore en tête, le voilà finalement totalement distancé. Il allonge sa monture dans un champ de canne à sucre, mâche quelques cannes et s’endort un peu. Quand il remonte sur sa machine il rentre à Tananarive sans se presser. Il croise sur la  route quelques malgaches qui poussent de petits gémissements bienveillants en le voyant, puis des groupes de gens puis une véritable foule qui agite de grands manteaux blancs et poussent de véritables hurlements de joie. Il comprend alors que ses concurrents ne sont pas encore rentrés, il dément à voix basse (sa  drôle de voix aigue) mais les autres de plus en plus chaleureux, alors il faut bien qu'il passe la ligne d’arrivée et on le porte en triomphe, on porte sa moto, le second coureur lui, en fait le premier, n’arrive qu’une demie heure plus tard. Et Jean Paulhan est déjà rentré chez lui très ému, bien que d’une émotion imméritée il dit combien incomparable. 

 

Mais alors, par toi je l’apprends, mais pour l’écrivain fervent lecteur de l’œuvre de Malcom de Chazal,  n’y aurait-il pas une façon d’interpréter ce récit à caractère proprement onirique tel qu’on l’appellerait « le rêve de Paulhan » ce « malentendu agréable » comme la traversée « dans un état de concentration et de déconcentration »  d’un « espace de  somnambulisme lucide ». 

 

« C’est le jeu, le jeu de l’amour. Vous ne marchez pas dans le paysage, mais c’est le paysage, et son jeu, qui marchent avec vous. » 

 

J’espère que tu me pardonneras de chercher la fable. 

 

Car si pour Chazal « les gestes d’un même homme répondent à la fois à ses autres gestes et aussi aux gestes d’autres existences que la sienne »  :

 

En même temps que Paulhan s’endort en mâchant sa canne à sucre, un autre fait pour lui la course, ainsi qu’il passe la ligne d’arrivée un autre s’endort en mâchant une canne à sucre.

 

Comme une sorte de mise en garde celle que tu rapportes de Chazal,

 

« Plus l’art est un métier, moins la joie s’exprime. »

 

Et pour qu'enfin l’auteur triomphe sans l’avoir cherché car il ne peut toujours garder pour lui le vif de sa connaissance. 

 

 « Evidemment l’auteur ne cherche pas à nous être agréable. Il ne cherche pas non plus à faire beau. Au fait, il ne cherche pas du tout. Plutôt il sait quelque chose, qu’il est forcé de nous dire. » Paulhan 

 

 

Tu dis je crois

 

la nécessité de sentir et de répéter à chaque instant la sensation 

 

 « l’oeuvre d’art affirme la nécessité de détruire la pensée par la sensation »

 

C’est alors qu’elle vient je crois qu’elle vient « physique » l’écriture de Gertrude Stein, « la Sisyphe joyeusement entêtée qui roule à chaque instant la pierre de son nom au sommet du vide. » Combien c’est juste et joyeux oui joyeux cela. Je te remercie pour la Rhapsodie, Jean-Daniel t’a dit que nous la faisons lire par un robot qui danse sur la percussion d’un africain.

 

La statue de Bryant park m’émeut à travers l’espace et le temps, sans doute fait connivence avec le monde femme assise femme médite tel bouddha elle fait ronde le monde autour d’elle. Oui car le monde est ronde. 

 

Il faut porter une chaise sans jamais s’assoir dessus au sommet d’une montagne sans nom. Après les aventures, les terreurs, les tentations en chemin, parvenir au sommet s’assoir dessus et se mettre à chanter. Puis prendre peur avec la nuit qui tombe sur cet endroit que l’on est venu chercher sans savoir pourtant où il se situe. Alors soudain l’endroit s’illumine du rayon d’un projecteur orientable manoeuvré par le cousin Willie grimpé sur une autre colline plus éloignée. Pleurer pour le réconfort et c’est tout. Et puis découvrir que Rose et Willie ne sont pas cousins qu’ils se marient et vivent heureux pour toujours. (The World is Round)  

 

 

Avec 'Feigen Feigen’ c’est encore un disque qui nait dans les cercles et dans les squares, les marchés où l’on entend le pépiement de l’air le brouhaha du monde et le chant des crieurs de figues. J’ai bien tourné autour des statues, autour des angles et des rondeurs des statues de femmes qui s’assoient sur les places pour penser ( Käthe Kollwitz à Berlin, Selma Lagerlöf à Karlstad en Suède, et Gertrude Stein à New York) elles assoient leur chignon bisexuel et le sexe de leur genou pour la vertu des nymphes et des cariatides.

 

« Mon tout » à mon échelle la chanson, se tient tendue très certainement vers ce quoi tu nommes bon « l’énigme immédiate de la sensation ».

 

Tous les matins l’eau dans l’eau a bien réappris à jouer

 

Encore à dire beaucoup du silence, encore beaucoup à dire depuis sa base, et sa conduite pour un évènement de langage,

Boris à bientôt, voici comment l'heuristique vigoureuse de Tatum tatoue l’élégie de Massenet d’une tonalité 

 

à oui

 

 

(…) 

 

Léonore