Salut à vous Pierre Vinclair,

 

 

 

Vous proposez une idée de la tautologie comme point de départ éthique et point d’arrivée esthétique. Il me semble qu’il serait intéressant de relier cette vision de la tautologie avec celle du sublime selon Kant. A cette différence près que dans le sublime selon Kant c’est précisément l’inverse, le point de départ est esthétique et le point d’arrivée (d‘ailleurs inatteignable) éthique. En effet, dans le sublime selon Kant, les schèmes de l’imagination s’ébrouent en dehors du beau et cela jusqu’au monstrueux afin d’atteindre par un étrange sentiment d’anesthésie (abyssal ou sidéral je ne sais) l’idée d’un bien presque absolu.

 

 

Il me semble qu’il serait peut-être aussi intéressant d’élaborer un concept hybride entre le schème de l’imagination et le jugement synthétique. Ce concept hybride révèlerait une sorte de schème mathématique (ou de nombre intuitif à la manière de P. Jaffeux) qui pourrait par exemple être utile afin d’approcher le problème de la constellation de l’idée dans Le Coup de Dés de Mallarmé. Le Coup de Dés de Mallarmé serait alors comparable à une expérience du sublime. Le Coup de Dés de Mallarmé révélerait une forme de sublime stellaire. (Le problème reste encore de savoir si dans Le Coup de Dés de Mallarmé l’idée est une idée de la vérité, une idée du beau ou encore une idée du bien.)

 

 

J’ai l’impression que la tautologie est une façon d’employer l’être en tant que signe, en tant que signe égal. La tautologie grammaticalise l’être. La tautologie change l’être en signe grammatical de l’identité. Il me semble ainsi que la formule « Rien n’aura eu lieu que le lieu » n’est pas une tautologie parce que ce qui apparait entre le lieu et lui-même ce n’est pas l’être, c’est le temps, c’est une forme de temps, une forme de temps extrêmement particulière, celle du futur antérieur. (Il est aussi remarquable que ce temps n’est pas non plus un temps de l’être, c’est un temps de l’avoir.)

 

  

 

Que le jeu retrouve le monde, je comprends que vous le croyiez, et je le croirais volontiers aussi. Mais l'on croit bien ce qui nous arrange, et c'est justement le point qu'il faut démontrer (ce à quoi ne suffirait quelque argument d'autorité). Avant démonstration, on ne peut le compter que comme une mystification, ou l'idéologie qui nous arrange bien parce qu'elle nous justifie.

 

 

J’écris comme j’affirme le geste de jouer avec les phrases. J’ai ainsi le sentiment qu’écrire transforme le langage en un enjeu d’existence. C’est pourquoi quand j’écris la phrase « Le jeu (re)trouve l’âme des choses », j’affirme cette phrase à propos du jeu elle aussi par jeu. J’écris ainsi cette phrase à la fois sans la démontrer et sans y croire. J’affirme cette phrase d’autorité en effet et cela sans qu’elle soit cependant un argument. Cette phrase n’est ni l’argument d’une démonstration, ni la justification d’une croyance. Le geste du jeu apparait plutôt comme celui d’inventer une forme d’affirmation en dehors de la démonstration, de la vérité, du jugement et de la croyance. Jouer c’est précisément s’amuser à détruire de manière innocente ce que Artaud appelait Le Jugement de Dieu. Jouer c’est affirmer la joie du hasard, la joie du hasard athée (à la manière par exemple de Diderot). Le jeu n’est ni ce qui arrange ni ce qui dérange. Le jeu n’apparait ni à l’intérieur de l’ordre ni à l’intérieur du désordre. Le geste du jeu (je veux dire le coup de dé du jeu) apparait plutôt à l’intérieur de l’intervalle de jeu précisément entre l’ordre et le désordre. Jouer c’est ainsi s’amuser à tenir en équilibre entre l’ordre et le désordre, entre l’ordre du sens et le désordre du non-sens. Par ce geste du jeu, j’écris ainsi sans aucune justification, j’écris de manière à la fois innocente et injuste. Par ce geste du jeu, j’écris sans justifier ce que j’écris ni en tant que maître ni en tant qu’esclave, ni devant moi ni devant Dieu. J’écris sans même écrire en mon nom. J’écris de manière innocente et injuste c’est-à-dire athée précisément parce que j’adresse ce que j’écris par la pulsion de vide inexorable entre mon prénom et mon nom.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                       A Bientôt                    Boris Wolowiec