Bonjour Boris, bonjour Ivar,

 

 

 

Ci-dessous les notes des 25, 27 et 30 septembre.

 

Je sais désormais que ma lecture sera lente. Et continue, je l’espère.

 

 

 

Amitiés à tous les deux

 

Florence

 

 

 

 

 

25 septembre 2013

 

 

 

Certitude, chair, obscénité, rituel (Wolowiec)

 

Du mal donc avec les chapitres Certitude et Chair Obscénité. Il peut s'agir d'une résistance personnelle. Donc je continue mon cheminement, portée vers l'avant par le rythme obsessionnel du texte. Et j'aborde Rituel.

 

Je note :

 

« La masse de silence de la matière humaine »

 

« Il y a glissement du rituel à la règle. »

 

 

 

Aveuglement (Wolowiec)

 

Puis vient la séquence Aveuglement.

 

Aveuglément qui semble lié à la verticalité. Celle de ce qui tombe, le « ça tombe debout de la chair ». Un aveuglement exclut l'horizontalité du regard. Si je ne vois pas droit devant moi dehors, je suis sans doute plus requis par la tombée en moi, au fond de moi.

 

« L'aveuglement affirme l'instinct de tomber comme fruit de la métamorphose immobile du destin » (55)

 

→ Debout en équilibre, yeux fermés, chute assurée.

 

Côté fluvial alluvionnaire possible du texte qui embarque de nouveaux matériaux à chaque étape de son parcours. Qui arrache d'autres éléments aux berges ouvertes par son creusement. Le texte continue enrichi de son passage. Auto-alimenté.

 

Le texte semble régi par moments par de très puissantes sensations cénesthésiques. Il y a comme une connaissance demi-inconsciente du corps, de l'autre face, l'interne. De la vie des organes. De l’envers de la peau.

 

« L'aveuglement respire l'arbre du sang » : ne pas voir c'est mieux perce-voir, mieux entendre, mieux com-prendre. (56) « l'aveuglement affirme le volcan du tact »

 

→ Ce qui touche, nous touche. Volcan trop souvent éteint, noyé.

 

Ne pas voir c'est ça-voir. Le regard est un aimant qui attire la chair à l'extérieur, il pratique le détournement de biens et de fonds alors que l'aveuglement permet l'irrigation interne par les sensations, les impressions, le subliminal.

 

 

 

 

 

27 septembre 2103

 

 

 

Wolowiec

 

Aveuglément encore. Comment l'entendre. Ce qui empêche de voir. Mais pourrait-on comprendre aussi ce qui ferme les yeux. [aveuglement : action d’aveugler, obturation, privation de la vue, éblouissement, manque de discernement, selon le TLFI]

 

Je l'entends bien ici dans le sens de privation de la vue, qui éclaire maintes formules. Court-circuiter le regard, parfois le canaliser par la pratique de la photographie, c'est rendre sensible aux autres perceptions et en particulier les sensations internes que le branchement sur l'extérieur opéré par le regard occulte : « L'avalanche de précision de l'aveuglement » (58) Et « l'aveuglement projette la chair à l'intérieur du vide du temps »

 

 

 

Monstre Innocence (Wolowiec)

 

La séquence Animaux que je trouve étonnamment courte, puis un chapitre long avec de très nombreuses assertions débutant par la monstruosité de l'innocence et un verbe : donne, déclare (souvent répété), affirme, joue à détruire

 

 

 

Wolowiec

 

Le lisant, pense à cela : un livre, en mâcher des fragments (je le fais avec les incipits des formules de W, l’aveuglement + un verbe d’action + x, éventuellement les mixer avec d’autres du même livre, ou d’un tout autre livre. Voir même en reproduire le principe : 

 

l’aveuglement révèle la nature prédatrice des dents

 

l’aveuglement éclaire la pulsation de méduse des poumons.

 

l’aveuglement proclame le cul terreux

 

S’y essayer n’est pas plagier W, c’est tenter de le mieux lire….

 

 

 

 

 

30 septembre 2013

 

 

 

Monstre innocence (Boris Wolowiec)

 

« La monstruosité de l'innocence donne le monde à oui »

 

→ Je cherche à préciser, à définir, l'effet profond et tout à fait manifeste de la répétition chez Boris W. « La monstruosité de l'innocence joue à détruire d'un seul geste le possible et l'impossible par l'immédiat de la nécessité. » (63)

 

La séquence "au jour la nuit l'instant" condensation du temps linéaire et arbitraire en un punctum temporel ?

 

« Chaque événement comme miracle du ça tombe de la nécessité. »

 

→ La monstruosité de l'innocence est-elle le propre du scripteur?

 

« L'avalanche de grâce de l'aujourd'hui. »

 

→ Une forme de mystique de l'immanence? De l'extase de l'être là?

 

 

 

Syntaxe (Wolowiec)

 

Il y a une manière différente d'agencer les mots, une sorte de désarrimage de la syntaxe et de l'ordre obligé des mots ou des associations qui permet à BW de cerner une "pensée-écriture » différente, autre, du monde et de la vie.

 

Ex. L'extase inexorable de l'aujourd'hui à oui tu sauf.

 

Ce qui donne à l'écriture une forme de réversibilité et, à l'intérieur même de ce qui semble contraint par le tracé syntaxique, du jeu et une liberté qui se trouve pouvoir être très accueillante pour le lecteur. Il y a un déchiffrage mais qui est aussi une appropriation.

 

« La monstruosité signe l'apparaître nocturne de la clarté. » Et la lune descend sur le temple qui fut.  !!!!! (allusion à un montage photographique posté ce jour dans le Flotoir et doté de ce titre debussyste !)

 

 

 

Comme une partition (Wolowiec)

 

Ce chapitre « Monstre innocence » est magnifique et sans doute central.

 

On ne peut avancer que lentement dans ce livre. Comme une partition il faut le travailler lentement pour pouvoir ensuite se le jouer vite, le jouer vite ce que sa structure répétitive demande manifestement.

 

Me souviens que j'ai relevé aujourd’hui un propos d'Eugène Savitzkaya sur le lire et l'écrire à haute voix : « Le souffle est ce qui nous anime, lave notre sang, régule notre température. La pratique de la lecture à haute voix, de l’écriture à haute voix, développe, exerce, affine et ordonne ce souffle. C’est son rythme qu’il faut considérer, travailler, varier, étudier sans cesse. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Florence,

 

 

 

 

 

Le texte semble régi par moments par de très puissantes sensations cénesthésiques. Il y a comme une connaissance demi-inconsciente du corps, de l'autre face, l'interne. De la vie des organes. De l’envers de la peau.

 

Soit. Et j’utilise le mot sang pour dire de manière à la fois symbolique et abstraite cette pulsation intérieure de la chair.

 

 

 

Ne pas voir c'est mieux perce-voir, mieux entendre, mieux com-prendre.

 

L’aveuglement c’est aussi surtout parvenir à toucher avec intensité. L’aveuglement intensifie la connivence des cinq sens comme main, main de l’imagination. C’est pourquoi il y a malgré tout une manière aveugle de contempler. Tarkovski par exemple est un cinéaste qui sait contempler de manière aveugle. Parmi les photographes, Giacomelli y parvient aussi parfois.

 

 

 

L’aveuglement éclaire la pulsation de méduse des poumons.

 

Oui pourquoi pas. J’aurais seulement plutôt utilisé le verbe déclarer. Comme vous l’avez remarqué, j’utilise en effet très souvent ce verbe. A la fois pour la clarté que le mot évoque et aussi parce que déclarer est une manière de déclarifier. La déclaration affirme ainsi à la fois la clarté et l’obscurité. La déclaration affirme la clarté de l’obscur.

 

 

 

L’aveuglement révèle la nature prédatrice des dents.

 

Cela serait à rapprocher de la fascination animale et de l’imagination cynégétique dont parle Pascal Quignard  dans les différents volumes de Dernier Royaume. Malgré tout, cette forme prédatrice des dents me semble plus en relation avec le rire qu’avec l’aveuglement. (« Le rire révèle la forme de la faim. »)

 

 

 

La monstruosité de l'innocence est-elle le propre du scripteur?

 

Scripteur, le terme est barthésien et il a sans doute un aspect un peu trop technique.  Cependant quel mot utiliser ? Il y a trop de vanité dans le mot écrivain, trop de flou dans le mot de poète, c’est pourquoi je préfère dire : celui qui écrit.

 

 

 

La monstruosité signe l'apparaître nocturne de la clarté. 

 

Votre citation est inexacte. J’ai écrit sculpte et non pas signe. Et cela précisément parce que  la monstruosité ne signifie pas. La monstruosité affirme le geste de phraser en dehors du sens.

 

 

 

Une forme de mystique de l'immanence? De l'extase de l'être là?

 

Avec cette distinction cependant. L’écriture affirme le silence d’apparaitre là. L’écriture affirme le silence d’apparaitre là en dehors de l’être et du néant.

 

On ne peut avancer que lentement dans ce livre. Comme une partition il faut le travailler lentement pour pouvoir ensuite se le jouer vite, le jouer vite ce que sa structure répétitive demande manifestement.

 

Ce que vous dites là est en effet extrêmement important et intégralement exact. Ce rythme de lecture me semble le plus efficace, non seulement pour lire A Oui, pour lire simplement. Cette attitude rythmique c’est l’inverse même de la négligence qui lit vite sans jamais jouer, qui lit vite justement pour ne pas jouer, pour s’interdire de jouer. La négligence c’est l’acte de travailler vite pour ne pas jouer. La lecture c’est le geste de travailler lentement pour jouer vite, pour s’amuser comme l’éclair. A Oui ressemble ainsi à une partition paradoxale, une partition amusicale, une partition sculpturale, une partition mystique, la partition sculpturale du silence.

 

 

 

Je ne sais pourquoi je pense à certains thèmes de fugue de Bach autre virtuose de la combinatoire.

 

Je pense aussi à Phil Glass dont j'ai écouté aujourd'hui le concerto pour piano et le concerto pour clavecin.

 

J’ai une expérience assez pauvre, volontairement pauvre de la musique. Je n’en écoute presque jamais. Et cela simplement parce qu’à la musique je préfère le silence. Pour le dire de manière schématique, j’ai presque toujours le sentiment que la musique est une distraction, une façon de se distraire du silence, de le trahir en s’en distrayant. Aspect distrait de la musique de Mozart ou de celle de Debussy par exemple. Il y a malgré tout des musiciens qui parviennent à intégrer, à sauvegarder le silence, Thelonious Monk surtout ou encore parfois Béla Bartók. J’aime aussi beaucoup Stravinsky qui sait comment orchestrer le magma du silence par la pulsation des timbres des instruments. Stravinsky accomplit ainsi à l’intérieur de la musique ce que Pollock accomplit à l’intérieur de la peinture.

 

 

 

J’admire Bach. Malgré tout je n’ai pas le sentiment que ce que j’écris en soit très proche. S’il y a une virtuosité combinatoire de Bach, c’est une virtuosité mathématique, une virtuosité  probabiliste presque pascalienne. Bach c’est un Blaise Pascal musicien qui n’aurait pas abandonné les mathématiques pour prier, un Blaise Pascal musicien qui aurait plutôt choisi de mathématiser sa prière, qui serait parvenu à utiliser son savoir des probabilités mathématiques pour intensifier sa prière. Je ne pense pas cependant que ma technique de la répétition soit de type combinatoire. J’utilise en effet précisément la répétition afin de détruire le possible. En cela, je serais beaucoup plus proche de Steve Reich que de Bach.

 

 

 

« Le souffle est ce qui nous anime, lave notre sang, régule notre température. La pratique de la lecture à haute voix, de l’écriture à haute voix, développe, exerce, affine et ordonne ce souffle. C’est son rythme qu’il faut considérer, travailler, varier, étudier sans cesse. » Eugène Savitzkaya

 

A ce propos, relire le chapitre Respiration. La répétition serait ainsi aussi la forme rhétorique de l’asthme. La répétition affirme l’asthme de l’âme, l’asthme d’extase de l’âme, l’asthme d’extase taciturne de l’âme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                 A Bientôt             Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une lettre d’Ivar Ch’Vavar à Florence Trocmé

 

 

 

 

 

Tu dis une belle chose : “Le texte continue enrichi de son passage”. Et encore deux autres : 1. “très puissantes sensations cénesthésiques. Il y a comme une connaissance demi-inconsciente du corps, de l’autre face, l’interne”. 2. “Le regard est un aimant qui attire la chair à l’extérieur (...) alors que l’aveuglement permet l’irrigation interne par les sensations, les impressions, le subliminal.”

 

 

 

L’envie – c’est plus qu’une envie : la tentation, mais c’est aussi plus qu’une tentation – de reprendre l’écriture d’A OUI. Mais ce ne pourrait pas être autre chose qu’une parodie, et malsonnante.

 

On POURRAIT le faire (reprendre la forme, le moule) ; pour son compte, avec ses forces propres... mais ce serait quand même une parodie. Ce serait un simulacre, ce serait malsonnant (sonnant le faux) et malséant – et pire que ça, sûrement.

 

B.W. nous ouvre un monde où ça ne nous irait pas d’avancer (si ce n’est à sa suite et sous son autorité). On irait contrefaits, nous autres, une épaule, une oreille basse, le regard coulant, avec une grimace qui passe, repasse sur la face.

 

Il faut seulement être B.W. pour avancer dans ce monde-là. Il faut une capacité d’aveuglement qui est la sienne seulement, pour atteindre la pleine force de voyance qu’il faut seulement.

 

Ainsi, je te mets en garde quand tu en arrives à penser : “S’y essayer n’est pas plagier W., c’est tenter de le mieux lire...” Dangereuse illusion.

 

       

 

La répétition dans A OUI.

 

Progression litanique. Litanie c’est de toute façon une prière. S’agirait-il même de mots d’ordre, assénés, on est dans la prière.

 

B.W. prie d’autorité. Et que ce soit A OUI n’empêche pas une forme d’ironie (vilain mot) : une forme de retrait dans l’avancée.

 

C’est comme si Lautréamont-Ducasse avait parodié d’avance Charles Péguy. Mettant alors le pied dans l’entrebâillement de la porte du XXe siècle. Avec Péguy de toute façon il n’ira pas plus loin. – C’est pour ça que ma comparaison est stérile.

 

On ne PEUT PAS parodier B.W. – Mais il en est à parodier qui, lui ? Il me paraît évident qu’il a de l’avance.

 

 

 

Tu as raison de dire qu’il faut lire A OUI lentement pour ensuite le lire vite. – Enfin, je ne suis pas sûr de l’ordre et je ne sais pas s’il est important. Ce qui me paraît certain, c’est qu’il faut faire les DEUX lectures.

 

 

 

(…)

 

 

 

Ivar