Cher Boris,

 

Comme prévu, je suis repartie dans ma lecture au long cours.

 

Je préfère vous joindre dès maintenant les notes, c’est plus simple pour moi sur le plan de la méthode de travail.

 

 

 

(…)

 

 

 

 

 

Journal de lecture de À Oui, dans le flotoir de FT :

 

 

 

 

 

lundi 11 Août 2014

 

 

 

Boris Wolowiec, le rythme anonyme et multiple du sang

 

J’ai donc repris ma lecture hier soir, comme prévu, comme convenu avec lui. Surprise de voir que je n’avais été que jusqu’à la page 95 mais la progression dans ce livre ne peut se faire que lentement. Ou alors très vite, en se laissant emporter comme par un flot énorme, cataclysmique, avec le projet de tenter de le remonter à rebours. Autant dire que l’affaire n’est ni facile, ni simple.

 

Et tout de suite, je suis reprise par ces brèves formules, donc certaines s’ouvrent et révèlent un sens possible (mais on doute à chaque fois de son « interprétation ») alors que d’autres se refusent complètement. Il faut parfois envisager toute une concrétion de formules pour saisir un sens possible, un faisceau de sens plutôt. Et il faut écouter, inlassablement écouter le rythme. Je songe à une phrase de Rilke, lue hier soir dans le petit livre de Claude-Edmonde Magny. Rilke a écrit à Rodin : « En faisant de la poésie on est toujours aidé et même emporté par le rythme des choses extérieures ; car la cadence lyrique est celle de la nature : des eaux, du vent, de la nuit. Mais pour rythmer la prose, il faut s’approfondir en soi-même et trouver le rythme anonyme et multiple du sang ».

 

→ il me semble souvent que Boris Wolowiec sait percevoir ce rythme anonyme et multiple du sang. Il y a en effet me semble-t-il quelque chose d’impersonnel, au sens de non-personnel dans ce qu’il écrit, quelque chose de choral aussi parfois, comme les chœurs antiques en leurs constats. Et qui dit rythme du sang dit aussi connexion au corps. Un corps immergé dans le monde jusqu’au niveau cosmique.

 

 

 

De la pensée (Boris Wolowiec)

 

Cette relecture commence par cette ligne emblématique : « La pensée développe un pansement d’éternité sur le précipice du présent ». (94).

 

 

 

De la lumière (Boris Wolowiec)

 

Il me faut relire les notes écrites avant cette longue interruption de ma lecture, mais il me semble bien avoir déjà soulevé la question de l’approche par le poète des réalités scientifiques les plus pointues, échelle atomique, échelle moléculaire, échelle cosmogonique.

 

Voici en tous cas une série d’assertions sur la lumière :

 

« La lumière est l’autre mutilation du néant ». Ici je songe à la lumière fossile ce que semble confirmer les vers suivants : « la lumière est la lettre anonyme de la mort » ou encore « la lumière est la morsure du simulacre » et enfin « la lumière est la morsure de la distance ».

 

C’est un peu comme si se trouvaient soudain éclairées des intuitions que l’on a pu avoir, à partir de rêveries sur la matière, étayées tant bien que mal sur des lectures plus ou moins sérieuses. Cette idée que nous baignons dans un bain de particules qui émanent d’entités disparues depuis des millions d’années. Des restes, des fossiles.

 

→ je retrouve très naturellement :

 

-le rythme à reprises partielles. Une première phrase, puis une seconde augmentée comme un rang de tricot et ainsi de suite

 

-l’intense activité cérébrale et sensuelle que suscitent nombre de ces assertions wolowociennes, qui fait que la lecture avance souvent à tout petits pas, appelant la notation, le carnet, la glose. Puis elle s’accélère. Il faut je crois se laisser porter par ce mouvement très saccadé.

 

→ se trouve-t-on ici en face de la construction d’un système au sens philosophique ? Quelles réalités sont ici convoquées ?  

 

→ il ne faut pas céder à la tentation de lire intelligent, à celle de forcer le sens, de le replier sur soi et sur ce que l’on connaît ou pressent. Il faut être comme une surface sensible mais aussi vierge que possible, un récepteur et tenter de percevoir ce qui émane de ce texte dont on peut dire qu’il est d’une certaine manière radio-actif. Ce qui veut dire aussi tenter d’abaisser ses défenses naturelles, car il est dérangeant aussi souvent ce texte, il peut mettre en échec si on lui applique des modes d’emploi préformatés.

 

 

 

 

 

jeudi 14 août 2014

 

 

 

du fragment

 

Belle livraison de la revue l’Étrangère sur le thème du fragment. « Proche et lointain, énigme aussi bien que réponse, tel le fragment qui pique et sidère mêmement » (L’Étrangère, n° 35 et 36, p. 105)

 

  

 

Boris Wolowiec

 

Cohorte de fragments ? Flux de particules ? Double ressenti souvent en le lisant, un peu comme la nature à la fois d’onde et de corpuscule de la lumière.

 

Expérience de lecture : on reprend le livre, rien ne fait mouche, on se pense non disponible et soudain ça se fiche en tête « la conscience est un jumeau en manque d’un frère infini » (98)

 

→ c’est pointer la doublure de manque qui nous habille tous.

 

Et pourquoi au sein d’une même pelote, telle ou telle phrase soudain va faire signe, sens ?

 

 

 

Du signe de l’infini (Boris Wolowiec)

 

« Le signe de l’infini est la volte-face du néant »

 

→ pour ne pas affronter le néant, indéfiniment se mordre la queue.

 

→ quid de Moebius ?

 

→ serait aussi la fonction du texte en tant que méga-signe de l’infini, se développant pour se retourner vers lui-même, prisonnier de sa prolifération. Métempsyc(h)otique ?

 

 

 

vendredi 15 août 2014

 

 

 

De l’obsession (Boris Wolowiec)

 

Nouveau chapitre, nouvelle séquence, titrée L’obsession

 

« L’obsession est la pure puissance du possible » (102)

 

→ le texte est l’obsession, il est obsessionnel, il fonction en boucle obsessionnelle, pure puissance du possible à sans cesse ré-éprouver.

 

« L’obsession est une peur sans cesse ressuscitée, la peur d’être infiniment surveillé à travers l’anonymat sacré de son visage » (102)

 

→ Phrases exceptionnellement longues ici, paragraphes de même. Presque une démonstration, succédant au régime de l’assertion, de l’affirmation.

 

Il y a un régime vertigineux, maëlstromique, du texte surtout quand B. Wolowiec encastre comme poupées russes les compléments de nom. La grammaire pour se perdre plus sûrement. La très grande rapidité avec laquelle on est perdu, le peu de niveau d’emboîtements que la conscience est capable d’appréhender (sans doute en va-t-il autrement de l’inconscient). La conscience, bien dressée, balise mais pas en profondeur. A très courte distance, elle panique.

 

 

 

Des « chapitres » (Boris Wolowiec)

 

Le livre est composé de séquences, chacune axée sur un mot princeps, il doit y en avoir environ 145. Ce mot est un peu comme l’axe sur lequel le texte va bourgeonner, la tige d’une grappe proliférante. Avec parfois des branches dérivées. Il se pourrait qu’un mathématicien fasse ses délices d’un tel livre. Il y aurait un tracé, un schème de circulation entre les bribes de texte, des jeux d’échos, de reprises, de répétitions partielles, d’augmentations et de diminutions. Quelque chose aussi qui pourrait par moments s’apparenter à un processus de composition musicale.

 

Cette table de mots serait un peu comme le tableau périodique des éléments de Mendeleïev.

 

 

 

De la folie (Boris Wolowiec)

 

104, nouveau chapitre, « Folie sens pureté ».

 

J’en ai lu des choses sur la folie mais je ne crois pas avoir lu des choses aussi éclairantes en si peu de mots : « l’abjection de la folie n’est pas de refuser le sens. Le fou ne cesse d’ordonner le néant de son univers à travers un système de signes. L’abjection de la folie n’est pas de dire et de faire n’importe quoi, elle est au contraire de signifier à l’infini. La folie de la signification infinie interdit de poser l’existence à l’intérieur de l’espace, de reposer la chute de la chaire à l’intérieur d’un lieu précis. » (104)

 

→ seul me gêne ce mot d’abjection. Abjecte le tortionnaire, mais non abjecte le fou. Il est vrai que ce n’est pas le fou qui est taxé d’abjection mais la folie.

 

 

 

Signifier à l’infini (Boris Wolowiec)

 

→ n’est-ce pas aux prises avec cela qu’est le texte d’À Oui ? Le texte tente-t-il de signifier au-delà du raisonnable ? (soit ce qui se raisonne comme ce qu’on peut normalement admettre)

 

« La dignité du sens est de désirer dire sans cesse la vérité à condition de l’adresser exclusivement au néant » (104)

 

→ me semble être une des raisons d’être de la poésie.

 

→ je m’interroge d’ailleurs de plus en plus sur le statut de ce texte de Boris Wolowiec. Est-il poésie, est-il philosophie, est-il essai, récit fondateur mais de quoi, récit mythique ?

 

→ à défaut de définir un statut, inassignable sans doute, on peut lui attribuer une fonction : déloger le lecteur de ses certitudes et de ses systèmes plus ou moins solidement établis !

 

 

 

De l’inassignable (Joubert et Jankélévitch)

 

Deux superbes citations trouvées en ligne en cherchant à préciser au plus près le sens du mot inassignable

 

« Il y a, dans la lecture des grands écrivains, un suc invisible et caché; c'est je ne sais quel fluide inassignable, un sel, un principe subtil plus nourricier que tout le reste »(Joubert, Pensées, t. 2, 1824, p. 135).

 

« Il manque quelque chose et il ne manque rien, il manque quelque chose qui n'est rien, il manque... On ne sait quoi, quelque chose d'inassignable qu'on ne peut dire et qui, comme le charme ou la conviction du cœur, n'a presque pas de nom »(V. Jankélévitch., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 140).

 

→ autrement dit, on est bien « sur zone » avec le travail d’À Oui.

 

 

 

De signifier (B. Wolowiec)

 

« Signifier est la stupeur d’être désiré à travers la distraction du tout »

 

→ prélevé sur la masse infinie de ce qui advient ? Érigé en petite stèle éphémère avant l’engloutissement comme un bateau en papier sur l’océan ?

 

→ il y a souvent un aspect déclinaison, au sens grammatical dans le processus d’écriture de W. On prend un item, on le module comme dans une déclinaison, changement de genre ou de nombre. Décliner c’est tenter de cadrer les différents cas de figure. Il y a dans le livre comme une tentative d’épuisement d’un thème, d’une problématique. Avec un effet de relance aussi, très manifeste, une scansion, une marche, un assaut même, un abordage, cela oscille de la douceur à la violence.

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Florence,

 

 

 

 

 

le rythme anonyme et multiple du sang

 

 

 

Le rythme du sang. Oui, nous en avons déjà parlé. Il me semble en effet que suivre le rythme du sang apparait comme une des manières les plus efficaces de lire A Oui. Une distinction cependant, ce rythme du sang n’est pas anonyme. Le rythme du sang plutôt prénomme. Le rythme du sang apparait antérieur à la puissance même de nommer, puissance de nommer qu’il provoque malgré tout.

 

 

 

C’est pourquoi il me semble aussi préférable afin de lire A Oui avec précision de suivre ce rythme du sang plutôt que de désirer interpréter le sens de la pensée. A Oui n’est pas une apologie de la pensée. A Oui essaie précisément à l’inverse de détruire le sens infini de la pensée par le rythme de démesure du sang. A Oui essaie de détruire la lumière d’anonymat de la pensée par le rythme de silence du sang.

 

 

 

« La pensée développe un pansement d’éternité sur le précipice du présent »

 

 

 

La pensée est un pansement. Autrement dit la pensée masque le sang. Et cette phrase a aussi un aspect burlesque. La pensée serait ainsi une sorte de compresse idiote qui s’obstine à désirer soigner la catastrophe inhumaine du monde.

 

 

 

Rilke a écrit à Rodin : « En faisant de la poésie on est toujours aidé et même emporté par le rythme des choses extérieures ; car la cadence lyrique est celle de la nature : des eaux, du vent, de la nuit. Mais pour rythmer la prose, il faut s’approfondir en soi-même et trouver le rythme anonyme et multiple du sang ».

 

La phrase de Rilke est élégante. Il est malgré tout regrettable que Rilke en reste souvent à une intention dionysiaque que contredit sans cesse son caractère apollinien. Dans la sculpture de Rodin, l’eau, le vent, la nuit, le sang apparaissent de manière magnifique, ils ne subsistent cependant qu’en filigrane dans la poésie de Rilke. En effet Rilke ne cesse de filtrer le rythme du sang à travers les rictus d’idylle solennelle de son cerveau.

 

 

 

 

 

se trouve-t-on ici en face de la construction d’un système au sens philosophique ?

 

je m’interroge d’ailleurs de plus en plus sur le statut de ce texte de Boris Wolowiec. Est-il poésie, est-il philosophie, est-il essai, récit fondateur mais de quoi, récit mythique 

 

A Oui n’est pas un texte philosophique. A Oui apparait plutôt comme un essai, un essai d’imagination, un essai de mythologie. A Oui essaie d’inventer une mythologie du sang c’est à dire aussi une mythologie chimique (ou radioactive comme vous dites) du silence.

 

 

 

Signifier à l’infini

 

→ n’est-ce pas aux prises avec cela qu’est le texte d’A oui ? Le texte tente-t-il de signifier au-delà du raisonnable ?

 

 

 

« Signifier est la stupeur d’être désiré à travers la distraction du tout »

 

A Oui essaie d’affirmer une forme plutôt qu’un sens. A Oui essaie de donner forme en dehors du sens. A Oui essaie de donner la démesure d’une forme en dehors de l’infini du sens, (infini rationnel du sens qui n’est rien d’autre qu’un divertissement, selon la définition de Pascal). L’infini du sens nous distrait de la forme du monde. L’infini du sens masque la forme du monde. L’infini du sens de la pensée masque la démesure de la forme du monde.

 

 

 

Pour le dire violemment A Oui méprise intégralement le possible infini du sens. Je vous le redis : le texte n’est pas à interpréter. A Oui essaie d’affirmer une forme d’écriture en dehors de la logique de l’interprétation. J’aimerais que le livre apparaisse plutôt comme la forme d’une démesure à rencontrer et à sentir. A Oui essaie de poser un problème rythmique plutôt qu’une question sémiologique. A Oui essaie de donner à sentir un rythme d’imagination. A Oui essaie ainsi de détruire la folie infinie du sens par le rythme d’imagination de la nuit.

 

 

 

Il y a cependant un aspect à expliquer afin d’éviter un malentendu de lecture. Les différents chapitres (Homme…/…Nihilisme) de A Oui n’ont pas le même statut discursif que la globalité du livre. Ces chapitres développent une sorte de parenthèse argumentative (ainsi que vous l’avez d’ailleurs remarqué à propos du chapitre Obsession). Disons pour simplifier que ces chapitres seraient une sorte de mise en garde envers la pensée, la lumière et le jugement (autrement dit envers la philosophie ou encore envers ce que Heidegger appelait la métaphysique). Ces chapitres proposent une critique de la pensée. En cela leur efficacité reste discutable, puisque l’acte critique appartient toujours au domaine de la pensée elle-même.

 

 

 

De l’inassignable

 

 

 

Assigner, le mot est en effet intéressant. Le mot indique très bien la fixation du sens. Le sens assigne, le sens assigne à résidence. Le sens insiste et subsiste comme dit Deleuze à propos des incorporels stoïciens. Le sens donc n’existe pas, le sens survit, le sens survit en sursis. Le mot indique aussi l’aspect judiciaire du sens. Le sens serait le résultat de ce que Deleuze à propos de Kant appelle le tribunal de la raison. Ainsi A Oui essaie en effet d’inventer un avoir lieu inassignable de l’écriture, une manière de s’extraire de la prison-tribunal de la pensée c’est à dire aussi une manière pour reprendre la formule d’Artaud d’En Finir avec le Jugement de Dieu. En effet cette question du sens infini de la pensée est en relation avec la question de la croyance en Dieu. Le rationalisme en tant qu’apologie du possible infini de la pensée n’est qu’un ersatz de la croyance en Dieu.

 

 

 

Ou pour le dire encore autrement. Même si j’ai comme vous une grande estime pour le P. Valéry de Tel Quel et des Cahiers, A Oui ne prolonge pas l’attitude de Valéry à savoir une étude quasi mathématique du phénomène de la pensée (si j’ose dire). A Oui essaie précisément de commencer là où l’œuvre de Valéry finit, ou plutôt A Oui commence en dehors de la prison infinie de la pensée arpentée méthodiquement par Valéry (arpentage qui a d’ailleurs un aspect presque kafkaïen : le Valéry des Cahiers, ce serait une sorte d’alliage étrange de Mallarmé et de Kafka ; Valéry semble en effet y développer les préparatifs incessants des noces de l’Idée). A Oui répond plutôt à Sens Plastique de Malcolm de Chazal. A Oui essaierait de déclarer quelque chose comme un Insensé Plastique ou une Plasticité de l’Insensé, une Plasticité des Formes Insensées. A Oui essaie ainsi de déclarer les formes de l’imagination plutôt que le sens de la pensée. L’imagination c’est à dire une manière de composer les sensations, de composer des sensations charnelles comme mentales.   

 

 

 

C’est pourquoi A Oui n’est pas à déchiffrer. A Oui apparait plutôt à contempler, à contempler comme un tableau ou comme un arbre. Il serait ainsi préférable de lire chaque phrase comme une touche de couleur ou comme le schéma d’une branche. A Oui essaie ainsi d’utiliser les phrases comme des touches de couleur, comme les touches de silence de la couleur. A Oui essaie d’inventer une forme d’écriture où les phrases scandent l’espace du papier par les touches de couleur du chant.

 

 

 

 

 

le rythme à reprises partielles. Une première phrase, puis une seconde augmentée comme un rang de tricot et ainsi de suite

 

Tricoter, oui pourquoi pas. Ecrire ce serait ainsi une manière de rester là tranquille à tricoter à l’intérieur du cataclysme et aussi parfois à tricoter le cataclysme même.

 

 

 

Et pourquoi au sein d’une même pelote, telle ou telle phrase soudain va faire signe, sens ?

 

Oui en effet, essayer de donner à sentir la pelote du sang, la pelote d’éclairs et de tonnerre du sang (de même que Pollock donne à sentir la pelote d’apocalypse de la couleur). Cependant la phrase ne fait pas signe. La phrase essaie plutôt de donner forme, de donner forme à un salut, c’est-à-dire à un geste de la main, le geste de la main de sauf. 

 

 

 

La très grande rapidité avec laquelle on est perdu, le peu de niveau d’emboîtements que la conscience est capable d’appréhender.

 

Le problème du rythme serait aussi en effet un problème d’emboitement. Le rythme serait ce qui déclare l’emboitement des fragments de la chair, l’emboitement des atomes de la chair,  l’emboitement c’est-à-dire aussi la tournure. Le rythme donne à sentir comment les fragments de la chair tournent les uns autour comme à l’intérieur des autres.

 

 

 

 

 

la fonction du texte en tant que méga-signe de l’infini, se développant pour se retourner vers lui-même, prisonnier de sa prolifération. Métempsyc(h)otique ?

 

 

 

Démence du texte, pourquoi pas, métempsycose, non. A Oui n’est pas à la recherche d’une renaissance de l’âme à l’intérieur d’un autre corps. A Oui essaie plutôt de sauver l’âme immortelle d’une chair par le geste de détruite le désir de renaissance ou de résurrection.

 

 

 

A Oui affirme la démence de la démesure plutôt que la folie de l’infini. Il me semble important de distinguer démence et folie (ou délire et folie). La folie d’infini du sens enferme à travers d’innombrables retours réflexifs sur soi. A l’inverse, la démence de la démesure apparait comme un geste d’ouverture intégrale, un geste d’ouverture intégrale à l’inconnu. A Oui affirme le geste de mépriser l’obligation réflexive du néant par la projection d’une adresse à l’intérieur de oui.

 

 

 

(Une des difficultés de lecture de A Oui, ce sont les distinguos violents entre des termes qui semblent synonymes. C’est une technique d’écriture qui se trouve aussi chez E. Hello. Distinguer par exemple démesure et infini, existence et vie, ou encore démence (affirmative) et folie (négative). Si la lecture de A Oui semble parfois difficile c’est parce qu’à la différence de la technique d’écriture de E. Hello, ces distinguos ne sont presque jamais explicites, ils restent implicites.)

 

 

 

 

 

« L’obsession est la pure puissance du possible » (102)

 

→ le texte est l’obsession, il est obsessionnel, il fonction en boucle obsessionnelle, pure puissance du possible à sans cesse ré-éprouver.

 

Il serait aussi préférable de distinguer répétition et obsession. La répétition apparait charnelle, hémorragique, catastrophique. L’obsession n’est que psychique. L’obsession n’est qu’un simulacre de répétition. L’obsession atteste le possible en tant que vérité de la pensée. La répétition détruit le possible par la certitude de l’imagination. A Oui essaie ainsi d’accomplir une transformation de l’obsession en répétition. (J’ai le sentiment que ce geste de transformation existe aussi à l’intérieur de l’œuvre cinématographique de Tarkovski.)

 

 

 

 

 

« La dignité du sens est de désirer dire sans cesse la vérité à condition de l’adresser exclusivement au néant » (104)

 

→ me semble être une des raisons d’être de la poésie.

 

A Oui ne cherche ni une raison de l’être ni une raison du néant. A Oui ne cherche pas à révéler une raison d’être de la poésie. Précisément à l’inverse, A Oui essaie de dire la poésie à la fois en dehors de la raison et en dehors de l’être. A Oui essaie de déclarer la déraison d’exister de la poésie. Et pour cela il apparait nécessaire de distinguer violemment la poésie et la pensée. (En cela le geste de A Oui  n’est pas heideggérien. En effet Heidegger a souvent tendance à indifférencier la poésie et à la pensée.)

 

 

 

 

 

« Proche et lointain, énigme aussi bien que réponse, tel le fragment qui pique et sidère mêmement » Christophe Van Rossom

 

 

 

Oui, c’est exact. Seule l’énigme répond. C’est pourquoi A Oui ne questionne pas de façon philosophique. A Oui préfère plutôt proposer violemment de multiples nuances de certitude, c’est-à-dire de multiples nuances d’énigmes.

 

 

 

 

 

Il y a dans le livre comme une tentative d’épuisement d’un thème, d’une problématique.

 

 

 

J’ai trouvé à ce propos ces remarques dans un livre d’entretiens avec Philippe Starck (Impression d’Ailleurs). « Le résultat de l’exhaustif peut être bien plus puissant que l’intuition : l’intuition est issue d’un territoire sentimental et culturel qui est propre à chacun, et donc a des limites. Tandis que l’exhaustif accouche toujours de l’inattendu, puisqu’il n’est plus une action culturelle mais presque géographique, mécanique. Etre exhaustif implique un grand courage : celui de ne pas se contenter de la première réponse que l’on croit bonne. (…) Mon cas est particulier : j’essaie de pratiquer l’exhaustif, mais par un miracle physiologique, j’en ai peu besoin. En revanche, pour ceux qui n’ont pas les mêmes structures mentales, l’exhaustif  est la seule façon de faire. Déculturer, dépassionner la recherche en étant le plus froid possible, mène à d’excellentes surprises. »

 

 

 

Il y a ainsi un charme paradoxal à trouver d’abord et à chercher ensuite, à chercher ensuite simplement pour le plaisir, à proposer ainsi l’exhaustivité comme une dépense luxueuse, une dépense luxueuse qui n’est plus alors celle du cerveau, une dépense luxueuse qui apparait plutôt comme celle du crâne, du manège enfantin du crâne. 

 

 

 

A Oui essaie d’inventer une alliance d’exhaustivité scientifique et d’intuition imaginative afin qu’exhaustivité et intuition deviennent quasiment indiscernables. A chaque phrase il apparait ainsi problématique de savoir si c’est l’exhaustivité qui cherche et l’intuition qui trouve ou à l’inverse l’intuition qui cherche et l’exhaustivité qui trouve.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                A Bientôt              Boris Wolowiec