cher, 

 

 

j'ai reçu "Avec l'enfant" dont je me régale à pas d’enfant, justement 

 

(…)  

 

j'avance dans la lecture de ton livre avant de t'en dire plus. je ne te cache pas que c'est d'ores et déjà un de ceux qui me touchent le plus directement, je pense que ça ne te surprendra guère. 

 

 

à bien vite

 

florian 

 

 

 

 

 

 

 

 

salut 

 

 

(…)

 

 je travaille au prochain disque de Arlt avec Cézanne et Monk autour du cou. il faudra que je te dise comment et pourquoi.

 

à vite 

 

 

grelin grelin 

 

 

p.s: je sais à peu près ce que tu penses de Cézanne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cézanne par Grainville 

 

 

 

 

Salut Florian,

 

 

 

 

 

Je t’envoie ces extraits de Falaise des Fous de P. Grainville à propos de Cézanne. Il y a aussi de belles pages à l’intérieur de ce livre à propos de Courbet et de Monet. P. Grainville est en effet un étrange académicien, parfois superbement inspiré. J’ai toujours lu ses livres avec joie. La Caverne Céleste, Le Paradis des Orages, L’Orgie, la Neige par exemple. 

 

« A la vitrine d’un certain Vollard surgirent plusieurs Cézanne devant lesquels on s’arrêta longuement. Les hachures inclinées, courtes et juxtaposées de ses touches sur les pommes et ses paysages provoquèrent en nous un plaisir visuel inédit et presque tactile. On avait envie de les tracer nous-mêmes pour en éprouver la volupté pure, primitive. Ce n’étaient plus les taches concentriques et brouillées des impressionnistes. L’architecture en était différente, plus géométrique et plus silencieuse, qui nous donnait un étrange bonheur. Une sorte de douceur émanait des couleurs souvent suaves. Un tableau intitulé La Montagne Sainte Victoire dépeignait un mont dressé au-dessus d’un paysage en damier. Tout était calmement terrassé en aplats jaunes et verts, sédimenté, bâti, pyramidal. D’une grande sérénité lumineuse. Nul chaos Monet mais un cosmos d’ermite méditatif. » 

(…)

« D’abord, les démarches de Cézanne et de Monet semblaient inverses. Cézanne détachait la pomme ou la maison orthogonale par l’énergie de leur puissance interne, qu’aucun reflet n’aurait ruinée. Monet tendait, au contraire, à ce moment de volupté où le motif s’évanouissait dans l’infini. Mais ils allaient se rejoindre dans une commune visée de l’extase. Au comble de la solitude, le sauvage Cézanne s’était embusqué dans son ultime atelier des Lauves, face à la Montagne. Monet, de son côté, avait déjà entrepris l’immense aventure des Nymphéas.  L’immersion dans l’infini de l’eau reflétant le ciel et les fleurs, sans horizon. Cézanne : l’ascension de la Montagne verticale et tellurique qui ne barrait pourtant jamais le ciel. Quand Monet noyait le paysage, dissolvait ses motifs dans le grand tout chaotique. Cézanne plus initiatique, le construisait, l’articulait jusqu’à l’envol de la cime à la rencontre de l’air, de la nuée céleste et bleuâtre. Le génie de la matière remplissait son âme dépouillée. (…) Emergeant des épaisses strates jaunes et vertes du paysage horizontal, il bâtissait l’apparition sacrée. Au-dessus de la terre, dans le lointain, l’ange de la Montagne respirait. Ainsi qu’une torche plus claire, ainsi qu’une gloire. » 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris