Salut Florian,

 

 

(…) 

 

 

 

J’ai revu le Van Gogh de Pialat il y a quelque temps. Ce qui est beau surtout je trouve, c’est le désaccord même entre la vision de Pialat et le jeu de Dutronc. C’est que Pialat accepte finalement à contrecœur et avec une sorte de fureur effondrée que Van Gogh le plus violemment terrestre des peintres soit joué par Dutronc le plus détaché et le plus aérien des acteurs. C’est comme si Pialat filmait alors la vie d’un peintre fabuleux, d’un peintre fictif qui aurait été un hybride de Van Gogh et de Renoir. Pialat montre un Van Gogh imaginaire qui serait un Van Gogh un peu moqueur et désinvolte, un Van Gogh sans honte. Il y a pourtant une honte gigantesque à l’intérieur de la peinture de Van Gogh, une honte cosmique même, l’exaltation d’une honte cosmique, cette honte cosmique qu’Ivar évoque dans La Grande Tapisserie « La honte alors, bue, nous saoule, et dans cette ivresse Nous trouvons un remontant… » 

 

 

J’aime beaucoup la fin du film, quand Van Gogh reste allongé à l’intérieur de sa chambre grise, le corps tourné face au mur. Avant de mourir il dit seulement ces mots à son frère « J’ai faim. ». Theo demande ensuite que quelqu’un lui apporte à manger. Et le temps de préparer le repas et de revenir dans la chambre, Van Gogh est mort. Theo dit alors « C’est fini. ». Je trouve ça extrêmement audacieux de la part de Pialat de garder cette proximité phonétique entre les deux phrases « J’ai faim. » et « C’est fini. ». En effet, c’est presque un jeu de mot, un jeu de mot maladroit, un jeu de mot incongru à l’instant même de la tragédie. C’est comme une tache verbale, une tache verbale volontaire à l’intérieur de la sobriété solennelle de la scène. Et puis il y a ensuite l’idée géniale de la blessure à la cheville de la femme de l’aubergiste qui engueule son mari qui lui a fait maladroitement tomber une trappe sur le pied. Ainsi très vite à savoir dès le lendemain matin, la tragédie de la mort du peintre disparait et les petits malheurs de la vie quotidienne de chacun reprennent leurs exigences et leurs droits. Pialat montre ainsi que même la mort d’un génie ne modifie pas le cours quotidien de la société des hommes, pas même le cours quotidien de ceux et celles qui avaient à son égard de l’affection. Et cela qui sait simplement parce que le génie à la fois meurt et reste malgré tout aussi immortel. 

 

 

Je me demande si ce n’est pas d’abord cela que le cinéma de Pialat essaie de montrer, quelque chose comme une fin bizarre et paradoxale. Pialat serait ainsi plus un cinéaste de la fin qu’un cinéaste de la mort. Pialat filme la fin. Pialat filme ce qui prend fin. Et c’est pourquoi les fins des films de Pialat apparaissent à chaque fois si belles. La fin pour Pialat, c’est une forme de suspens abrupt. A la fin du Van Gogh par exemple, Pialat filme Alexandra London en deuil de face avec la même pudeur violente que Manet quand il a peint le portrait de Berthe Morisot habillée de noir. Alexandra London relève ainsi doucement un bout de voilette au-dessus de sa tête et en réponse au peintre du dimanche qui lui demande si elle a connu Van Gogh, elle déclare avec une détermination émue. « C’était mon ami. » Pialat balance alors très brutalement la musique de fin du film qui vient cogner le front blanc de la jeune femme et l’assomme ainsi à jamais. 

 

 

Il y a ainsi une manière de Pialat de jeter la musique de fin du film à la tête même de ses personnages. Dans Le Garçu, c’est Human Behaviour de Bjork qui vient assommer à la fois Depardieu et Géraldine Pailhas incapables de se parler à la table d’un café. A la fin de Police à l’inverse la solitude hébétée de Depardieu parvient à relever un peu la tête à l’intérieur de la musique de Purcell (chantée par Klaus Nomi). Depardieu apparait ainsi déjà assommé et c’est cette solitude assommée qui relève un peu la tête à l’intérieur du ciel de la musique. 

 

 

A chaque fois malgré tout cela prend fin. Les corps apparaissent sous l’emprise de la fin. Et cette emprise de la fin qu’elle soit brusque ou éthérée bizarrement nous apaise. (Comme si aussi à l’intérieur du cinéma de Pialat c’était la colère même, l’enclume de la colère, l’enclume de ciel de la colère qui nous apaisait.) Pialat montre ainsi la mort interrompue par la fin. Pialat montre la mort interrompue par le générique de fin, la mort interrompue par la musique du générique de fin. C’est précisément cela l’extrême désespoir, l’extrême désespoir pourtant heureux du cinéma de Pialat, celui de montrer des figures et des pulsions humaines générées par leur fin. 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

salut!

 

(…)

 

je suis à rome, je me gave de légumes grillés noyés et d'une huile d'olive presque dure sous la dent.

 

je t'écris à mon retour. 

 

 

amitiés.

 

florian