Salut Florian, 

 

 

 

Je viens de voir la vidéo de présentation par Bertrand Belin de son livre Littoral. Il y a parfois des formules très belles. L’idée par exemple de poser un stéthoscope à la surface du crâne afin d’entendre la genèse bégayante des pensées. Quant au problème du lien étrange entre les corps et les lieux où ils apparaissent, c’est un problème qui me tient à cœur, pour utiliser cette expression finalement plutôt bizarre. 

 

 

(…)  

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut Florian, 

 

 

(…)

 

 

 

Et aussi quelques phrases de Poétique de l’Espace de Bachelard à propos de la forêt. 

 

 

« Dans le vaste monde du non-moi, le non-moi des champs n’est pas le même que le non-moi des forêts. La forêt est un avant-moi, un avant-nous. Pour les champs et les prairies, mes rêves et mes souvenirs les accompagnent dans tous les temps du labour et des moissons. (…) Je sens les prairies et les champs avec moi, dans l’avec moi, l’avec nous. Mais la forêt règne dans l’antécédent. Dans le bois que je sais, mon grand-père s’est perdu. On me l’a conté et je ne l’ai pas oublié. Ce fut dans un jadis où je ne vivais pas. (…) Voila ma forêt ancestrale. Et tout le reste est littérature. »  

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

cher boris, salut 

 

 

j'espère te trouver en pleine forme. J'ai quelque chose à te proposer, je serais bien content si tu me faisais l'amitié d'accepter. 

 

du 25 au 30 juin, le monte en l'air (la librairie où j'ai mes petites habitudes) m'a confié les clés d'une programmation de rencontres et lectures autour de mon petit monde et mes petits dadas. j'invite des auteurs chaque soir un, deux ou trois autour de thèmes qui font mon ordinaire et nourrissent mes propres écritures (dans Arlt ou Myrtil)

 

Eric Chevillard viendra le jeudi 27 pour lire un peu et parler de quelque chose comme le parler fou, et ses relations avec les langues d'enfance. Jean Daniel et Léonore chanteront du Ernst Herbeck et je ne sais quoi. Eric et moi aurions aimé que tu te joignes à nous pour lire ou discuter ou les deux, autour de ce thème si possible.

 

le tout devrait dure une heure et quart à peu près (de 19h30 à 21h max, après quoi, verre avec le public et puis restaurant)

 

(…)

 

je dois rendre ma copie bientôt et surtout dire à Eric si tu es partant.

 

donne moi rapidement ton sentiment

 

 

 

amitiés

 

florian 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut Florian, 

 

 

 

Oui, l’hypothèse me plait. Je serais ainsi plutôt d’accord. Je pourrais par exemple lire des extraits d’Avec l’Enfant, en particulier Parole de l’Enfant. J’évoque aussi l’hypothèse avec Eric et je te donne une réponse.

 

 

Un aspect important cependant. Y’a-t-il des gens qui photographient ou filment avec leurs téléphones lors de ces rencontres en librairie ? S’il y en a, je ne viendrais pas. Je n’ai en effet aucun désir d’évoluer sur un plateau de télévision, et encore moins sur le plateau de télévision du regard de n’importe qui. 

 

 

 

Post-scriptum. 

 

 

Quels sont les auteurs que tu as l’intention d’inviter les autres jours ? 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et bien

 

je suis content que tu y sois à priori favorable, si tu acceptes bel et bien reparlons ensemble si tu veux du contenu parce que je dois un peu annoncer les choses dans un programme. 

 

je serai contrait de limiter la durée (lectures + discussions + "concert" ne devront pas excéder 1h15-1h30, je sais que c'est contraignant mais je dois respecter les horaires de la librairie. 

 

 

il n'arrive pas tellement, à ma connaissance que les gens présents dégainent leur saloperies de téléphone pour filmer, en général ils se tiennent bien et écoutent poliment mais j'imagine que c'est toujours un risque.. En revanche Aurélie (du Monte en l'air) prend des photos pour documenter ses archives, ça te pose problème aussi? je ne sais pas si dans le cadre de ce petit festival elle a prévu des captations vidéos ou va savoir. je n'aurai ceci dit pas de difficulté à obtenir qu'on ne fasse pas d'images ce soir là et on peut demander au "public" avant de commencer de laisser leurs appareils dans leur sac. 

 

 

j'ai invité Hervé Bouchard, Arno Calleja, Gaelle Obiégly, Christophe Manon, Dorothée Volut et la revue La Mer Gelée. j'ai aussi écrit à Savitkaya et j'aimerais inviter Ch'vavar. 

 

 

bien à toi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut Florian,

 

 

 

Je vois la composition de notre dialogue avec Eric et je t’en reparle. 

 

 

(…) 

 

 

Eric m’avais déjà indiqué que ce devrait être assez simple de refuser les films. Mais il m’a aussi dit que ce serait sans doute plus difficile de refuser les photos. Les photos cela m’ennuie vraiment, cela m’oblige à nier à chaque fois la forme même de ma présence au monde. Je refuserais donc les photos. J’essaierai alors de me débrouiller pour ne pas apparaitre trop brutal. 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut Florian, 

 

 

 

Oui, c’est d‘accord.

 

 

 

Eric me dit qu’il ne sait pas encore précisément ce qu’il lira. Il me dit aussi qu’il préfère que notre conversation apparaisse selon une forme plutôt libre. Eh bien soit, nous improviserons.

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut Florian, 

 

 

(…) 

 

 

Je t’envoie aussi un extrait de la correspondance de Georges Perros et de Brice Parain. Je ne suis pas toujours d’accord avec ce que Perros y écrit, malgré tout le timbre à la fois vocal et émotionnel de cette lettre me plait beaucoup. 

 

 

 

« Le plus beau poème du monde ne sera jamais que le pâle reflet de ce qu’on appelle la poésie, qui est une manière d’être, ou dirait l’autre, d’habiter, de s’habiter. Toutes les réactions des hommes relèvent de la poésie. Ça ne trompe pas. La poésie, c’est l’indifférence à tout ce qui manque de réalité. Si vous voulez, Kafka a vécu de cette manière. Le cordonnier du coin aussi. C’est le seul engagement qui vaille, parce qu’il englobe la souffrance. Un homme de cet ordre, je me demande s’il peut pleurer. Mais il peut empêcher les autres de le faire. Cette passion du réel, qui fait longer des précipices, ce goût exclusif, comment ne nous rendrait-il pas plus apte à comprendre autrui, et pas le comprendre comme ça, non, mais le remplacer, en quelque sorte, le relayer dans son poème interne, retrouver avec lui la source, nettoyer le lit de son eau vive, et remettre en branle la circulation originelle. C’est derrière les mots qu’il faut aller voir, les mots sont des repères qui peuvent nous tromper si on les manipule de travers. Il y a une charge de silence qu’il faut respecter, on ne peut pas comprendre tout de suite de quoi il s’agit, pourquoi ils s’agitent, et le poème écrit n’est jamais qu’un renseignement mieux ordonné. Un peu trop, quelquefois. Un grand poète, c’est un monsieur qui, une fois, ne s’est pas trompé, a pris la voie royale de tous ses possibles. Tant pis pour lui s’il persévère, s’il croit qu’il ne se trompera plus, s’il se sacre poète. Et voilà Valéry, dont les précipices se sont changés en trous de souris. Il est probable que nous sommes le poème de Dieu, fragments de langage unique. Il y a des moments de fulguration, qui éclairent nos murs, nos limites, qui nous laissent à penser que tout n’est pas absolument absurde, que le guignol a un bout de sens. La poésie, comme je l’entends, c’est le seul obstacle au suicide. Un homme qui se tue trouve qu’il a vécu à côté, il n’y a pas moyen de se suicider en poésie, puisque c’est, comment dire déjà fait. En fait, la poésie, c’est de considérer tous les hommes en poètes, comme s’ils étaient des poètes. Et y tenir. Aucune possibilité de déception. L’on devient presque malhonnête, on joue sur du velours, c’est à prendre ou à laisser. Il y a comme une interdiction de revenir en arrière, et la mort ne trouvera rien à se mettre sous la dent. On aura fait le boulot à sa place, profitant de l’occasion. Ces jours et ces nuits, ces bonheurs, cet ennui, ce mal au corps perpétuel. Il y a un mot qui disparait presque entièrement, c’est le mot « solitude », ce luxe du vocabulaire humain, que l’on hurle dans les oreilles de l’autre. Quel tintamarre ! Moi, je vais vous dire, j’ai envie d’être heureux. Un peu comme on dit bêtement que les clochards le sont. Heureux de rien, et incapable de lever le petit doigt pour figurer dans le spectacle. Mes coulisses, c’est le ciel, la mer, le vent, l’arbre, et qui m’aime me suive ! Je ne démordrai pas, je n’en démordrai plus, c’est un pacte avec ce qui me parait plus vrai que tout le reste, avec ce qui me rend à un langage plus modeste, plus fragile par rapport à celui des hommes de société, dont je comprends mal la nonchalance active. Je les trouve résignés, ce n’est pas paradoxal. Un peu rigolos aussi. Je sais, maintenant, qu’ils ne me feront plus jamais mal. Ils pourront m’emmerder, mais pas me convertir. C’est soulageant.

 

(…)

 

J’ai déniché une mansarde où travailler en paix. Une table, une chaise, une lucarne. Un peu comme si je partais à l’école, tous les matins. » 

 

 

(…) 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

cher Boris, salut

 

 

 

excuse-moi si je tarde un peu à éclaircir les choses c'est que l'organisation de ce festival me prend un temps monstre (tout articuler, écrire à 15 personnes, répondre à toutes les questions, rassurer la librairie à qui ça risque de coûter une fortune si les aides financières ne tombent pas, en plus du travail que ça leur demandera chaque soir, remplir des dossiers, signer des conventions, tout penser, imaginer, réagir promptement à chaque problème, rédiger les programmes, penser à une affiche,  j'avoue que je suis très heureux de monter ce machin mais que ça m'épuise littéralement et me tracasse parfois la nuit. mais je ne me plains pas). 

 

 

j'ai appelé ce mini-festival Tremble parlure. la plupart des auteurs (dont Savitzkaya) préfère improviser sur place pour ne pas trop figer les choses et les rendre trop formelles. j'entends que tout le monde ne partage pas cette envie même si moi je suis plutôt plus à l'aise également avec des figures un peu cascadeuses et libres, n'étant pas très porté sur les fiches et les canevas conçus d'avance. 

 

 

ce que j'imagine, c'est chaque soir demander aux invités leur rapport dans l'écriture, en tant que lecteur et qu'écrivain à l'enfance, à la folie, à l'art brut, aux bestiaires, en quoi c'est un moteur ou non pour la langue, en quoi un sujet, en quoi une matière, en quoi un outil.

 

je pense affiner au fur et à mesure d'ici là mais encore une fois ça me prend un temps sidérant. 

 

 

j'imagine une 20 aine de minute de lectures tournant autour de l'un ou l'autre ou plusieurs de ces thèmes, puis une conversation amicale puis un petit concert de Jean Daniel et Léonore. Connaissant l'espace, j'ai tendance à penser qu'il ne faut pas durer plus d'une heure et quart en tout, sans quoi ça devient inconfortable.

 

je t'envoie le topo non corrigé que j'ai rédigé pour présenter les choses au public, ça t'aidera peut-être 

 

 

dis moi comment je peux t'aider à te préparer comme tu le désires et comment je peux te mettre le plus à l'aise possible 

 

 

à vite 

 

 

florian 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut Florian, 

 

 

 

Merci pour ces quelques indications. C’est maintenant beaucoup plus clair. Enfance, démence, animaux. Je parviendrai à improviser à ce propos. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris