Civilisations

 

 

 

Une civilisation où les habitants n’ont des enfants qu’avant leur vie ou après leur mort. Une civilisation où les habitants pensent qu’avoir des enfants pendant sa vie est un crime.

 

Un pays où les enfants naissent à l’intérieur de la terre à des milliers de kilomètres de leurs parents. Aucun enfant ne sait à la naissance où vivent ses parents. Aucun parent ne sait à la naissance où est né son enfant. Seuls les enfants et les parents qui désirent violemment appartenir à une famille tentent alors de se retrouver.

 

Une civilisation où les hommes et les femmes ne naissent jamais en même temps d’un père et d’une mère. Parfois ils naissent d’un père et parfois d’une mère. Ceux qui naissent d’un père meurent d’une mère. Ceux qui naissent d’une mère meurent d’un père.

Dans cette civilisation, le père et la mère ne sont pas organiques, le père et la mère sont vivants sans avoir de corps. Le père et la mère sont ainsi semblables des signes, à des signes initiatiques.

Il y a cependant deux types d’exceptions remarquables. Ceux qui ne naissent ni d’un père ni d’une mère à savoir ceux qui naissent d’un rêve, et aussi ceux qui meurent à la fois d’un père et d’une mère à savoir ceux qui meurent de lucidité.

 

Une civilisation où le vent invente des enfants et où les hommes s’immiscent invisibles à l’intérieur de l’espace.

 

Une civilisation où pendant les guerres, les enfants sont envoyés dans l’espace. Une civilisation où pendant les guerres, les enfants deviennent des satellites, les satellites de la sainteté de l’espace.

 

Une civilisation où il y a des enfants de feu et des enfants de cendres. Une civilisation où il y ainsi quatre formes d’enfants, les garçons de feu, les garçons de cendres, les filles de feu et les filles de cendres.

 

 

Une civilisation où les morts voient les vivants sans jamais les aider et où les vivants aident les morts sans jamais les voir. Et une civilisation à l’inverse où les vivants voient les morts sans jamais les aider et où les morts aident les vivants sans jamais les voir.

 

Un pays où il y a des publicités sur les tombes. Un pays où sur les tombes sont inscrits ces mots en majuscules « Achetez-moi. »

 

Une civilisation où il est interdit de mourir et où les policiers adressent donc des contraventions aux cadavres.

 

 

Un pays où ils ne parlent jamais de manière littérale de la mort. Pour évoquer la mort, ils préfèrent dire « la statue de l’éternuement ».

 

Un pays où les hommes meurent le jour où ils savent compter jusqu’à deux. Un pays où les hommes meurent le jour où ils découvrent le nombre deux.

 

Un pays où les habitants pensent que naitre c’est changer de métier et que mourir c’est changer de nationalité.

 

Un pays où mettre un chapeau sur la tête est une façon de se suicider.

 

Un pays où les morts sont obligatoirement inhumés avec un chapeau. Un pays où les morts sont obligatoirement inhumés avec un nez de clown.

 

 

Une civilisation où les hommes savent comment jouer au yoyo avec les tombeaux.

 

Une civilisation où il est quasiment interdit de s’asseoir. Une civilisation où il est uniquement autorisé de s’asseoir sur les tombeaux.

 

Une civilisation où les tombeaux ressemblent à des boites de bonbons et où les invités offrent comme cadeaux à leurs hôtes de minuscules cercueils.

 

Une civilisation où les cimetières sont situés uniquement aux frontières des pays, comme si les morts traçaient les frontières mêmes des territoires.

 

Une civilisation où il y a des cimetières distincts pour chaque animal et ou à l’inverse les cadavres des hommes pourrissent à l’air libre.

 

 

Une civilisation où il y a des meutes d’ascètes et des masses de sages.

 

Un pays où les sentiments ressemblent à des cicatrices de carrés.

 

Un pays où il y a des prisons au-dessus de chaque tête. Un pays où il y a une prison au-dessus de chaque tête que les hommes confondent soit avec une porte soit avec un chapeau. Un pays où il y a une prison au-dessus de chaque tête que les hommes confondent soit avec la porte de leur pensée soit avec le chapeau de leur liberté.

 

 

Une civilisation où les hommes se parlent en se regardant fixement les pieds. Un pays où les hommes adressent d’abord la parole aux pieds. Adresser d’abord la parole au visage de l’autre est considéré comme une obscénité. Selon eux, adresser la parole à un visage est la forme la plus extrême de l’intimité. Ils pensent à ce propos qu’il est préférable de connaitre quelqu’un  depuis au moins 10 ans pour avoir l’audace d’accomplir ce geste.

 

Un pays où les paroles, avant de pouvoir être dites, sont extraites du sol et portées entre les mains. Ainsi avant de parler, les hommes méditent leurs paroles. Il y a très peu de bavards, à l’exception de quelques hommes pourvus d’une très grande force physique.

 

Un pays où les paroles, avant de pouvoir être dites, sont extraites des fonds sous-marins. Pour parler, il apparait ainsi nécessaire de savoir d’abord nager et surtout plonger.

 

Une civilisation où pour parler les hommes s’envoient des extraits de lits au visage et où à l’inverse la nuit, les hommes dorment à l’intérieur de grands livres ouverts.

 

Une civilisation où les paroles des hommes ressemblent à des bâillements d’échelles et où les bâillements des femmes ressemblent à des paroles de tombeaux.

 

Un pays où ils disent le jour et la nuit comme si c’était le fromage et le dessert.

 

 

Un pays où il n’y a pas de différence entre la profession et le nom. Un pays où il n’y a pas d’autre profession, d’autre travail que celui de porter son nom. Chacun porte ainsi son nom à sa manière. Il y a ceux qui tiennent leur nom entre leurs mains. Ceux qui portent leur nom comme un vêtement. D’autres encore qui portent leur nom comme une chose en équilibre au sommet de leur tête ou encore comme une chose en équilibre à l’extrémité de leur nez. Ce travail de porter son nom n’a cependant pour eux aucune valeur définie. Ce travail de porter son nom n’est pas non plus échangeable et la mort ne l’anéantit pas. Le travail de porter son nom se poursuit donc même lorsque le corps a disparu, lorsque le corps n’est plus là pour le porter.

 

Un pays où les jours où ils travaillent, ils pensent que leur profession a plus de valeur que leur nom et où les jours où ils se reposent ils pensent que leur nom a plus de valeur que leur profession.

 

Un pays où les corps des hommes renaissent à chaque fois que leurs noms meurent. Un pays où les hommes peuvent donc vivre éternellement à condition de changer de nom. Dans ce pays il y a malgré tout des hommes mortels, ce sont ceux qui préfèrent à l’inverse que leurs noms ne meurent pas.

 

 

Une civilisation où les hommes vont et viennent entourés de murs. Une civilisation de nomades où chaque homme se déplace entouré de murs.

 

Un pays où les hommes rient uniquement au sommet des échelles.

 

Un pays où les habitants s’habillent avec des échelles et où ils utilisent des morceaux de tissus pour monter en haut des murs.

 

Un pays où chanter devant un mur est un crime, un crime qui n’est cependant pas puni par la loi. Un pays où seuls ceux qui ont entendu quelqu’un qui a chanté devant un mur peuvent alors décider du châtiment du chanteur.

 

 

Un pays où les habitants ne restent éveillés qu’à l’intérieur de lieux endormis et où ils ne dorment qu’à l’intérieur de lieux éveillés.

 

Un pays où chaque habitant dispose de deux maisons, une maison où il dort, parle et fait l’amour et une maison où il mange, se lave, pisse et chie.

 

Une civilisation où les murs des maisons sont composés de dés, où les sols ont une allure de roulettes de casino et où les portes sont semblables à des cartes à jouer.

 

Un pays où les maisons tombent parfois à l’intérieur du coma.

 

Un pays où l’âge des hommes n’est pas celui des années qu’ils ont vécues mais celui du nombre de maisons qu’ils ont habitées. L’homme jeune c’est donc pour eux le sédentaire, celui qui reste toujours à l’intérieur de sa maison et l’homme vieux, c’est le voyageur, celui qui change très souvent de maisons.

 

 

Un pays où les volcans sont utilisés comme écoles.

 

Un pays où ruissellent des rivières de comparaisons.

 

Une civilisation où les hommes et les femmes n’ont pas de noms et où les livres n’ont pas de titres. Une civilisation où les hommes et les femmes ont des titres et où les livres ont des   prénoms.

 

Une civilisation où les autoportraits sont composés avec des extraits de céréales, les extraits de céréales de la disparition. Une civilisation où les autoportraits apparaissent composés comme les mosaïques de céréales de la disparition.

 

 

Une civilisation où les cartes d’identité ressemblent à la fois à des cartes de géographie et des cartes à jouer. Une civilisation où les cartes d’identité ressemblent à des cartes de géographie à jouer.

 

Une planète où les hommes restent fixes et où les frontières des pays voyagent.

 

Un pays où les habitants ne disposent d’un âge qu’à l’instant où ils attendent à la frontière d’un pays.

 

Une civilisation où il y a des frontières d’adjectifs entre les pays.

 

Une planète où il y a des fenêtres entres les continents et des paravents entre les pays.

 

Un pays où ils considèrent les poils comme des indices d’une cartographie entre des peuples, comme des indices d’une cartographie entre des peuples hypothétiques, comme s’il avait des frontières de poils entre des pays, entre des pays fictifs ou entre des langues, entre des langues invisibles.

 

Un pays où les habitants marchent sur les cartes postales et où en souvenir de leurs voyages  ils s’envoient des trottoirs.

 

Un pays sans territoire. Un pays où la terre n’existe pas. Un pays où les habitants tiennent en équilibre à la surface de leurs ombres. Un pays où les habitants élaborent le sol sur lequel ils évoluent en projetant leurs ombres sur la disparition du vide.

 

Un pays où il n’y a des panneaux indicateurs que pour les ombres. Un pays où il n’y a des panneaux indicateurs que pour les sourires des ombres. Un pays où il n’y a de panneaux indicateurs que les saisons, un pays où il n’y a de panneaux indicateurs que pour les sourires des saisons, que pour les ombres des saisons, que pour les sourires d’ombres des saisons.

 

Un pays où il y a un cycle des pas et une échelle des saisons.

 

Une civilisation où les hommes voyagent d’un pays à l’autre à pied et où ils vont malgré tout au cinéma en avion.

 

Une civilisation où il n’y jamais qu’un seul et unique spectateur à chaque séance de cinéma et à l’inverse où ils regardent la télévision en foules gigantesques.

 

 

Un pays où les légumes sont considérés comme les emblèmes de l’élégance.

 

Un pays où les chaussures et les chapeaux considérés selon un type de code sophistiqué soit comme les intonations de l’automne soit comme les caprices du printemps.

 

Un pays où il n’y a pas d’autre question de la morale que celle-ci. Lors du pardon, faut-il enlever son chapeau de sa tête et le tenir dans sa main ou à l’inverse prendre son chapeau avec sa tête et les déposer ensuite ensemble sur ses pieds.

 

Un pays où les êtres humains sont les vêtements même de la mort. Un pays où les êtres humains sont les vêtements transitoires de la mode de la mort, de la mode éternelle de la mort.

 

Une civilisation où les pays apparaissaient comme des vêtements. Une civilisation où l’histoire ressemble à un défilé de mode. Une civilisation les révolutions ressemblent à des défilés de mode et où voyager révèle des strip-teases d’atlas.

 

 

Une civilisation où les femmes restent habillées le jour et apparaissent nues la nuit et où a l’inverse les hommes apparaissent nus le jour et restent habillés la nuit.

 

Une civilisation où le jour les hommes masquent leur visage avec leur nom et les femmes masquent leur nom avec leur visage et où à l’inverse la nuit, les hommes masquent leur nom avec leur visage et les femmes masquent leur visage avec leurs nom.

 

Une civilisation où les hommes et les femmes se touchent le sexe à l’instant de franchir le seuil d’une bibliothèque.

 

Une civilisation où le jour de leur mariage l’homme et la femme intervertissent leurs vêtements. Une civilisation où le jour de leur mariage l’homme et la femme intervertissent leurs sexes. Une civilisation où le jour de leur mariage l’homme et la femme intervertissent les vêtements de leurs sexes.

 

Un monde où il existe un seul homme et une seule femme immortels et où les planètes et les astres apparaissent sexués et mortels.

 

Un monde où il existe un seul homme et une seule femme qui apparaissent immortels, un seul arbre qui apparait innommable et où les plantes et les astres apparaissent sexués et mortels.

 

 

Un pays où les baignoires sont utilisées comme boites à lettres. Un pays où les baignoires sont utilisées comme boites à lettres du temps, comme boite à lettres de la loterie du temps.

 

Un pays où ils utilisent des fragments de leurs corps pour compter. D’abord les mains pour compter de 1 à 10 puis les bras pour compter de 10 à 20 et ensuite le reste du corps, la poitrine, le cou, la bouche, les yeux, les oreilles, la tête pour compter jusqu’à 100. Il n’y a que des morceaux du corps qu’il est rigoureusement interdit d’utiliser ce sont les poils et les cheveux. Ceux qui choisissent de compter avec leurs poils ou leurs cheveux sont alors incarcérés dans ce qu’ils appellent la prison de l’air.

 

Une civilisation où les poissons rouges sont enfermés dans de gigantesques cages et où les tigres sont enfermés dans de minuscules aquariums.

 

Un pays où ils déposent les pots de confiture à l’intérieur des pianos et où ils déposent les notes de musique à l’intérieur des placards.

 

Un pays où chaque habitant exerce la profession de fleuriste-mathématicien pendant au moins une journée.

 

Une civilisation où chacun dispose d’une nationalité différente chaque jour de l’année. Une civilisation  où chacun dispose d’une langue différente chaque jour de l’année. Chacun dispose ainsi 365 nationalités et 365 langues par an. Dans cette civilisation  il n’y a pas de guerres entre les pays, il y a malgré tour des guerres entre les saisons.

 

 

Un pays où les jours de la semaine attendent entre les hommes.

 

Un pays où le samedi est le jour des fainéants et des nymphomanes.

 

Un pays où la liberté révèle le lapsus des jambes et où la justice révèle l’éternuement des mains.

 

 

Un pays où le bourreau utilise une boussole pour chercher le condamné.

 

Un pays où les bourreaux utilisent des aiguilles d’acupuncteurs et où il y a une peine de mort pour les papillons.

 

Un pays où il y a un président de la république différent pour chaque seconde.

 

 

Un pays où il y a de la publicité pour les microbes et des médicaments contre les hommes.

 

Un pays où il y a des journalistes pour interviewer des virus. Un pays où il y a des journalistes pour demander leurs opinions aux microbes et aux bactéries.

 

Un pays où les dieux sont innombrables et quasiment identiques. Un pays où l’aspect des dieux est semblable à celui de comprimés de médicaments.

 

Un pays où il y a un asile politique pour les maladies et des revolvers à épidémies pour les hommes.

 

Un pays où les éternuements ont le droit d’examiner les hommes au microscope. Un pays où les éternuements ont le droit d’examiner les hommes au microscope dans ce qu’ils appellent des prisons scientifiques.

 

Une civilisation où les spermatozoïdes éternuent. Une civilisation où la parole des hommes apparait provoquée par l’éternuement des spermatozoïdes et où la parole des spermatozoïdes apparait provoquée par l’éternuement des hommes.

 

 

Un pays où il y a des appareils qui pleurent et qui rient à la place des hommes.

 

Un pays où il y a des modes d’emploi pour demander pardon et des livres sacrés pour faire fonctionner les aspirateurs et les fours à micro-ondes.

 

Un pays où il y a des machines pour vivre, mourir et ressusciter à votre place.

 

 

Un pays où les hommes se changent en horloges à chaque fois qu’ils ont honte.

 

Un pays où les habitants lisent l’heure avec les mâchoires et où ils emploient les horloges pour arracher les dents.

 

Un pays où les habitants ne savent l’heure que le jour de leur anniversaire.

 

Un pays où le suicide est un crime puni de mort. Un pays où le suicide est un crime puni de mort lorsqu’il est accompli le jour de son anniversaire.

 

 

Un pays où les toilettes publiques sont obligatoirement des pyramides.

 

Un pays où les poubelles sont disposées au sommet des églises.

 

Un pays où il y a des poubelles dans les églises et des bénitiers sur les trottoirs.

 

Un pays où il y a des miroirs au fond des poubelles.

 

 

Un pays où ils n’utilisent jamais d’argent. Un pays où ils échangent ce qu’ils désirent obtenir  exclusivement contre des petits pois. Un pays où ils ne payent qu’en petits pois. Un pays où ils payent le boucher, le boulanger, le plombier, l’électricien, le quincailler, la prostituée exclusivement en petits pois.

 

Un pays où les paillassons sont faits de billets de banque et où ils payent avec la boue qui reste collée sous les semelles de leurs chaussures.

 

Un pays où il y a des distributeurs automatiques de liberté et des dépôts de plaintes d’argent.

 

Un pays où ils écrasent les cerveaux à coups d’applaudissements.

 

 

Un pays où les bordels se trouvent entre les boucheries et les musées.

 

Une civilisation où les boulangeries se trouvent uniquement à proximité des cimetières.

 

Un pays où les révolutions ont lieu uniquement à l’intérieur des boulangeries.

 

Une civilisation où les guerres s’effectuent exclusivement sur les chemins entre les boucheries et les fleuristes et où la paix a lieu uniquement à l’intérieur des no man’s land entre les cinémas et les pharmacies.