Remarques à propos du Football.

 

 

 

Ce que le football apprend, c’est une manière d’osciller entre le visible et le non-visible, entre le visible et le tactile, entre les figures du visible et les figures du tactile aveugle, entre les figures de la perspective visuelle et les impulsions réflexes du tactile aveugle. Ainsi pour jouer efficacement au football, il est indispensable de savoir se placer (se placer visuellement) sur le terrain sans cependant vérifier à chaque seconde son emplacement. C’est d’ailleurs un des défauts les plus flagrants de ceux qui n’ont jamais joué au football, soit ils ne regardent pas où ils se situent sur le terrain et par conséquent participent de façon confuse et maladroite au jeu, soit au contraire ils vérifient à chaque seconde leur emplacement et ils ne parviennent alors jamais à inventer des gestes intuitifs à l’intérieur du flux du jeu. Un des problèmes du football c’est ainsi à la fois de parvenir à savoir où son corps se trouve sur le terrain pour ne pas faire n’importe quoi, pour comprendre surtout le mouvement d’ensemble de son équipe, et aussi aux instants les plus intenses du jeu de savoir comment improviser de manière intuitive.  Pendant ces instants d’improvisation intuitive la vérification visuelle devient quasiment inutile, ce que le joueur doit alors sentir ce sont des masses, des forces et des trajectoires à évaluer de manière instantanée. Pour le gardien par exemple, à l’instant même du plongeon le regard devient inutile. Le plongeon apparait toujours aveugle. Le plongeon apparait à chaque fois comme un geste d’exactitude aveugle. Par exemple encore afin d’arrêter un ballon frappé par l’adversaire, l’important est de savoir visuellement d’où part le ballon, malgré tout la manière d’approcher la trajectoire du ballon n’est pas visuelle, la manière d’approcher la trajectoire du ballon apparait plutôt tactile magnétique.

 

 

Eh bien, j’ai maintenant la certitude que ces problèmes dont j’ai d’abord fait l’expérience à l’intérieur du football, je les ai retrouvés ensuite à l’intérieur de l’écriture. Ainsi à l’instant où j’écris une phrase, je ne vois pas. L’écriture d’un aphorisme apparait comme un plongeon aveugle, comme un plongeon réflexe aveugle, comme un plongeon intuitif aveugle. Je n’utilise le regard que pendant la composition. En effet ce que je dois malgré tout distinguer visuellement, c’est la manière de disposer ces gestes de plongeons aveugles les uns à proximité des autres, les uns à la suite des autres. La différence entre le football et l’écriture, ce serait que les temps de la vision et de l’aveuglement y apparaissent inversés. Quand je jouais au football, j’avais besoin de voir avant afin de plonger ensuite de manière aveugle. A l’inverse quand j’écris je commence d’abord par multiplier des plongeons de phrases aveugles et c’est seulement ensuite après que j’essaie de retrouver avec les yeux, avec la distinction du regard, une cohérence et un équilibre parmi le magma de ces phrases-plongeons. 

 

Ce par quoi aussi le football et l’écriture se ressemblent c’est par la délimitation de l’espace. Le football comme l’écriture se jouent à l’intérieur d’un espace quadrangulaire  Il y a un rectangle du terrain de foot comme un rectangle de la feuille de papier. Ecrire c’est simplement la démence d’essayer de jouer au football seul, la démence d’essayer de jouer au football seul à la surface du papier. Et c’est aussi la démence d’essayer de rejouer plusieurs fois un même match (celui du texte) à l’intérieur de temps différents. Celui qui écrit un texte s’amuse ainsi à rejouer d’innombrables fois un même match, un même match de phrases, seul.