Salut à vous Philippe Crab, 

 

 

 

Je vous envoie une étude admirative à propos de Malcolm de Chazal. 

 

 

 

Avec le souhait que vous y trouviez du pain à coudre et de la mousse à gravir. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                  A Bientôt                         Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Votre texte sur Chazal est époustouflant.

Quelques interrogations. Je pense qu’on peut aimer Chazal pour la beauté des images qu’il déploie dans sens plastique, sans trop chercher à connaître leur « statut ontologique » exact. Mais, pour apprécier pleinement ce livre, l’apprécier au point où Chazal lui-même l’appréciait, sans doute faut-il avoir éprouvé avec lui ce somnambulisme lucide, ce renversement du regard, et surtout l’avoir éprouvé associé à la certitude durable que ce renversement est tout le contraire d’une illusion, ou d'une corruption, même "féconde", de l’esprit.

Chaque chose du monde que vous regardez est en vérité une chose qui vous regarde, ce n’est pas rien de retenir cette sensation calmement « en soi » (si « soi » a encore un sens à ce moment-là) après qu’elle a passé, de la tenir donc pour une évidence. On peut reconnaître à l’imagination analogique bien des pouvoirs sans pour autant vouloir aller aussi loin.

Le connaissez-vous, ce somnambulisme lucide ? Voilà quelque chose que j’aimerais savoir. Dans ce texte, vous dites « pour Chazal ». Mais pour vous ?

Chazal semble indiquer une espèce d’harmonie sans défaut, sans le moindre nuage polémique (c’est très loin de  « l’innocente monstruosité » du monde dans à oui), que l'on pourrait rejoindre sitôt sorti de l’ordre des causes, sitôt gagné celui des correspondances, une harmonie garantie par un Bon Dieu producteur ou garant d’analogies. J’ai l’impression que c’est un postulat plus ou moins explicite pour tous les poètes de l’analogie ou de la tautologie : il y aurait au fond une « instance » quelconque garantissant la vérité ontologique des images analogiques, leur vérité en dehors du poète, en dehors du regard, de l’expression, de l’homme, en dehors de tout si ce n'est du monde lui-même.

Je ne sais pas si je suis très clair. J’essaye de voir à quel moment vous vous distinguez radicalement de Chazal, si je suis fondé à croire à cette radicale différence.

A bientôt,

Philippe Crab
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Somnambulisme  

 

 

 

 

Salut à vous Philippe Crab,

 

 

 

Le connaissez-vous, ce somnambulisme lucide ? Voilà quelque chose que j’aimerais savoir. 

 

Je partage en effet avec Chazal la volonté d’exister à l’intérieur d’une forme de somnambulisme. J’évoque cela en particulier à l’intérieur des chapitres Sommeil de A Oui et de Tu Sauf. 

 

 

Je ne sais pas cependant si ce somnambulisme est celui de la lucidité, c’est difficile à dire, je dirais plutôt de la translucidité. Etant donné que vous avez lu Fenêtre vous savez évidemment pourquoi. 

 

 

A propos de l’écriture et du sommeil j’ai déjà aussi écrit ceci.  

 

Les formes de l’écriture viennent du sommeil, de la pulsion même du sommeil. Les formes de l’écriture ne viennent ni de la lucidité de la conscience ni de l’inconscience du rêve. La forme de sommeil de l’écriture apparait précisément à la fois en dehors du conscient et de l’inconscient, à la fois en dehors du sens de la conscience et du non-sens de l’inconscient, à la fois aussi en dehors du non-sens de la conscience et du sens de l’inconscient. Les formes de sommeil de l’écriture s’amusent ainsi à jeter à la fois la conscience et l’inconscient à l’intérieur du feu immense du gel, à l’intérieur de la démesure de feu de l’anesthésie, à l’intérieur de la démesure de feu du froid.

 

 

 

J’ai l’impression que c’est un postulat plus ou moins explicite pour tous les poètes de l’analogie ou de la tautologie : il y aurait au fond une « instance » quelconque garantissant la vérité ontologique des images analogiques, leur vérité en dehors du poète, 

 

A la différence aussi de Chazal je n’ai pas le sentiment que les images soient justifiées à travers une transcendance. La métaphore ne dit pas la vérité, la vérité d’une transcendance. La métaphore déclare plutôt une certitude. La métaphore de l’aphorisme déclare la certitude de l’immanence même. 

 

 

 

Chaque chose du monde que vous regardez est en vérité une chose qui vous regarde, ce n’est pas rien de retenir cette sensation calmement « en soi » (si « soi » a encore un sens à ce moment-là) après qu’elle a passé, de la tenir donc pour une évidence. 

 

Et une autre différence ainsi avec Chazal c’est celle du regard. Je n’ai pas le sentiment que le monde nous regarde. Malgré tout le monde nous touche de manière aveugle. Le monde nous touche avec la main immense de l’abstraction, avec la main aveugle immense de l’abstraction. 

 

 

J’ai par exemple écrit ceci à l’intérieur des Conversations avec Laurent Albarracin. 

 

Le monde ne regarde jamais l’homme. Le monde reste démesurément aveugle à la présence humaine. Le monde contemple la présence humaine sans jamais la regarder. Le monde contemple la présence humaine par le tact du lointain, par le tact d’immanence du lointain. Face à l’arbre, l’homme n’apparait pas regardé par l’arbre. Face à l’arbre, l’homme apparait contemplé par les innombrables feuilles aveugles de l’arbre. Face à l’arbre, l’homme apparait contemplé par les feuilles de l’arbre comme par d’innombrables petites mains aveugles.  

 

(…) 

 

 

 

 

 

 

                                                                                  A Bientôt                         Boris Wolowiec