Merci Boris,

 

Magnifique la gravitation de la couleur. Je n'ai pas tout lu encore, je passe des heures à imaginer trois lignes. 

 

Tu m'avais parlé du Saxophone, je te joins un court film sur Sonny Rollins très très beau, il est un peu comme toi, un colosse, un colosse est un corps qui comprend son absence.

 

 

Sonny quitte la scène, Sonny Rollins soude le pont avec son saxophone. Dans un club Sonny Rollins s’arrête au milieu d’un solo et s’en va jouer sur le Williamsburg Bridge qui traverse L’East River, c’est l’automne. Parfois le colosse visite une école de musique et rejoint la section de cuivres des enfants. Le saxophone donne aux gens une idée des enfants, du soleil et de l’esprit des animaux. Le saxophone a autant de bruits que possible. Le saxophone donne un aperçu de l’homme en humain et autres créatures, pour les animaux l’homme en orchestre est doux et facile à intégrer dans la plaine.

 

Des passages avec saxophone :

 

Mon grand-père joue du saxophone pour se faire sortir une balle de fusil reçue pendant la guerre et des éclats de grenade dans le dos. Un jour on a entendu un cliquetis, les éclats de grenade sortaient du saxophone j’aimais bien ses éclats, quand je le massais parfois, j’essayais d’en arracher « t' y arriveras pas, j’ai ma technique. » les éclats de grenade ressemblaient à des grains de beauté en armure. La balle est sortie un jour où il était hyper mélancolique, il jouait des balades, elle est sortie au ralenti, elle restait en l’air, comme soutenue par du lierre, on a eu peur qu’elle retourne dans le blessée, elle passait par la fenêtre, elle n’allait pas plus vite qu’une pie.

 

Le lendemain écoutant Albert Ayler je pensais que le saxophone était un passage pour les chiens, avec le saxophone tu peux téléporter des chiens.

 

Novembre j’avais un poulet froid qui me suit partout dans la santé et qui se comporte comme l’inverse d’un garde du corps. j’ai fait les parcs, à la recherche d’un petit toboggan pour le faire aller. j’ai pensé, j’aimerais être enterré près d’Aqualand. Un jour j’avais du chagrin, on m’a emmené à Aqualand. Tout en haut j’avais le plus beau réseau complexe de larmes et les gens glissaient dessus et tout le monde sautaient à la poursuite du poulet froid de novembre. En rentrant on m’a offert un chien et un disque d’Albert Ayler, dans cette chanson « Heart Love » Albert Ayler joue du sax comme d'un sèche-cheveux pour les chiens, sécher un chien avec un saxophone : j’ai su que je ne pourrais plus boutonner mon manteau et que je devais rester ici pour toujours.

 

A bientôt

 

jd

 

 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel,

 

 

J’ai vu le documentaire à propos de Sonny Rollins.

 

J’aime bien les allusions sonores très simples au début du documentaire, les sirènes des bateaux et les cris des mouettes qui évoquent le son du saxophone. Et la petite lampe qui oscille au-dessus des têtes des saxophonistes sur le quai du métro aérien, c’est aussi bien vu. C’est en effet comme une rime visuelle avec le pavillon du saxo.

 

Ce qui apparait étonnant surtout dans le documentaire, c’est le calme de Rollins, calme qui contraste par exemple avec la nervosité du professeur de musique. Rollins a une allure de cerf. Rollins marche comme le cerf du calme. Et la rime visuelle encore entre les touches du saxophone et les fleurs d’automne de la forêt, c’est aussi très beau. Le saxophone ressemble alors à un bouquet de genêts, un bouquet de genêts que Rollins mâchonne impeccablement comme le cerf du calme.

 

 

Sonny Rollins soude le pont avec son saxophone.

 

Oui, le saxophone soude l’obscurité. Le saxophone soude les candélabres de l’obscurité. Le saxophone soude le feu d’artifice de l’obscurité. Le saxophone soude le feu d’artifice d’humus de l’obscurité. Le saxophone soude les confettis de l’obscurité. Le saxophone soude les confettis d’humus de l’obscurité, Le saxophone soude les confettis de volcan de l’obscurité, les confettis d’humus volcanique de l’obscurité.

 

 

J’ai maintenant aussi la certitude que l’architecture des ponts de New-York a inspiré la peinture de Franz Kline.

 

Franz Kline peint à coups de hache. Franz Kline peint à coups de hache noire. 

 

Franz Kline peint des ponts à coups de hache. Franz Kline peint des ponts à coups de hache noire. Franz Kline peint les ponts de New-York à coups de hache noire.

 

 

Et je t’envoie enfin quelques citations à propos de la musique.

 

 

« Il y a deux sortes de silence. Le silence de la parole et le silence de la voix. Celui-ci nous touche plus profondément. »  J. Baudrillard

 

« Le silence est la plus exigeante et la plus difficile des symphonies, parce que nous y sommes laissés seuls avec cet instrument imprévisible qui est nous-même. » F. Cassingena

 

 

« Le chant du merle. Sa beauté est dans son hésitation. Il hésite dans le beau. »   R. Munier

 

« Seuls chantent les oiseaux des jardins des bois. Les grands rapaces qui se déploient dans les solitudes, les blancs oiseaux des mers, n’ont que des cris. »   R. Munier

 

 

« Je ne supporte que la musique contingente, celle qui retentit par hasard. »  P. Handke

 

« Je ressens souvent la musique comme une inopportune traduction ou même transgression ou même éviction du silence »   P. Handke

 

« Parfois il arrivait à jouer le travail, comme on joue de la musique ; et le plus souvent vers la fin de son travail. »   P. Handke

 

« Le battement de cœur de la chanson populaire s’éloigne vite. Sur un autre continent, par hasard, il reviendra peut-être. »  P. Handke

 

 

« Dans la musique, chercher premièrement, instinctivement, non le plaisir, mais la construction ; non seulement celle qui fait la musique, mais celle que la musique fait de nous. Car le bienfait le plus insigne que nous retirons de la musique, pourvu que nous l’écoutions de manière ascétique et respectueuse, est à la longue une construction de nous-même, aussi profonde et puissante qu’elle nous était d’abord insensible. »   F. Cassingena

 

« La musique ne distrait point du silence ni ne l’interrompt, mais elle éduque au silence et le préface. On ne fait jamais si bien silence qu’à l’issue de la musique. On ne fait nul silence meilleur qu’intimement tissé de musique. Comme la musique explicite le silence sans le dénaturer, le silence « implicite » la musique sans l’anéantir. »   F. Cassingena

 

« L’audition de la musique est une rencontre de cordes, jusqu’à leur inexplicable pénétration réciproque : celles que nous entendons, et celles qui nous habitent, mieux, celles dont nous sommes faits et dont la musique vient précisément compulser l’existence secrète. Et celles-ci et celles-là se tressent, tant elles sont les unes aux autres transparentes, tant elles sont les unes des autres complices. La cage ajourée des cordes s’accroche si bien à notre cœur qu’elle se déclare à la fin comme étant notre cœur lui-même. »   F. Cassingena

 

 

« Ascension de la Voix toute seule, en avance sur le corps lui-même, comme si le corps devait suivre l’élan de sa propre voix qui l’entraine. »  F. Cassingena

 

Et à propos de la réverbération de la voix à l’intérieur du dos, ces phrases extraites une fois encore d’Etincelles de François Cassingena.

 

« En se retournant, sous l’effet réverbérant de la Voix réelle et du Visage réel, Marie est passée du même à l’autre, cet autre qui se tient toujours, non dans le prolongement de nos imaginations, mais par derrière nous et en retrait. Marie de Magdala fait ici exactement la même expérience que celle du voyant de l’Apocalypse qui raconte cette chose étonnante : « Je me retournai pour voir la voix qui me parlait. ». Ce mouvement est en réalité le « moment » spirituel par excellence, celui qui nous faisant passer instantanément du même à l’autre, nous introduit dans le jardin du réel, autrement dit le jardin du Roi. »

 

 

« Mon amour dans la maison : musique dans la maison (même si la maison est silencieuse). » P. Handke

 

« L’accord - une fois encore « la maison musicale » - qui retentit dans la maison silencieuse au retour de mon amour – même si cet accord n’est que le fracas de la poignée de fer abaissée. »  P. Handke

 

 

Enfin à propos des sensations du crâne, j’ai retrouvé ces phrases magnifiques de P. Handke.

« La nuit dernière, j’ai marché dans le brouillard mouillé de pluie et j’ai senti presque chacune des petites gouttes, surtout sur le front. Il recevait, percevait chaque goutte, comme s’il lui poussait d’autres yeux, un sixième sens. Les gouttes de brouillard, l’eau la plus subtile qui soit, touchaient le très dur, l’os du front (…) »  

 

 

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt                         Boris