Petites bricoles émotionnelles

 

Cher Boris, 

 

J’ai été touché par la mort de Maradona. 

 

déjà cette photo me fait pleurer parce que c'est un athlète enfant,

athlète pour lui c'était emmener le plus loin possible son corps d'enfant . Chaque enfant est un Mozart des chevreuils.

J'adore cette façon qu'il a d'émerger du flou, dès qu'il franchit une image le décor le plus proche n'arrive pas à s'ajuster derrière lui.    

 

 

Dans la chaleur de Mexico en 86, ils jouaient vers midi à 2600 mètres d’altitude ; lors de son but extraordinaire il franchit plusieurs murs de flou

des seuils thermique qu'aucun anglais ne peut même entrevoir, à la fin il dribble le gardien et le dernier défenseur est collé à lui comme le petit cheval de bois de son enfance

comme s'il l'avait fixé à sa hanche pour avoir un repère du défilement de sa chambre d'enfant ... il est tellement concentré qu'il cache le ballon dans ses sourcils. 

 

Maradona voulait absolument faire une photo avec Alain Giresse, il est arrivé à Bordeaux il disait « il est où ce très grand joueur »

Ce que Maradona savait c'est que dans Giresse il y a Giro Girare prouesse de girer, donc entre moine-toupie ils se sont bien compris. 

 

à bientôt Boris, (…)

 

jd

 

 

 

 

 

 

 

Maradona-Messi

 

 

Bonjour Jean-Daniel,

 

 

Merci pour les phrases à propos de Maradona. J’aime beaucoup surtout celle-ci  il est tellement concentré qu'il cache le ballon dans ses sourcils.  Ah la source mentale des sourcils. Les sourcils superbes de Kasparov par exemple. 

 

Je me souviens de la première fois que j’ai vu jouer Maradona à la télévision. C’était pendant la Coupe du Monde de 1982 en Espagne, le match Argentine-Hongrie aux alentours de minuit. Maradona avait déjà été magnifique d’invention et de combativité. Il avait marqué deux fois. Une première fois de manière bizarre d’une tête plongeante pleine de ruse et de rage quasiment sur la ligne de but, et une seconde fois d’une sublime frappe du gauche foudroyante poteau rentrant - but extrêmement semblable à celui que Giresse inscrira quelques jours plus tard avec la France en demi-finale contre l’Allemagne. (Des extraits du match Argentine-Hongrie sont toujours visibles sur internet.)

 

Je me souviens aussi des face à face Platini-Maradona lors des matchs Juventus-Napoli du championnat italien en 1986-1987. Maradona jouait comme un enfant fou, comme un enfant roi, comme un enfant mégalomane et dingue. Il multipliait les dribbles, les passes et les buts les plus ahurissants - en particulier un lob sidérant joué à reculons et en déséquilibre. Ce qui apparaissait flagrant à cette époque, c’était l’extraordinaire aptitude à l’affrontement chez Maradona. C’est là il me semble la très grande différence entre Maradona et Messi, Messi ne dispose pas de cette violence souveraine. Messi fuit sans cesse la violence du jeu. Il est à l’inverse sans cesse à la recherche des intervalles quasi zen de l’espace. Maradona jouait au football comme un boxeur, comme un boxeur impulsif. Messi joue au football comme un judoka, comme un judoka malicieux. Messi s’immisce en effet à chaque instant à l’intérieur de la myriade de vide du jeu, à l’intérieur de la myriade de vide stellaire du jeu. 

 

Après avoir vu les deux dernières coupes du monde de football, j’ai maintenant la certitude que Maradona était un plus grand joueur que Messi. Messi est à l’évidence un joueur d’une subtilité et d’une habileté prodigieuses. Il lui manque cependant quelque chose pour atteindre le même niveau que des joueurs comme Maradona, Pelé ou Cruijff. C’est étrange à dire, mais Messi est finalement un joueur qui a été surévalué. Il a été surévalué parce que le jeu d’Iniesta à l’inverse a été sous-évalué à l’époque où ils jouaient ensemble à Barcelone. Messi est en effet un joueur miraculeux, irréel même parfois. Cependant Messi n’est pas un bon joueur de football. Je veux dire que Messi, à la différence de Maradona, de Pelé, de Cruijff, de Platini, et surtout d’Iniesta ne comprend pas tous les problèmes posés par le football. Messi a finalement une vision assez réduite du football, une vision uniquement offensive, et uniquement de plus en portant le ballon (à ce propos même le déplacement offensif sans ballon de Messi est d’un niveau moyen). Si Messi à l’époque de la grande équipe de Barcelone a été si incroyablement bon et efficace, c’est d’abord parce qu’Iniesta (et aussi dans une moindre mesure Xavi) ont disposé le jeu de Messi à l’intérieur d’un écrin d’extrême intelligence tactique. C’est Iniesta qui orchestrait le jeu. Ah l’incroyable orchestration invisible, l’incroyable orchestration diaphane d’Iniesta. Et Messi avait alors le loisir de multiplier des solos selon les caprices de son génie. A l’époque de l’apogée de Barcelone, Messi était ainsi entouré de joueurs qui déposaient à chaque instant autour de lui des coussins d’innombrables égards afin que son indiscutable génie puisse se développer à son aise. Et quand Iniesta a arrêté de jouer, Messi s’est retrouvé presque seul avec son génie. Les manques de son jeu sont alors apparus. Parce qu’il a peur du combat physique à l’intérieur du jeu, Messi ne parvient pas à faire basculer brusquement les matchs à lui tout seul comme Maradona et aussi surtout parce que sa compréhension tactique globale du jeu n’est pas assez précise, il ne parvient pas à trouver la solution quand ce ne sont plus simplement quelques joueurs mais une équipe entière qui s’oppose à lui. Par exemple lors du match France-Argentine de la dernière coupe du monde, la simple tactique collective choisie par Deschamps a dominé assez aisément le jeu de Messi. Un autre indice enfin du manque de discernement tactique de Messi sur le terrain, c’est son inaptitude, lorsqu’il joue avec l’équipe d’Argentine, à s’entendre avec un joueur aussi doué et imaginatif que Di Maria. De même qu’Iniesta Di Maria est un joueur qui a toujours été incroyablement sous-évalué. J’aurais malgré tout tendance à le considérer volontiers comme le meilleur joueur du monde aujourd’hui. Je trouve ce manque d’entente entre Messi et Di Maria anormal et même impardonnable, aussi anormal et impardonnable que le manque d’entente entre Zidane et T. Henry par exemple. Et ce manque d’entente c’est Messi qui en est essentiellement le responsable, c’est en effet lui qui n’écoute pas le jeu de Di Maria, de même d’ailleurs qu’il n’écoute pas non plus le jeu de Griezmann qui est pourtant la disponibilité footballistique incarnée. Messi est un génie autiste, il ne fait pas assez attention au jeu de ses partenaires. Ou pour le dire autrement, il y a deux formes d’autisme, l’autisme ouvert et l’autisme fermé. Maradona apparait comme un génie autiste ouvert, et Messi comme un génie autiste fermé.   

 

 

Et encore quelques phrases de lecture. 

 

« Seule la bouche capable de devenir une oreille est une vraie bouche. »  S. Pey

 

« La voix est une main qu’on voit sortir debout du costume de la bouche. »  S. Pey

 

« Et si la pensée cherche, c’est moins à la manière d’un homme qui disposerait d’une méthode  que d’un chien dont on dirait qu’il fait des bonds désordonnés… »  G. Deleuze

 

(...) 

 

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt                         Boris