Cher Boris, 

 

 

Je t'envoie à nouveau belle oreille, avec Miles Davis et l'apparition du Gardien de but comme maire de la ville.

 

 

L'herbe craint les chatouilles, le ciel est la soudure qui empêche le bleu de tomber, toute l'aviation du bleu.  

 

 

à bientôt 

 

 

 

jd

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Boris,



Je vivrais plus tranquille si tu n'avais pas encore lu dans l'oreille du bavard.
Maintenant je t'envoie une version, celle-ci est plus à même de déclarer la santé d'un animal qui n'a pas encore terminé son corps.
Le Lézard termine sa fuite en offrant l'extrémité de son départ, le lézard laisse aux enfants le trophée de sa fuite.
Chaque phrase est une collecte et un assemblage de queues de lézard à la poursuite de l'interminable.
Chaque poème voudrait terminer un lézard en commençant par la queue.




Bonne soirée,

Jean-Daniel

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel,

 

 

 

J’ai lu l’intégralité de Belle Oreille et son Chien. Eh bien, je trouve que c’est un texte étrange. En effet pour le dire franchement, j’ai approché le texte de façon un peu plus compliquée que prévu. Reste cependant sans inquiétude, ton texte a l’invention abondante, simplement cette abondance comme celle de l’été parfois nous suffoque. Ton écriture donne ainsi à sentir l’abondance ambiguë de l’asphyxie. Disons que ton homme-grenouille déguste l’oxygène à la manière d’un asthmatique. Et la ressemblance de ton style avec celui de Lezama Lima apparait alors flagrante.   

 

 

 

J’ai ainsi beaucoup de trucs à te dire. Je t’envoie une réponse précise dans deux ou trois semaines. 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt                         Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci beaucoup Boris d’avoir lancé le beau temps de tes yeux dans cette cataracte orthographique.   



 

L'hiver respire comme un bleu, décembre a cassé sa dynamo. Il manque du blanc, le blanc de la distance qu'on porte sur soi, de la distance jamais parcourue, jamais parcourable, un cartable de blanc. 

 

 

 

Écrivant très lentement je ne fais que densifier un départ, soit un récit qui commence sur une jambe, puis deux, puis trois, un récit qui serait une collection de jambes autour de la motricité. 

 

Un fortin de jambes, pour se barricader de l'envie d'aller quelque part.

 

 

 

C'est fou décidément, j'ouvre le livre de Lezama au hasard et je tombe sur ce passage : 

 

"Mme Munda dit qu'elle a une nièce qui a guéri son asthme grâce à un hippocampe" (...) " je pense qu'avec la vierge de la charité sur un hippocampe je vais sûrement guérir" 

 

 

 

C'est sidérant non, en quelques sorte tu me soignes déjà un peu. 

 

 

 

Voici une merveille de Guillaume de Machaut : 

 



 

à bientôt,

 

 

 

Jean-Daniel 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel,

 

 

 

 

 

Marges de Belle Oreille et son Chien

 

 

 

 

Il y a beaucoup de formules étonnantes à l’intérieur de ton texte, celle-ci par exemple parmi des dizaines d’autres. Casou tombe, plus têtu que le cosmos, que le noyau de cerise du rouge à lèvres du cosmos, tombe dans le noyau de sa chute comme éjecté d'une cerise.

 

Cependant pour le dire d’emblée je trouve que le texte a globalement un aspect un tantinet crispé. Cette crispation de la narration, je la connais bien. C’était aussi la mienne à l’intérieur de Paraboles. Ainsi par rapport aux impulsions métaphoriques qui jaillissent de toi à chaque instant les contraintes narratives que tu t’imposes ont souvent un aspect fastidieux.

 

Je me demande d’ailleurs si ton style est adéquat aux principes même de la narration. Pour le dire avec clarté je n’ai pas le sentiment que le récit soit la structure la plus adaptée aux formes de ta virtuosité et de ton aisance. Le récit au contraire amoindrit sans cesse cette virtuosité. Et tu fais alors de nombreux efforts pour construire une narration qui s’avère finalement assez floue. Je pense donc que tu t’imposes des contraintes narratives stériles, des contraintes qui suscitent une sorte de contrition rhétorique au lieu de provoquer des formes de vivacité et d’élan. En effet ton texte pullule de formules à la fois belles et étonnantes cependant le lecteur est le plus souvent obligé de fouiller parmi l’enchevêtrement des noms et des situations un peu avortées du récit pour trouver ces phrases. A ce propos je ne suis pas certain malgré tout de parvenir à évaluer ton texte avec rigueur. Et cela simplement parce que je sais aussi que c’est la narration elle-même qui le plus souvent m’ennuie. Seul Arno Schmidt c’est à dire l’un des plus grands romanciers de l’histoire de l’humanité parvient à raconter quelque chose qui ne m’ennuie pas. Sinon je bâille au bout d’une demi-page de Balzac ou de Stendhal.

 

 

Ainsi stylistiquement il y a parfois trop de vigilance et pas assez de confiance. Ce qui manque parfois c’est la vivacité du truc. Le problème ce serait de parvenir à affirmer à la fois une confiance et une clairvoyance de la phrase de telle manière que cette confiance clairvoyante de la phrase soit cependant différente de l’auto-surveillance et du contrôle. Il me semble que pour l’instant dans ta manière d’écrire tu penses encore un peu trop à ce que doit être idéalement la littérature. Tu respectes encore trop une image idéale de la littérature, même si ce respect a une allure à la fois sophistiquée et désinvolte. Tu développes alors des sortes de structures d’affectations, des sortes d’affectations féeriques pour tenter de contourner habilement des mots d’ordre, des mots d’ordre idéaux. Tu détournes à la fois l’ordre des mots et les mots d’ordre, malgré tout tu ne les oublies pas, ils continuent de te hanter, de te hanter entre les doigts. Tu prends alors encore des gants avec la littérature de même que Pinget prenait la littérature avec des pincettes. Tu prends encore des gants de tissu avec l’écriture alors que le truc de l’inspiration ce serait plutôt de perdre la littérature avec des gestes de nudité, ce serait plutôt de perdre la littérature par le jeu de l’étreindre avec des gestes de nudité. (La question c’est en effet celle que tu indiques, celle de savoir écrire sans écouter les ordres de ses vêtements. un enfant danse à reculons sur le givre, fait reculer le givre en n'écoutant pas les ordres de ses vêtements.

 

 

 

Il travaillait dur pour entourer le cartilage d'un cintre avec un corps de menuet,  

 

L’enjeu c’est alors pour toi de trouver le vivace du cintré, la forme vivace du cintré. Et ce vivace du cintré ce serait sans doute le cinglé c’est à dire la démence qui cingle à la fois comme un vaisseau et comme un fouet, ou encore la démence qui oscille exacte comme un drapeau. Ce que je veux dire c’est que tu as le costume de la phrase cependant du fait de ton excès de surveillance, le lecteur a souvent l’impression de lire le costume de cette phrase coincé dans un placard, dans une penderie, la penderie de la pédanterie si j’ose dire. L’important c’est de trouver une manière d’écrire afin que le souffle du vent s’amuse avec le costume de la phrase, sinon c’est une camisole, une camisole de toute-puissance autrement dit une camisole de faiblesse, une camisole de toute-puissance faible, faible parce que la toute-puissance est dépourvue de feeling, la toute-puissance est incapable de donner de l’émotion.

 

Tu as donc souvent tendance à désirer obstinément harnacher la licorne, à désirer obstinément harnacher la licorne d’une selle de bienséance. Ce risque de suffocation de la phrase, c’était déjà aussi celui de Flaubert. Ce désir de perfection de l’écriture est un piège sournois, même un génie prodigieux comme Flaubert s’y est laissé enfermer. Disons que ton texte a l’aspect d’une caverne d’Ali Baba, ce ne sont que des bijoux partout. Pourtant aussi ces bijoux sont disposés si près les uns des autres que parfois ils deviennent indiscernables, ce sont des bijoux de suffocation, des bijoux d’asphyxie. Ton livre ressemble alors à une caverne d’Ali Baba dans un placard, la caverne d’Ali Baba de l’enfant boudeur et même la caverne d’Ali Baba de l’enfant battu. 

 

 

Et puis le sens global du texte reste extrêmement sibyllin, aussi sibyllin qu’un imbroglio de spaghettis bolognaises. (Ta rhétorique de l’imbroglio c’est en effet celle des spaghettis.) Il est ainsi difficile de savoir quelle histoire tu évoques exactement. Est-ce l’histoire d’un homme qui tombe ensuite mordu par son chien ou qui tombe ensuite sauvé par son chien, ou ensuite sauvé par son chien qui le mord ou ensuite mordu par le chien qui le sauve. Pour être honnête je n’en pas la moindre idée et c’est quand même un peu regrettable. L’ensemble du texte a ainsi finalement l’aspect d’un parchemin de digressions parfaitement indéchiffrables. Ce que je veux dire c’est que ce n’est pas seulement le sens du texte qui reste indéchiffrable c’est surtout le sentiment du texte, le sentiment qui a provoqué l’apparition du texte. Il me semble que le lecteur ne parvient jamais à savoir pourquoi le texte apparait écrit ainsi. Ou pour le dire autrement le lecteur ne parvient pas à sentir avec précision l’enjeu émotionnel du texte. L’enjeu émotionnel du texte semble le plus souvent dissimulé à travers l’enchevêtrement à la fois forcené et dilettante des phrases.

 

Il me semble que Florian, dans le texte Myrtil dont il poursuit l’élaboration, est parvenu à résoudre ce problème de la relation et surtout de la connivence entre récit et poésie. Le récit s’y développe en effet avec une sorte d’élan à la fois dérisoire et magnanime. Florian a ainsi trouvé le truc d’une pulsion insouciante de la phrase qui donne à sentir la forme du sentiment avec la clarté même de l’évidence. C’est aussi un problème de caractère. Montrer le sentiment, le rythme du sentiment sera sans doute pour toi plus difficile, plus délicat que pour Florian, précisément parce que la délicatesse a pour toi une valeur à laquelle Florian ne s’attarde pas.

 

Evidemment ce que tu désires aussi accomplir c’est raconter une histoire en parlant la bouche pleine. Gâteau du langage comme tu dis. Soit. Et le texte bien entendu n’est pas du pudding non, cependant tu as parfois tendance à enchaîner les tartelettes à toute vitesse, ou plutôt les meringues à toute berzingue et surtout sans aucune pause. C’est du Schwob corrigé par Lewis Carroll. Il me semble à ce propos qu’il serait préférable de garder la tonalité Schwob en s’amusant malgré tout à l’envoyer parfois valser au bowling. Disons qu’il serait agréable que la quille de l’homme grenouille se promène parfois à l’intérieur du volcan. Sinon à force de mâchouiller du biscuit tarabiscoté tu risques de ventriloquer du Lezama Lima à la façon de Pinget ou plus inutilement peut-être de ventriloquer du Pinget à la façon de Lezama Lima.

 

Ou encore ce que tu désires accomplir c’est raconter une histoire en parlant la bouche saturée d’une salive de souvenirs. L’histoire semble alors voilée de salive, voilé de la salive de son énonciation, voilée de la salive de son évocation même, voilée à travers la salive de son évolution, à travers la salive de son évocation-évolution, comme si la langue du narrateur était celle d’une limace de limaille, d’une limaille de limaille carambolée.

J'espérai perdre ma langue sur le dos d'une limace, les limaces on dirait les curseurs du sol, 

 

L’enjeu émotionnel du texte semble donc emmailloté, emmailloté à travers la limaille de limace de la langue qui l’énonce, à travers la limaille de limace de la langue même qui la prononce. Le texte semble encamisolé à travers les tagliatelles de son énonciation, à travers les tagliatelles de salive de son énonciation. Je sais bien que c’est ce que tu désires révéler : le bavardage, la salive de bavardage de la parole. J’ai cependant l’impression que tu ne fais pas assez confiance à cette puissance du bavardage, à cette pulsion du bavardage, à cette pulsion de salive du bavardage. Cette pulsion de salive du bavardage tu désires la coincer, la serrer et la sertir. Et c’est alors finalement elle qui te coince et te sanctionne. Ou pour le dire autrement tu utilises la rhétorique comme un instrument de pouvoir, comme un instrument de pouvoir pour dompter la pulsion de salive du bavard. Et tu deviens ainsi une sorte de dompteur de limaces ou même une sorte de milicien des limaces.

 

Il me semble aussi que le plus grand défaut de ton texte, c’est que les différents personnages s’y distinguent difficilement. Tu emploies en effet souvent les personnages en tant qu’alibis de ton discours, en tant que pantins alibis de ton discours. Tu multiplies ainsi d’innombrables arabesques mentales autour de personnages qui ne sont alors que des instances narratives factices, des personnages qui ne sont même parfois que de purs miroitements sonores, de purs miroitements phonétiques. Ce qui est bizarre à ce propos c’est l’espèce de crépitement incessant des noms propres. Par ce procédé tu retrouves alors une technique de Novarina. C’est d’ailleurs un crépitement crypté (par exemple Ostern Groom qui devient Esther Rogom). Et la multiplicité des noms compose ainsi une mélodie de polystyrène.

 

J’ai le sentiment qu’il serait préférable que tu improvises beaucoup plus des trucs qui ressembleraient à des essais poétiques (les textes à propos de la boxe ou à propos de Monk sont par exemple indiscutablement magnifiques.) A ce propos tu as regrettablement réduit ton évocation pourtant si étonnante et si belle de Monk. Et le chapitre passionnant à propos de la boxe (Tyson et Ali) pourrait aussi apparaitre composé avec plus de précision. Il me semble que c’est seulement un problème d’ordre des phrases. Tu as a modifié le texte. Cependant tes corrections ont un peu distordu l’élégance rythmique de la première version. (A propos de la boxe par exemple, l’expression « savoir de l’adversaire » me semblait bien meilleure que l’expression « savoir d’autrui » qui est de plus un peu redondante avec le mot altérité que tu emploies après.) Je pense que tu dois surtout faire attention à cela quand tu modifies le texte : savoir comment modifier le texte sans que ces modifications n’abolissent l’élégance rythmique des phrases que tu as déjà inventées. Pour le dire avec clarté je pense que ta technique de farcissage n’est pas la plus adéquate. Tu devrais utiliser une technique de transformation du texte plus simple. Celle tranquillement naïve de l’ajout, parce que l’ajout est un atout, un atout à la fois des joues et des tempes. Il serait ainsi préférable que tu amplifies le texte par simples ajouts, ajouts à la suite de.  

 

 

 

Tu as une vision parfois un peu schizophrénique du corps.

 

je peux rapiécer mon souffle derrière les pensées de plusieurs espèces.

 

Toujours j'avais eu l'impression d'avoir les oreilles mal fixées, qu'il y avait du jeu quelque part et qu'une partie du discours du monde se perdait.

 

 

Le corps serait alors pour toi une sorte de pantin d’organes, un pantin rapiécé d’extraits d’organes. Le problème c’est alors pour toi de parvenir à trouver une structure mélodique de la schizophrénie, en attendant même qui sait pourquoi pas sa structure symphonique. Je pense d’ailleurs que c’est cet aspect schizophrène de ton écriture qui m’embarrasse le plus pour t’aider dans ton travail. Par exemple, j’ai l’impression que tu corriges le texte en schizophrène. Le farcissage des corrections est un farcissage schizophrène, lorsque tu corriges tu effaces alors des schizes avec d’autres schizes, des schizes filigranées. Ou pour le dire autrement tu corriges à la façon d’un chirurgien esthétique. Tu refais un nez comme Eugene Saccomano refait le match. Et alors ça biscorne un peu la phrase qui devient soudain semblable à une partie de je ne sais quoi dont les joueurs et même le ballon sont désormais devenus d’innombrables nez, des nez qui prolifèrent de façon John Malkovitchienne.

 

A chaque phrase ou presque tu évoques une sorte de pantin spasmodique qui essaie de relier au petit bonheur la chance la bouche, les oreilles, le ventre et les pieds. Ta phrase trimbale ad libitum ce pantin. Ta phrase transporte ce pantin de même que l’enfant ballade à loisir sa peluche comme bon lui semble. Ou encore Jean-Daniel Botta se ballade à la fois comme un dribbleur virtuose à la Neymar et comme un crooner clownesque qui jonglerait avec ses béquilles, qui jonglerait avec les brins d’herbe de ses béquilles. Parfois aussi tu en fais un peu trop, comme Cristiano Ronaldo tu multiples des passements de jambes engoncés snobs, et parfois à l’inverse en une seule touche de balle subtilement orientée tu déstabilises la barricade de la défense, autrement dit la barricade de barracudas des albums photos.

 

 

Ainsi c’est comme si tu t’amusais à dribbler le chant, c’est comme si tu t’amusais à dribbler le chant avec ta bouche et à dribbler ta bouche avec le chant. Ou bien chanter ce serait s’amuser à dribbler sa bouche avec ses oreilles, à dribbler la ligne droite de sa bouche avec la spirale de ses oreilles et aussi parfois à l’inverse à dribbler la spirale de sa bouche avec la ligne droite de ses oreilles. Ou encore chanter ce serait essayer de dribbler sa voix avec son souffle comme de dribbler son souffle avec sa voix. Chanter ce serait essayer de dribbler la bouche de sa voix avec l’oreille de son souffle comme de dribbler la bouche de son souffle avec l’oreille de sa voix.

 

Tu as en effet une imagination de la bouche à l’évidence incroyable. Pour toi la bouche apparait comme une planète et même un astre. Ou plutôt pour toi la bouche apparait à la fois comme un fruit à portée de main, comme la fiancée rythmique de l’oreille et comme un astre intouchable. Et aussi à chaque instant ta bouche tourne et bondit de manière animale. La bouche apparait ainsi comme la balle de caoutchouc par laquelle tu parviens à bondir d’une forme de l’imagination à une autre. La bouche c’est ainsi pour toi l’équivalent du cou pour Malcolm de Chazal. Pour toi la bouche apparait comme le cou à la fois du rebond et de la chute, comme le cou du rebond de la chute, le cou du rebond même de la chute. 

 

 

 

une fillette est adossée à sa bouche 

 

Se tenir adossé à sa bouche. Se tenir adossé à l’ébullition de sa bouche. Se tenir adossé à l’éblouissement de sa bouche. Se tenir adossé à l’obscurité de sa bouche. Se tenir adossé à l’ébullition d’obscurité de sa bouche, à l’éblouissement d’obscurité de sa bouche. Se tenir adossé au parachute de sa bouche. Se tenir adossé au parachute d’herbes de sa bouche. Se tenir adossé au parachute d’herbes obscures de sa bouche, au parachute d’herbes éblouies de sa bouche, au parachute d’herbes obscures éblouies de sa bouche. 

 

 

chaque syllabe est éclairée par les dents, les syllabes quittent la bouche poussées par de la lumière de dents. C'est beau ce parler, ça rajoute une lueur sur les croissants 

 

 

Tu as à l’évidence aussi une intuition très sophistiquée des mâchoires et des dents. Il y a en effet une lumière des dents, une lumière minérale des dents. Chacun de nous dispose à l’intérieur de sa bouche du coffret de pierres précieuses de ses dents, de la boite à bijoux de ses dents, de la boite à musique de ses dents, de la boite à bijoux de musique de ses dents. 

 

 

Flaubert utilise une formule à la fois subtile et drolatique pour dire qu’il s’est fait ôter une dent. « Se désorner d’un domino ». Cette vision de la dentition comme jeu de dominos est surprenante. Cela indiquerait que l’homme dispose d‘une sorte de jeu de patience, de jeu de patience et de société à l’intérieur même de sa bouche. C’est comme si la patience de l’espèce, la patience intranquille de l’espèce se situait parmi les mâchoires mêmes. 

 

 

À partir d'un certain moment les cacahuètes sont les dents du dehors : de la  morsure éparpillée ; quand les vieux mangent des cacahuètes ils pensent qu’ils se rajoutent des nouvelles dents ; 

 

 

Cela serait à rapprocher d’un passage de Serge Pey. «  Et un fusil du silence / avec une poignée de balles / comme des dents arrachées / à la bouche de l’invisible. » 

 

 

 

Manger des chips c'est encore un langage 

 

Manger des chips c’est le langage de celui qui chaparde (autrement dit qui chipe) des morceaux de soleil entre ses mâchoires et sa langue. Manger des chips c’est le langage de celui qui chaparde des morceaux de soleil salé entre ses mâchoires et sa langue pour alors se délecter de leur craquement chuinté, de leur craquement de croûtes chuintées, de leur craquement de croûtes de polystyrène chuintées.  

 

 

 

A propos de la relation entre parole et nourriture et aussi de la relation entre nourriture et imagination, il y a le superbe livre d’Eric Chevillard, L’Auteur et Moi où il évoque le choix éthique crucial entre la truite aux amandes et le gratin de chou-fleur. J’ai écrit une très longue lettre à Eric en marge de ce livre. Je ne sais si tu l’as lue. Le texte commence par ces phrases. 

 

 

Le besoin de manger apparait avec le besoin de dormir et le besoin d’habiter comme l’un des axes de l’existence de l’homme. Le besoin de manger apparait pour l’homme à la fois biologique et symbolique. L’homme a besoin de manger à la fois afin de survivre et afin de donner une forme à son existence. 

 

 

Il y a une relation profonde entre le geste de manger et l’imagination. L’imagination mange. L’imagination mange le monde. L’imagination affirme une manière de manger le monde comme une manière d’apparaitre mangé par le monde. Nous imaginons comme nous mangeons. L’imagination métaphorise la faim comme elle mange la métaphore. L’imagination métaphorise l’extase de manger comme elle mange la métaphore d’exister. « Un fruit à lui seul est une promesse de monde, une invitation à être au monde. Quand l’imagination cosmique travaille sur cette image première, c’est le monde lui-même qui est un fruit gigantesque. »  G. Bachelard

 

 

 

 

A propos du titre, Belle Oreille et son Chien.

 

 

J’avais un chien quand j‘étais enfant. De l’âge de 9 à 13 ans, ce chien a sans doute été l’une des figures vivantes les plus importantes de mon existence. Il s’appelait Lipp. (En rêve je l’appelais cependant parfois Lupulus, comme si c’était une peluche de loup.). C’était un malinois, une race de chien dont les dresseurs s’accordent à dire qu’elle est l’une des plus difficiles à dresser. C’était en effet un chien à l’extrême limite de la domesticité, à savoir d’une agressivité la plus spontanée qui soit. Et c’est précisément cela qui me plaisait. J’avais un chien dragon qui terrifiait les autres et qui était pourtant extrêmement gentil avec moi. Lipp était d’une indépendance irascible, nous n’en étions pas les maitres, il n’obéissait en effet quasiment jamais à aucun ordre. C’est pourquoi il a longtemps vécu attaché dans la cour et ensuite enfermé à l’intérieur du jardin. Parfois quand il s’échappait cela provoquait des scènes chaplinesques superbes. Enfin c’était plutôt un mélange de Chaplin et d’Alien (Chaplien donc), nous essayions en effet de le rattraper en employant des subterfuges idiots et en priant aussi qu’il ne dévore pas une petite fille au croisement d’un chemin.

 

 

Avec Lipp je jouais presque chaque jour au ballon à l’intérieur du jardin. J’essayais par exemple de le dribbler et quand Lipp était cependant parvenu à prendre le ballon dans sa gueule, je m’amusais alors ensuite à lui arracher des mâchoires en lui agrippant violemment le haut du museau. Un des gestes de jeu que je préférais c’était aussi de dégager le ballon en up and under très loin devant nous à l’intérieur du jardin et de courir ensuite ensemble pour le rattraper. Evidemment Lipp courait plus vite que moi et il était presque toujours le premier  arrivé sur le ballon cependant il devait alors attraper rapidement le ballon entre ses mâchoires sinon je plongeais et je l’attrapais avant lui. A cette époque je jouais en effet très régulièrement gardien au football, et j’étais déjà un virtuose de ce qui au foot a pour nom la sortie dans les pieds. Quand il pleuvait cela devenait un jeu fantastique, je glissais à la surface de l’herbe à toute berzingue et je parvenais souvent à saisir avant Lipp le ballon au vol ou au bond. Parfois aussi nous arrivions presque au même instant auprès du ballon et c‘était alors une sorte de catch cataclysmique. Voilà je jouais à la fois au football et au catch avec un loup, avec le loup de ma maison, avec le loup qui voulait bien demeurer à l’intérieur de ma maison. Ce qui était extrêmement agréable aussi, c’est que malgré la vitesse des courses et la violence des impacts, nous ne nous faisions jamais le moindre mal, le jeu s’accomplissait avec des gestes d’une souplesse prodigieuse. C’était comme du football dansé, « une chorégraphie de l’instant » pour reprendre une formule de Cantona, un football-catch par lequel je parvenais à danser de manière à la fois brutale et burlesque avec un animal. A ce jeu-là, c’était souvent Lipp qui était fatigué le premier. Sa langue alors pendait avec une sorte de majesté tordue, une sorte de somptuosité fourbue jusqu’au sol. Sa langue pendait comme un drapeau. Sa langue pendait comme un drapeau de viande. Lipp plantait le sourire d’épuisement de la langue comme le drapeau de la pendaison. Lipp plantait le sourire de cynisme de sa langue, le sourire de cynisme épuisé de la langue comme le drapeau de viande de la pendaison.  

 

 

La peinture qui tombe de la bouche d'un chien 

 

La langue pendue du chien plante le drapeau de la peinture. La langue pendue du chien transplante le drapeau de la peinture. La langue pendue du chien transplante le drapeau de viande de la peinture. La langue pendue du chien enracine et déracine le drapeau de la peinture, le drapeau de viande de la peinture. La langue pendue du chien époumone la racine de la peinture. La  langue pendue du chien époumone la racine-drapeau de la peinture. La langue pendue du chien époumone la racine-drapeau de viande de la peinture. 

 

 

la langue d'un chien qui boit excite les nerfs de l'eau domestiquée, l'eau potable dans le calme de gamelle ; le chien ouvre un robinet de poissons dans le calme de gamelle, chaque poisson sort de la gueule du chien à la vitesse d'une langue et lance le départ d'une rivière, une rivière fait un cercle autour de la soif des poissons. Les langues rallongent l'élastique de la rivière 

 

Quand le chien lape l’eau dans la gamelle c’est comme s’il attrapait l’eau avec le lasso de ses papilles. Quand le chien lape l’eau dans la gamelle c’est comme s’il essayait d’attraper le poisson d’invisibilité de la rivière avec le lasso de ses papilles, avec l’élastique de ses papilles, avec le lasso d’élasticité de se papilles, avec la corde de pendu de ses papilles, avec la corde de pendu élastique de ses papilles.  

 

 

 

Je t’envoie aussi quelques extraits d’Avec l’Enfant à propos du chien. 

 

 

 Chien de l’Enfant 

 

 

 

L’enfant prend et jette son cœur au loin pour que son chien le rapporte. 

 

 

L’enfant prend et jette chaque fragment de son corps au loin pour que son chien le rapporte. 

 

 

L’enfant court avec le chien comme avec une chose d’homme. L’enfant court avec le chien comme avec un homme à chose.  

 

 

 

L’enfant sait que le chien est un mélange de renard et de cochon. L’enfant sait que le chien est un mélange de loup et d’écureuil. L’enfant sait que le chien est un mélange de renard, de cochon, de loup et d’écureuil. 

 

 

L’enfant sait que le chien regarde avec le museau et flaire avec les yeux. 

 

 

L’enfant cherche à savoir si le chien dort plus vite que le chat.  

 

 

 

 

Mon coeur bat comme une cour d'école  

 

A ce propos de la cour d’école j’avais envoyé ces phrases à Florian en marge de son texte Myrtil.

 

Et à chaque fois que j’entends les cris des enfants à l’intérieur d’une cour d’école, une légère tristesse instantanée. Ce n’est pas la tristesse d’être définitivement sorti de l’enfance. Ce serait plutôt la tristesse de sentir son enfance à proximité, de sentir son enfance à portée de mains, à portée d’oreilles, à porter de mains des oreilles sans parvenir pourtant à lui répondre avec précision. La légère tristesse instantanée de sentir que l’enfance reste là à proximité comme le fossile d’un chant, comme le vestige d’un vertige, comme le vestige du vertige d’un chant.

 

En effet à l’intérieur d’une cour d’école, les paroles et les cris semblent composer une ribambelle de rythmes. La cour d’école invente une magnifique mosaïque d’exclamations.  Ainsi quand le cœur bat comme une cour d’école c’est aussi alors comme si le cœur courait autour de son propre battement, comme s’il faisait une ronde, une ronde spiroïdale autour de son propre battement. A l’intérieur de la cour d’école, le cœur tourne autour de l’axe désaxé de ses pulsations, autour de l’axe désaxé de son rythme. A l’intérieur de la cour ça court, ça court entre les murs, ça court entre quatre murs. A l’intérieur de la cour les courses viennent se heurter et rebondir à chaque instant sur le cas d’école du carré, sur le cas d’école du rectangle ou du carré. Et ainsi par les gestes improvisés de la course nous parlons malgré tout aux murs et les murs malgré tout nous parlent. A l’intérieur de la cour d’école nous courons jusqu’aux murs, nous courons jusqu’aux murs pour revenir ensuite au point de départ. C’est ce que nous appelions enfants le lou delo, c’est à dire le loup délivré. Comment délivrer un loup par le simple geste de courir entre des murs ? Eh bien seule la prestidigitation prodigieuse de l’enfance y parvient.

 

 

A propos du loup je me souviens aussi qu’à cette époque à l’âge de 10 ans, j’avais vécu un événement qui m’avait beaucoup impressionné. C’était pendant un voyage scolaire à la fin de l’année de cm2, lors d’une visite au zoo de Thoiry. Je contemplais les loups. Je restais là à contempler les loups. J’avais d’abord remarqué qu’à l’inverse de la plupart des autres animaux enfermés, les loups parvenaient à rester tranquilles. Ils étaient à l’évidence tristes, cependant ils apparaissaient tranquilles à l’intérieur de cette tristesse (à la différence par exemple des lions et des ours qui eux devenait fous de mélancolie). J’avais été surtout étonné par l’incroyable douceur de la démarche des loups. Je compris ce jour-là que l’expression « à pas de loup » était parfaitement exacte. Les loups se déplaçaient en effet sans le moindre bruit, leur démarche avait ainsi une allure presque féerique. J’étais ainsi resté là très longtemps devant la cage de loups. Puis un jeune crétin arrogant d’une vingtaine d’années s’était installé devant la cage. Au début, il invectivait les loups et se moquait d’eux en leur balançant des détritus. Et les loups regardaient alors cet homme aussi agressif que stupide de manière à la fois lucide et calme. Puis le jeune crétin arrogant se positionna la nuque en direction de la cage, et il mima des sortes d’attitudes de vainqueur comme s’il était celui-là même qui avait enfermé ces loups dans cette cage. Le jeune crétin était si indifférent à l’existence des loups qu’il n’avait plus la moindre intuition de la violence de cet animal. Pour lui le combat entre les hommes et les animaux était définitivement achevé, définitivement clos, et cette cage était la preuve de même de cette clôture. Pour lui ces loups n’existaient plus, ils n’étaient plus rien d’autre que des images de la victoire définitive de l’homme. Il ne faisait donc plus du tout attention aux loups, il pensait à tel point les dominer définitivement qu’il était désormais appuyé au grillage de la cage. Et c’est pourquoi un loup décida de lui donner une leçon, une leçon de sagesse, une leçon de sagesse animale. Je dis décida parce que j’ai vu à cet instant cette décision dans la posture et le regard du loup. Le loup se tenait depuis le début de l’intervention du jeune crétin environ à une dizaine de mètres du grillage. A cet instant de décision, il commença à s’approcher très tranquillement du grillage. Il n’y avait aucune agressivité dans son mouvement, simplement une forme de détermination extrême. Pendant que le jeune crétin continuait ses rodomontades stupides, le loup approcha sa gueule entre les trous du grillage il ouvra posément les mâchoires (si j’ose dire et pourtant c’était bien cela) et les referma ensuite sur une manche du manteau du jeune crétin. Evidemment j’avais vu le loup approcher du grillage et j’avais vu aussi que le jeune crétin ne le voyait pas. Et de manière extrêmement spontanée, extrêmement intuitive je n’avais alors rien dit. A cet instant il était en effet flagrant que j’étais avec le loup, avec le loup et contre l’homme. J’ai ainsi eu pour la première fois le sentiment extrêmement précis que je préférerais parfois des postures animales à des comportements humains et qu’il y aurait ainsi des situations où je pourrais à l’évidence devenir un traitre à l’espèce humaine. Lorsque le jeune crétin sentit la mâchoire du loup se refermer sur son bras, il fut doublement stupéfait, à la fois stupéfait de ne pas avoir entendu s’approcher le loup et aussi stupéfait que je ne l’ai pas prévenu que le loup s’approchait. Et là instantanément il apprit ce qu’était la terreur de l’homme face à l’animal. Dans ses yeux il y avait de l’horreur, une horreur ancestrale, l’horreur ancestrale d’être dévoré. Pendant ce temps le loup restait immobile et regardait fixement le jeune crétin les mâchoires intensément fermées. Le loup tenait ainsi cet homme à sa merci et il le savait, c’était intégralement visible à l‘intérieur de son regard. Le jeune crétin pour échapper à l’emprise des mâchoires du loup choisit d’enlever très douloureusement son manteau puis il s’enfuit dans les allées du zoo en pleurant. Le loup garda ensuite quelques instants le manteau du jeune crétin entre les mâchoires de sa gueule puis il laissa ensuite le manteau s’effondrer sur le sol d’un geste de dédain des mâchoires inoubliable. 

 

 

 

A propos du loup j’ajoute enfin un extrait du Bestiaire.  

 

 

Le loup marche à pas d’ombre. 

 

Le loup court sur des clous de coton.   

 

Le loup longe le silence de sa silhouette d’aluminium.  

 

 

 

"Lapindrome" dit-il, "tu laisseras les lapins atterrir sur toi, ton corps est le gadget blanc de la pureté" 

 

Etrangement j’avais trouvé presque la même formule il y a maintenant dix ans à l’époque de l’écriture de mon bestiaire. Je me souviens que j’avais écrit ces phrases. 

 

 

Le lapin palindromise le pré. Le lapin palindromise l’espace du pré. 

 

 

Une vache quand elle est plus posée sur l'herbe ça prend toute la place dans l'œil des gens. 

 

 

A ce propos j’avais écrit ceci à Philippe Crab. 

 

« Faut-il styliser les vaches ? » Eh bien oui, évidemment. Et c’est sans doute ce qu’a essayé d’accomplir Malevitch. Le carré noir sur fond blanc, c’est la vache stylisée, et même la vache absolument stylisée. Sans oublier malgré tout que l’hébétude majestueuse des vaches parvient toujours déjà aussi à styliser l’imbroglio de notre sagesse.

 

Les vaches lisent à chaque instant les œuvres complètes d’Achille Chavée. Les vaches mâchent et par là-même chantournent entre leurs mâchoires les œuvres complètes d’Achille Chavée. 

 

 

"Apprendre à mourir ! Et pourquoi donc ? On y réussit très bien la première fois !"

 

"Il ne faut pas toujours tourner la page, il faut parfois la déchirer."    

 

 

 

Parler.

 

Tomber.

 

C'est pareil. 

 

Parler c’est tomber à l’intérieur du silence. Parler c’est le jeu de tomber à l’intérieur du silence. Parler c’est le jeu de tragédie de tomber à l’intérieur du silence. Parler c’est le jeu de tragédie de tomber à l’intérieur de la catastrophe du silence, à l’intérieur de la catastrophe de facilité du silence.  

 

 

Il eût l’idée de se coudre les oreilles sur la bouche afin d’écouter bien de face 

 

Coucher les oreilles sur la bouche afin d’écouter la conversation du silence. Coucher les oreilles sur la bouche afin d’écouter la conversation du silence de face. Coucher les orteils des oreilles sur le lit de la bouche. Coucher les orteils des oreilles sur le lit de la bouche afin d’écouter la conversation du silence de face. Coucher les orteils des oreilles sur le lit de la bouche afin d’écouter le feu de conversation du silence de face. Coucher les pieds des oreilles sur le trampoline de la bouche afin d’écouter le feu de conversation du silence de face. Coucher la plante des pieds des oreilles sur le trampoline de fruits de la bouche. Coucher la plante des pieds des oreilles sur le trampoline de fruits de la bouche afin d’écouter le feu de conversation du silence de face. Coucher la plante des pieds des oreilles sur le trampoline de sourires de la bouche afin d’écouter le feu de conversation du silence de face. Coucher la plante des pieds des oreilles sur le trampoline d’ainsi de la bouche, sur le trampoline de ça de la bouche, sur le trampoline d’ainsi ça de la bouche. Coucher la plante des pieds des oreilles sur le trampoline d’ainsi ça de la bouche afin d’écouter le feu de conversation du silence de face. 

 

 

Casou a toujours entendu les murs répéter ses fins de phrases 

 

Un extrait d’abord des Conversations avec Ivar Ch’Vavar. 

 

« Qui parle, est- 

ce ce mur qui parle ? » Ivar Ch’Vavar 

 

 

Oui les murs parlent. Les murs parlent les impacts du temps. Les murs parlent les impacts du silence. Les murs parlent les impacts de temps du silence. Les murs parlent les impacts de silence du temps. 

 

 

Les murs parlent parce qu’ils ont des bouches à l’intérieur de la destruction des oreilles. Les murs parlent parce qu’ils ont des bouches à l’intérieur de la ruine des oreilles, à l’intérieur de la ruine indestructible des oreilles. C’est la très grande différence entre le paranoïaque idiot qui à chaque seconde pense que les murs ont des oreilles et l’amoureux hébété qui a la sensation que les murs ont malgré tout des bouches. En effet il y a d’abord le mur du monde, le mur immense du monde et ensuite le geste de s’adresser au mur du monde c’est-à-dire l’à mur (ou bien l’amur comme disaient à la fois Jacques Lacan et Johnny Hallyday) et par ce geste de s’adresser au mur du monde survient une manière d’ouvrir le o d’une bouche à l’intérieur de cet à mur. Ouvrir le o d’une bouche à l’intérieur de l’à mur c’est à dire l’amour. 

 

 

 

tout le jeux de cartes des tempes y passe, un instant les gens perdront les atouts de l'ouïe.

 

Les tempes oscillent comment des cartes à jouer. Les tempes oscillent comme les cartes à jouer du feu. Les tempes oscillent comme des drapeaux, comme des cartes à jouer-drapeaux, comme les cartes à jouer-drapeaux du feu. Les tempes hésitent comme les cartes à jouer-drapeaux du feu. Les tempes hésitent tranquilles. Les tempes hésitent tranquilles comme les cartes à jouer-drapeaux du feu. Les tempes hésitent tranquilles comme des ardoises. Les tempes hésitent tranquilles comme les ardoises du vent. Les tempes hésitent tranquilles  comme les sourires du vent, comme les sourires d’ardoises du vent, comme les ardoises de sourires du vent. Les tempes hésitent avec une distinction tranquille. Les tempes hésitent avec une distinction tranquille comme les ardoises d’au-revoir du vent. 

 

 

Casou pend à côté de lui même, Casou est un bras qui écoute. Casou écoute comme un pendu 

 

Ecouter comme le pendu. Ecouter comme le pendu du printemps. Ecouter comme le pendu du sourire. Ecouter comme le pendu de sourires du printemps. Ecouter comme le pendu de l’oxygène. Ecouter comme le pendu d’oxygène du printemps. Ecouter comme le pendu des sourires de l’oxygène. Ecouter les bras ballants de désespoir. Ecouter les bras ballants d’oxygène. Ecouter les bras ballants de désespoir oxygéné.  

 

 

Les oh Oh oh Oh sont des colliers pour l'intérieur du cou,  

 

Les oh oh oh apparaissent comme des colliers pour la gorge. Les oh oh oh apparaissent comme des colliers de sourires, des colliers d’oxygène, des colliers de sourires de l’oxygène, les colliers de sourires de l’oxygène pour l’intérieur du cou c’est à dire pour la gorge. Les oh oh oh engorgent d’oxygène. Les oh oh oh engorgent de sourires d’oxygène. Les oh oh oh engorgent de sourires d’oxygène globuleux.  

 

 

chanter c'est mettre de la brume dans le cabriolet de sa bouche

 

Chanter comme calligraphier un brouillard de sourires. Chanter comme calligraphier le brouillard de sourires de sa bouche. Chanter comme calligraphier un brouillard d’herbes. Chanter comme calligraphier le brouillard d’herbes de sa bouche. Chanter comme calligraphier un brouillard d’éclairs. Chanter comme calligraphier le brouillard d’éclairs de sa bouche. Chanter comme calligraphier des éclairs d’herbes. Chanter comme calligraphier les éclairs d’herbes de sa bouche. Chanter comme calligraphier le brouillard d’éclairs de l’herbe. Chanter comme calligraphier le brouillard d’éclairs de l’herbe à l’extrémité de sa bouche. Chanter comme calligraphier les éclairs d’herbes du silence. Chanter comme calligraphier les éclairs d’herbes du silence à l’extrémité du brouillard de sa bouche, à l’extrémité du brouillard de sourires de sa bouche. 

 

 

 

Le Piano ouvre le sourire 

 

Le piano écarquille le sourire. Le pian écarquille le sourire du pied-bot. Le piano écarquille le sourire d’ombre du pied-bot. Le piano écarquille la mappemonde du pied-bot. Le piano écarquille le sourire de mappemonde du pied-bot. Le piano écarquille le planisphère du pied-bot. Le piano écarquille le sourire de planisphère de pied-bot. Le piano écarquille les épaules du pied-bot. Le piano écarquille les épaules de sourires du pied-bot. Le piano écarquille la poitrine du pied-bot. Le piano écarquille la poitrine de sourires du pied-bot.  

 

 

un harmonium moissonne la poussière en suspens 

 

L’harmonium moissonne la mappemonde de la poussière. L’harmonium moissonne le pain de la poussière. L’harmonium moissonne la mappemonde de pain de la poussière. L’harmonium moissonne le trampoline de la poussière. L’harmonium moissonne le trampoline de pain de la poussière. L’harmonium moissonne les sourires de la poussière. L’harmonium moissonne la mappemonde de sourires de la poussière. L’harmonium moissonne le trampoline de sourires de la poussière. L’harmonium moissonne le planétarium de la poussière. L’harmonium moissonne le planétarium de sourires de la poussière. L’harmonium moissonne le planétarium d’amnésie de la poussière. L’harmonium moissonne le planétarium de sourires amnésiques de la poussière.  

 

 

 

Un vieux c'est plein de copeaux de bois aussi. 

 

Le coeur ne tient pas en place dans le labyrinthe de vieil homme.  

 

La vieillesse improvise un cœur de copeaux de bois. Le cœur du vieillard bat comme un taille-crayon. Le cœur du vieillard  bat comme le taille-crayon de l’aurore. Le cœur du vieillard bat comme le taille-crayon  de l’obscur, le taille-crayon de l’aurore obscure. Le cœur du vieillard bat comme une cataracte. Le cœur du vieillard bat comme une cataracte de taille-crayon.

 

Je me souviens de mon grand-père polonais avec qui je jouais aux cartes à la fin de sa vie.  C’était un cordonnier dandy. Il avait la dégaine d’Humphrey Bogart et les mains de Vladimir Horowitz. Et il posait les cartes à jouer sur la table avec une sidérante netteté. Je l’avais déjà vu parfois découper des semelles de cuir avec une sorte de hachoir-scalpel, et cela d’un seul geste infaillible comme un calligraphe zen. Eh bien il déposait les cartes à jouer exactement de la même manière, comme si chaque carte était encore une semelle, une semelle de papier ou une semelle du vide, la semelle de papier du vide, une semelle du temps, la semelle de vide du temps. Chaque carte posée sur la table devenait ainsi un pas, un pas de la main, un pas de courtoisie de la main. Cet échange de cartes c’était pour lui une manière de raconter sa vie, de raconter sa vie au rythme maniériste des atouts trèfles, atouts carreaux, atouts cœur, atout pique, des belotes et rebelotes, des je coupe et des dix de der. Toute sa vie semblait se résumer à ces incantations rudimentaires, comme si une vie d’homme était finalement comparable à la simple distribution d’un jeu de cartes.

 

Je me souviens aussi de sa curieuse boutique de cordonnier. Une cordonnerie a un aspect étrange, cela ressemble à la fois à une boucherie et à une pâtisserie. En effet partout aux murs pendent des carcasses de peaux qui sentent bon le chocolat, la crème au chocolat, la crème au chocolat un peu cramée. Une cordonnerie ressemble à une boucherie-pâtisserie indiscutablement hantée. Il y a en effet ces innombrables chaussures comme des cercueils de pieds qui attendent là désœuvrés à la fois oisifs et inquiets, des chaussures un peu comme des cercueils de pieds au chômage. Et l’atmosphère semble aussi saturée d’une sorte de bizarre brûlure onctueuse.  

 

 

 

pompiers toujours surpris par l'intérieur de leurs bottes et qui sautent pour fêter les nouveaux pieds, éparpillement des curieux (ça s'écoute comme un orchestre qui s'accorde),  

 

Il y a une très grande importance, et même une obsession des bottes chez Flaubert. Pour Flaubert, les chaussures et surtout les bottes sont les emblèmes à la fois de l’intimité et de la civilisation. Les bottes révèlent la singularité de chaque vie « Est-ce que la seule vue d’une vieille paire de bottes n’a pas quelque chose de profondément triste et d’une mélancolie amère ! Quand on pense à tous les pas qu’on a faits là-dedans pour aller on ne sait plus où, à toutes les herbes qu’on a foulées, à toutes les boues que l’on a recueillies… » et elles sont aussi les emblèmes indiscutables de la civilisation. « Quel dommage que je ne sois pas professeur au Collège de France ! J’y ferais tout un cours sur cette grande question des Bottes comparées aux littératures. « Oui, la Botte est un monde », dirais-je etc »  

 

 

 

Damien Bontel ne tient pas en place sur sa date de naissance 

 

Eh bien si aucun homme ne parvient à tenir en place sur sa date de naissance, c’est simplement parce sa date de naissance est à chaque fois redoublée à travers la naissance du Christ, à travers la hantise de la naissance du Christ. Le calendrier, c’est en effet l’organisation du temps en tant que hantise du Christ. Le calendrier organise le temps à partir de la naissance éternelle du Christ qui revient chaque jour en tant que fantôme. Le calendrier c’est la vie quotidienne insignifiante de Dieu.

 

Le Christ c’est le retard, le Christ est celui qui retarde, celui qui retarde l’apparition de l’homme, celui qui retarde l’apparition de l’homme à l’intérieur du monde. Le Christ c’est celui qui arrive en retard ou plutôt paradoxalement celui qui arrive à l’heure et en retard, à l’heure même du retard, celui qui arrive à travers le retard de l’heure. En effet le Christ est en retard parce qu’il ne vient pas d’abord au paradis et du fait même de son retard au paradis, le Christ condamne alors chaque homme à retarder à l’intérieur même du temps. Le défaut majeur du Christ c’est de condamner chaque homme à un retard qui est celui de la chronologie historique même. 

 

 

Homochronie

 

« Aptitude de certains individus à harmoniser de façon temporaire leur âge à celui du milieu ambiant. » 

 

Elias Canetti a écrit à propos de l’âge un très étrange livre intitulé Les Sursitaires. Dans ce livre, les hommes et les femmes n’ont pas de nom. A la place du nom, ils ont un nombre à savoir un âge, l’âge de leur mort. Ceux qui mourront à 14 ans s’appellent quatorze, ceux qui mourront à 39 ans s’appellent trente-neuf, ceux qui mourront à 90 ans s’appellent quatre-vingt-dix… Chacun porte aussi autour du cou une capsule scellée où est censé être notée leur date de naissance. Le jour de la mort de chacun d’entre eux, une sorte de prêtre « le capsulant » est l’unique personne à avoir le droit d’ouvrir la capsule pour attester de la conformité entre les dates de naissance et de mort et le nom-nombre. Le livre raconte l’histoire d’un prophète révolutionnaire qui vient annoncer qu’en vérité il n’y a rien d’inscrit à l’intérieur des capsules portées autour du cou par les hommes et par les femmes et que cette croyance aux noms-âge de la mort n’est qu’une pure superstition. (Assez inexplicablement aussi ce livre n’est pas un roman, c’est une pièce de théâtre.)

 

A propos du calendrier, je me souviens avec une très grande netteté de la première fois que j’ai vu et compris ce qu’était un calendrier. C’était l’agenda de l’année 1973 (j’avais donc cinq ans), il y avait la photo d’un chaton angora sur la couverture. L’agenda était posé sur une sorte de cube en plastique fluorescent non loin de mon lit. Pour la première fois, j’ai à la fois vu et compris qu’il y avait une structure humaine du temps, ou plutôt une structure adulte du temps. J’étais extrêmement troublé. J’ai alors tourné la tête à l’intérieur de la grande chambre où je dormais et j’ai vu une bicyclette qui était posée là à l’envers devant la porte d’un grand placard. Cette bicyclette posée à l’envers restait en effet là auprès de moi à l’intérieur de ma chambre comme si elle veillait chaque nuit sur mon sommeil. Et surtout elle attendait, elle attendait que je l’utilise. A cette époque en effet, je ne savais pas encore tenir en équilibre à bicyclette. Ainsi bizarrement à l’intérieur de ma mémoire, l’image du calendrier apparait en relation avec l’image (la figure rhétorique presque) d’une bicyclette posée à l’envers sur le sol, d’une bicyclette qui attend posée à l’envers sur le sol, une bicyclette qui attend son usage futur posée à l’envers sur le sol d’un appartement.  

 

 

Jacques intimide sa vie avec un journal, il écrit pour que toute la journée s'écoule dans le point de fuite,  « guerre des étoiles ».  Jacques voudrait écrire comme si c'était l'apparition du générique du blanc du papier, 

 

 

Ecrire son journal c’est essayer de noircir les jours. Ecrire son journal intime c’est essayer de saturer les jours avec de l’encre afin que les jours retournent à la nuit, afin que les jours retrouvent la nuit, afin que les jours retrouvent la nuit qui a d’abord inventé ces jours.

 

 

 

 

La continuité visuelle désagrège le désert, 

 

 

« Le désert favorise l’âme. » François Jacqmin  

 

 

CASOU TITANISE L'OCÉAN 

 

A quoi ressemble le naufrage gigantesque de l’océan ? Simplement au liseré d’écume qui vient tranquillement nous chatouiller les orteils. Le naufrage gigantesque de l’océan nous chatouille les orteils. Le naufrage gigantesque de l’océan entrelace des guilis-guilis autour de nos orteils, des guilis-guilis d’écume et d’algues autour de nos orteils, des guilis-guilis logarithmiques d’écume et d’algues autour de nos orteils. 

 

 

le bout du monde nageait 

dans du linge fatigué 

 

En bas de la falaise, l’océan nage à l’intérieur du linge froissé du vide. En bas de la falaise l’océan nage à l’intérieur des draps froissés du vide. En bas de la falaise, l’océan nage à l’intérieur de la mosaïque de linge du vide, à l’intérieur de la mosaïque de draps de vide. En bas de la falaise, l’océan nage à l’intérieur des draps de hurlements du vide, à l’intérieur des draps de hurlements ourlés du vide. En bas de la falaise, l’océan nage à l’intérieur de la mosaïque de draps hurlés du vide, à l’intérieur de la mosaïque de draps ourlés du vide, à l’intérieur de la mosaïque de draps hurlés ourlés du vide. Au bas de la falaise, l’océan nage à l’intérieur du mikado de draps du vide, à l’intérieur du mikado de draps hurlés ourlés du vide.

 

 

 

le mélange des dormeurs dans le muscle du lundi

 

Pétrir le sommeil. Pétrir le sommeil à l’intérieur même des muscles. Pétrir le sommeil à l’intérieur du sourire des muscles. Pétrir le magma du sommeil. Pétrir le magma du sommeil à l’intérieur de la cataracte des muscles, à l’intérieur de la cataracte de sourires des muscles. Pétrir le magma de gags du sommeil. Pétrir le magma de gags du sommeil à l’intérieur de la cataracte de sourires des muscles. 

 

 

le dormeur boit une tasse de clarté dans le ventre d'un cachalot. 

 

Le dormeur boit un bol d’hémorragie à l’intérieur du ventre de la baleine. Le dormeur boit le bol de clarté du sang à l’intérieur du ventre d’exubérance de la baleine. Le dormeur boit le bol de clarté du sang à l’intérieur du ventre d’aberration de la baleine. Le dormeur boit le bol de clarté du sang à l’intérieur du ventre de baleine de l’ainsi, à l’intérieur du ventre de baleine de ça, à l’intérieur du ventre de baleine de l’ainsi ça. 

 

 

Si il parle d'un homme coquet il dira « tu sais celui qui a adopté un grain de beauté »

 

Franck le gars qui fait la vaisselle directement dans le ventre des cachalots  

 

Savoir malgré tout comment trouver un toboggan de grains de beauté au sommet de la nageoire de la baleine. Savoir malgré tout comment trouver un toboggan de grains de beauté à l’intérieur du ventre de la baleine.

  

 

demain sera matinal, demain commence toujours matinal 

 

Oui demain commence toujours à l’orée de l’aurore. Demain commence toujours à l’orée de la main de l’aurore. Oui demain commence toujours à l’intérieur de la main du matin. Demain commence toujours à l’intérieur de la main de vide du matin, à l’intérieur de la main de vide  intact du matin. 

 

 

 

Ici en Acéphalie, on enterre les guillotinés debout, toutefois la tête reste au vent, la tête emboite le casque du dehors. Ces morts ressemblent à des nageurs intraterrestres, 

 

Apparaitre décapité debout comme nager à l’intérieur de l’écran de la terre. Apparaitre immortel décapité debout. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l’intérieur de l’écran de la terre, à l’intérieur de l’écran taciturne de la terre. Apparaitre immortel décapité  debout comme nager à l’intérieur de l’écran de silence de la terre. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l’intérieur de l’écran de feu de la terre, comme nager à l’intérieur de l’écran de feu taciturne de la terre. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l’intérieur de la cloche de la terre, comme nager à l’intérieur de la cloche de silence de la terre. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l’intérieur de la cloche taciturne de la terre, comme nager à l‘intérieur de la cloche de feu taciturne de la terre. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l’intérieur du sang de la terre, comme nager à l’intérieur de l’écran de sang de la terre, comme nager à l’intérieur de la cloche de sang de la terre. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l’intérieur de la cloche de sang taciturne de la terre. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l‘intérieur du silence de la terre, comme nager à l’intérieur de l’écran de silence de la terre. Apparaitre immortel décapité debout comme nager à l’intérieur du silence de sang de la terre.

 

A quoi ressemble une statue ? Les statues poussent-elles malgré tout comme des arbres, des arbres de pierres ou bien restent-elles plutôt là comme des boites à lettres, des boites à lettres saturées, des boites à lettres saturées de poussière, des boites à lettres de poussières amalgamées, des boites à lettres de poussières compactes. Tourner autour d’une statue serait-ce alors un geste semblable à celui de tourner autour d’un arbre ou celui de tourner autour d’une boite à lettres ? Ou bien encore tourner autour d’une statue serait-ce le geste de tourner autour de quelque chose comme un arbre-boites à lettres, un arbre-boite à lettres où nous essayerions de glisser de manière démente les lettres des feuilles à l’intérieur même du tronc, à l’intérieur même de l’écorce du tronc ?

 

Et pourquoi aussi les statues apparaissent-elles le plus souvent comme des bustes d’hommes ou bien comme des femmes debout ? Pourquoi n’y a-t-il à l’inverse presque aucune statue d’hommes décapités ou de visages de femmes posés en équilibre au sommet de la plante de leurs pieds ? J’ai parfois cherché à Paris des statues décapitées et je ne les ai jamais trouvées. Malgré tout une nuit j’ai soudain eu la révélation qu’elles se tenaient à la fois entassées et invisibles Place de la Concorde. Une nuit j’ai eu la révélation que les statues décapitées de Paris, c’était la Place même de la Concorde, le vide même de la Place de la Concorde, ou plutôt à la fois le vide, les réverbères et la fontaine de la Place de la Concorde. La Place de la Concorde apparait en effet comme le lieu le plus élégant et le plus apaisant de Paris et c’est pourtant aussi le lieu où à l’époque de la révolution française des milliers d’hommes de femmes ont été guillotinés. Eh bien je ne sais toujours pas pourquoi c’est ainsi. 

 

 

dehors il ferait pivoter la ville autour des statues jusqu'à ce qu'elle change de nom.  

 

Les villes tournent en effet parfois autour des statues. Les villes tournent autour des statues comme un disque ou comme une caméra. Les villes tournent autour des statues comme un disque de cinéma ou une caméra de sons, ou encore une caméra à ultra-sons. Et ainsi les statues appellent les chiens, les statues appellent les chiens du chant. Les statues appellent les chiens d’amnésie du chant.

  

 

 

Le parking est une grande piscine qui retient sa respiration. 

 

Le parking apparait comme la piscine des hommes-grenouilles de l’asphyxie. Le parking c’est la piscine d’asthme de l’otarie, la piscine d’asthme de l’otarie qui porte l’abime de l’oxygène au sommet de son museau.  

 

 

au loin on entendait le torticolis du lavomatique

 

Le lavomatique enlace le torticolis du cœur. Le lavomatique enlace le torticolis multicolore du cœur. Le lavomatique enlace le brouhaha du cœur. Le lavomatique enlace le brouhaha multicolore du cœur. Le lavomatique enlace le brouhaha de torticolis du cœur, le brouhaha de torticolis multicolore du cœur. Le lavomatique enroue le torticolis du cœur, le torticolis multicolore du cœur, le brouhaha de torticolis du cœur, le brouhaha de torticolis multicolore du cœur. Le lavomatique ébroue le torticolis du cœur, le torticolis multicolore du cœur, le brouhaha de torticolis du cœur, le brouhaha de torticolis multicolore du cœur. Le lavomatique enroue ébroue le torticolis du cœur, le torticolis multicolore du cœur, le brouhaha de torticolis du cœur, le brouhaha de torticolis multicolore du cœur. Le lavomatique enroue ébroue la farandole de torticolis du cœur, la farandole de torticolis multicolore du cœur. Le lavomatique enroue l’amalgame du cœur. Le lavomatique ébroue l’amalgame du cœur. Le lavomatique enroue l’amalgame de torticolis du cœur. Le lavomatique ébroue l’amalgame de torticolis du cœur. Le lavomatique enroue ébroue l’amalgame de torticolis du cœur, l’amalgame de torticolis multicolore du cœur. 

 

 

il marche sur les joues du chemin 

 

Marcher sur les joues gigognes du chemin. Marcher sur les joues d’absurdité du chemin. Marcher sur les joues d’absurdité gigogne du chemin. Marcher sur les joues sourdes-muettes du chemin. Marcher sur les joues d’absurdité sourde muette du chemin. Marcher sur les joues d’absurdité gigogne sourde-muette du chemin.  

 

 

Grandir c'est de l'alpinisme  

 

« La planète est une toupie qui veut rattraper ses prairies. »  

 

Grandir c’est de l’alpinisme au sommet des prairies. Grandir c’est de l’alpinisme au sommet des brins d’herbe des prairies. Grandir c’est de l’alpinisme à l’intérieur des prairies du tournoiement de la terre. Grandir c’est l’alpinisme de trembler, l’alpinisme de trembler comme un brin herbe, l’alpinisme de trembler pour grandir, l’alpinisme de trembler comme l’herbe pousse. (Trembler pour grandir, c’est une formule de Michaux si je me souviens bien.)  

 

 

« tu ferais bien d'aider au lieu d'aider ton dimanche ». 

 

Savoir aussi comment aider malgré tout le travail du dimanche, le travail de vide du dimanche. Savoir comment aider malgré tout le travail de vide de l’oisiveté. Savoir comment accorder la brouette de son ombre au travail de l’oisiveté. Savoir comment accorder la brouette de sourire de son ombre au travail de vide de l’oisiveté. Savoir comment atteler la brouette à l’oiseau par le travail de l’oisiveté. Savoir comment atteler le sourire de brouette de son ombre au souffle de hasard de l’oiseau par le travail de vide de l’oisiveté.  

 

 

 

ego absurde comme du gros sel  

 

En effet, le gros sel de l’ego, le gros sel de l’ego que nous balançons au fond de la marmite du remords, au fond de la marmite de la vanité, au fond de la marmite du remords vaniteux.  

 

 

une télévision passe sa vie sans desserrer l'étreinte autour d'une image. 

 

La télévision cadre l’œil de Caïn. La télévision cadre l’œil du n’importe quoi. La télévision cadre l’œil de Caïn du n’importe quoi. La télévision cintre l’œil de Caïn. La télévision cintre l’œil de Caïn du n’importe quoi. La télévision incarcère l’œil de Caïn. La télévision incarcère l’œil de Caïn du n’importe quoi. 

 

Les séries télévisées (L’Homme qui valait trois Milliards, l’Homme de l’Atlantide) ont pour toi une énorme importance. Ce serait ton aspect spielbergien. Ainsi de même que Spielberg est parvenu à transmuter la télévision en cinéma, la série télévisée en film de cinéma (Pauline Karel a superbement parlé de cela dans ses Chroniques Américaines.), tu dois trouver le truc pour transformer le sérieux de la série télévisée en page d’écriture, en lieu d’ahurissement de l’écriture, en lieu de désinvolture de l’écriture, en lieu d’ahurissement désinvolte de l’écriture. (L’importance rhétorique du super-héros, c’est aussi un des grands problèmes du cinéma de Night Shyamalan.) 

 

 

 

L'été est un touche à tout. 

 

Il y a en effet un éclectisme de l’été. L’été révèle l’éclectisme de l’ennui. L’été révèle les hallucinations de l’ennui, les hallucinations éclectiques de l’ennui. L’été révèle l’éclectisme des hallucinations, l’éclectisme autrement dit qu’il y a d’innombrables clefs pour la disparition d’une serrure autrement dit pour les clins d’œil des papillons. En effet, le papillon a un trou de serrure en plein thorax, en pleine poitrine, comme une balle de fusil perdue et deux paupières clignent alors autour de ce trou de serrure plein comme une chrysalide de courants d’air, plein comme un œuf de profil, plein comme un œuf de prophylaxie, plein comme l’œuf de profil de la prophylaxie. L’été touche à tout tel un papillon de prophylaxie, tel le papillon de prophylaxie de la lumière. L’été touche à tout tel le papillon d’éclectisme de la lumière, tel le papillon de prophylaxie éclectique de la lumière. L’été touche à la visibilité de l’invisible. L’été touche au et de l’invisible, au et visible de l’invisible. L’été triture la visibilité de l’invisible. L’été triture les hallucinations de l’invisible, les hallucinations éclectiques de l’invisible. L’été triture les indiscrétions de l’invisible, les indiscrétions visibles de l’invisible. L’été triture les hallucinations d’indiscrétion de l’invisible, les hallucinations d’indiscrétion éclectique de l’invisible.

 

 

il se frottait les mains pour saboter la chiromancie. 

 

Se frotter les mains pour raboter la chiromancie. Se frotter les mains pour raboter le sourire de la chiromancie. Se frotter les mains pour raboter les ailes de la chiromancie. Se frotter les mains pour raboter le sourire d’ailes de la chiromancie.

 

 

ce sont les grosses pognes de cinq du figuier 

 

La feuille de figuier à l’oreille sur la main. La feuille de figuier a le cœur sur la main. La feuille de figuier a l’oreille du cœur sur la main. La feuille de figuier à l’oreille du cœur sur la pogne. La feuille de figuier a l’oreille du cœur sur le déploiement du poing. La feuille de figuier a l’oreille du cœur sur le déploiement rugueux du poing, sur le déploiement à la fois  phlegmoneux et rugueux du poing.

 

 

 

il a un petit mégaphone fait avec de l'haleine d'enfant 

 

Le bol boit le mégaphone de l’haleine. Le bol boit le mégaphone de l’haleine d’enfant. Le crâne d’amnésie du bol boit le mégaphone de l’haleine d’enfant. 

 

 

Hier j'ai partagé mes tisanes avec des tziganes. 

 

Et aussi quelle tisane pour Mike Tyson ? Celle des tisons, celle de l’infusion des tisons ou encore celle de la résine du sexe des femmes, celle de la résine de transe du sexe des femmes, celle de la résine de transe insinuée du sexe des femmes, celle de la résine de transe immodérée du sexe des femmes, celle de la résine de transe insinuée immodérée du sexe des femmes. 

 

 

« Toujours faire confiance au sourire d'une femme avant de manger de la viande » 

 

Toujours faire confiance au sourire du squelette avant de manger une femme. Toujours faire confiance à l’éclair du squelette avant de boire le sourire d’une femme. Toujours faire confiance à l’éclair de hurlement du squelette avant de boire le sourire d’amnésie d’une femme. Toujours faire confiance au silex de hurlement du squelette avant de boire le sourire d’au revoir d’une femme. Toujours faire confiance au silex de hurlement du squelette avant de boire le sourire d’illusion d’une femme. Toujours faire confiance au silex de hurlement du squelette avant de boire le sourire de facilité d’une femme. 

 

 

 

Il pense à faire un enfant : un ami issu de soi. 

 

L’enfant apparait comme un ami extrait de la démence. L’enfance apparait comme un ami extrait du vide entre son prénom et son nom. L’enfant apparait comme un ami extrait du vide de démence entre son prénom et son nom. 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonsoir Boris, 

 

 

 

  

Ça tourne encore. Combien de siestes pour devenir un chat ? Un tourniquet rembobine le paysage. Le tremblement est un pelage entre le chien et l’homme. Ce que tu m’écris me donne l'impression qu'une salière de neurones toute neuve me tombe sur la tête, "trop parler nuit" disait mon grand-père, la nuit on a l'impression d'empocher des lampes, de se faire craquer le costume avec des faisceaux. 

 

 

je t'écris bientôt,

 

 

 

Jean-Daniel