Rencontre 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Boris Wolowiec,

 

 

 

Nous sommes revenus il faisait rouge, on aurait dit que ciel avait gardé une tomate dans la bouche toute la nuit.

 

J'ai aimé qu'on se voit, la joie elle rebondissait sur vous comme si elle connaissait tous les effets trampolines de votre visage.

 

J'ai l'impression que le bruit lançait ses mobylettes à travers tout ce qu'on disait. 

 

Depuis j'imagine que tu habites dans un cachalot, que chaque chambre du cachalot est une chapelle.

 

 

 

Avant de n'y plus penser, le beau livre dont parle Léonore est : "Mailloux" d'Hervé Bouchard. 

 

 

je lisais Tu Sauf   

 

La sincérité de l’homme est la vanité de son cadavre.  

 

un cadavre sans vanité ne peut pas garder cette fixité d'œil sincère

 

l'homme- cadavre adossé au froid homogène de la sincérité.  

 

 

 

je vous livre un petit extrait de mon bidule  : 

 

"Casou n'est pas beau gisant, long  avec les temps forts de la vie bien aplatis sur tout le corps, Casou n'a pas cette persistance dans l'œil, cette persistance dans l'œil des morts qui semble chercher du regard, qui cherche toujours du regard un opticien, l'opticien des morts, celui qui sait faire des lunettes pour après, pour que ça continue le regard." 

 

 

 et pourquoi pas le début du bidule : 

 

 "Comme ça on l'appelait une fois Casou après ; c'était « Belle Oreille ». C'était « Belle oreille » jusqu'à l'engloutissement de son pardessus gris entre les voitures de la ligne 8.  Il tomba droit, avec le sérieux d'un homme grenouille, il tomba droit dans la continuité visuelle du MF 77, dès qu'il y avait une continuité visuelle il tombe droit dedans. Le métro fer 1977, la rame semble d'un seul tenant, d'un seul tenant la Californie, et il était tombé dans la continuité visuelle du désert là-bas, petit il tombe dans la continuité visuelle d'une boite à outils, il sabotait tout ce qui est d'un seul tenant, maintenant il tombe dans la ligne 8. Et on va vite voir que la lumière ne rentre plus dans son oeil. Que la lumière a le bras cassé dans son oeil,  la lumière nage une brasse de plâtre dans l'oeil de Casou. A atteint le plafond de sa vie en tombant, écrasé tout court par la semelle du plafond. Adieu Casou.  

 

 

 

Ah ! la fin d'une interview : 

 

André Müller : Et si demain vous rencontrez le grand amour

 

Thomas Bernhard : Je ne pourrais pas l'éviter  

 

 

Il y a un texte de W.G Sebald "Où l'obscurité serre la corde" à propos de T.B qui pourrait vous intéresser. 

 

"cet essai traite en premier lieu de la question  de la dénomination politique, morale et artistique de cet auteur, question que la critique a déjà abordé plusieurs fois sans lui donner une réponse concluante" qu'il dit Sebald.

 

 

 

La soirée était trop futée pour moi quand je tente des rapprochements. Une chose est sûre, qui m'est apparue évidente, c'est qu'il y a très peu d'auteurs identifiables debout, où tout juste assis avec la première ligne, on commence et c'est immédiat, vous,  Bernhard, c'est efficace comme une sauterelle,  on est fasciné parce que vous avez trouvé une houle, une houle est trouvée  devant nous à chaque instant ...

 

 

Bonjour d'ici où l'aube a fait un bruit d'ouvre-boite, maintenant le soleil fait rouler ses rondelles d'ananas pour vérifier les impasses.

 

 

 

Jean-Daniel  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Citations Diverses 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel, 

 

 

 

D’abord quelques phrases de Sens-Plastique de Malcolm de Chazal à rapprocher de notre conversation de l’autre soir.

 

 

 

« L’arbre a des épaules-bras, les quadrupèdes ont des jambes-épaules, les oiseaux ont des mains-torses, et l’insecte a des doigts-corps. » 

 

 

« Les pétales sont le tympan de la plante. Bruits au lointain font vibrer les pétales en sismographe. » 

 

 

« Toutes les dents chez l’animal sont « de sagesse ». Vous ne verrez jamais l’animal  s’acharnant et se brisant les dents contre plus dur que l’os. Car les dents chez l’animal sont douées de prescience. (…). Chez l’animal les dents voient. »

  

 

« Les feuilles sont des mains d’un seul doigt, mais doigt dans lequel est contenu un bras tout entier. Les feuilles qui « appellent » dans le vent ont des gestes en sémaphore. Nous tenons là  le secret même de l’habileté des doigts. Toute virtuosité pianistique véritable consiste justement à transformer chaque doigt d’une même main en un bras autonome, infusant à chacun des doigts les gestes « emboités » des bras , gestes par lesquels le bras « entre » dans l’avant-bras et l’avant-bras dans la main, faisant descendre les jointures des épaules dans le coude et le coude dans le poignet, afin que chaque mouvement de la main soit une soudure du tout. Chez le virtuose, chaque doigt devient un bras en plus petit, faisant de chaque bout de doigt une main multi-doigts, et mettant dans les deux mains un gigantesque effet d’orchestre. » 

 

 

 

Ensuite quelques extraits de Bréviaire d’un Traducteur de Carlos Batista.

 

 

« Un traducteur fou disait : « A force de regarder les mots de près, ils me regardent de loin. »

 

 

« Un bon traducteur est plus proche du poète maudit que de l’écrivain reconnu. »  

 

 

« A la question : est-ce qu’il y a une certaine satisfaction à voir ses livres traduits, Thomas Bernhard répondait : « Non, absolument pas. C’est très drôle, mais ça n’a rien à voir avec ce qu’on écrit, parce que c’est le livre de celui qui traduit. Lui, il suit son propre chemin. Un livre traduit, c’est comme un cadavre qui a été mutilé par une voiture jusqu’à le rendre méconnaissable. Vous pouvez toujours rassembler les morceaux, mais c’est trop tard, ça ne sert à rien. »  

 

 

« Un traducteur ramoneur disait : « Traduire, c’est sculpter la friabilité de la cendre. » 

 

 

« Ce qu’il préférait dans les mots : leur précieuse pauvreté. »

 

 

 

 

Et puis ces phrases de La Boite aux Lettres du Cimetière de Serge Pey. 

 

 

« Ce n’était pas les mots ni les choses qui firent de lui un homme mais les trous entre les mots et les choses. Quand quelqu’un parlait, il ne voyait que les trous ouverts qui entouraient ses mots. La science des trous entre les mots lui avait appris à connaitre les hommes, ceux avec qui on pouvait passer dans le monde et ceux avec qui on ne le pouvait pas. C’est peut-être pour cela que Chien bégayait. »

 

 

 

Et aussi en marge diagonale de ce que Léonore évoquait à propos des néologismes, interversions et ellipses d’un auteur dont je savais que j’oublierai le nom*, ces phrases extraites du William Blake de Chesterton. 

 

« L’obscurité de Blake consiste ordinairement en ce que les mots dont il se sert signifient une chose chez lui et tout autre chose dans le dictionnaire. Henry James coupe les cheveux en quatre, Browning les tire par la racine. Mais chez Blake, l’énigme est à la fois plus transparente et plus déroutante ; c’est simplement que lorsque Blake écrit « cheveux », il se peut bien qu’il pense à autre chose qu’à des cheveux - peut-être à des plumes de paon. » 

 

 

(* Hervé Bouchard donc. J’ai déjà lu sur internet des passages de son livre Mailloux et aussi une longue interview intitulée Causerie Ecrite. A l’évidence, c’est un auteur à la fois passionné et honnête. A son propos il me semble que j’avais plutôt bien anticipé. La rhétorique de son écriture est en effet une rhétorique spontanée (si j’ose dire). Et cette rhétorique spontanée est comparable à celle de Valère Novarina. Mailloux serait une sorte de Novarina naturaliste.)

 

 

 

Et pour Léonore encore un extrait d’un essai à propos de Gertrude Stein. 

 

 

Gertrude Stein sait comment construire des montagnes par le geste d’entasser des platitudes. Gertrude Stein c’est la Sisyphe joyeusement entêtée qui roule à chaque instant la pierre de son nom au sommet du vide et qui recommence à l’instant suivant, heureuse de son génie d’énergumène littérale, jusqu’à composer ainsi des pyramides avec des amas de planchers de vaches.    

 

 

 

Enfin je viens de regarder une nouvelle fois sur You Tube la vidéo de La Voix qui Chante. C’est très beau. Cela ressemble à une source de menthe qui évolue circulaire à l’intérieur d’un quadrilatère de murs gris (avec le ciel malgré tout, avec les branches noires des arbres devant le malgré tout blanchâtre du ciel). Et Rod Maurice filme cela superbement, à la manière d’un Jonas Mekas sobre. 

 

 

 

Post-scriptum. J’essaie de répondre à ta lettre un jour prochain. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt                         Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toboggan du Tombeau

 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel,  

 

 

 

D’abord merci pour cette phrase magnifique. 

 

la joie elle rebondissait sur vous comme si elle connaissait tous les effets trampolines de votre visage. 

 

Je préfère en effet parler avec exaltation afin de transmuter le lieu du visage et le lieu de la parole. Ainsi les paroles ne sortent plus du visage, ce sont plutôt des visages qui sortent de la parole. Je préfère parler avec exaltation afin que ma bouche joue au bilboquet avec mon visage, afin que ma bouche projette mon visage comme une flèche ou comme un boomerang. Je préfère parler avec une exaltation presque démente afin que la bouche de ma voix, la bouche de chute de ma voix joue au bilboquet avec la multitude de mes visages, avec l’essaim de mes visages, avec l’essaim de caoutchouc de mes visages. J’essaie de devenir ainsi le virtuose de ma bêtise, le virtuose de la jubilation de ma bêtise, le virtuose de la jubilation rougeoyante de ma bêtise. 

 

 

on est fasciné parce que vous avez trouvé une houle, une houle est trouvée devant nous à chaque instant ...   

 

Malgré tout l’inspiration ce n’est pas seulement de nager à l’intérieur d’un océan. L’inspiration c’est de nager à l’intérieur de plusieurs océans à la fois. Et même l’inspiration  c’est de nager à l’intérieur d’un océan de feu, à l’intérieur de plusieurs océans de feu à la fois. Le temps devient alors le mascaret de caresses de la coïncidence des océans, de la coïncidence d’érosion des océans, de la coïncidence d’érosion heureuse des océans, de la coïncidence d’érosion heureuse des océans du feu. 

 

Depuis j'imagine que tu habites dans un cachalot, que chaque chambre du cachalot est une chapelle. 

 

A propos de la baleine j’ai écrit ces phrases à l’intérieur de Gestes, un livre futur (le livre paraitra au Cadran ligné à l’automne 2017).

 

 

Dire à bientôt comme la baleine. 

 

Dire à bientôt comme une baleine de clarté. 

 

Caresser une baleine avec la main de sa bouche. 

 

 

Improviser comme la langueur gigantesque de la baleine. 

 

Se taire comme l’ample salut de la nageoire d’une baleine donne rendez-vous à la dérive des continents. 

 

Bercer le magma d'utopie naïve du désespoir et dormir ainsi à l’intérieur de la poitrine d’amnésie d’une baleine inconnue. 

 

 

 

 

Et on va vite voir que la lumière ne rentre plus dans son oeil. Que la lumière a le bras cassé dans son oeil,  la lumière nage une brasse de plâtre dans l'oeil de Casou. A atteint le plafond de sa vie en tombant, écrasé tout court par la semelle du plafond. Adieu Casou.  

 

Eh bien ça, c’est très bon. Au milieu de la page se saluent alors Au Plafond d’Eric Chevillard et le Secret Secret de Laurent Albarracin « Au sol le cuir des feuilles fait une maroquinerie dévastée (…) Toutes ces semelles enfin sont les pas que les arbres ne font pas. » (avec aussi le bras cassé de Michaux blotti dans un coin de l’œil d’Ivar Ch’Vavar). En effet, la mort nous lamine. La mort nous lamine ici-maintenant. La mort nous lamine magnétique, la mort nous lamine maline, la mort nous lamine magnétique maline ici-maintenant. 

 

"Casou n'est pas beau gisant, long  avec les temps forts de la vie bien aplatis sur tout le corps, Casou n'a pas cette persistance dans l'oeil, cette persistance dans l'oeil des morts qui semble chercher du regard, qui cherche toujours du regard un opticien, l'opticien des morts, celui qui sait faire des lunettes pour après, pour que ça continue le regard." 

 

Il y a une étrange indifférence du cadavre envers sa mort même. Le cadavre ne pleure pas sa mort. Pour reprendre une formule d’Éric Chevillard (citation de mémoire) « La mort laisse le cadavre de marbre. » Ainsi ce qui est troublant et même effrayant face à l’œil fixe du cadavre c’est que cet œil fixe ne répond pas à notre propre regard. Nous pleurons la mort du mort et pourtant cette mort que nous pleurons indiffère le cadavre. Le cadavre s’en moque avec une sorte d’arrogance funèbre, le cadavre s’en moque avec morgue. Le cadavre semble alors regarder ailleurs. L’œil fixe du cadavre nous traverse et vise alors au-delà. Ce que nous voyons alors à l’intérieur de l’œil fixe du cadavre, c’est le soupçon de l’au-delà, la paranoïa de l’au-delà, le soupçon paranoïaque de l’au-delà, un au-delà où l’émotion des regards humains est désormais sans valeur. Ainsi bizarrement la fixité de l’œil du cadavre semble fixer un autre monde, elle semble regarder au-delà du monde. Pour l’athée l’œil fixe du cadavre est ainsi paradoxalement très difficile à soutenir parce que cet œil fixe provoque soudain en lui l’impression qu’il y a un au-delà. L’œil fixe du cadavre semble regarder le néant infini de Dieu. 

 

La sincérité de l’homme est la vanité de son cadavre. 

un cadavre sans vanité ne peut pas garder cette fixité d'oeil sincère

 

l'homme-cadavre adossé au froid homogène de la sincérité.  

 

Cette fixité de l’œil du cadavre je ne saurais dire si elle est véridique ou factice, cette fixité de l’œil du cadavre me semble plutôt au-delà même du vrai et du faux. La lecture que tu proposes de cette phrase a ainsi pour moi un aspect complexe parce qu’il me semble qu’elle est à la fois une sorte de contre-sens et une interprétation acceptable. Contresens parce que la sincérité n’a jamais été pour moi une valeur, disons que c’est une vertu trop psychologique, au sens où dire la vérité que ce soit aux autres ou à soi-même ne m’intéresse pas. Ce qui me plait ce n’est pas de dire la vérité, ce qui me plait c’est plutôt de déclarer la certitude, de déclarer l’enthousiasme de la certitude, l’enthousiasme de la certitude à la fois en dehors des autres et en dehors de moi. La phrase que tu cites était donc d’abord essentiellement critique. La sincérité ayant un aspect morbide et parfois même criminel : l’assassin est aussi un homme sincère lorsqu’il tue quelqu’un. (J’avais inventé à ce propos un néologisme, celui d’assassincérité). Quant à la vanité je lui ai d’abord préféré l’orgueil puis j’ai fini ensuite par préférer l’humilité. Je veux dire l’humilité aberrante de l’extase, l’humilité démente de l’extase. Cela dit pourtant je ne parviendrais pas à refuser radicalement ton interprétation. (Chesterton a écrit quelque part une apologie étonnante de la vanité, je ne retrouve plus cependant le passage.) 

 

 

Il tomba droit, avec le sérieux d'un homme grenouille, il tomba droit dans la continuité visuelle du MF 77, dès qu'il y avait une continuité visuelle il tombe droit dedans. Le métro fer 1977, la rame semble d'un seul tenant, d'un seul tenant la Californie, et il était tombé dans la continuité visuelle du désert là-bas, petit il tombe dans la continuité visuelle d'une boite à outils, il sabotait tout ce qui est d'un seul tenant, maintenant il tombe dans la ligne 8. 

 

A propos de cette question de la continuité du visible, je ne parviens pas exactement à comprendre ce que tu veux dire. Tu le sais, je suis plutôt en effet attentif à l’extrême discontinuité de la sensation, à l’impact aphoristique de la sensation, même si j’essaie aussi d’entasser ces discontinuités multiples afin de composer une forme de présence unique. Cette continuité du visible me fait aussi penser à la continuité du rien de Macedonio Fernandez. Reste à savoir si pour toi le visible est en relation avec le rien ou avec l’air de rien ou encore avec le comme si de rien n’était ou bien encore avec le vide. Le visible ce serait la cible du vide, l’oreille-cible du vide. (Ce serait aussi à rapprocher de cette idée de P. Sollers selon laquelle les images viennent des sons, cette idée selon laquelle les images viennent des voix.) Pour toi le visible serait alors peut-être quelque chose comme une sorte de droite amphibie de la voix, d’amphibologie rectiligne du son, ou pour le dire autrement la droiture à la fois amphibie et amphibologique de l’homme-grenouille. Homme-grenouille, étrange expression. Et s’il se tient ainsi droit, ne serait-ce pas parce qu’à chaque fois qu’il inhale de l’oxygène, il gobe aussi le fil à plomb du puits. L’homme-grenouille serait ce doux dingue qui cherche à creuser un puits à l’intérieur de l’océan, à creuser un puits à l’intérieur de l’océan avec les nageoires de plâtre de son désespoir. Je me souviens d’un gag extraordinaire de Buster Keaton où il essayait de faire sa toilette matinale au fond même de l’océan. Keaton essayait alors de remplir puis de vider une cuvette à l’intérieur même de l’eau. Comment remplir l’eau à l’intérieur de l’eau et aussi comment vider l’eau à l’intérieur de l’eau ce serait une autre manière de comprendre le visible, non plus sa continuité, son homogénéité plutôt. L’homme-grenouille serait alors le prestidigitateur engourdi de l’homogénéité du visible, le magicien engourdi de l’homogénéité du visible.

(Je pense que Macedonio Fernandez serait sans doute un auteur qui t’intéresserait. Sa fantaisie métaphysique est d’une prodigieuse subtilité. Ceci par exemple. « A Buenos Aires, où le sol très bas favorise les statures, il y a l’homme le plus haut du monde. (…) Il est si grand que sa tête pourrait buter contre son propre chapeau. »)

 

le soleil fait rouler ses rondelles d'ananas pour vérifier les impasses.

 

Oui, pourquoi pas. Le soleil compose en effet parfois des labyrinthes avec des salades, des céleris et des oignons, les salades de la salacité, les céleris de la célérité et les oignons de l’ignorance. « On n’improvise pas des labyrinthes » note Hervé Bouchard dans sa Causerie Ecrite. Eh bien, le soleil serait peut-être ce qui y parvient parfois. Le soleil improvise des labyrinthes comme il ouvre des boites, comme il ouvre des boites de pendus.   

 

 

Post-scriptum.

 

Accepterais-tu de m’envoyer le texte de W.G Sebald à propos de Thomas Bernhard. Je n’ai jamais lu Sebald même si j’ai toujours eu un préjugé favorable à son égard. A chaque fois que j’ai lu des extraits de ses textes, j’ai toujours trouvé ça intéressant. Reste cependant à savoir si c’est aussi intensément imaginatif. (Je me méfie un peu en effet des auteurs contemporains allemands. G. Grass ou H. Hesse par exemple, quel ennui. Peter Handke à l’inverse, j’aime bien, ça me plait.)   

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt                         Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Inscrit sur un ruban de papier envoyé par la poste en compagnie d’un numéro d’Europe à propos de Thomas Bernhard et de trois disques de Léonore Boulanger (Les Pointes et les Détours, Square Ouh là là et Feigen Feigen).

 

 

 

La continuité visuelle est la longue glissade de sel de la mer pour le sérieux d’homme grenouille des étourdis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel, 

 

 

 

Merci pour l’envoi postal. Je lirai et surtout écouterai l’ensemble de cela avec attention. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                   A Bientôt                         Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Boire la tasse à l’intérieur d’une baleine 

 

 

 

 

Bonjour Boris et merci pour ce vertigineux Toboggan du tombeau, 

 

 

 

j'allège les sabots des poux qui font avancer le chapeau de mes cheveux. 

 

Mais depuis hier : " il butait sans cesse contre son os frontal". une phrase de Kafka je crois.

 

 

 

Nous sommes bloqués au dessus de nos jambes, et les premiers insectes de la saison passée sont bloqués entre leurs ailes de vélocité, certains poètes débloquent le centre des insectes, rajoutent des pattes dans le revers des chapeaux. Le chapeau court sur le sol du crâne humain qui est plus un roulis qu'un sol, le crâne humain est comme la mer qui est la seule à faire rouler ses dos-d'âne.   

 

 

 

Merci pour la tête de Macedonio Fernandez qui est vraiment comme une maison d'habileté, il y a toujours une pièce où s'enfermer sans son cerveau.

 

j'aime le nouveau venu et ses renversements : le trottoir qui bondit sur la tête du chuteur.  

 

" Patchinsev se frappa la base du crâne où le cerveau doit se resserrer pour laisser place à l'intelligence" Andreï Platonov.

 

 

La spirale de la maison d'habileté du bernard l'hermite où l'on peut penser sans jamais voir son cerveau.

 

Tu connais sans doute le monumental "Paradisio" du cubain José Lezama Lima.   

 

 

 

Quelques pages lues de Serge Pey. 

 

 

Le fantastique rural des villages catalans où les radiateurs bombent le torse, les radiateurs ont une bombe de chaleur dans le torse, ils pensent être responsables du sud, de la sudation, de la suée même des rues.  Le lyrisme surabondant là où l'été est un touche à tout.  

 

Au pays catalan les gamins sont énervés de grandir. Ils grandissent : ils poussent du cou dans l'écharpe du sentier. Ils ont des beignets dans le ventre, ils caracolent, la tripe mal assise sur le glissant des beignets, les pierres ont le ventre retourné avec ce poids de friture. Ils caracolent avec les chèvres dans le viseur des ravins. Enfin, Il y a la série d'oncles lyriques aussi. On grandit avec la série d'oncles lyriques. Il faut se battre contre ses coups de soleil et la série d'oncles lyriques. Pey cabosse les coups de soleil, ratatine les R dans la bouche du pays, s'intercale dans la série d'oncles lyriques, et chamboule ainsi toute la chaine d'images transmise par les oncles. Il fait tout ça de manière lumineuse, un peu comme un soleil tape sur les doigts surabondants de l'été. Je t'avais parlé de mon anagramme je crois. "Jean-Daniel Botta / J'ai l'été abondant".  

 

Enfin c'est un peu confus.

 

 

 

Avez-vous jamais parlé de Gaston Bachelard, Albarracin et toi ?  

 

 

 

À propos de la continuité visuelle, Je crois que Casou a des accès de tangage qui trouble la continuité visuelle ou "continuité solide du rien", de "l'air de rien". Casou tombe dans "l'air de rien".  L'air mimétique de "l'air du rien" qui fait un mirage dur, une eau de solidité lorsqu'une plaque de continuité manque à l'appel du visible. Casou suppose que le monde est fait de plaques de visible posées sur un grand déhanchement, Casou cherche sans savoir : l'air de rien ou l'eau de chute, ses trous de chance comme il dit.  Son corps voudrait entrer dans le grand déhanchement du monde, les sous-sols avec les engrenages biomécaniques du haut Poitou, c'est pour ça qu'il tombe dans ce qu'il appelle aussi les parties molles de la planète. Les deux-sèvres sont les parties molles, il y a de l'eau de chute pour les grenouilles et le sérieux des hommes.  Et cette phrase de Platonov encore : " La barque tanguait à cause de la respiration du rameur " 

 

 

La continuité visuelle c'est peut-être aussi regarder dans la longue vue de la glissade. "La droite amphibie de la voix" ! ! ! Ah ça me donne envie de boire beaucoup, c'est parfait aussi pour parler dans "plusieurs océan à la fois". Mon bavard utilise le langage comme un sonar, es mots rebondissent sue ce qu'il y a de dangereux et il passe,  mais il voudrait se taire,( c'est plus héroïque) alors les mots disparaissent et c'est des chutes. 

 

 

 

J'essaie d'emporter une flaque en nageant jusqu'à la mer. 

 

  j'avais écrit ceci à la suite du plongeon dans la continuité visuelle : 

 

Bontel : une canne à pêche sort de sa bouche pour rembobiner les poissons avec les nerfs des gens

 

La canne à pêche du cri, "la droite amphibie de la voix du sauveur " qu'on plante dans l'eau de chute.

 

Je pense aussi à la droiture du spaghetti, les spaghettis sont amphibies. 

 

Je viens juste de faire tomber une passoire, elle n'est pas passée à travers sa chute, elle n'a rien filtré du bruit de chute.

 

 

 

Petit extrait  :

 

 

Ils regardent la boule de paysage au fond de l'autoroute, ça ressemble à un plat de spaghetti vibrants. Une boule de spaghetti vibre comme le paysage. Et le goutte à goutte de l'autoroute, les lignes écrasées, prouvent qu'il y a une fuite dans le lointain ça fuit là-bas. L'autoroute accélère le départ du paysage, la vitesse démêle un à un les spaghettis dans la sauce tomate du lointain, la sauce tomate est le sang des spaghettis qui se blessent désespérément d'être emmêlés dans le lointain. Prendre l'autoroute c'est poursuivre le sang des spaghettis qui sont une boule de lointain qui fuit à contre sens. 

 

 

"Ma bouche joue au bilboquet avec mon visage".  je vois Jim Carrey qui avale les cameras une à une, la longue file de caméras avalées par Jim Carey pour faire un film.

 

 

 

Je dois faire taire un héros de bavardage : 

 

Il se mit à rouler sa langue pour faire de la place au bateau de salive du motus, celui qui écoute a un bateau de salive dans la bouche, il voulait être la figure de proue de son propre visage, la figure de prouesse du motus.

 

 

 

Boire une tasse de clarté à l'intérieur d'une baleine. Sing Sing chante "la nuit est un ventre de baleine". 

 

La baleine de clarté est merveilleuse et "Gestes" va certainement remuer l'automne comme jamais.

 

 

 

 

 

 J'avais aussi une nageoire comme force motrice des expressions : 

 

 

 Les vieux ont des nageoires sur le visage parce que l'air a le lourd de l'eau pour le déplacement de leurs expressions.

 

 

 

 

"Il fait superbe aujourd'hui, proféra Tchepourny d'une manière détachée. Toute la chaleur de l'homme ressort." Tchenvengour - Platonov)

 

 

 

 

 

Jean-Daniel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mosaïque du Temps

 

 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel,

 

 

 

 

 

Oh Jean-Daniel, comment dire, tes phrases s’enrubannent et se dérubannent aussi délirantes que belles. 

 

Je viens juste de faire tomber une passoire, elle n'est pas passée à travers sa chute, elle n'a rien filtré du bruit de chute. 

 

Tu es à l’évidence un virtuose de l’imbroglio, un virtuose de l’obsession, un virtuose de l’imbroglio de l’obsession.

 

 

 

le monumental "Paradisio" du cubain José Lezama Lima 

 

De Paradisio, je me souviens surtout de ce fragment de phrase sidérant « la bouche où dormir les jours de pluie ». Il y aurait une ressemblance entre ta manière d’écrire et celle de Lezama Lima, l’aptitude au décalage mental, à cette très grande différence près cependant que ce que Lezama Lima accomplit par glissement d’énorme reptile savant et érudit, tu l’accomplis plutôt par glissade spontanée des tympans, à l’instant où tu transformes les tympans en patinoire rétinienne de l’homme-grenouille. 

 

Ton évocation à la fois confuse et oblique de Pey, je trouve ça plutôt bien. Surtout ceci

du sud, de la sudation,

 

et encore cela,

 

ils poussent du cou dans l'écharpe du sentier.

 

et puis aussi 

 

un peu comme un soleil tape sur les doigts surabondants de l'été.

 

 

Serge Pey écrit en effet un peu comme le soleil, comme le soleil qui épelle des y grecs au zénith, comme le soleil qui épelle des y grecs au zénith des doigts, au zénith zen des doigts, les y grecs des yeux crevés par le vol des hirondelles.

 

 

 

Mon bavard utilise le langage comme un sonar,

 

Je dois faire taire un héros de bavardage :  

 

Ce problème de savoir comment apprendre au bavard à se taire, c’est parfois aussi celui posé par les livres de Robert Pinget, je pense en particulier au Renard et la Boussole, Mahu ou le Matériau et Entre Fantoine et Agapa. Il y aurait d’ailleurs aussi des ressemblances thématiques entre tes textes et ceux de Pinget. Ceci par exemple 

 

Nous sommes bloqués au dessus de nos jambes, 

 

à rapprocher en l’extrapolant aux poumons d’un extrait de Entre Fantoine et Agapa. « Après les pluies qui comblent les ornières vient la saison des brouillards durcissants. Ce sont des vapeurs sèches qui émanent de fossiles. Extrêmement denses, elles flottent quelques jours au niveau des hautes herbes pour se répandre ensuite à la hauteur des poumons humains. La réaction organique des indigènes est immédiate : ils grandissent jusqu’à l’émersion de l’appareil respiratoire. »

 

 

A ce propos de la stylisation du bavardage, j’avais écrit ceci à l’intérieur des Conversations avec Eric Chevillard.  

 

Existe-t-il une forme de bavardage inventif ? C’est un problème posé par Gertrude Stein et Henry Miller. J’essaie de composer ici un bavardage de lectures. Lire est aussi une manière de parler aux doigts de la pluie et aux yeux du vent. 

 

Une hypothèse. J’ai le sentiment que tu devrais amplifier de manière insouciante et éhontée une forme d’écriture en mosaïque. C’est-à-dire ne pas essayer d’imposer une continuité de la narration ou une continuité du discours, étant donné que ton obsession de la continuité visuelle par son insistance même suffit pour maintenir une continuité mentale. Déjà, si tu parviens à trouver une forme de composition par simple contigüité, il me semble que tu as une forme, une forme byzantine disons. Tu inventerais ainsi un byzantinisme de l’ahurissement, byzantinisme par lequel tu parviendrais à traverser le corail de spaghettis de l’horizon, le ghetto de spaghettis de l’horizon à la manière d’une grenouille-bison. Je veux dire obtus comme la grenouille et bondissant comme le bison. (L’imbroglio c’est précisément cela, une manière d’inventer une hybridation de grenouille et de bison.)

 

 

les radiateurs bombent le torse 

 

Les radiateurs bombent le torse comme les toreros des murs, comme les toreros radieux des murs, comme les toreros de la frilosité des murs, comme les toreros des mufles de frilosité des murs. 

 

 

je vois Jim Carrey qui avale les cameras une à une, la longue file de caméras avalées par Jim Carey pour faire un film. 

 

Carrey gobe les caméras comme des poupées russes. Carey gobe les caméras comme des œufs-poulpes. Carrey gobe les caméras comme des poulpées russes, les poulpées-russes de la démence.

 

 

la tête de Macedonio Fernandez qui est vraiment comme une maison d'habileté, il y a toujours une pièce où s'enfermer sans son cerveau.

 

La spirale de la maison d'habileté du bernard l'hermite où l'on peut penser sans jamais voir son cerveau. 

 

Oui il existe en effet une maison de l’habileté, une maison de la virtuosité même, une maison de la virtuosité humble, la maison de virtuosité humble de l’extase. J’ai le sentiment que cette maison de virtuosité humble de l’extase c’est celle du temps. Comment transformer le temps en demeure, en demeure de silence de l’incendie comme en demeure d’incendie du silence. C’est le problème de l’ascèse d’écrire.  

 

 

Imaginer la forme du temps comme celle du jeu de go. Les instants ainsi s’assembleraient, se juxtaposeraient, s’agglutineraient et même s’amalgameraient en une nuée de points contigus, en une nébuleuse de points contigus, une constellation de points contigus. Malgré tout les instants ne se succéderaient pas sur une même ligne ou un même cercle, les instant se juxtaposeraient et s’associeraient selon une forme de contiguïté à la fois aléatoire et aussi intuitive ou symbolique. Un instant de janvier 1978 serait ainsi contigu à un instant de novembre 1990, un instant de juin 1985 serait ainsi contigus à un instant d’octobre 2002...  

 

 

Post-scriptum.

 

Je ne parle presque jamais de Bachelard avec Laurent. A propos de Bachelard il n’y a pour nous aucun mot à ajouter parce que nous avons le sentiment que son œuvre apparait intégralement exacte. Les noms de Ponge, Bachelard et Chazal apparaissent ainsi plutôt pour nous comme les indices immédiats d’une connivence tacite.  

 

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt                         Boris