Chat Allongé sur la Chaise du Vent.  

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel,  

 

 

le chat a fait atterrir un avion en bougeant les oreilles.  

 

Il y a en effet des avions à l’intérieur des oreilles des chats, des avions de velours, des avions de ravissement, des avions de velours ravi. 

 

 

J'ai l'impression que le chat déplace les sons avec ses oreilles. 

 

Le chat déplace les sons avec ses oreilles comme si ses oreilles étaient des antennes de télépathie. Le chat dispose ainsi de la musculature des sons à loisir, de manière souverainement oisive, à la surface même de sa peau. C’est ce que dit aussi Laurent Albarracin dans 27 Sonnets « Ses pattes sont truffées d’entendre et d’une précaution à ouïr. » Ainsi le chat parvient à déplacer les sons avec les pattes télépathiques de ses oreilles et aussi avec les oreilles d’anticipation qu’il a sous les pattes. Et quand le chat ronronne c’est qu’il fait des ronds, des ronds de sonars avec le râle spiralé de ses oreilles, de ses oreilles lovées à l’intérieur de ses pattes comme de ses pattes lovées à l’intérieur de ses oreilles. Quand le chat ronronne, il résonne, il respire comme il résonne, il respire sa résonnance même, il respire le ravissement de sa résonnance. Quand le chat ronronne, il devient le diapason de sa fourrure, le diapason de l’élasticité de sa fourrure, le diapason de son pelage, le diapason d’élasticité de son pelage. C’est pourquoi aussi ce que le chat préfère en l’homme c’est la tension même de sa tranquillité, c’est le ressort de sa paix, le ressort de sa disponibilité, le caoutchouc de son calme, le ressort de caoutchouc de son calme, le charme de son calme, le charme de caoutchouc de son calme. Quand le chat vient s’allonger sur nos genoux c’est qu’il a senti une intensité de disponibilité, une pulsion paradoxale de disponibilité, une pulsion paradoxale de paix, une volonté de repos, une volonté de repos pourtant vigilante et inquiète. (Pascal Quignard a très bien parlé de cela dans son livre Mourir de Penser. « Les chats aiment la tension nerveuse. Elle les attire comme une chaleur, comme un mouvement d’ondes, comme une électricité. Les chats s’approchent irrésistiblement des êtres immobiles, inquiets, soucieux - ou même des êtres qui eux-mêmes s’approchent de la mort dans la plus grande stupeur. (…) Les chats aiment la pensée. (…) Ils se dirigent là où la pensée est la plus chaude. La concentration mentale hèle leur corps dandinant. L’activité mentale de leur maitre, ou d’un autre chat, ou de n’importe qui (un petit mulot qui a peur, un écureuil qui tremble), les appelle comme un pôle magnétique. C’est l’agitation de la pensée (…) qui les rend heureux. Les contenus de la pensée (…) leur sont parfaitement indifférents. L’effervescence électrique de l’autre corps est comme un pôle de faïence tout chaud, (…) auprès duquel ils se sentent bien. »  

 

 

l'homme rêve d'un son capable de décaler l'escalade des oreilles,  

 

Il y a une escalade à l’intérieur des oreilles, à savoir à la fois un escalier et une cascade, l’escalier d’une cascade. A l’intérieur des oreilles tourbillonne l’escalier de la cascade des sons. A l’intérieur des oreilles tourne la roue de moulin des sons. A l’intérieur des oreilles à la fois s’enroue et s’ébroue la roue de moulin des sons, à la fois s’enroue et s’ébroue l’escalier de la cascade des sons. (Et qui sait même les cartilages des oreilles seraient quelque chose comme les fossiles des sons, les fossiles du tournoiement des sons, les restes fossiles du tournoiement des sons.). Il y aurait à ce propos une cartographie des cartilages à accomplir  afin de comprendre les trajectoires des sons, à savoir par exemple les trajectoires de résonances entre les mâchoires, les poignets, les coudes, les genoux et les chevilles. Les musiciens doivent sans doute en faire l’expérience à chaque fois qu’ils jouent et pourtant ces circulations (ces court-circuits) cartilagineux des sons restent le plus souvent inexprimées. En effet les sons à la fois se télescopent, se microscopent et se magnétoscopent parmi les cartilages du corps, parmi la mosaïque de cartilages du corps. Le réseau des cartilages (le rhizome des cartilages) serait une sorte de partition organique des sons, une grille de partition bizarre parce qu’à la fois entrouverte et entrefermée parmi le corps.

 

 

la santé d’hélicoptère du chef d'œuvre  

 

Oui, la formule me plait. Il me semble que c’est une manière efficace de réécrire et d’amplifier avec brio la formule de gyrophare de la grande santé que j’avais adressé à Florian. C’est surtout hélicoptère du chef d'œuvre qui me charme. La proximité presque anagrammatique des deux mots et l’aspect explosif de leur rapprochement. Le chef d’œuvre évoque en effet d’abord l’extrême attention manuelle du Moyen Age et cela contraste alors avec l’aspect moderne du mot hélicoptère. C’est ainsi comme si tu parvenais à faire tourner la tête du chef d’œuvre avec la main de l’hélicoptère et aussi la main du chef d’œuvre avec la tête de l’hélicoptère. Hélicoptère, quel mot magnifique, étymologiquement cela veut dire « hélice d’ailes » si je me souviens bien. Etrangement, l’hélicoptère m’a toujours fait penser à la coccinelle. L’hélicoptère serait une sorte d’hybridation de coccinelle et de ptérodactyle.  

 

alors son nez d'enfant est un marque-pages, 

 

Il y aurait ainsi une typologie du marque-page à effectuer. Ceux qui marquent les pages avec le nez, avec le nez de l’inquiétude ou le nez du clown. Ceux qui marquent les pages avec les doigts, avec les doigts de l’idée ou les doigts de l’idiotie. Ceux qui marquent les pages avec les orteils, avec les orteils de l’attente ou les orteils de la dérision. Ceux qui marquent les pages avec les cils, avec les cils de l’ennui ou les cils de la félicité. Ceux qui marquent les pages avec les dents, avec les dents du doute ou les dents de la hargne. Ceux qui marquent les pages avec les poils, les poils de la pusillanimité ou les poils de l’épouvante. Ceux qui marquent les pages avec les cheveux, avec les cheveux de la vigilance ou avec les cheveux du rêve. Ceux qui marquent les pages avec les ongles, avec les ongles de l’orgueil ou les ongles de l’élision. Ceux qui marquent les pages avec les paupières, les paupières de la politesse ou les paupières de l’impatience.   

 

Je relis — pour perdre le vent autour de mon chapeau 

 

avec cette "cantate de vide confus " 

 

A propos de la musique et du vent je viens de lire il y a quelques semaines ces phrases à l’intérieur de deux livres d’Olivier de Kersauson (Le Monde comme il me Parle et Océan’s Song. 

 

« J’aime me servir de mes oreilles pour entendre ce qui se passe autour de moi ; c’est pourquoi je n’écoute pas de musique (ou peu) car j’aime être dans l’ambiance. J’aime la musique seulement quand je vois le bonheur de ceux qui la jouent ou quand elle s’échappe d’une fenêtre – parce qu’ainsi elle appartient au décor. » 

 

« Je n’écoute jamais de musique. Très handicapé sur ce sujet. Aucune oreille. C’est parce que je suis rempli du bruit du vent. » 

 

« Tous les océans possèdent leur propre bande-son. C’est ce trésor sonore que je recherche depuis quarante ans. L’Indien donnera un son plus grave ; le Pacifique plus métallique ; l’Atlantique livrera un son plus chaud. (…) Les marins sont au fond des accordeurs de piano. On change d’amures et soudain le fa dièse que donne le bateau est celui que l’équipage cherchait depuis cinq heures à la manœuvre. Chaque mer est une partition qu’il faut déchiffrer. Le Pacifique, à ce propos, tient de l’œuvre compliquée à exécuter. C’est aussi le plus grand instrument à vent du monde. » 

 

 

Parler : mettre des poissons dans la chapelure de chute du scaphandrier.

 

Parler Parler : frictionner les fesses de profondeur du scaphandrier.

 

Parler Parler Parler : faire tourner l'embonpoint de scaphandrier dans les épluchures de la pesanteur.  

 

 

A propos de la parole et du scaphandre. Je t’envoie en réponse quelques extraits de Gestes. 

 

 

Parler comme ouvrir la fenêtre de l’au revoir avec la main du ciel. 

 

Parler comme ouvrir la fenêtre d’une clef. Parler comme ouvrir la fenêtre d’une clef à  l’intérieur du tonnerre de hasard du silence. 

 

Parler comme ouvrir une fenêtre d’ascèse à l’intérieur du volcan de l’utopie. 

 

Parler comme ouvrir une fenêtre à l’intérieur d’un geyser de hurlements. Parler comme ouvrir une fenêtre de ravi de vous rencontrer à l’intérieur du séisme de merci beaucoup du silence. 

 

Parler comme ouvrir la fenêtre de son front et fermer la porte de sa bouche. Ecouter comme fermer la porte de son front et ouvrir la fenêtre de sa bouche.

 

Parler comme un mur qui danse. Parler avec sa disparition comme un mur qui danse. 

 

Parler afin de devenir l’arbre de translucidité animale de l’amnésie. 

 

Porter la chute debout de la bouche sur ses épaules jusqu’à parler comme l’imminence d’obscénité de la pesanteur vole. 

 

(…) 

 

Utiliser un scaphandre de larmes afin de lire à l’intérieur du feu. 

 

Utiliser un scaphandre de paupières afin de toucher la disparition de ses larmes. 

 

Utiliser un scaphandre de pluie crucifiée afin de lire à l’intérieur de la terre. 

 

Utiliser le scaphandre de fascination de l’eau afin de lire à l’intérieur de la terre. 

 

Utiliser le scaphandre de strip-tease du sang afin de lire à l’intérieur du vide. 

 

Composer un scaphandre avec le feu de la conversation. Composer un scaphandre avec un incendie de paroles. 

 

Utiliser un scaphandre de baisers analphabètes afin de toucher le sommeil de l’illisible.

 

 

 

Monk ne s'assoit pas sur un tabouret, il s'assoit sur Monk.  

 

Et pour répondre aussi en marge de cette magnifique formule, je t’envoie des extraits de Serge Pey à propos de la chaise. 

 

 

« Nous avons une chaise 

qui regarde le monde 

où jamais nous nous asseyons

 

 

Nous avons une seconde chaise 

où nous nous mettons debout 

pour saluer le Monde 

et une troisième 

que nous brandissons 

les pieds en avant 

pour défendre l’entrée du monde 

 

 

Mais il y a aussi 

une chaise 

que nous ne possédons pas 

et qui brûle seule 

dans la cheminée 

simplement 

pour voir une colombe 

sortir du feu 

 

 

Enfin il y a cette chaise que 

nous oublions toujours 

assise sur une autre chaise 

à laquelle nous laisserons 

notre veste quand nous serons 

partis.   

 

 

 

 

En lisant " À oui" j'avais l'impression de souffler dans la sinusite des ballons de baudruche des têtes humaines avec le cabriolet de ma bouche.  

 

La pensée se fait dans la bouche disait déjà Tzara. Ou plutôt ce qui s’élabore à l’intérieur de la bouche, à l’intérieur de la demeure de la bouche, à l’intérieur de la cathédrale de la bouche, c’est l’imagination.

 

 

 

Je trouve que Charles Pennequin arrive par moment à faire faire une AVC au gâteau de langage,   

 

En effet, le gâteau du langage, la formule est intéressante. Pour parler, il serait alors nécessaire de préparer les œufs et la farine du langage, parfois les œufs de la syntaxe et la farine du lexique et parfois aussi à l’inverse les œufs du lexique et la farine de la syntaxe. 

 

J’ai toujours eu un sentiment ambivalent envers l’œuvre de Pennequin. Je trouve ça à la fois indiscutablement puissant, comme du Novarina brutal. Et pourtant il y a chez Pennequin un aspect qui me gêne et même qui m’agace. Disons sa façon de rejouer le rôle d’Artaud, (qu’il saupoudre d’un peu de Beckett, celui de L’Innommable). Et ce qui me gêne aussi c’est la contradiction existentielle entre sa pensée et le statut social qu’il a accepté, celui de gendarme. La manière de résoudre la contradiction ce serait d’essayer d’imaginer Pennequin comme un gendarme d’un film de Dumont, pourquoi pas d’ailleurs après tout. 

 

 

Faut que je dise chef-d’oeuvre parce que ça m’a ouvert le blessé, faut s’ouvrir le blessé pour penser ça,   

 

Oui, en effet, c’est superbement dit. Pennequin s’ouvre le blessé pour penser. Pennequin patauge dans la plaie, dans la mesquinerie même de la plaie, Pennequin patauge dans la purulence mesquine de la plaie d’être homme. Et comme pour Artaud c’est à la fois ce qui fait sa puissance et sa limite. Pennequin à la fois ouvre sa blessure et en même temps, il s’emprisonne dans l’ouverture même de cette blessure, il s’enferme stricto sangsue parmi cette blessure béante, il en devient en quelque sorte le vampire, le vampire du pire, le vampire du pire un peu complaisant. Bon cela dit, Pennequin c’est superbement scandé, ça a de la gueule, de la gueule de pourriture, de la gueule de pourriture scintillante, de la gueule de pourriture incandescente.   

 

« La Ville est un Trou » ce serait Artaud plus la télévision (et peut-être même du Artaud télévisé.) Pour Pennequin le flux de conscience est en effet désormais identique au flux des électrons télévisuels. Penser pour Pennequin c’est alors une façon de touiller des pixels de merde.   

 

Donc Pennequin, ça bouillonne et ça brouillonne « Je suis un homme brouillon. ». C’est un peu l’équivalent littéraire des premiers Dubuffet. Cependant ce qui manque à Pennequin, c’est la stylisation imparable de ce bouillonnement brouillon, en effet à la différence de Dubuffet, Pennequin n’a pas trouvé son Hourloupe. (C’est peut-être parce que l’obsession sexuelle le hante trop. Chaque imprécation de Pennequin semble en effet à la fois inscrite et gommée en employant le pénis du quelqu’un.). 

 

La limite de Pennequin, c’est qu’il ne creuse que sa propre nullité, la propre nullité de son moi. Pennequin remarque par exemple « Tout a été dit et fait, certes, sauf nous. Moi je n’ai pas été fait. Rien n’a été fait de moi encore. » Alors parce qu’il est enfermé dans la nullité de son moi, Pennequin ne voit pas que cette modification qui s’accomplira pour lui, s’accomplit aussi toujours déjà pour les autres. Et s’accomplit aussi surtout toujours déjà pour le monde, et cela simplement parce qu’à la fois le monde existe et le monde reste malgré tout à chaque instant à inventer. Ce qui manque très profondément à Pennequin, c’est la sensation de la présence du corps, la sensation de la présence du corps à l’intérieur du monde « Je ne sais pas ce que c’est que le corps. ». Ainsi parce que Pennequin pense à la fois qu’il est l’unique instance apte à se modifier et que le monde n’existe pas, il est alors obligé de conclure que l’unique modification à venir, c’est la mort. « Rien n’a été fait car je suis pas encore mort. ». Il y a ainsi une morbidité ontologique dans l’attitude de Pennequin, une morbidité ontologique qui serait comparable à celle de Céline, cette idée selon laquelle la mort est la vérité, la vérité exclusive. 

 

 

Le service-volée des tourterelles reste bloqué dans la pizza du jardin.  

 

Ah ça, cela me plait aussi. Cela évoque superbement l’enchevêtrement à la fois filandreux et sirupeux de la chaleur. Et puis aussi malgré tout l’élan, les ailes de Wimbledon coincées dans une sorte d’engluement de l’atmosphère, d’engluement plasmatique de l’atmosphère. La pizza dont tu parles ce serait celle du plasma, celle du plasma de l’atmosphère, celle du plasma zénithal de l’atmosphère. 

 

 

Loup Uberto. Le capharnaüm où il joue et chante en compagnie de Léonore cela ressemble à du Chaissac, du Chaissac sophistiqué, à un grenier charivaresque de Chaissac. Chaissac c’est à dire celui qui essayait de transformer les chaises en sacs, en sacs du vent et aussi le vent en outil, en outil du sommeil, en outil trampoline du sommeil. Loup Uberto. Et sa manière quand il joue et chante de dodeliner de la tête non loin du presque hurlement. 

 

 

 

 

                                                                                                   A Bientôt                         Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Jean-Daniel,  

 

(…) 

 

J’ai retrouvé ces phrases de Sens Plastique de Malcolm de Chazal. 

 

« L’ouïe est un aimant qui pulse, et qui prend, relâche et reprend les sons en courtes touches pressées, créant un brouhaha intermédiaire, qui sert de toile de fond harmonique aux solos de première ligne, et que l’effet d’accoutumance change en coussins de silence, pour embellir et clarifier tous les sons. Sans cette pulsation de l’ouïe, les sons n’auraient point d’assise dans l’oreille, et nous entreraient comme une dague ou une épée, et nous quitteraient tout aussi vite qu’entrés, par manque de terrain d’absorption. »  

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris