Marges de G. Perros

 

 

 

 

 

 

 

« Il y a quelque chose de stupéfiant dans l’été, quelque chose qui étouffe en faisant mûrir. »

 

 L’été stupéfie l’atmosphère. L’été stupéfie les yeux de l’atmosphère. L’été stupéfie les yeux de l’air. L’été stupéfie le hasard de l’atmosphère. L’été stupéfie le hasard de l’air. L’été stupéfie les yeux de hasard de l’atmosphère, les yeux de hasard de l’air. L’été stupéfie l’attente même de l’air. L’été stupéfie les yeux d’attente de l’atmosphère, les yeux d’attente de l’air. L’été stupéfie le hasard d’attente de l’atmosphère, le hasard d’attente de l’air.

 

 

 

« Le temps a passé, ce temps estival, inconsistant, entre je ne sais quels guillemets. »

 

L’été met des guillemets à l’atmosphère. L’été met des guillemets d’étincelles à l’atmosphère. L’été met de guillemets d’alacrité à l’atmosphère. L’été met des guillemets de tristesse à l’atmosphère, des guillemets d’alacrité triste à l’atmosphère.

 

 

 

« Je vois les moineaux  piquer à toute allure sur le miettes de pain jetées sur la place, on dirait qu’ils veulent se suicider. »

 

Les moineaux picorent les miettes de pain sur l’asphalte comme les pique-assiette du suicide.  Les moineaux déchiquettent les miettes de pain sur l’asphalte comme les pique-assiettes du suicide.

 

 

 

 

 

« Et puis, pourquoi, à partir du premier mot, ne recommencerait-on pas à gazouiller ? N’y a-t-il pas en nous toute une partie du langage dont les mots sont de secours, mais dont la nature est gazouillante. »

 

Il y a toujours quelque chose qui gazouille en deçà du langage, un gazouillis c’est-à-dire un bégaiement du chant. Ce qui gazouille en deçà du langage c’est la bêtise, la bêtise du besoin comme la bêtise de la pulsion. Ainsi à chaque instant en deçà du langage, le chant de la bêtise bégaie, le chant de la bêtise bégaie comme gazouillis du besoin. Ainsi à chaque instant en deçà du langage le gazouillis du besoin affirme le chant de bégaiement de la bêtise.

 

 

 

« Tout l’ennui, et le charme, ne viendraient-ils pas du fait évident que le langage n’est pas un instrument rationnel (…).Qu’il faille parler, oui, à n’importe quel prix. Mais il est bien  certain que les mots  éprouvent le besoin de déposer, de bien vieillir. Le reste ne nous « regarde » pas. » »

 

Il y a une irrationalité de la parole. Il y a une démence de la parole. Et en effet la parole a besoin de se reposer. Et ce que la parole a besoin de reposer c’est précisément sa démence. L’écriture apparait ainsi comme ce qui parvient à reposer l’irrationalité même de la conversation, comme ce qui parvient à reposer par miracle la démence de la parole.

 

 

 

« Peut-être parce que le langage n’a pas de sexe. »

 

Le langage a un sexe selon le désir de celui qui parle. Le langage a un sexe pour ceux à qui cela plait. Le langage a un sexe pour celui à qui cela a le loisir de plaire.

 

 

 

Avoir un sexe différent à chaque parole. Avoir un sexe à l’instant de dire les noms, un autre sexe à l’instant de dire les adjectifs, un autre sexe à l’instant de dire les verbes, un autre sexe à l‘instant de dire les adverbes, un autre sexe à l’instant de dire les articles, un autre sexe à l’instant de dire les prépositions, et un autre sexe à l’instant de dire les conjonctions de coordination.

 

 

 

« Les hommes font l’amour entre eux avec des mots, parce qu’ils risquent rarement d’être beaux. Alors qu’une femme ne peut jamais tout à fait s’abstraire de son physique. »

 

L’homme abstrait son anatomie par la parole. L’homme essaie d’abstraire son anatomie par la précision de la parole. A l’inverse la femme abstrait sa parole par son anatomie. La femme essaie d’abstraire sa parole par la précision de son anatomie. L’homme essaie d’abstraire sa chair par la forme précise de sa parole. A l’inverse la femme essaie d’abstraire sa parole par la précision de sa chair, par la précision cosmétique de la chair, par l’exactitude cosmétique de sa chair. La femme essaie d’abstraire la parole par la parure de la chair, par la parure de précision de la chair.

 

 

 

 

 

« On aura jamais tout dit tant qu’il y aura des hommes, parce que le fit même qu’ils existent  empêche la parole de faire le tout complet. Elle rencontre l’homme sur sa route. Il la mange, la rejette, et ainsi de suite. Au fait, je me demande  si le Christ avait beaucoup lu. Et quoi ? Le langage sort de l’âme, vous le savez mieux que moi, et il n’y a pas d’autre issue. »

 

L’homme serait ainsi ce qui s’interpose au tournoiement de la parole. L’homme ce serait ce qui fait obstacle au tournoiement de la parole, ce par quoi le tournoiement de la parole s’interrompt. Le Christ à l’inverse serait celui qui vient pour accomplir le tournoiement intégral de la parole. Malgré tout ce tournoiement intégral de la parole le Christ l’accomplit aussi en tant qu’homme. Ce que le Christ essaie d’inventer une incarnation anthropomorphe par laquelle la parole parvient enfin à faire le grand tour. Le Christ essaie ainsi d’affirmer le tour transfini de la parole.

 

 

 

« Je me demande si le Christ avait beaucoup lu. Et quoi ? »

 

Deux manières d’envisager le Christ. Ceux pour qui le Christ a lu la Bible et ceux pour qui le Christ n’a pas lu la bible. Les chrétiens seraient ceux qui croient inconsciemment que le Christ a lu la Bible. A l’inverse l’athée c’est celui qui sait et parfois même celui qui a la sensation que le Christ n’a pas lu la Bible. D’autres hypothèses encore. Ceux pour qui le Christ a écrit la Bible. Et aussi ceux pour qui le Christ a à la fois écrit et lu la Bible. Ceux enfin qui ont l’intuition plus subtile et plus démente que le Christ a écrit la Bible sans l’avoir lue.

 

 

 

« Parce que le mépris du Christ pour la presque totalité de la vie, et son amour pour le résidu, sont bien plus grands que les mêmes mouvements chez le plus grand poète, chez qui il a toujours au moins un peu de vanité. »

 

Celui qui écrit essaie ainsi d’affirmer à la fois le mépris du Christ et l’amour du Christ, la forme de mépris et la forme d’amour du Christ. Celui qui écrit essaie d’affirmer le mépris d’amour comme l’amour de mépris du Christ.

 

 

 

 

 

 « L’œuvre d’un homme couché ne ressemble pas à celle d’un homme debout. »

 

L’œuvre d’un homme couché révèle parfois celle d’un homme debout. L’œuvre d’un homme couché révèle parfois l’œuvre d’un homme debout sans malgré tout lui ressembler. L’œuvre d’un homme couché révèle parfois les intentions ou le caractère d’un homme debout en dehors de la ressemblance.

 

 

 

« Il n’a a plus grand monde pour assumer la « bêtise » du monde, chacun se fabrique son petit instrument chirurgical. »

 

Affirmer la bêtise du monde. Affirmer la bêtise du monde sans malgré tout l’assumer, sans porter la bêtise du monde en tant que fardeau, en tant que fardeau de la subjectivité.

 

 

 

Affirmer la bêtise du monde par la virtuosité du sommeil. Affirmer la bêtise du monde par la virtuosité chirurgicale du sommeil. Affirmer la démesure de bêtise du monde. Affirmer la démesure de bêtise du monde par l’extase du sommeil, par la virtuosité d’extase du sommeil. Affirmer la démesure de bêtise du monde par la virtuosité d’extase chirurgicale du sommeil, par la virtuosité d’extase exacte du sommeil.

 

 

 

« Habiter à nouveau ma bêtise, dure comme une gale, résistante, têtue. Et que paradoxalement, j’ai la sensation de protéger. Enorme poche de silence, inattaquable, comme la beauté. »

 

Affirmer la bêtise de la beauté. Affirmer la bêtise de silence de la beauté. Affirmer la bêtise de la beauté par la virtuosité du sommeil. Affirmer la bêtise de silence du sommeil. Affirmer la bêtise de silence de la beauté par la virtuosité d’extase du sommeil. Affirmer la bêtise de silence de la beauté par la catastrophe d’extase du sommeil. Affirmer la bêtise de silence du monde par la catastrophe d’extase du sommeil. Affirmer la bêtise de silence du monde par la catastrophe d’extase exacte du sommeil.

 

 

 

 

 

« Un couple décrète un troisième le sexe, qui les enveloppe, qui peu à peu, les « siamoise ». Il n’y a d’érotisme que dans la solitude. »

 

L’amour siamoise la solitude. L’amour donne à sentir le sexe de la solitude. L’amour donne à sentir la siamoiserie de la solitude. L’amour donne à sentir le sexe siamois de la solitude. L’amour donne à sentir le sommeil de la solitude, le sommeil siamois de la solitude. L’amour donne à sentir le sexe du sommeil. L’amour donne à sentir le sexe de sommeil de la solitude, le sexe de sommeil siamois de la solitude.

 

 

 

 

 

« Quelque chose en moi ignore tout de « ma » vie ; un fil qui traverse indemne l’anecdote ; dont je me détacherai à ma mort. »

 

Il y a en marge de la vie une forme d’existence qui dédaigne cette vie, une forme d’existence exacte qui méprise la vie, une forme d’existence qui méprise les anecdotes et les aventures de la vie. Cette forme d’existence exacte apparait ainsi comme une suite d’aphorismes, la suite d’aphorismes de l’immortalité.

 

 

 

« Il est vrai qu’il y a des moments où l’on perd la face, où il vaut mieux vivre de profil ou de dos. »

 

Apparaitre mortel de face et devenir immortel de dos. Apparaitre mortel de face afin de devenir immortel de dos. Apparaitre mortel de face jusqu’à apparaitre immortel de dos.