Notes à propos de Twin Peaks le Retour

 

 

 

 

 

Le monde de Twin Peaks le Retour c’est celui de M. Mc Luhan à savoir celui de l’électricité comme système nerveux universel autrement dit celui d’« un organisme qui a le cerveau en dehors du crâne et les nerfs à l’extérieur de la peau ». Le problème de Twin Peaks le Retour c’est ainsi d’essayer de transformer l’électricité en visage, c’est d’essayer de donner un visage à l’électricité, c’est d’essayer de donner un visage éthique à l’électricité.

 

 

 

« Comment a-t-on décidé qu’une prise de courant aurait la forme qu’elle a ? » se demande Lynch à l’intérieur des entretiens avec Chris Rodley. Lynch dans Twin Peaks le Retour essaie ainsi de donner à voir le visage des prises électriques, le visage des commutateurs électriques, ou encore le visage de l’étrange machine dans l’interzone de la femme aux yeux cousus, ou enfin le visage de la machine Jeffries qui ressemble à la fois à une machine électrique et à une machine à vapeur, à une sorte d’horloge électrique à vapeur.

 

 

 

Twin Peaks le Retour apparait à l’évidence comme un film qui montre de manière inoubliable la fumée de l’électricité, la combustion de l’espèce humaine à l’intérieur de l’électricité, la combustion de l’espèce humaine à l’intérieur du feu de l’électricité. (Par exemple les plans superbes à la fois tarkovskiens et wellesiens de la combustion de la station-service, hybridation Tarkovski-Welles par laquelle Lynch retrouve alors le Lars von Trier d’Element of Crime.)

 

 

 

 

 

Lynch filme ainsi ce que devient la présence au monde à l’intérieur d’un univers intégralement électrifié. Comment avoir lieu, comment apparaitre à l’intérieur d’un lieu dans un univers hanté à travers l’électricité ?

 

 

 

Lynch révèle que le réseau électrique est désormais non seulement celui de l’univers, mais qu’il est aussi surtout celui de la multiplicité des univers. L’électricité pour Lynch c’est à la fois l’univers actuel et l’univers virtuel. L’électricité pour Lynch c’est l’instance à travers laquelle le corps humain et l’esprit humain ont désormais l’aptitude de circuler selon des univers multiples. (Il y a à ce propos une très grande importance des angles morts domestiques, des emplacements domestiques vides où s’accomplissent les surimpressions d’images de la loge noire - devant la cheminée, dans l’intervalle vacant d’un fauteuil, dans un coin de murs.)

 

 

 

Qui rêve ? se demande Lynch dans la scène de rêve avec Monica Bellucci. Dans Twin Peaks le Retour ce qui rêve ce n’est pas quelqu’un, ce qui rêve ce n’est pas une instance humaine. Dans Twin Peaks le Retour ce qui rêve c’est l’électricité elle-même. Ce que filme Lynch c’est le rêve même de l’électricité. Dans Twin Peaks le Retour c’est l’électricité qui rêve l’humanité, c‘est l’électricité qui rêve l’espèce humaine. Ou plutôt c’est le son de l’électricité qui rêve, c’est le son de l’électricité qui rêve l’espèce humaine. En effet dans les films de Lynch, l’image apparait toujours comme un rêve du son.

 

 

 

Ce rêve de l’électricité c’est le rêve de Nicolas Tesla étant donné que la très grande majorité des structures électriques que nous utilisons à notre époque sont des inventions de Tesla. A ce propos le corps de Tesla avait des caractéristiques extrêmement lynchiennes. Ceci par exemple qui serait à rapprocher de l’espace sonore d’Eraserhead. « A Budapest, je me flattais d’entendre le tic-tac d’une pendule qui se trouvait trois pièces plus loin. Une mouche se posant sur la table dans la pièce envoyait un bruit sourd dans mon oreille. Une voiture roulant à plusieurs kilomètres de moi parvenait à faire trembler mon corps. Le sifflement d’une locomotive, circulant entre 30 et 50 km plus loin, faisait vibrer le banc ou la chaise sur lequel je me trouvais, au point que la douleur pouvait devenir insoutenable. Le sol sous mes pieds n’arrêtait pas de remuer. Pour pouvoir dormir un tant soit peu, il fallait des coussinets en caoutchouc sous les pieds de mon lit. J’avais fréquemment l’impression que des grondements proches ou lointains devenaient des paroles qui auraient pu aisément m’inquiéter si je n’avais pas été en mesure d’en analyser les composants insignifiants. »  Nikola Tesla, Mes Inventions 

Ou encore ceci qui se retrouve partout dans les derniers films de Lynch : Fire Walk with Me, Lost Highway, Mullholand Drive, Twin Peaks, le Retour. « Lorsque j’étais un petit garçon, je souffrais d’un handicap singulier : l’apparition d’images, accompagnées souvent de puissants « flashes » de lumière, troublait ma perception des objets réels et interférait avec mes pensées et mes actions. C’étaient des images d’objets, de scènes que j’avais réellement vues, jamais imaginaires. Lorsqu’on me disait un mot, l’image de l’objet qu’il évoquait se présentait brutalement devant mes yeux, et parfois je ne pouvais dire si ce que je voyais était réel ou non. » 

 

 

 

 

Le visage éthique de l’électricité c’est celui de l’agent Cooper dans le chapitre 17 de la série. Ce qui y arrive se déroule et s’enroule alors à la surface du visage de Cooper ou plutôt à l’intérieur du visage de Cooper ou plutôt à l’intérieur de la surface du visage de Cooper. Ou pour le dire encore autrement ce qui arrive sans avoir cependant lieu s’imprime à la surface du visage de Cooper. Ce qui arrive sans avoir lieu apparait alors en surimpression à la surface du visage de Cooper. Le visage devient ainsi une étrange archive. Le visage de Cooper devient l’archive de l’électricité, l’archive des événements de l’électricité, l’archive de la réversibilité de l’électricité, l’archive de la révélation-révolution de l’électricité, l’archive des voltes de l’électricité, l’archive des voltes de fumée de l’électricité, l’archive des volutes de l’électricité, l’archive des volutes de fumée de l’électricité.

 

 

 

Un des grands problèmes posés par Twin Peaks le Retour, c’est ainsi celui de la relation entre le visage et l’espace. Est-ce le visage qui se trouve à l’intérieur de l’espace ou l’espace qui se trouve à l’intérieur du visage ? L’espace même du film semble donc s’imprimer sur le visage de Cooper. Ou encore les zigzags de la loge semblent imprimés sur le visage de Diane à l’instant où son visage se décompose. Il serait cependant préférable de dire plutôt que l’espace de la loge noire semble à la fois imprimé sur le visage de Cooper et autour du visage du Cooper et aussi qu’à l’intérieur de l’espace de cette loge, le visage de Diane à l’instant où il se décompose intègre alors en abime l’espace où son visage se trouve, l’espace où son visage se troue et se trouve. Ainsi dans le film de Lynch, le visage et l’espace apparaissent sans cesse comme l’abime l’un de l’autre, le visage apparait comme l’abime où l’espace s’abolit et l’espace apparait comme l’abime où le visage se désintègre.

 

 

 

Ou pour le dire encore autrement le visage vomit l’espace comme l’espace vomit le visage. Le visage crie l’espace comme l’espace crie le visage. (Et Lynch retrouve alors Bacon.) Et ce qui accomplit alors ce vomissement réciproque du visage et de l’espace, ce cri réciproque du visage et de l’espace c’est l’électricité, c’est l’événement de l’électricité. En effet à l’intérieur du cinéma de Lynch, l’électricité est le montage même, l’électricité est le montage à la fois aléatoire et absolu, le montage du hasard absolu. Ce que Lynch ne cesse de filmer c’est en effet la puissance d’ubiquité de l’électricité, c’est la puissance de montage ubiquitaire de l’électricité. Ce que l’électricité suscite ce n’est pas cependant le don d’ubiquité, ce serait plutôt l’échange d’ubiquité. A travers l’électricité l’ubiquité n’est pas gratuitement donnée, l’ubiquité est maléfiquement échangée. Autrement dit pour accéder à l’ubiquité de l’électricité chaque homme doit sacrifier quelque chose et le plus souvent ce qu’il sacrifie c’est son âme même. La vision de Lynch est finalement extrêmement simple. Pour Lynch, l’électricité est une puissance maléfique, l’électricité est une puissance diabolique. Pourtant il n’y a pas de cinéma sans électricité. Le cinéma doit obligatoirement utiliser l’électricité pour s’accomplir. Ainsi comment inventer malgré tout une forme de cinéma éthique à l’intérieur de l’univers même du diable ? La démence de Lynch, à savoir la démence de son ascèse, ce serait ainsi d’essayer d’inventer une forme éthique à l’intérieur même de l’enfer. En cela l’attitude de Lynch a un aspect héroïque. Lynch ne refuse pas le dialogue avec le mal, dialogue que Kafka affirmait essentiel de refuser. « L’un des moyens du mal est le dialogue. » Lynch essaie de donner au dialogue avec le mal une forme éthique c’est-à-dire qu’il essaie de donner au dialogue avec le mal un visage, qu’il essaie avec une forme de sainteté schizophrène d’envisager le dialogue avec le mal.