Michael Jordan

 

 

 

Ce qui était beau surtout à l’intérieur du jeu de Jordan c’était la touche de ses pas. Jordan marchait comme un pianiste joue ou comme un peintre peint. L’invention de Jordan c’était d’abord celle du pas. Jordan apparaissait évidemment comme un danseur extraordinaire. Jordan disposait de chacune des puissances et de chacune des nuances de la démarche, de chacune des puissances et de chacune des nuances du pas.

 

Jordan apparaissait apte à ailer le pas, c’était l’élan célèbre et incomparable de sa course. Et Jordan apparaissait aussi à l’inverse apte à inventer des formes de crispations inédites et imprévisibles de sa démarche. C’est par exemple le coup de frein somptueux avant le panier à la dernière seconde de la finale des Chicago Bulls contre les Utah Jazz.

 

Il y a un aspect essentiellement mercurien et mercuriel de Jordan. Mercurien parce que c’est l’homme aux chevilles ailées, l’homme aux talons ailés. Et mercuriel aussi parce que sa musculature a une fluidité insensée. Jordan semble s’immiscer de manière à la fois violente et subtile à l’intérieur des flux magnétiques de l’espace, à l’intérieur des flux magnétiques invisibles de l’espace.

 

 

Jordan disposait d’une aisance de jaguar. Son allure apparaissait d’une félinité insensée. Jordan bondissait littéralement comme une panthère ou un léopard. Il allait ainsi très vite et semblait malgré tout apte à se reposer à l’intérieur même de sa rapidité, à rester en suspens, en suspens moqueur à l’intérieur même de sa rapidité. Ce suspens de la rapidité c’était la forme du rapt, du ravissement. Jordan s’envolait et semblait avoir le temps à l’instant même de son bond de construire une sorte de sofa, de sofa d’exception afin de s’y reposer tranquille et d’y contempler le miracle même de son bond.

 

Il y a une agilité prodigieuse de Jordan, une agilité extraordinaire de Jordan. Très souvent Jordan se jette à l’intérieur de l’espace avec la précision ahurissante d’un gibbon qui bondit  parmi les branches des arbres. C’est comme si il devenait un escalier de caoutchouc, un escalier de caoutchouc instantané, l’escalier de caoutchouc de son élan même, l’escalier de caoutchouc de sa souplesse, l’escalier de caoutchouc de sa souplesse élancée, l’escalier de caoutchouc de son élan souple.

 

Il y a toujours plusieurs sauts à l’intérieur de chaque saut de Jordan. Chaque saut de Jordan compose un escalier de sauts. Chaque saut de Jordan enlace un escalier de sauts. Chaque saut de Jordan enlace et délace un escalier de sauts.

 

A l’instant de sauter, Jordan a parfois aussi des gestes de nage avec son bras libre. A l’instant du bond, Jordan à la fois vole et nage. A l’instant du bond  Jordan vole la nage comme nage l’envol. A l’instant du bond, Jordan vole le geste de la nage comme nage le geste de l’envol. A l’instant du bond, Jordan vole à l’intérieur de l’eau comme il nage à l’intérieur de l’air.

 

Ce qui est étonnant, c’est la multiplicité des rythmes, la multiplicité sidérante de rythmes que Jordan parvient à immiscer, à insinuer à l’intérieur d’un seul saut. C’est comme si Jordan parvenait à immiscer plusieurs trajectoires mêmes à l‘intérieur d’un seul saut. C’est comme si pour Jordan chaque saut composait un montage de temps, un montage ultra-fluide de temps, une coïncidence de temps, une coïncidence ultra-fluide de temps. Chaque saut de Jordan apparait comme un aphorisme, comme le miracle d’un aphorisme. Chaque saut de Jordan affirme la forme d’un aphorisme, la forme d’un aphorisme de muscles.

 

 

Il y avait étrangement aussi quelque chose du toréador chez Jordan. Même s’il n’avait jamais peur de l’adversaire, Jordan protégeait parfois son ballon comme un toréador, comme un toréador qui dissimule sa cape sur sa hanche. C’est comme si pour Jordan à l’instant qui précède le shoot ou qui précède l’accélération pour aller au panier, le joueur adversaire devenait semblable à un taureau, un taureau à l’intérieur de l’arène. Les shoots au buzzer de Jordan avaient alors quelque chose d‘une estocade, d’une mise à mort, d’une mise à mort finale de l’adversaire.

 

Après avoir marqué un panier, Jordan accomplissait souvent des paraphes avec ses phalanges, des paraphes provocateurs des phalanges adressés à ses adversaires ou encore au public. Ainsi Jordan signait ses paniers. Jordan signait ses paniers comme un peintre, un sculpteur ou un grapheur. Jordan signait ses paniers comme un jaguar grapheur.