Lionel Messi, Clinamen de l’Humilité


 

 

Messi joue au football à la manière d’une souris, souris dont il a d’ailleurs le regard. Messi s’immisce. Messi s’immisce parmi les intervalles de vide du jeu. Messi ne joue pas au chat et à la souris avec les autres joueurs. Messi joue plutôt à la souris et au chat avec le ballon. Messi s’immisce comme une souris qui joue avec le chat roulé en boule du ballon. Messi joue comme une souris qui s’amuse avec un ballon de chat.

 

Messi dribble le vide même. C’est comme si Messi dribblait le vide de l’espace avant de dribbler les autres joueurs. Je l’ai vu faire une fois quelque chose de prodigieux, quelque chose que non seulement je n’avais jamais vu sur un terrain de football mais que je n’avais jamais même imaginé. Je l’ai vu faire une passe derrière lui en avançant et cela pendant même qu’il dribblait un joueur. Faire une passe à l’intérieur même d’un dribble me semble l’invention essentielle de Messi. Cependant cette fois-là ce qui était plus étonnant encore c’est qu’il a accompli cette passe en arrière non pas parce qu’il ne pouvait plus avancer mais au contraire pour pouvoir avancer plus vite. Comme s’il avait eu l’intuition à l’instant même où il dribblait que ce dribble n’était pas le geste le plus efficace pour pouvoir ensuite marquer, comme s’il avait raturé extrêmement vite son propre dribble par sa passe en arrière. C’est difficile à expliquer, ce n’était ni une passe en retrait ni une talonnade. Messi a passé le ballon en arrière en avançant à Iniesta et Iniesta le lui a restitué quasi instantanément presque dans le même axe, une sorte de une-deux rectiligne. A cet instant Messi a préféré dribbler l’espace avec une passe plutôt que de dribbler le joueur. Il n’a pas effacé le joueur, il a préféré effacer l’espace. Il y a quelque chose qui ressemble à une gomme en Messi. Messi avance à l’allure d’une gomme-souris. Messi avance à l’allure d’une gomme-souris héraclitéenne. « Le chemin va dans une direction parce qu’il va en même temps dans la direction opposée… Un chemin est aussi dans mon dos… » H. Wismann. 

 

Messi est un virtuose humble. Messi ne cherche pas à maitriser le jeu, à dominer le jeu par vision perspectiviste comme Platini, par orchestration aigue comme Cruijff ou par tonicité imprévisible comme Pelé ou Maradona. Messi cherche plutôt à devenir un atome dans le flux du jeu, un atome de modestie décisive dans le flux démocritéen du jeu, décision modeste qui n’est pas réfléchie, qui est esquissée plutôt par une suite de réflexes minuscules. Messi cherche à devenir le clinamen du jeu. Ce serait la forme de sa subtilité épicurienne. Messi est à la fois héraclitéen et épicurien  Selon Messi le clinamen est le chemin, le clinamen est le seul chemin, le chemin en avant dans son dos. Messi s’immisce sur le chemin du clinamen. Et même Messi s’immisce comme chemin du clinamen.

 

Le jeu de Messi n’est ni individualiste, ni collectif. Messi ne joue ni contre des adversaires ni avec des partenaires. Messi ne semble jouer ni pour lui-même, ni avec les autres joueurs.  Messi joue avec le jeu. Messi semble jouer d’abord et uniquement avec le jeu lui-même. Messi ne joue pas au football, il joue avec le football.  Messi s’amuse avec le jeu du football même. Ou bien il joue au football comme à l’adresse du football. Messi joue avec au football.

 

Il y a une étrange soumission dans l’attitude de Messi, soumission au sens d’assentiment. L’aspect étonnant de Messi c’est qu’à la fois il acquiesce au jeu et que par cet acquiescement même, il transforme le jeu. L’attitude de Messi est à la fois l’attitude de celui qui sait que le jeu est toujours plus grand que le joueur et en même temps l’attitude de celui qui par cet acquiescement intégral à la grandeur du jeu parvient à séduire le jeu, parvient à détourner le jeu de son chemin initial. L’attitude de Messi envers le jeu est un mélange d’humilité et de séduction, un mélange de sainteté et de coquetterie, attitude qui ressemble à celle de Kafka envers l’écriture.

 

Quand Messi joue c’est comme s’il suivait un étrange fil à la fois musculaire et mental antérieur au jeu même. Ou encore c’est comme si pour Messi, le match se présentait à lui comme une pelote disposée à l’intérieur même du ballon et que jouer le match était semblable au geste de dérouler cette pelote avec précision. C’est pourquoi quand nous voyons jouer Messi, nous avons parfois l’impression que le ballon entre ses pieds devient de plus en plus petit au fur et à mesure du match. Il y a aussi du furet en Messi. Messi s’immisce comme le furet de gomme du au fur et à mesure du match. Messi joue avec un ballon presque invisible, c’est comme si pour lui le ballon devenait le temps, le symbole du temps.