Steffi Graf 

 

 

 

 

Steffi Graf a des jambes extraordinaires. Ce sont à l’évidence les plus belles jambes de femme du 20 ème siècle avec celles de Cyd Charisse. Le déplacement de Steffi Graf à l’intérieur du court apparait ainsi d’une splendeur absolue. 

 

 

Steffi Graf semble rebondir à chaque instant sur le sol comme si elle marchait sur des ressorts, des ressorts tranchants comme des rasoirs. Les jambes de Steffi Graf inventent ainsi une forme de rebond coupant, de rebond cinglant, un rebond d’étincelles. 

 

 

Steffi Graf a une course hyaline. Ses appuis au sol sont extrêmement rapides, comme des coups de couteaux, des coups de couteaux flûtés, des coups de couteaux flûtés et vifs.  

 

 

Il y a une violence sidérante, une violence quasi stellaire du jeu de Steffi Graf. Quand Steffi Graf court, c’est comme si elle poignardait l’espace avec la pointe de ses orteils. 

 

 

Je me souviens avoir vu une fois Steffi Graf se vaporiser les cuisses avec du spray camphré lors d’une pause à Flushing Meadows. C’est l’image en direct la plus érotique que j’ai jamais vue à la télévision. 

 

 

 

Il y a un aspect féerique de Steffi Graf. Steffi Graf a l’allure d’une fée. Steffi Graf est une cendrillon bizarre, une cendrillon avec un nez d’aigle, une cendrillon-carabosse, une cendrillon qui aurait le nez busqué de carabosse. 

 

Sa manière aussi à l’époque de son apogée de jouer les matchs à toute vitesse presque sans aucun arrêt entre les points. Sa manière ahurissante de jouer les matchs comme si elle avait autre chose de plus important à faire, comme si elle avait d’autre chats à fouetter. Et en effet c’est bien cela que Steffi Graf effectue à chaque coup de raquette, elle fouette des chats. Et lorsqu’elle ne fouette pas les chats eh bien elle les agrafe. Steffi Graf joue avec une sorte de fouet-agrafeuse, avec une sorte d’agrafeuse-fouet. 

 

A chaque coup de raquette Steffi Graf paraphe l’espace. Steffi Graf paraphe l’espace à coups  d’agrafeuse. Steffi Graf paraphe l’espace à coups de fouets. Steffi Graf  paraphe l’espace à coups d’agrafeuse-fouet. 

 

 

Il y a une très belle distinction de Steffi Graff, une distinction légèrement arrogante, distinction assez proche de celle de Nicole Kidman. 

 

Steffi Graf ressemble aussi parfois à Patty Duke l’actrice interprète de la jeune aveugle du Miracle en Alabama d’Arthur Penn, son entêtement farouche surtout, l’entêtement farouche de sa chevelure. 

 

Steffi Graf a toujours un air extrêmement intelligent. Steffi Graf c’est la Virginia Woolf du tennis. Et à la volée elle semble parfois planer à l’intérieur de l’intelligence de l’air. « Il faudrait parfois pouvoir dire j’ai vu une femme comme nous disons j’ai vu un aéroplane. » V. Woolf.  

 

Il y a une grande noblesse dans le visage de Steffi Graf, la noblesse d’une femme qui parvient à porter un très long nez avec orgueil, la noblesse d’une femme qui parvient à porter un très long nez comme un privilège, comme un privilège paradoxal, comme un privilège de l‘angoisse, comme le privilège paradoxal de l’angoisse. C’est l’aspect quasi kierkegaardien de Steffi Graf. Et la noblesse du visage de Graf est alors comparable à celle de Meryl Streep. 

 

Il y aurait aussi une ressemblance entre Steffi Graf et Sylvia Plath, le même orgueil, le même orgueil angoissé, le même orgueil de la perfection, orgueil de la perfection qui suscite l’angoisse. Il y a en effet une très profonde angoisse inscrite sur le visage de Steffi Graf, une angoisse suicidaire presque. C’est pourquoi d’ailleurs le sourire de Steffi Graff quand il survient apparait si beau. L’espace d’un instant son sourire triomphe comme par miracle d’un souci de mort. 

 

La magnifique concentration de Steffi Graf pendant un match, sa concentration majestueuse, sa concentration quasi souveraine. S. Graf fixe à chaque instant le vide de l’espace face à elle, comme si c’était d’abord ce vide de l’espace qu’elle devait affronter et vaincre. S. Graf ne joue pas afin de vaincre l’adversaire de l’autre côté du filet. Steffi Graf joue d’abord pour essayer d’atteindre et ensuite de dépasser, de surmonter quelque chose comme une idée qui se trouve devant elle. Cette manière d’affronter l’idée c’est son aspect très allemand, hégélien presque. Quand elle joue S. Graff semble en effet parfois à la recherche d’une sorte d’esprit infini. 

 

Steffi Graf est à la fois hégélienne et kierkegaardienne. Ce que son jeu révèle c’est une sorte d’esprit infini angoissé, un esprit infini qui séduit par son angoisse, qui séduit par l’élégance même de son angoisse. 

 

 

La voussure émouvante des épaules de Steffi Graf surtout visible et même flagrante à l’instant du lift. Ce sont les épaules voutées de la jeune fille qui lit trop de livres, sauf que pour Steffi Graf ces livres sont des balles, des balles du fond du court, balles du fond du court qu’elle renvoie avec une frappe cinglante, comme si elle refermait le livre d’un coup sec, du geste de celle qui sait déjà ce qu’il y a à l’intérieur. 

 

A l’époque où Steffi Graf gagna tous ses titres, il avait dans son jeu une sorte d’impatience de princesse. Ce n’était pas du caprice plutôt une sorte d’autorité vivace, d’autorité stupéfiante, d’autorité d’une stupéfiante vivacité. A cette époque Steffi Graf renvoyait  les balles comme une princesse agacée renvoie ses sujets. 

 

Sa manière aussi de relever la tête très vite quand elle vient de perdre un point. C’est l’attitude d’une princesse qui vient de perdre une province et qui reprend cependant le combat instantanément. L’humiliation de la défaite est incroyablement brève chez Graff. Ce n’est qu'un grain de poussière dans l’œil, jamais elle ne la ressasse. Steffi Graf a toujours là encore autre chose à faire, autre chose à faire que d’être vaincue, ce qu’elle a à faire c’est de vaincre. 

 

 

La superbe finale Graf-Navratilova à Flushing Meadows en 1989. Pendant ce match le jeu de Graf apparait d’un charisme indiscutable. La silhouette de Graf y apparait en effet apte à d’innombrables métamorphoses. Graf y semble parfois agile et furtive comme un écureuil ou à l’inverse ample et violente comme un aigle. 

 

Les matchs de Steffi Graf contre Martina Navratilova ont ainsi sans doute été ses plus beaux. Il y a en effet dans la netteté incisive du jeu de Navratilova quelque chose qui favorise, qui provoque l’intensité maximale du jeu de Graf. Navratilova apparait alors presque autant comme sa partenaire de jeu que son adversaire à proprement parler. L’admiration de Navratilova pour Graf est spontanée. C’est parfois étonnant. Pendant le match Navratilova  applaudit plusieurs fois Graf de manière admirative et elle ponctue même la fin d’un échange qu’elle vient de perdre d’un « too good ! »