Michael Cimino, Cérémonie cinématographique de la Détonation

 

 

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino, c’est le coup de feu qui crée l’image, c’est le coup de feu qui crée la vision. A l’intérieur du cinéma de Cimino, c’est le bruit de la détonation, c’est la détonation du projectile qui donne forme à l’image, qui donne forme à la projection même de l’image.  A l’intérieur du cinéma de Cimino, l’image apparait projetée par le coup de feu.

 

L’instant où au début de La Porte du Paradis C. Walken tue un homme à travers un drap apparait comme l’emblème de cette projection de l’image par le coup de feu. A l’intérieur de cette scène le coup de feu troue d’abord le drap afin de tuer ensuite l’homme.

 

Ainsi à l’intérieur du cinéma de Cimino, non seulement le coup de feu projette l’image sur l’écran et aussi surtout la détonation du coup de feu troue l’écran. A l’intérieur du cinéma de Cimino, la détonation du coup de feu projette l’image sur l’écran  comme elle troue l’écran, comme elle troue le tympan de l’écran. A l’intérieur du cinéma de Cimino, la projection de l’image par la détonation du coup de feu troue le tympan de l’écran.

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino, le coup de feu troue l’écran, et parce que le coup de feu troue l’écran c’est comme si le coup de feu atteignait non pas uniquement l’œil du spectateur mais le corps même du spectateur.

 

Ce que montre ainsi le cinéma de Cimino c’est toujours la vision d’une oreille trouée, c’est toujours la vision provoquée par une oreille trouée. L’intégralité du temps elliptique de The Deer Hunter c’est ainsi la vision provoquée par le trou à l’intérieur du tympan de la scène de la roulette russe.

 

Cimino ne regarde pas avec les yeux. Cimino contemple avec les tympans. Cimino contemple avec le trou du tympan. Cimino contemple avec le trou de tympan du coup de feu.

 

 

A l’inverse des cinéastes qui ironisent l’événement de la mort violente, de la mort par balle (par exemple Hitchcock ou John Woo), Cimino montre la mort par balle comme immédiat, comme immédiat de la détonation.

 

Pour Cimino il y a une distance envers l’image de la mort par le coup de feu, malgré tout il n’y a jamais de distance envers la détonation. Le cinéma de Cimino montre l’immanence de la détonation.

 

A l’intérieur de The Deer Hunter Cimino ne montre pas uniquement cette immanence de la détonation lors de la scène de la roulette russe, Cimino montre aussi auparavant cette immanence de la détonation à l’intérieur de la scène de la chasse. A l’intérieur de The Deer Hunter la multiplicité des coups de feu de la roulette russe répond au sublime unique coup de feu de la chasse.

 

Pour Cimino, la mort survient comme détonation du temps. Pour Cimino, la mort survient comme coup de feu du temps à l’intérieur du crâne, comme coup de feu du temps à l’intérieur de la tempe, comme coup de feu du temps à l’intérieur du crâne du sentiment, comme coup de feu du temps à l’intérieur de la tempe du sentiment. En effet pour Cimino (comme pour Tarkovski) le crâne n’apparait pas comme le lieu de la pensée. Pour Cimino, le crâne (la tempe) apparait comme le lieu de la sensation, comme le lieu du sentiment, comme le lieu de l’émotion.

 

Pour Cimino, la détonation auprès de la tempe, c’est l’impact de temps qui donne l’imagination, c’est l’impact de temps qui donne l’imagination du monde, c’est l’impact de temps qui donne la contemplation du monde.

 

Pour Cimino, la détonation c’est la vision du monde par la tempe, c’est l’imagination du monde par la tempe, c’est une forme de contemplation par la tempe. A l’intérieur du cinéma de Cimino c’est la tempe qui contemple, c’est la tempe qui contemple le monde. A l’intérieur du cinéma de Cimino, c’est la tempe qui imagine, c’est la tempe qui imagine le monde. (En cela Cimino ressemble à Tarkovski. Tarkovski contemple avec le crâne, Cimino contemple avec la tempe.)

 

Pour Cimino, la détonation apparait comme l’instant où le monde  touche et scande l’existence, touche et rythme l’existence. Pour Cimino, la détonation apparait comme l’instant où le cosmos détruit violemment le cerveau et provoque l’apparition du monde, de l’imagination du monde.

 

 

Ce que Cimino filme c’est la valeur à la fois esthétique et éthique du coup de feu. Ce que Cimino filme c’est l‘ambivalence à la fois esthétique et éthique du coup de feu.

 

Cette figure à la fois esthétique et éthique du coup de feu chez Cimino vient à l’évidence de l’œuvre de Peckinpah. Malgré tout, la figure cinématographique du coup de feu à l’intérieur du cinéma de Peckinpah et la figure cinématographique du coup de feu à l’intérieur du cinéma de Cimino apparaissent différentes. Par la figure du coup feu, Peckinpah essaie en effet de composer l’espace, d’architecturer l’espace, d’architecturer paradoxalement l’espace, d’architecturer l’espace à la fois comme ellipse et comme explosion, comme ellipse d’explosions et explosions d’ellipses. Par la figure du coup de feu, Cimino essaie plutôt de composer le temps, de donner une forme paradoxale au temps. En effet le coup de feu selon Cimino provoque aussi une forme étrange de mémoire - la phrase de De Niro à Walken dans The Deer Hunter « Souviens-toi, les arbres ». A l’intérieur du cinéma de Cimino, le coup de feu apparait aussi comme une manière de se souvenir du paysage, du paysage du pays, du paysage de la patrie, du paysage de la nation. 

 

 

Il y a une présence prodigieuse du paysage à l’intérieur des films de Cimino, Il y a un impact du paysage, un impact d’usage du paysage à l’intérieur des films de Cimino. Ce que le paysage  de Cimino donne à voir c’est l’impact d’illimité de l‘espace, c’est l’impact  de démesure de l’espace, c’est l’impact d’hubris de l’espace même. C’est pourquoi le paysage de Cimino apparait malgré tout différent du paysage de Ford. Le paysage de Ford englobe les hommes, englobe les sentiments humains, c’est un cosmos. A l’inverse le paysage de Cimino apparait plutôt comme une présence qui défie et terrifie les hommes, à la fois comme magma de poussière de l’érosion et comme paysage de paix de la terreur.

 

Cimino apparait comme un cinéaste paysagiste. Ce que Cimino désire d’abord montrer c’est la présence du paysage, le paysage c’est à dire à la fois la forme et l’âge préhistorique d’un pays, la forme et l’âge mythologique d’un pays, le paysage c’est à dire la forme préhistorique et l’âge mythologique d’un pays,  la forme mythologique et l’âge préhistorique d’un pays.

 

 

Cimino filme à la manière d’un acteur du paysage. La mise en scène de Cimino apparait comme une mise en action du paysage, comme une mise en action du paysage par la détonation, par la dynamite de la détonation, par la dynamite mentale de la détonation.

 

Filmer pour Cimino c’est agir le paysage, c’est agir la présence du paysage. Le cinéma de Cimino n’enregistre pas le paysage. Le cinéma de Cimino agit le paysage. Le cinéma de Cimino agit le paysage et par ce geste donne à sentir le paysage comme présence d’un mythe, comme mythe de la présence.

 

Pour Cimino, le cinéma apparait comme une action du paysage, comme une forme de paysagir, comme une forme de paysagir du mythe, comme une forme de paysagir de la présence mythique.

 

Filmer pour Cimino c’est à la fois agir l’homme et agir le paysage et agir l’inhumanité du paysage. Filmer pour Cimino c’est à la fois transfigurer l’homme et le paysage, c’est transfigurer l’homme et le paysage sans jamais malgré tout interrompre leur trajectoire, sans jamais interrompre les trajectoires de leurs émotions.

 

Le cinéma de Cimino met à chaque instant le paysage en action, c’est son aspect profondément walshien. Ce que Raoul Walsh accomplit avec les trajectoires des troupeaux de vaches, avec les trajectoires des troupeaux de vaches à la surface de la terre, Cimino préfère l’accomplir avec les trajectoires des charriots et des voitures à l’intérieur de la poussière. En cela Cimino ressemble aussi à Cendrars. Cette manière d’agir le paysage par la voiture ou locomotive c’est un geste à la Cendrars.

 

Filmer pour Cimino ce n’est pas faire défiler des hommes à travers un paysage. Filmer pour Cimino c’est plutôt défiler le paysage, c’est défiler le paysage par la masse d’affects des hommes, c’est défiler le paysage par les masses d’affects du peuple, par les masses de sentiments du peuple.

 

 

Cimino filme à la fois comme un peintre et comme un acteur du paysage. Ainsi de même que Pollock faisait de l’action-painting, Cimino fait de l’action-filming.

 

Pour Cimino, filmer c’est peindre le cinéma, c’est agir picturalement le cinéma. Pour Cimino, filmer c’est agir le cinéma en peinture, c’est agir le cinéma comme peinture. Cimino filme comme un Pollock figuratif. Cimino filme comme un Pollock paysagiste.  

 

La caméra de Cimino survient comme un revolver de peinture. Pour Cimino, le cinéma c’est peindre le paysage au revolver, c’est peindre le paysage à coups de revolver.

 

000 Pour Cimino, filmer c’est accélérer l’allure du monde, c’est accélérer l’allure de la présence du monde, c’est intensifier l’allure de la présence mythologique du monde. Pour Cimino, filmer c’est intensifier l’allure de la présence mythologique du monde par le geste de faire tourner cette présence mythologique du monde sur elle-même. Le cinéma de Cimino c’est l’action d‘intensifier le tournoiement de la terre par le moteur de la caméra, par le moteur de peinture de la camera.

 

 

Pour Cimino, l’homme apparait comme un élément du paysage. Pour Cimino, l’homme apparait comme un élément du paysage c’est-à-dire comme une force matérielle, à la manière de la terre, de l’eau, de l’air et du feu. Pour Cimino, l’homme apparait comme un élément du paysage c’est à dire à la fois comme une matière et comme l’émotion d’une matière, comme le sentiment d’une matière. (« Le sentiment est enfant de la matière ; il est son regard admirablement nuancé. » R. Char)

 

Pour Cimino les hommes apparaissent comme des émotions du paysage, des sentiments du paysage, des pulsions du paysage. La beauté du cinéma de Cimino c’est ainsi de donner à sentir une forme d’équilibre entre l’homme et l’espace, entre l’émotion de l’homme et l’inhumanité de l’espace, une forme d’équilibre à l’intérieur du combat entre l’homme et l’espace, équilibre comme une connivence de terreur, comme la connivence du partage de la terreur. La scène de chasse de The Deer Hunter révèle cette forme d’équilibre étrange.

 

Le cinéma de Cimino n’est pas à la recherche de la vérité du paysage, de la vérité historique du paysage. (Cimino n’est pas Straub.) Le cinéma de Cimino apparait plutôt à la recherche de la présence mythologique du paysage, de la présence du paysage comme forme de l’inconnu, comme forme mythologique de l’inconnu.

 

Filmer pour Cimino c’est transfigurer les hommes afin qu’ils indiquent l’inconnu du paysage, la présence mythologique du paysage. Et cette présence mythologique inconnue du paysage c’est celle de son devenir totem. A l’intérieur du cinéma de Cimino le paysage (et par conséquent aussi le pays) apparait comme un totem, comme un animal-totem. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le paysage se transforme en animal-totem et l’homme en geste de l’animal-totem de son pays.

 

À l’intérieur du cinéma de Cimino, le paysage apparait comme un animal, comme un animal absolu. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le paysage apparait comme un animal à combattre sans malgré tout l’abattre, comme un animal à chasser, comme un animal à chasser sans obligatoirement le tuer. Le paradoxe du paysage pour Cimino c’est qu’il est à la fois nécessaire de chasser pour nourrir ce paysage et aussi de chasser ce paysage pour s’en nourrir, de chasser ce paysage pour se nourrir de son mourir.

 

Pour Cimino, le paysage (le pays) apparait ainsi comme un cerf. Pour Cimino le paysage (le pays) apparait à la fois comme le cerf que les hommes chassent n’importe comment par camaraderie et par vanité et comme le cerf qu’ils chassent parfois avec solennité, ritualité et cérémonie et enfin aussi le cerf qu’il s’abstiennent de chasser parce qu’ils ont l’intuition que quand bien même ils apparaissent presque intégralement envoutés par cet animal-totem du paysage, par cet animal-totem du pays, il reste toujours malgré tout à l’intérieur de leur chair  le fragment d’une force de solitude apatride.

 

Cimino filme comme un chasseur de paysage. L’art cinématographique de Cimino c’est de chasser à la fois le mouvement et l’immobilité du paysage, c’est de chasser le mouvement d’immobilité du paysage.

 

« L’œil du géographe voit large mais l’œil du chasseur voit juste. » S. Daney

Le génie du cinéma de Cimino c’est de parvenir à allier, à fondre en un seul ces deux regards, à fondre en un seul et unique regard  l’œil du géographe et l’œil du chasseur.

 

« On n’est jamais un bon chasseur si on n’est pas la proie elle-même, si on ne s’identifie pas au cerf. »

Ainsi ce que le cinéma de Cimino donne à voir c’est aussi la vulnérabilité du chasseur, sa vulnérabilité plutôt que son pouvoir. Pour Cimino, le cinéaste chasse le monde. Pour Cimino le cinéma chasse le monde afin de montrer le mourir immortel du monde, afin de donner à sentir la forme paradoxale du mourir immortel du monde.

 

 

Pour Cimino il apparait nécessaire de filmer un lieu afin que le cinéma ait une valeur. Malgré tout pour Cimino, il ne suffit pas de filmer un lieu pour que survienne sa forme mythologique, sa forme mythologique inconnue. Pour Cimino, la forme mythologique inconnue du paysage  n’apparait ni par le cadrage, ni par le montage, elle apparait plutôt par le surgissement des figures humaines (ou des machines humaines) qui traversent ce paysage, qui traversent ce paysage comme de balles perdues. Pour Cimino, les hommes apparaissent en effet comme des balles perdues. Pour Cimino, les hommes apparaissent comme les balles perdues du paysage et qui sait même, la société des hommes, la communauté des hommes ressemble à un bal de balles perdues. Ce qu’indiquerait la scène du mariage de The Deer Hunter ou la scène de patins à roulettes de La Porte du Paradis.

 

 

A la différence de John Ford, Cimino ne montre pas l’épopée des hommes à travers le paysage  Le cinéma de Cimino montre plutôt l’épopée de la rencontre des hommes et du paysage. Le cinéma de Cimino montre l’élan de combat de la rencontre des hommes et du paysage à l’intérieur du coup de feu. 

 

Cimino ne filme pas l’appartenance des hommes à un paysage (à un pays). Cimino filme plutôt  la possession, l’envoûtement des hommes par un pays, par un pays (et aussi à l’inverse la possession, l’envoûtement d’un paysage, d’un pays par les hommes). Cimino ne montre pas l’appartenance des hommes à une terre. Cimino montre plutôt la possession des hommes par le son de la terre, par le coup de feu de la terre, par la détonation de la terre, par le volcan de détonation de la terre. Cela surgit de manière flagrante au début de The Deer Hunter où les hommes apparaissent comme les artisans du volcan, comme les ouvriers de la lave comme les ouvriers de la fluidité du feu.

 

Cimino filme ainsi le tonnerre de lave de la terre qui possède chaque homme et sa sublimation en drapeau, en drapeau de l’écran, en drapeau de l’écran à l’instant de la détonation.

 

Cimino apparait comme le cinéaste de la détonation de la terre natale, comme le cinéaste de la détonation de la nation (de la déto-nation) Le cinéma de Cimino donne à sentir le son de la terre natale, la musique de la terre natale, la musique de détonations de la terre natale. La musique de détonations de la nation, c’est le chant final de The Deer Hunter.

 

Comment parvenir à civiliser la lave de la terre natale, la lave de tonnerre de la terre natale, et comment parvenir aussi à sublimer la guerre civile qu’il y a non seulement entre les hommes  mais aussi entre chaque homme et son pays, entre chaque homme et le paysage de son pays, c’est le problème posé par le cinéma de Cimino.

 

S’il y a une démiurgie de Cimino, ce n’est pas une démiurgie mentale, une démiurgie cérébrale. Cimino n’est pas Kubrick, le lieu n’est pas pour Cimino un décor, un décor sous vide où s’accomplit une expérimentation mentale. Cimino apparait plutôt comme un démiurge artisanal, un démiurge à mains nues. Cimino filme comme un sidérurgiste à main nue, comme un sidérurgiste à mains nues du paysage, comme un sidérurgiste à mains nues du volcan du paysage, du volcan d’émotions du paysage, du volcan de sentiments du paysage.

 

 

Cimino montre les trajectoires du paysage, Cimino montre les trajectoires de combat du paysage comme les trajectoires de paysage du combat. Cimino imagine les trajectoires de combat de la terre par le trou du tympan, par le trou de tympan du coup de feu.

 

Cimino parvient à apparaitre contemplatif à l’intérieur même du combat, à l’intérieur même de la violence et plus encore Cimino parvient à apparaitre contemplatif par la violence. Sur ce point, le cinéma de Cimino apparait très proche du cinéma de Peckinpah. Cimino invente une forme de contemplation fragile, une forme de contemplation mortelle à l’intérieur même de l’espace du combat, à l’intérieur même de l’espace de la violence. Cimino donne à sentir un forme de contemplation à l‘intérieur du combat au risque même d’en mourir  (C’est l’attitude par exemple de John Hurt qui titube en déclamant  au cœur même de la fusillade dans La Porte du Paradis.)

 

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino, ce qui donne forme au lieu, ce qui donne forme à l’espace c’est la détonation.

 

Le cinéma de Cimino apparait inventé par la coïncidence d’un lieu et d’un coup de feu, par la coïncidence d’un lieu et d’une détonation. A l’intérieur du cinéma de Cimino, ce qui fait apparaitre le lieu, ce qui provoque l’apparition du lieu c’est la détonation.

 

Cimino contemple les lieux à coups de feu. Cimino invente des coups de fusils contemplatifs. Cimino filme le monde par coups de fusils contemplatifs.

 

Le cinéma de Cimino révèle ainsi le paysage à coup de revolvers. Le cinéma de Cimino révèle l’âme du paysage par le coup de feu, par les sentiments du coup de feu.

 

De même que John Ford selon Serge Daney  invente une forme de contemplation en un clin d’œil. Cimino invente une forme de contemplation en un clin d’oreille. Cimino invente une forme de contemplation par clin d’oreille, par clin de tympans. Cimino invente une forme de contemplation à tympans explosés, à tympans implosés.

 

Les figures de Cimino ne fusionnent pas avec le lieu où elles surgissent. Les figures de Cimino  fusillent avec le lieu, fusillent avec le lieu où elles apparaissent. (En cela le cinéma de Cimino ressemble beaucoup à celui de Peckinpah).  Le cinéma de Cimino n’est pas un cinéma de la fusion avec la nature, ni un cinéma de la fusillade contre la nature, c’est plutôt un cinéma de la fusillade avec la nature, de la fusillade avec le lieu.

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino le lieu n’est pas exactement donné. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le lieu survient plutôt fusillé, le lieu survient fusillé afin d’apparaitre. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le coup de feu survient comme la pulsion qui figure le lieu, comme la pulsion qui donne une forme au lieu, qui donne une forme précise au lieu. C’est ce que montre de manière emblématique, la première scène de chasse de The Deer Hunter.

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino, le coup de feu apparait comme la forme paradoxale et absolue du don. A l’intérieur du cinéma de Cimino le coup de feu apparait à la fois comme don de la sensation, don de la mémoire et don du monde.

 

 

Pour Cimino filmer c’est non seulement aimer un lieu. Pour Cimino, filmer c’est surtout aimer un lieu par le geste de transformer ce lieu. Pour Cimino filmer c’est aimer un lieu par le geste de métamorphoser ce lieu afin de donner à sentir ce lieu comme drapeau, afin de donner à sentir ce lieu comme drapeau de la violence.

 

Le cinéma de Cimino montre ainsi l’apparition comme la disparition des lieux par la violence fatale du coup de feu, par la détonation tragique du destin. Le cinéma de Cimino donne à sentir les métamorphoses de la matière, les métamorphoses mythologiques de la présence des lieux. Le cinéma de Cimino donne à sentir  les métamorphoses de la présence des lieux par la détonation du destin.

 

 

« Un cinéma avec des cercles concentriques de plus en plus larges, où les fils entre le proche et le lointain se tissent sous nos yeux, où le monde entier communique avec lui-même. » S. Daney

Par cette coïncidence du proche et du lointain, Cimino ressemble à Pollock, le cinéma de Cimino ressemble à la peinture de Pollock. Ce que Pollock accomplit avec des trajectoires et des couleurs, Cimino l’accomplit avec des figures et des sentiments, avec desfigures et des émotions. Cimino c’est le Jackson Pollock du cinéma. Cimino apparait comme le Jackson Pollock du cinéma parce que c’est  un matérialiste des trajectoires, un matérialiste mystique des trajectoires.

 

Cimino montre à la fois la trajectoire des émotions humaines à l’intérieur de l’inhumanité de l’espace et la coïncidence des émotions humaines et de l’inhumanité de l’espace à l’intérieur de la violence fatale du coup de feu, à l’intérieur de la détonation du destin.

 

Le cinéma de Cimino n’apparait pas  provoqué par un œil du cyclone. Le cinéma de Cimino apparait plutôt crée par une oreille du cyclone, par un tympan du cyclone. Le cinéma de Cimino apparait provoqué, crée par l’oreille de cyclone de la détonation, par le tympan de cyclone de la détonation.

 

Pour Cimino, le sentiment d’exister n’est pas celui d’appartenir au monde, n’est pas celui d’apparaitre donné au monde, c’est plutôt celui d’apparaitre tonné au monde. C’est pourquoi  les figures de Cimino apparaissent à chaque instant comme étonnées, comme etonnées d’exister comme un fragment du tohu-bohu du monde.

 

 

« Cimino ne filme pas de son point de vue mais entre dans une spirale de points de vues, le vacillement d’images dans lesquels est pris son personnage. »  « Il n’y a même pas alternance de points de vues mais un fonctionnement panique et spiraloide, en tourniquet, de points de vues. La fiction, c’est la friction de ces points de vues. » M. Chevrie

Cimino multiplie les trajectoires de visions. A l’intérieur du cinéma de Cimino, chaque figure apparait comme la proie d’une multitude de trajectoires de visions. Cimino accole et entrelace des trajectoires de visions. Cimino fait à la fois danser les unes avec les autres et combattre les unes contre les autres des trajectoires de visions. Et cette danse-combat des trajectoires de visions compose paradoxalement le paysage de la présence du monde, le paysage immobile de la présence mythologique du monde.

 

Cimino élance à chaque instant les accolades de la matière et du sentiment, de la matière et de l’émotion par des trajectoires de visions. Le génie du cinéma de Cimino c’est non seulement de multiplier les points de vue, c’est plus encore de parvenir à multiplier les forces de gravitation des points de vues.

 

Le cinéma de Cimino n’est jamais abstrait. En effet le regard de Cimino n’extrait jamais, n’abstrait jamais une image du monde. Cimino préfère plutôt accumuler, agglutiner, amalgamer les formes du monde afin de parvenir au sommet du monde, jusqu’à parvenir à au sommet du monde. Cimino ne désire pas purifier le réel à travers son regard. Cimino cherche plutôt à accumuler, à amalgamer la montagne de feu du regard. Cimino préfère ainsi embraser avec le regard. Cimino préfère à la fois embraser et embrasser le monde avec son regard. Cimino embrase le monde qu’il embrase et embrasse le monde qu’il embrase et c’est par cette  étreinte d’incendie qu’il escalade ainsi le monde, qu’il escalade le monde jusqu’à son sommet.

 

 

Cimino filme comme un contemplatif musculaire. Cimino contemple le monde par le tonnerre de ses muscles, par la détonation de ses muscles.

 

Le cinéma de Cimino affirme à la fois la contemplation à l’intérieur de l’action et l’action à l’intérieur de la contemplation. A l’intérieur du cinéma de Cimino, la puissance de l’action fait exploser le repos de l’action comme la pulsion de la contemplation fait exploser la logique de l’action.

 

Le style de Cimino c’est de voir musculairement le monde, de contempler musculairement le monde comme si sa vie en dépendait. Et c’est plus encore de contempler musculairement le monde comme si l’immortalité de son existence en dépendait. L’héroïsme contemplatif de Cimino affirme qu’il est non seulement nécessaire de regarder le monde afin de sauver sa vie   et plus encore par cet élan musculaire de la contemplation de sauvegarder la mémoire souveraine de mourir comme geste même de l’immortalité.

 

 

Le cinéma de Cimino accomplit à la fois la coïncidence de John Ford et de Visconti et la coïncidence de Cassavetes et de Peckinpah.

 

Ce que Cassavetes effectue avec les sentiments humains, Cimino essaie de le provoquer avec la globalité du monde. Cimino substitue en effet à la psychologie des sentiments une géologie des affects. Cimino c’est un Cassavetes géologue, un Cassavetes paysagiste. Comme Cassavetes, Cimino filme les flux d’amour. Malgré tout à la différence de Cassavetes, Cimino ne filme pas uniquement les flux d’amour entre les hommes et entre les hommes et les femmes. Cimino filme aussi les flux d’amour entre les hommes et le paysage, les flux d’amour entre les hommes et les machines, les flux d’amour entre les hommes et les routes, les flux d’amour entre les hommes et les pierres, les flux d’amour entre les hommes et les revolvers, les flux d’amour entre les revolvers et les montagnes, les flux d’amour entre les automobiles et les nuages, les flux d’amour entre les usines et les étoiles, les flux d’amour entre les sorties d’usines et le constellations à l’intérieur du ciel . A l’intérieur du cinéma de Cimino chaque fragment de l’espace apparait provoqué par un flux d’amour. En cela Cimino apparait comme un cinéaste profondément dionysiaque et païen.

 

Le regard de Cimino n’est pas historique. Le regard de Cimino apparait plutôt géographique et géologique. A l’intérieur du cinéma de Cimino, les événements ne se succèdent pas les uns après les autres. A l’intérieur du cinéma de Cimino, les événements s’entassent les uns sur les autres, les événements s’entassent les uns sur les autres en tournant sur eux-mêmes comme des tornades de poussière et de feu, comme des tourbillons de poussière et de feu, comme des tourbillon de poussières et de coups de feu. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le temps ressemble ainsi à un tas spiraloidal de poussière et de feu, à un tourbillon de poussière et de feu, à un tourbillon de poussière et de coups de feu.

 

 

Cimino apparait comme un cinéaste du pan. A l’intérieur du cinéma de Cimino ce qui survient ce ne sont pas des plans, ce sont plutôt des pans, des pans d’images, des pans d’images comme des pans de montagnes. Ce que montre le cinéma de Cimino ce ne sont pas des raccords de plans, ce sont plutôt des corps à corps de pans. Cimino ne raccorde pas des plans, il accomplit des accolades de pans, des accolades de pans d’images, des étreintes de pans d’images, des accolades des pans de montagne des images, des étreintes de pans de montagne de feu des images.

 

Cimino ne cherche pas la justesse du plan. Cimino cherche plutôt l’allure du pan, l‘élan du pan. Le pan à savoir ce qui apparait à la fois comme la densité de la montagne et le coup de feu, comme la danse de densité de montagne provoquée par le coup de feu. Ce qui montre avec une intensité inoubliable cet élan du pan, c’est la scène de chasse solitaire de de Niro dans The Hunter).

 

Ce style de contemplation par pan c’est le geste par lequel Cimino filme les paysages comme des figures humaines et les silhouettes humaines comme des paysages, comme des évènements géologiques, comme des figures géologiques.

 

Filmer pour Cimino c’est accomplir l’accolade à la fois amicale et alcoolisée de pans d’images. Cimino ne découpe pas des plans qu’il colle. Cimino plutôt  vise, fusille des pans qu’il accole, des pans qu’il étreint. Filmer pour Cimino c’est accomplir des accolades de pans multiples, des étreintes de pans innombrables.

 

Les accolades de pans du cinéma de Cimino ne cherchent pas comme chez Tarkovski à sculpter le temps. Les accolades de pans du cinéma de Cimino cherchent plutôt à pétrir l’espace, à pétrir picturalement l’espace, à pétrir picturalement l’espace avec les pieds, à pétrir l’espace du monde par la peinture de la démarche.

 

 

Cimino donne à voir les cimes de la mine. Cimino donne à voir les sommets des souterrains. Cimino donne à voir les sommets des profondeurs, les sommets de l’abime. Dans The Deer Hunter ce qui  montre cette cime de la mine, ce summum de l‘abime c’est le coup de feu au-dessus de la tête du cerf à l’intérieur de la montagne. Dans La Porte du Paradis, ce qui montre ces sommets de souterrains c’est plutôt la poussière, les gigantesques nuages de poussière.

 

Il y a des cimes d’imminence, ces cimes de terreur, des cimes d’imminence de la terreur à l’intérieur du cinéma de Cimino, cimes d’imminence de la terreur ou coïncident le proche et le lointain.

 

Pour Cimino, la cible apparait comme une cime et la cime comme une cible. C’est comme si pour Cimino, la seule manière d’accéder à un sommet c’était de viser ce sommet avec un fusil, c’était de viser le sommet de la montagne comme un animal.

 

 

Cimino apparait comme un cinéaste des cimes, comme un cinéaste du climax de la montagne. Cimino n’est pas un cinéaste de l’élévation aérienne « En hélicoptère on ne voit rien » dit-il dans une interview. Cimino apparait plutôt comme un cinéaste de l’élévation terrestre, comme un cinéaste de l’ascension terrestre, celui de la chasse au sommet de la montagne de The Deer Hunter ou de la recherche de l’image mystique du salut au sommet de la montagne de Sunchaser.

 

Le cinéma de Cimino apparait provoqué par les cimes souterraines de la détonation. Le cinéma de Cimino apparait provoqué par les gisements de cimes de la détonation, par le minerai de cimes de la détonation. 

 

Le cinéma de Cimino offre au regard la cime de monde, la cime du magma du monde, la cime du maelström du monde. Et le cinéma de Cimino offre aussi aux tympans le magma de cimes du destin du monde, le maelstrom de cimes du destin du monde. C’est l‘aspect profondément nietzschéen du cinéma de Cimino).

 

 

Cimino filme comme il escalade une montagne. Cimino filme comme il escalade une montagne en mouvement, une montagne qui tourne sur elle-même. Cimino filme comme il escalade un volcan, comme il escalade un volcan-cyclone. (A ce propos Cimino et Herzog se ressemblent.). Pour Cimino filmer c’est escalader un volcan, un volcan-cyclone afin de parvenir à planter à son sommet un drapeau, le drapeau à la fois de l’écran et de la pellicule, le drapeau d’un écran-pellicule qui a mémorisé le geste même de cette escalade.

 

« En présence de ces montagnes, de toute montagne, … quand on les approche, on sent son esprit s’élever, on commence à se sentir bien. » indique encore Cimino. Le cinéma de Cimino apparait ainsi comme le geste d’escalader la montagne du monde. Pour Cimino, l’élévation spirituelle n’est pas un envol qui dédaigne la terre. Pour Cimino, l’élévation spirituelle survient comme une escalade qui combat à chaque instant la terre de manière souveraine.

 

Cimino filme ainsi chaque fragment du monde comme si c’était une montagne. Cimino filme la plaine comme si c’était une montagne à escalader, la fumée comme si c‘était une montagne à escalader, la poussière comme si c’était une montagne à escalader, les cérémonies de mariages ou d’enterrements comme si c’étaient des montagnes à escalader. Et cet instant de l’escalade, cette pulsion de l’escalade donne au style de Cimino son incroyable puissance musculaire.

 

Le cinéma de Cimino escalade des montagnes en mouvement, des montagnes qui traversent à la fois l’espace et le temps comme des automobiles, comme des locomotives. Cimino filme le paysage comme une montagne automobile, comme une montagne-locomotive. Et pour Cimino les figures humaines (les silhouettes humaines) apparaissent comme les rouages  de cette montagne-automobile du monde, de cette montagne-locomotive du monde.

 

Le gag de la voiture qui abandonne un des chasseurs sur une route de montagne dans The Deer Hunter apparait ainsi comme ce qui révèle la forme même du temps selon Cimino. Pour Cimino le temps apparait comme une montagne-automobile, une montagne-automobile qui avance ou recule pour rire et jouer à abandonner les hommes sur le bord de leur destin.

 

 

Cimino filme comme le chorégraphe du paysage. Cimino filme comme le chorégraphe des montagnes. Cimino filme comme le chorégraphe du tourbillon des montagnes, du tourbillon immobile des montagnes. Cimino filme comme le chorégraphe de l’enthousiasme de montagnes, comme le chorégraphe de l’enthousiasme des rocs.

 

Cimino filme comme le chorégraphe de la guerre civile. Cimino filme comme le chorégraphe de la guerre civile du monde. Cimino filme comme le chorégraphe de la guerre civile de l’espace, comme le chorégraphe de la guerre civile du paysage.

 

 

Cimino affirme l’extrême vivacité d’escalader la poussière de l’horizon. Le cinéma de Cimino affirme l’extrême vivacité d’escalader la montagne de l’horizon, la montagne de poussière de l’horizon.

 

Cimino apparait comme un cinéaste de l’espace marché. Cimino apparait comme un cinéaste de l’espace marché par l’escalade du temps, parcouru par l’escalade du temps. Cimino apparait comme un cinéaste de l’espace marché, parcouru par l’escalade d’une accolade d’instants.

 

Le cinéma de Cimino affirme la vivacité de l’escalade, la vivacité d’une accolade-escalade. Cimino donne l’accolade aux hommes comme il escalade les montagnes. Cimino donne l’accolade aux montagnes comme il escalade les hommes.

 

Par le geste d’accolade-escalade, Cimino apparait ainsi comme un cinéaste du délire cosmique de la vie quotidienne, délire cosmique de la vie quotidienne emblématisé par l’instant où les amis contemplent un phénomène céleste étrange à la sortie des escaliers de l’usine où ils travaillent. Il y a ainsi aussi du Zola chez Cimino. Les figures humaines de Cimino sont en effet fêlées, cependant elles ne sont pas fêlées comme du cristal. Les figures humaines de Cimino apparaissent fêlées comme des montagnes. Ce que Cimino  filme ce sont des lignes de faille, les lignes de faille à la fois des montagnes et des hommes, les lignes de faille comme des hommes. Chaque figure humaine du cinéma de Cimino ressemble alors à une montagne de fêlures. Et cela aussi parce que paradoxalement pour Cimino  la fêlure de la montagne c’est sa cime, c’est précisément sa cime. Pour Cimino le sommet apparait comme une déchirure Pour Cimino, le sommet  apparait comme la déchirure de l’élan, comme la déchirure de l’héroïsme, comme la déchirure de l‘enthousiasme, comme la déchire de l’élan enthousiaste comme la déchirure de l’héroïsme enthousiaste.

 

 

Le temps du cinéma de Cimino c’est le temps nécessaire à escalader la montagne de l’espace. Le temps à l’intérieur du cinéma de Cimino ne se déroule pas. Le temps à l’intérieur du cinéma de Cimino s’enroule plutôt, le temps s’enroule comme une route de montagne. Le temps à l’intérieur du cinéma de Cimino c’est une route, c’est la torsion d’une route. Le temps à l’intérieur du cinéma de Cimino c’est la route à l’intérieur de la montagne. Le temps à l‘intérieur du cinéma de Cimino c’est la route comme montagne, c’est la montagne comme route, c’est la route de la montagne même.

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino le temps apparait à la fois par le mouvement et l’immobilité du paysage. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le temps apparait comme mouvement immobile du paysage. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le temps apparait comme paralysie projectile du paysage.

 

Filmer pour Cimino c’est quelque chose comme le geste de fondre le temps. Pour Cimino  filmer c’est le geste de fondre le temps non pas à l’intérieur de l’espace, plutôt au dos de l’espace, au dos de l’espace comme à dos d’animal, au dos d’animal de l’espace.

 

Filmer pour Cimino c’est fondre le temps à califourchon sur l’espace, c’est fondre le temps à califourchon au sommet de l’espace. Filmer pour Cimino c’est fondre le temps à califourchon au sommet de la montagne de l’espace, au sommet de la montagne de feu de l’espace.

 

 

Cimino n’est ni un cinéaste du cadrage, ni un cinéaste du montage. Pour Cimino ce qui compose les images ce n’est pas le montage, c’est la montagne. Pour Cimino, ce qui compose les images c’est la montagne du temps. Chaque image de Cimino n’est pas un plan. Chaque image de Cimino survient plutôt comme un pan, comme un pan de temps, comme un pan de la montagne du temps, comme un pan de la détonation du temps, comme un pan de la montagne de détonation du temps.

 

Ce qui provoque l’élan du cinéma de Cimino ce n’est pas le découpage ou le montage. Ce qui provoque l’élan du cinéma de Cimino c’est paradoxalement la montagne, la montagne des détonations, la montagne des coups de feu.

 

À l’intérieur du cinéma de Cimino, chaque image apparait reliée aux autres images par la montagne du temps, par la montagne de coups de feu du temps. Cette montagne de coups de feu du temps n’est pas uniquement ce qui relie deux images entre elles, c’est surtout ce qui entasse et amalgame, ce qui entasse et amalgame en spirale chacune des images du film les unes avec les autres. (Par ce geste de montage comme montagne, Cimino ressemble alors parfois à Pelechian.)

 

Filmer pour Cimino c’est faire fondre une montagne. Filmer pour Cimino c’est faire fondre une montagne à l’intérieur d’un coup de feu, c’est faire fondre la montagne du temps à l’intérieur d’un coup de feu.

 

Le cinéma de Cimino c’est à la fois le geste de faire fondre la montagne du temps à l’intérieur du brouhaha du monde et le geste de fondre chacun des événements du monde par la montagne du temps, par la montagne de coup de feu du temps.

 

 

Le plan de Cimino n’est pas découpé avec des ciseaux. Le plan de Cimino apparait plutôt  ciblé, tiré, fusillé. Le plan de Cimino semble paradoxalement étiré par le tir, étiré par le geste de tirer. Chaque plan de Cimino survient comme une cible, chaque plan de Cimino survient comme une cible en mouvement et plus encore surtout comme la cible du mouvement même. Pour Cimino, le mouvement du monde survient ainsi comme la cible du destin, comme la cible d’oubli du destin.

 

Le plan de Cimino n’est pas découpé. Le plan de Cimino apparait à la fois fondu et fusillé. Le plan de Cimino apparait sidérurgiquement fondu  et cynégetiquement fusillé, à la fois cynégetiquement fondu et sidérurgiquement fusillé.

 

Ce qui relie les plans (ou plutôt les pans, les pans d’images) à l’intérieur du cinéma de Cimino, ce n’est pas le fondu enchainé, c’est plutôt le fondu déchainé, le fondu déchainé du coup de feu.

 

 

Le cinéma de Cimino apparait sidérurgique. Le cinéma de Cimino a la forme d’une chasse sidérurgique.

 

Le cinéma de Cimino donne à sentir une sidérurgie du paysage. Pour Cimino, filmer c’est forger le paysage, filmer c’est forger le paysage afin de transformer le paysage en machine.

 

Le cinéma de Cimino c’est le geste de machiner le paysage. Le cinéma de Cimino c’est le geste d’inventer un devenir machine du paysage. Le cinéma de Cimino c’est le geste de mouvoir le paysage, de mouvoir le paysage comme une automobile ou une locomotive. Le cinéma de Cimino c’est une manière de conduire le paysage, une manière de véhiculer le paysage. Ce que montre à chaque instant le cinéma de Cimino ce sont les forces de conduction du paysage, les puissances de conduction du paysage, les forces de conduction métallique du paysage, les puissances de conduction métallique du paysage.

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino les hommes ne sont ni fondus ni détachés du paysage. A l’intérieur du cinéma de Cimino les figures humaines surgissent à l’intérieur du paysage par le geste même de fondre le paysage, par le geste fondre sidérurgiquement le paysage, par le geste de fondre sidérurgiquement le paysage à coup de feu. Cimino apparait ainsi comme un cinéaste chtonien, comme un cinéaste forgeron. Cimino apparait comme un cinéaste à la recherche de ce que Deleuze appelle les flux métalliques de la terre.

 

 

Pour Cimino, la terre même apparait comme une arme à feu. Pour Cimino, le paysage apparait comme une arme à feu. Pour Cimino, la cérémonie de la terre apparait comme une arme à feu. Pour Cimino, la terre apparait projectile. Pour Cimino la terre apparait comme projectile de la terreur, la terre apparait comme projectile de feu de la terreur.

 

Pour Cimino, à l’inverse de ce que W. Benjamin  le cinéma  n’est jamais ni cosmétique, ni chirurgical (le cinéma cosmétique et chirurgical ce serait plutôt celui d’Hitchcock). Pour Cimino, le cinéma apparait plutôt comme une forme de sidérurgie comme un geste de sidérurgie. Pour Cimino, le cinéma apparait comme la sidérurgie du mythe. Pour Cimino, le cinéma apparait comme la sidérurgie du paysage comme la sidérurgie de l’épopée du paysage, comme la sidérurgie du paysage du mythe.

 

Le cinéma de Cimino n’est pas un cinéma éthique, un cinéma éthique du face à face. Le cinéma de Cimino apparait plutôt comme un cinéma mythologique, comme un cinéma mythologique. Le cinéma de Cimino apparait comme un cinéma chamanique, comme un cinéma d’Indien, comme un cinéma d’Inuit, comme un cinéma d’Eskimo. Le problème cinématographique de Cimino n’est pas de définir la différence entre le bien et le mal par la morale du plan. Le problème cinématographique de Cimino c’est plutôt de parvenir à sauver l’animalité de l’âme  par l’allure de montagne des coups de feu, par la montagne en mouvement des coups de feu.

 

Le cinéma de Cimino montre un inconnu matériel, un inconnu matériel provoqué comme une montagne de sensation, comme une montagne-cyclone de sensation à l’instant du coup de feu, à l’instant de la détonation, à l’instant de la violence de la détonation.

 

Cimino filme à la fois de manière matérialiste et de manière mythologique. Cimino filme comme un matérialiste mythologique. (En cela Cimino ressemble parfois à Leone). Ce que Cimino montre c’est la matière de la mythologie. Ce que Cimino montre ce sont les forces de gravitation de la mythologie, ce sont à la fois les forces mythologiques de la gravitation matérielle et les forces matérielles de la gravitation mythologique.

 

L’étrangeté de The Deer Hunter c’est d’apparaitre à la fois comme un film naturaliste (l’évocation quasi ethnographique de la communauté litunaniene, en particulier la scène gigantesque du mariage) et un film mythologique  (la scène de la roulette russe.) Cimino oscille à chaque instant entre le naturalisme et le mythologique. Et la scène de la chasse au cerf c’est l’instant sublime où le naturalisme devient mythologie et la mythologie naturalisme.

 

Cimino serait un cinéaste allégorique,de même par exemple que Visconti, Pasolini et  Bertolucci. C’est comme si pour Cimino seule la paix pouvait apparaitre montrée de manière naturaliste et pas cependant la guerre. A l’intérieur du cinéma de Cimino la paix apparait filmée de manière naturaliste et la guerre de manière symbolique et même allégorique.

 

Il y a une valeur de la superstition chez Cimino : la scène de The Deer Hunter où les amis regardent des halos à l’intérieur du ciel en sortant du bar. Le paradoxe de Cimino c’est de filmer malgré tout comme un matérialiste de la superstition. Pour Cimino, lr geste de la superstition n’est pas d’interpréter les signes, d’interpréter les signes émis par la matière. Pour Cimino, le geste de la superstition c’est plutôt  de viser les formes insensées de la matière. Le geste magique du cinéma de Cimino ce n’est pas d’interpréter les signes spirituels du monde c’est plutôt de viser, de cibler les forces de la matière à arme nue, à fusil nu, de viser, de cibler les forces de la matière avec le dénuement de l’arme, avec la vulnérabilité de l’arme, avec l’âme de l’arme afin de rencontrer les formes insensés de la matière comme figures de la grâce, comme figures du destin, comme figures de grâce du destin.

 

 

Il y a un aspect héraclitéen chez Cimino. Cimino filme comme un paysagiste héraclitéen. En effet pour Cimino, le cœur du paysage c’est le combat. Pour Cimino, le cœur du cosmos c’est le combat.

 

Ainsi pour Cimino, contempler c’est écouter battre. Pour Cimino, contempler c’est écouter battre le cœur du combat.

 

« Lorsqu’ils filment des combats, les cinéastes qui ne sont pas des peintres montrent d’abord celui qui tire (à l’arc, au fusil) puis celui qui reçoit (la balle). Un peintre lui veut voir autre chose. La flèche qui traverse toute seule l‘espace. Et même si c’était possible, la balle. » Serge Daney

A l’intérieur du combat du monde, Cimino ne montre pas seulement l’image de la flèche ou de la balle qui traverse seule l’espace. Ce que montre plutôt et surtout Cimino c’est l’espace  qui traverse seul la balle, c’est l’espace qui se trouve seul à l’intérieur de la balle, c’est l’espace qui se trouve seul à l’intérieur de l’explosion de la balle. Ce que montre surtout Cimino c’est le paysage qui se trouve seul à l’intérieur de la détonation de la balle, c’est la solitude du paysage, l’extrême solitude du paysage qui se trouve miraculeusement immobile à l’intérieur de la détonation du destin.

 

 

Dans Sunchaser, un policier demande à la femme du docteur pris en otage par le jeune indien  si son mari a des zones d’ombres affectives. La femme répond alors de façon magnifique. « Mon mari est un homme sain, rationnel et aimant, son seul problème affectif c’est l’arme qui en ce moment est pointée sur sa tempe. » Le cinéma de Cimino ressemble ainsi parfois à une sorte de psychanalyse de masse, une sorte de psychanalyse de masse à coup de feu. Cimino ne croit pas cependant à la valeur d’une cure par la parole.Cimino ne pense pas que la parole parvienne à soigner des traumatismes Cimino montre plutôt comment seul le coup de feu parvient à donner à sentir la forme d’un traumatisme. Le cinéma de Cimino montre alors  que seul un traumatisme parvient à révéler un autre traumatisme, que seule une forme de terreur parvient à révéler une autre forme de terreur. C’est pourquoi Cimino apparait comme un cinéaste tragique. Ainsi pour Cimino seule la forme de terreur d’un coup de feu sur la tempe parvient à figurer la terreur même d’exister.

 

La psychanalyse à coup de feu de Cimino n’est donc pas une psychanalyse qui tente de soigner et de guérir, c’est plutôt un geste de figuration qui essaie de sauver. Pour Cimino, ce qui apparait nécessaire ce n’est pas de soigner l’homme, de soigner les maladies de l’homme. Pour Cimino, ce qui apparait nécessaire c’est plutôt de sauver l’homme, de sauver à la fois la santé et la maladie de l’homme (C’est le problème même de Sunchaser.)

 

Le cinéma de Cimino montre ainsi le salut de l’homme par la détonation. Le cinéma de Cimino montre que le salut de l’homme c’est le coup de feu, que le salut de l’homme c’est la détonation, c’est le salut de la détonation du destin. En effet paradoxalement pour Cimino, la détonation apparait comme le seul partage intense. La détonation apparait comme la seule forme de partage intense entre les hommes parce que c’est le partage absolu de la terreur, le partage absolu de la terreur d’exister.

 

(Pour Cimino ce qui fonde la nation c’est la détonation, c’est le partage de mémoire de la détonation, c’est le partage des coups de feu, c’est le partage de mémoire des coups de feu.)

 

 

Une des figures centrales du cinéma de Cimino c’est celle du meurtre de l’ami. Le cinéma de Cimino montre le geste de tuer l’autre, le geste de tuer l’autre afin parfois de sauver l’âme de l’autre, le geste de tuer l’autre à l’instant même de sauver l’âme de l’autre (la dernière scène de roulette russe de The Deer Hunter entre De Niro et Christopher Walken). Ainsi pour Cimino, le sentiment de la nation ce n’est pas de mourir pour l’autre, c’est plutôt de mourir l’autre, c’est plutôt de tuer l’autre pour sauver l’autre.

 

Mike (le personnage interprété par De Niro) apparait comme un personnage héroïque parce que ce qui pour les autres est un suicide pour lui ne l’est pas. C’est indiqué d’emblée par la scène où il double le camion sur la droite, en disant ensuite que c’est un coup tranquille, un coup peinard. Pour De Niro, il n’y a pas de suicide. Pour de Niro, il n’y a pas de suicide parce qu’il n’y a pas de suicide manqué. Pour de Niro, il n’y a pas de suicide parce que la mort c’est précisément la présence d’une seule balle, la présence d’une balle unique. Si de Niro ne meurt pas quand il met plusieurs balles dans son revolver lors de la scène de la roulette russe, c’est précisément parce que pour lui plus il y a de balles moins il y a de mort. Pour De Niro en effet  multiplier les balles c’est diviser la mort. Malgré tout cette logique singulière selon laquelle plus il y a de balles moins il y a de mort n’est exacte que pour lui et donc aussi que pour sa mort. Cette logique n’est exacte que pour son existence, parce que son existence apparait comme une existence tragique, existence tragique qui parvient ainsi à transformer la mort en forme taboue.

 

 

Il y a évidemment une ressemblance entre la scène de la chasse et la scène de la roulette russe. A chaque fois ce qui surgit c’est la forme du une balle, une seule.  Malgré tout à l’intérieur des deux scènes cette forme du une balle une seule a une valeur différente. La première fois, la forme du une balle, une seule révèle une forme de souveraineté, une manière de tuer l‘animal avec souveraineté et lors de la scène de la roulette russe, une façon de tuer l’homme de façon cynique.

 

L’étrange tragédie de The Deer Hunter c’est que Christopher Walken meurt précisément parce que De Niro revient au Vietnam pour essayer de le sauver. Christopher Walken meurt à l’instant précis où De Niro parvient à lui redonner la mémoire, à lui redonner la forme de son passé « Tu te souviens, l’odeur des arbres, les montagnes… » Ainsi c’est à l’instant précis où Christopher Walken sa mémoire, retrouve la forme de son passé qu’il se tue. À l’instant où Christopher Walken retrouve la mémoire il meurt, comme si il était tué par la détonation même de la mémoire.

 

Il y a ainsi un aspect proustien chez Cimino. Pour Cimino, la mémoire apparait involontairement, cependant à la différence de Proust cette apparition involontaire de la mémoire n’est pas délicate, cette apparition involontaire de la mémoire survient de manière violente. La mémoire apparait provoquée par le coup de feu, par la terreur du coup de feu. Chez Proust c’est un événement délicatement involontaire (tintement d’une tasse,  saveur d’un gâteau, décalage de pavés) qui provoque une forme violente de mémoire. Chez Cimino a l’inverse, c’est plutôt un événement violent (celui du coup de feu)  qui fait apparaitre une forme délicate de la mémoire. C’est là la forme paradoxale de la nostalgie de Cimino. Le paradoxe de la nostalgie de Cimino c’est d’apparaitre provoqué par le tonnerre de la détonation.

 

Cimino révèle ainsi parfois la coïncidence à l’intérieur d’un même corps du passé et du présent, de l’ici et de l’ailleurs, de l’ailleurs de l’hier et de l’ici présent. Cimino révèle  l’étonnement à la fois solennel et ahuri envers la ténuité de cette coïncidence, la subtilité de cette coïncidence, la ténuité subtile de cette coïncidence. Par exemple dans La Porte du Paradis, le poète alcoolique apparait debout au milieu des chariots, de la poussière et des coups de feu en prononçant ces mots «  Il y a un an, j’étais à Paris, et maintenant je suis là. Ténue, ténue est la vie ! »

 

Le temps pour Cimino c’est le revolver sur la tempe. Le temps pour Cimino c’est la tempe de la montagne, la tempe de la montagne à l’instant du coup de feu.

 

Cimino montre aussi quelque chose comme le drapeau de la tempe. Cimino montre le drapeau de tempe du temps. Cimino montre le drapeau de tempe du temps à l’instant du coup du feu.

 

À l’intérieur du cinéma de Cimino ce qui revient à chaque instant comme présence du passé c’est le tympan du destin, c’est le tympan de feu du destin, c’est le tympan de coup de feu du destin, c’est le tympan de détonation du destin.

 

 

Le cinéma de Cimino a parfois un aspect marxiste, surtout La Porte du Paradis où Cimino montre plus encore que l’exploitation du prolétariat l’extermination des pauvres. Malgré tout Cimino ne filme pas les classes sociales. Cimino montre plutôt des meutes, des meutes d’hommes, des meutes d’hommes qui deviennent des nations, des meutes d’hommes qui deviennent des nations à coups de feu, des masses d’hommes, des masses d’hommes qui deviennent des nations par la grâce violente de la détonation.

 

Cimino apparait comme un cinéaste marxiste. Malgré tout c’est un cinéaste marxiste très bizarre, un cinéaste marxiste dionysiaque, un cinéaste marxiste à la fois zen et dionysiaque.

 

Et Cimino n’est pas uniquement un cinéaste marxiste, c’est aussi un cinéaste canettien. Cimino ne montre pas seulement les rapports de classe, Cimino montre aussi et même surtout des formations de meutes et de masses. Ainsi ce que Cimino accompagne avec le dripping métallurgique de sa caméra ce sont des mutations de meutes et des métamorphoses de masses.

 

Cimino filme des masses humaines sans jamais les disposer à distance d’un point de vue. (En cela le cinéma de Cimino est rigoureusement antagoniste de celui d’Hitchcock ou de celui de Kubrick). Il n’y a aucun regard critique et pas même de regard éthique chez Cimino. Il y a uniquement un regard mystique, un regard mystique semblable à celui d’une masse d’âmes. Cimino filme des masses d’hommes avec la masse même du regard. Cimino filme des masses d’hommes avec la masse d’âmes du regard. Cimino contemple ainsi le monde par des apothéoses de masses de regards, par une multiplication d’apothéoses de masses de regards.

 

« Entre les hommes il y a un espace qui les tient ensemble mais non confondus. »  S. Daney

Pour Cimino, entre les hommes il y a un lieu qui les fond les uns aux autres, qui les fond sidérurgiquement les uns aux autres sans malgré tout les confondre. A l’intérieur du cinéma de Cimino  il y a un lieu qui fond les hommes les uns aux autres sans parvenir à les tenir ensemble. En effet à l’intérieur du cinéma de Cimino, la tenue, le maintien, la dignité, ne parvient jamais à s’accomplir longtemps. A l’intérieur du cinéma de Cimino, même les âmes aristocratiques, les âmes dandy (celles de Mike dans The Deer Hunter ou celles de Chris Christofferson ou de John Hurt dans La Porte du Paradis) ne tiennent pas. Ces âmes s’effondrent, ces âmes finissent par s’effondrer. Ce sont ainsi des âmes de dandys fondus, de dandys effondrés, de dandys fondus à l’effondrement. Ainsi à l’intérieur du cinéma de Cimino, le lieu amalgame les hommes les uns aux autres malgré tout comme distincts. Ainsi à l’intérieur du cinéma de Cimino, le lieu amalgame la distinction des hommes, le lieu amalgame la solitude des hommes. (« Le grand thème de l’Amérique est la solitude. C’est le grand dilemme américain qui tue plus de gens que n’importe quoi d’autre. ») A l’intérieur du cinéma de Cimino, la communauté des hommes  ressemble ainsi à une mêlée, à une mêlée de sentimentaux délicats, à une mêlée d’émotifs délicats, à une meute, à une meute animale, à une meute animale de sentimentaux délicats et d’émotifs tendres.

 

 

Il y a une curieuse alliance de sentiment démocratique et de sentiment aristocratique à l’intérieur du caractère de Cimino. Son sentiment démocratique lui vient du cinéma de John Ford et son sentiment aristocratique de celui de Visconti. C’est comme si Cimino à chaque instant déséquilibrait l’harmonie démocrate de fiord par le délire aristocratique de Visconti et équilibrait ensuite le délire aristocratique de Visconti par l’harmonie démocratique de Ford. Et le paradoxe enfin de Cimino c’est que cet équilibre survient malgré tout comme forme de l’anarchie, comme anarchie de la beauté, comme anarchie du sublime, parce que ce qui relie ces deux sentiments c’est le chaos de coup de feu de Peckinpah.

 

 

Cimino n’est pas un cinéaste politique. Cimino apparait plutôt comme un cinéaste tragique. C’est pourquoi ce que Cimino désire montrer ce n’est pas l’histoire d’une nation, c’est le destin d’une nation. Ce que le cinéma de Cimino montre ce n’est pas l’histoire des Etats-Unis c’est le destin des Etats-Unis.

 

Ce que Cimino révèle avec la Porte du paradis c’est que ce ne sont pas les hommes (les individus) qui entrent ou non au paradis. Ce que Cimino révèle avec La porte du Paradis c’est que ce qui apparait sauvé ou damné ce ne sont pas des hommes ce sont des nations. Il y a un mysticisme intense de Cimino, malgré tout ce n’est pas un mysticisme individuel et ce n’est pas non plus un mysticisme social, c’est un mysticisme de masse.

 

En effet la vision des Etats-Unis par Cimino n’est pas historique, elle est mythologique. Le problème de Cimino c’est d’essayer de voir si le paysage nommé Etats-Unis, la masse-paysage nommée Etats-Unis sera sauvée ou non, de savoir si Dieu bénira l’Amérique ou non.  Il est cependant évident que pour Cimino l‘Amérique n’est pas une nation élue Ce que Cimino montre c’est plutôt comment l’Amérique apparait sauvée sans être élue. Ce qui indique à chaque cela dans son cinéma, c’est le drapeau, c’est la figure du drapeau. « Je pense que à la fin de Heaven Gates, c’est curieux, en dépit des circonstances, malgré la fin, on ressent quand même une certaine noblesse dans ce drapeau. C’est fou, mais c’est comme cela. Il transcende en quelque sorte ce moment-là. Je suppose que c‘est parce qu’il est un extraordinaire symbole d‘espérance. (…) En dépit de ce génocide, il est encore  beau… c’est un pays magique. » Cimino apparait ainsi comme un cinéaste de la magie de la nation, de la magie quasi démente de la nation.

 

 

Dans The Deer Hunter, ce qui fait exploser la communauté américaine, ce ne sont pas les institutions américaines, ce ne sont pas les classes bourgeoises dirigeantes des Etats-Unis. Dans The Deer Hunter ce qui fait exploser la communauté américaine c’est un jeu de roulette inventé par les aristocrates russes, jeu que Cimino par décision irréaliste arbitraire change en jeu du peuple vietnamien, du peuple communiste vietnamien. Dans The Deer Hunter, ce que Cimino oppose de manière arbitraire et même scandaleuse, c’est deux manières de jouer avec une arme à feu, et même deux manières du jeu de tirer une seule balle, celui de la chasse ( one shot indique avec fierté De Niro) et celui de la roulette russe. Dans le film une même forme celle de la balle unique a deux valeurs antagonistes. Dans la scène de la chasse la balle est un indice de souveraineté quasi nietzschéenne (pour Mike). Lors de la roulette russe, la balle unique est le signe de l’horreur, de l’horreur irrémédiable.

 

« Vous n’êtes pas de ma classe sociale. Pour pouvoir l’être, il vous faudrait mourir et renaitre. » dit superbement Kris Kristofferson à Sam Waterson dans La Porte du Paradis. Cette phrase révèle que Cimino a finalement une vision religieuse (chrétienne) de la société et de la politique. Pour Cimino, les classes sociales (ou les relations politiques) ne sont finalement que des résidus, les résidus de l’impuissance de chaque corps humain à ressusciter à la manière du Christ. Pour Cimino, le social ou le politique ce n’est alors finalement que l’impuissance du religieux, que la structure d’impuissance du religieux.

 

« La loi de la gravitation a été entérinée par les hommes assurant ainsi sa pérennité. Si la gravitation existe c’est parce que la majorité des hommes préfère qu’il en soit ainsi. » proclame Joseph Cotten dans le discours universitaire au début de La Porte du Paradis.

Cimino indique ainsi que les règles de la civilisation ou même les règles du monde, les règles du monde humain ne sont pas celles d’une science uniquement rationnelle qu’elles sont aussi provoquées par une préférence des masses, par une préférence affective des masses. Pour Cimino, les règles de la civilisation ne sont pas rationnelles. Pour Cimino, les règles de la civilisation apparaissent irrationnelles, malgré tout elles ne sont pas provoquées par la déraison singulière d’une subjectivité. Les règles de la civilisation apparaissent plutôt composées par la déraison partagée d’une masse d’hommes, par le délire partagé d’une masse d’hommes. Le cinéma de Cimino c’est ainsi celui du délire des masses, du délire de sentiments des masses.

 

 

Cimino montre les formes pulsionnelles de la cérémonie. A l’intérieur des cérémonies de Cimino, les hommes ne respectent pas les codes, les hommes composent plutôt des meutes animales, des masses animales (surtout dans The Deer Hunter). Cimino filme paradoxalement les cérémonies comme des espaces de pulsions (par exemple le mariage de The Deer Hunter ou l’enterrement de L’Année du Dragon).

 

Cimino filme les flux animaux des cérémonies, les pulsions animales des cérémonies. Cimino filme les masses animales des cérémonies, les masses animales des cérémonies humaines, les meutes animales des cérémonies, les meutes animales des cérémonies humaines.

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino, les cérémonies n’apparaissent pas uniquement dignes et solennelles. Cimino filme plutôt le tumulte de la cérémonie, la cohue de la cérémonie, le flux torrentiel de la cérémonie (cohue de la cérémonie de mariage de The Deer Hunter et aussi cohue de la cérémonie d’enterrement de L’Année du Dragon). Ce que filme Cimino à l’intérieur de la cérémonie ce n’est pas le respect ou la transgression des codes sociaux, c’est surtout le flux de l’affect, le flux animal de l’affect, le flux de l’affect antérieur à la subjectivité. Ce que filme Cimino à l’intérieur de la cérémonie c’est le flux immémorial et presque préhistorique des sentiments, des sentiments humains.

 

 

A l’intérieur du cinéma de Cimino, les figures du peuple apparaissent comme des figures de la danse et du chant. C’est l’aspect presque médiéval du cinéma de Cimino. Pour Cimino, la meute de la nation n’est pas structurée à travers des rapports sociaux, la meute de la nation apparait plutôt d’emblée composée par des contacts de danse et de chant.

 

Le peuple de Cimino apparait comme une masse de figures humaines reliées les unes aux autres par le chant, la boisson et la danse. Le peuple de Cimino apparait comme une masse de figures humaines alliées les unes aux autres par l’instinct de chasse de la cérémonie, par la pulsion de chasse de la cérémonie.

 

Pour Cimino, le peuple n’est pas une idée. Pour Cimino, le peuple apparait plutôt comme un amalgame de sensations, comme un gigantesque amalgame de sensations, comme un titanesque amalgame de sensations.

 

Le peuple de Cimino apparait comme un peuple de frères, un peuple de frères d’armes. Le peuple de Cimino apparait comme une confrérie de coups de feu. Le peuple de Cimino n’est pas cependant un peuple de soldats et de guerriers. Le peuple de Cimino apparait comme un peuple de frères d’armes paradoxaux. En effet ces frères d’armes de Cimino ne s’échangent pas des armes pour combattre des ennemis (le refus par exemple de De Niro de prêter son arme à John Cazale lors de la première scène de chasse de The Deer Hunter), ils préfèrent plutôt s’offrir une seule arme, s’offrir la solitude d’une arme afin de provoquer la passion de leur mémoire, la passion de leur mémoire partagée, la passion de la mémoire partagée du paysage, la passion de la mémoire partagée du paysage de leur pays.

 

Pour Cimino, le peuple c’est ce qui apparait à l’intérieur d’un volcan de détonations. Pour Cimino, le peuple c’est ce qui apparait à l’intérieur d’un volcan de poussière, d’un volcan de coups de feu, d’un volcan de poussière et de coups de feu. Pour Cimino le peuple n’appartient pas uniquement à une terre. Pour Cimino le peuple appartient plutôt à une terre de feu, à un paysage de feu, à une montagne de feu. Pour Cimino, le peuple c’est la masse d’hommes qui chante au sommet d’un volcan, c’est la masse d’hommes qui chante au sommet d’une montagne de feu.

 

Pour Cimino, ce qui fonde le peuple ce n’est pas le partage de la terre. Pour Cimino, ce qui fonde le peuple c’est le partage de la transe de feu de la terre, c’est le partage de la transe de feu à la fois chanté et dansé de la terre. Le peuple de Cimino n’est pas celui du sang, de la langue et du sol, c’est celui du chant, de la danse, des armes et de la terre en feu. C‘est pourquoi il n’y a pas à l’intérieur du cinéma de Cimino de fondement du peuple, il y a plutôt une fusion du peuple. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le peuple n’est pas fondé, le peuple apparait fondu, sidérurgiquement fondu.

 

Le cinéma de Cimino donne à voir un peuple suicidaire, et même un peuple nécessairement suicidaire. A l’intérieur du cinéma de Cimino le peuple survient comme un suicide de masse, comme le geste d’un suicide de masse. A l’intérieur du cinéma de Cimino, le peuple survient comme le suicide de masse de se réfugier à l’intérieur d’un volcan, à l’intérieur du chant d’un volcan, à l’intérieur du chant de coups de feu d’un volcan, à l’intérieur du brouhaha d’un volcan, à l’intérieur du brouhaha de coups de feu d’un volcan.

 

Le peuple de Cimino apparait comme un peuple de la poussière et des coups de feu. Le peuple de Cimino apparait comme un peuple de réfugiés, comme un peuple de réfugiés à l’intérieur du feu, comme un peuple de réfugiés à l’intérieur de l’élan du feu, à l’intérieur de l’élan de terreur du feu. Le peuple de Cimino apparait comme un peuple de réfugiés à l’intérieur du volcan des coups de feu, à l’intérieur du volcan de la poussière et des coups de feu.

 

Il n’y a aucun progressisme social et politique chez Cimino. Pour Cimino, le peuple apparait comme une masse d’hommes, comme une meute d’hommes qui vivent et meurent ensemble  à l’intérieur d’un volcan, qui chantent et dansent ensemble à la vie à la mort à l’intérieur d’un volcan. La vision du peuple de Cimino n’est pas progressiste. La vision du peuple de Cimino apparait apocalyptique. Pour Cimino le peuple apparait comme l’apocalypse de la fraternité humaine. Pour Cimino le peuple apparait comme l’apocalypse de l’amitié, comme l’apocalypse de l’amitié humaine. Pour Cimino, un peuple n’est pas composé de citoyens. La question de la citoyenneté est quasiment absente du cinéma de Cimino ou alors l’honnête citoyen n’est rien d’autre qu’un assassin déguisé, qu’un assassin masqué. (La clique des éleveurs de La Porte du Paradis ou les chinois mafieux de L’Année du Dragon) Pour Cimino, le peuple apparait composé d’amis et d’ennemis. Pour Cimino le peuple apparait comme un amalgame d’amis, un amalgame de frères et d’amis qui combattent une classe d’ennemis. Pour Cimino, le peuple apparait comme un amalgame anarchique d’amis aristocrates et de frères prolétaires qui combattent l’ennemi de la classe bourgeoise.

 

Pour Cimino, le peuple apparait ainsi composé par une pulsation d’anarchie. Pour Cimino, le peuple apparait composé par la pulsation d’anarchie du sentiment, par la pulsation d’anarchie du sentiment humain.