Le Silence de Harpo

 

 

 

Harpo ne se tait pas, Harpo tait sans se taire, Harpo tait en dehors de toute réflexivité, Harpo  tait par répétition et non par réflexion. Harpo ne tait pas la parole, Harpo ne tait pas la pensée, Harpo ne tait pas uniquement le langage, Harpo tait chaque chose du monde comme si chaque chose pouvait détenir le sens même du langage.

 

Harpo apparaît comme le silence. Harpo n'est pas muet parce qu'il n'a rien à dire, Harpo apparait en silence parce qu'il a hors-tout à ne pas dire.

 

Harpo tait le silence même. Harpo tait l’aisance miraculeuse de son silence. Harpo tait le silence avec la passion de translucidité de sa harpe.

 

Harpo prend le langage à la lettre du sommeil. Harpo prend le langage à la lettre du sommeil comme il prend le silence à la lucidité de sa harpe.

 

Chaque geste de Harpo dépose fanatiquement silence au lieu de l'imposer.

 

Harpo affirme l’instinct inexorable du silence parabolique. Harpo abandonne chaque chose du monde à la pulsion de silence du tabou, à la parabole de silence du tabou, à la pulsion de silence parabolique du tabou.

 

 

Harpo apparaît muet comme une harpe, muet comme le Carpe Diem, muet comme le Carpe Dieu. Harpo est muet comme ses métacarpes caressent la cataracte de l'instinct.

 

Harpo harponne l'océan du silence. Chaque geste de Harpo harponne l'océan du silence avec la paralysie de translucidité de sa harpe, avec la fanatique nonchalance de paralysie de sa harpe.

 

Harpo n’est pas muet comme une tombe. Harpo apparait en silence comme une bombe. Harpo apparait en silence comme l’immortalité d’une bombe.

 

Harpo apparait en silence comme le gag de devenir immortel. Harpo apparait en silence comme le gag de dormir au sommet du Golgotha, comme le gag de dormir l'immortalité de la chute au sommet du Golgotha.

 

Harpo apparait immortel à l'instant l'instant. Harpo affirme le gag d'apparaître immortel à l'instant l'instant sans avoir besoin de vivre, sans avoir besoin de mourir et sans avoir besoin de ressusciter.

 

 

Le silence de Harpo apparait comme un artifice incroyable. Malgré tout jamais Harpo ne désigne, ne signifie cet artifice en tant que tel. A chaque instant, Harpo fait comme si l’artifice de taire était immémorialement indiscutable. La parole humaine est un artifice inouï mais presque tous les hommes laissent croire que cela est banal, insignifiant, ils laissent croire que cet artifice n’existe pas. Le défi sublime de Harpo affirme le geste d’apparaitre en silence avec la même affectation pseudo naturelle que celle des hommes lorsqu’ils parlent. Ainsi Harpo détruit la seule croyance qui soit, la croyance en l’obligation de parler. Dieu n’est rien d’autre que l’obligation d’échanger la parole. Dieu n’est rien d’autre que l’obligation de dire n’importe quoi dès que n’importe qui vous dit n’importe quoi. Chaque geste de Harpo déclare à visage ouvert « Tu ne parleras pas. » Harpo affirme le miracle de l’athéisme instantané, de l’athéisme immédiat. Chaque gag de Harpo déclare « Tu tairas ton prochain comme tu tairas le comme. »

 

Harpo montre qu'il existe une forme d'artifice plus subtile encore que celle du langage. Le silence de Harpo n'est pas celui d'une nature donnée, le silence de Harpo apparait plutôt comme celui d'un artifice à l'abandon. Le silence de Harpo n'est pas justifié au nom de la nature, il n'est pas justifié au nom de quoi que ce soit. Plus encore que le langage ce que Harpo détruit c'est le nom du langage. Harpo ne répond à aucun nom, à aucun prénom, à aucun surnom. Harpo répond seulement à l'innommable. Harpo répond seulement à la translucidité innommable de sa harpe.

 

Harpo affirme l’exubérance paradoxale d’abandonner son existence comme la disparition de son existence à la jubilation d'inventer des tabous. Le silence de Harpo ne transgresse pas les interdits, le silence de Harpo apparait comme le tabou immédiat qui détruit l'impossible même de ce qui est permis.

 

Pour Harpo le tabou n'est pas un sens transcendant, le tabou n’est pas un sens sacré. Pour Harpo le tabou survient comme une apparition, la posture d'une apparition miraculeuse, la posture d’apparition miraculeuse de l'immédiat hors tout. Harpo ne transgresse pas les lois. La jubilation de Harpo affirme la pulsion d'inventer des tabous à l'instant, de créer des tabous à plaisir. Harpo transforme chaque chose en tabou de l'immédiat, en tabou alibre de l'immédiat hors tout.

 

Harpo, plutôt que d’associer des idées, dissocie chaque chose de sa présence afin de transformer cette présence en tabou immédiat de son apparition. Harpo cisaille chaque existence afin de transformer cette existence en chose de démence du tabou.

 

La pulsion de Harpo n'est pas d'indiquer que tout est permis. La pulsion de Harpo affirme le geste de taire chaque chose comme apparition taboue hors tout. La pulsion de Harpo affirme le geste de taire que chaque chose comme tabou immédiat hors tout de la nécessité, tabou immédiat hors tout du sommeil frivole du destin.

 

Harpo n'est ni au monde ni en dehors du monde, Harpo apparaît à l'intérieur du tohu-bohu. Harpo apparaît à l'intérieur de la mystification du tohu-bohu. Harpo apparaît à l'intérieur d'un tohu-bohu à mystifier à la fois le monde et la disparition du monde. "La terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l'abîme ... " C'est cette terre vide, cet abîme de ténèbres que Harpo joue à cisailler de manière impeccable. Le gag de Harpo joue à harponner le tohu-bohu à travers l’univers des êtres humains. Harpo n’est pas seulement préhistorique, Harpo apparait pré-divin. Le gag de Harpo n'est pas de tuer Dieu, le gag de Harpo c'est d'apparaître antérieur à Dieu. Le gag de Harpo c'est de cisailler la matière du monde afin de transformer le monde en tohu-bohu de tabous avant même que Dieu ne crée le ciel et la terre. La matière que Harpo bricole n'est pas une matière créée, c'est une matière antérieure à la création, c'est une matière à l'abandon, une matière abandonnée au sommeil du destin. Harpo invente un tohu-bohu de tabous avant même que Dieu ne crée le monde par la lumière du verbe.

 

Harpo méprise la vitesse comme la lenteur parce qu'il affirme le rythme de monotonie du tohu-bohu à la surface de son crâne, à la surface de sa chevelure-crâne. Au lieu d'incarner le verbe, Harpo donne à apparaître le tohu-bohu. Harpo donne à apparaître l'amnésie immédiate du tohu-bohu. Harpo donne à apparaître le coma tabou du tohu-bohu. Harpo donne à apparaître la mystification taboue du tohu-bohu.

 

Harpo promène une apparition-épidémie, une épidémie à lui hors tout seul. Le silence de Harpo transforme ainsi le paradis en une épidémie terrifiante de tabous immédiats.

 

 

Harpo pense à dormir. Harpo dort à penser. Les êtres humains ne sont rien d'autre que les pense-bêtes du sommeil immortel de Harpo.

 

Harpo ne dort jamais quand il est fatigué. Harpo dort par plaisir de contredire la fatigue. Harpo ne dort pas parce que les circonstances l'y obligent, Harpo dort comme cela lui chante. Harpo dort comme cela lui harpe. Harpo dort comme cela lui scande. Quand Chico chante une berceuse à Harpo alors qu'il a pris des somnifères, cela le réveille. Harpo ne croit pas à la force somnifère de la parole et il ne croit pas à la force somnifère de la matière, Harpo acquiesce seulement à la force somnifère de la pulsion du silence.

 

Harpo apparait en silence comme l'artifice du sommeil, comme la scandaleuse respiration artificielle du sommeil. Harpo apparait en silence comme l'instinct de mystification du sommeil.

 

Harpo apparait comme le somnambule de l'immortalité de son âme. L’âme de Harpo donne à sentir un sommeil immortel à l'intérieur duquel il s’amuse à déambuler à l'instant l'instant.

 

Le sommeil de Harpo n'est jamais organique, le sommeil de Harpo apparait comme forme rythmique. Harpo ne dort pas par besoin organique, Harpo dort par instinct rythmique, par instinct rythmique orgiaque.

 

Le silence de Harpo affirme la forme d’un rythme qui jongle avec le sommeil, avec les innombrables postures de mystification du sommeil.

 

Harpo apparait comme un satyre du sommeil. Si Harpo court après les femmes ce n'est pas afin d'en jouir sexuellement, c'est parce que Harpo veut d’abord dormir avec elles. Harpo ne viole pas le sexe des femmes avec son sexe, Harpo viole le sommeil des femmes avec son sommeil. Harpo apparaît ainsi aussi paradoxalement violé par la posture de sommeil avec lequel il viole le sommeil des femmes.

 

Harpo projette une avalanche à multiplier les scansions du sommeil. Harpo multiplie les postures scandaleuses du sommeil afin de violer le repos même du sommeil, afin de transformer le sommeil en tas d’enthousiasme du silence.

 

Le sommeil de Harpo apparait comme la parabole de son silence. Le sommeil de Harpo apparait comme l'avalanche parabolique de son silence. Harpo invente l’avalanche de sommeils paraboliques du silence.

 

Harpo dort le zéro de l'apocalypse hors tout.

 

 

Les mains de Harpo sont des pantomimes de doigts.

 

Les mains de Harpo sont muettes comme des tympans d'aveugle.

 

Harpo utilise sa main comme un pinceau ou un chiffon, le pinceau du brouillard, le chiffon de la poussière.

 

Harpo y va de main morte. Harpo y va de main morte jusqu'à revenir de main immortelle.

 

La main morte de Harpo ressemble à une arme blanche. La main morte de Harpo ressemble à l'arme blanche de l’immortalité.

 

A la violence du chaos, Harpo tend l'autre main. A la violence du chaos, Harpo tend l'autre main comme il y va de main morte.

 

Dans Duck Soup, Harpo saisit à chaque instant avec exaltation la main de celui qui cherche à le battre. Harpo invente ainsi un geste plus subtil encore que celui du Christ qui tend l'autre joue : le geste de tendre l'autre main. Le charme de la charité coïncide ainsi avec le miracle du gag. Harpo esquive à la fois la violence et la souffrance par le geste de tendre la main morte de la joie, la main joyeusement morte de l'amour, la main joyeusement morte de l'amour immortellement perdu. Harpo apparait comme un génie de la non-violence. Pour Harpo la non-violence n'est pas la vérité de l'amour. Pour Harpo la non-violence affirme plutôt le gag de l'amour, le gag de mystification de l'amour.

 

Harpo a la langue rompue à sa main. Les mains de Harpo ressemblent à des langues pendantes, les langues pendues de l'enthousiasme du silence, les langues pendues de la soif de dormir en dehors de la fatigue, les langues pendues de la soif de dormir par l'intolérance du coma.

 

Harpo n'a ni les mains libres ni les mains liées, Harpo a les mains impeccablement vides. Harpo a les mains vides d'apparaitre abandonnées à ses bras, d'apparaitre abandonnées à bras ouverts.

 

Si Harpo met sa main au feu ce n'est pas pour jurer de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Si Harpo met sa main au feu c'est uniquement afin de taire la vérité et de transformer ainsi le feu en silence, en silence qui brûle la vérité.

 

Harpo s’amuse à faire passer l'explosion de charme de la chute, de sa main droite à sa main gauche, de sa main gauche à sa main droite, de la main à la main, de la main à la main à l'instant l'instant. Par ce geste Harpo détruit à main nue le désir de prière et le désir de nier la prière, le désir de joindre les mains et le désir de les séparer.

 

Harpo touche les choses afin de dénuder ses mains. Quand Harpo joue de la harpe c'est comme si il offrait aux regards et aux oreilles un incroyable strip-tease de mains.

 

Harpo promet sa main à la suite des animaux. Harpo fait des pieds et des mains comme l'amnésie impeccable de la nature fait des hippopotames et des fleurs.

 

 

Si Harpo déambule avec des ciseaux à la main ce n'est jamais afin de couper la parole des autres, c'est afin de couper ce qu'ils croient posséder à travers la dignité de leur parole. Au lieu de penser à coups de marteaux, Harpo tait à coups de ciseaux. Harpo coupe les objets que chacun croit posséder afin de provoquer l’apparition de la chose de la dépossession hors-tout, l’apparition de la chose de la dépossession athée.

 

Harpo préfère la musique subtile des ciseaux au bruit vulgaire des papillons. Harpo ne regarde pas voler les papillons, Harpo préfère dévorer les papillons avec la bouche de sa langue tranchée.

 

Harpo bande à coups de ciseaux. Harpo affirme la jubilation de dissocier le monde de son sens par la harpe-­ciseaux de schizophrénie de son sexe.

 

Même les objets sont trop bavards selon Harpo. Quand Harpo tranche un saucisson d'un coup de hache, il dépose son doigt sur sa bouche afin d'intimer à la hache de ne pas parler. Ainsi Harpo coupe le silence au couteau et aussi surtout (ou plutôt surhors-tout) il coupe le couteau au silence.

 

Harpo coupe chaque chose qui lui tombe sous la main, même l'échafaud. Harpo s’amuse à transformer l'échafaud en tas de confettis de la mystification. Harpo confettise l'équarrissage comme il équarrit les confettis. Harpo découpe la chose du destin comme un papier de viande.

 

Parce qu'il a tranché sa langue, Harpo prolifère ainsi d'une multitude illimitée de silences. Harpo possède ainsi autant de silences qu'il respire de gestes.

 

 

Harpo apparait comme le baigneur du déluge. Selon Harpo il semble facile de baigner d'innombrables fois son âme à l’intérieur d’un seul et unique naufrage. A chaque instant, Harpo baigne dans le naufrage de la parole, naufrage de la parole comme océan impeccable de l'inconséquence, océan impeccable de l'inconséquence du miracle, de l'inconséquence du miracle à la suite de ça.

 

Harpo apparait comme le zéro schizophrène du déluge. La schizophrénie de Harpo n'est pas psychique et elle n'est pas anatomique, la schizophrénie de Harpo a une fluidité quasi hémorragique. Harpo apparait comme un déluge du sang schizophrène. Pourtant le sang ne coule pas à l'intérieur de Harpo, c'est Harpo qui à l’inverse court parmi les innombrables postures de silence de son sang.

 

 

Chaque geste de Harpo dépose un déluge de silence jusqu'à taire à la fois l'existence et l'inexistence de la Bible.

 

Harpo ne détruit pas le Christ, Harpo mystifie le Christ. Harpo ne massacre pas le Verbe Incarné, Harpo apparait comme mystification immédiate du Christ par la multitude de gestes d’immortalité du silence, par la parure d’apocalypse à blanc du silence inexorable.

 

Le génie de Harpo affirme l'instinct d'apparaître à la fois en dehors du Christ, en dehors de Pan et en dehors du Bouddha. Le génie de Harpo affirme la pulsion de sommeil d'apparaître en dehors du Verbe Incarné, en dehors de l'Esprit du Tout et en dehors de la Lumière du Vide.

 

Harpo a gobé la totalité du monde comme un œuf. Ainsi ce que chaque geste de Harpo montre c'est la pulsation incroyable du monde en dehors de sa totalité même, c'est le monde moins le tout, le monde immédiatement ôté de son tout, c'est le monde transformé en tabou désinvolte de l’inexorable. Harpo a gobé le dieu Pan comme l'œuf à la lettre du feu, comme l'œuf à la lettre-palindrome du feu.

 

Harpo n'a pas avalé sa langue. La langue de Harpo reste toujours là à l'intérieur de sa bouche. La langue de Harpo reste toujours là comme la présence indestructible de sa décision de ne pas parler. La langue de Harpo affirme ainsi la pulsion insensée d'égorger la parole.

 

Harpo apparait silencieux comme la pomme d'Adam. Harpo apparait silencieux comme l'œuf-pomme d'Adam schizophrène de l'étranglement. Harpo n'a pas avalé sa langue, Harpo a été dévoré, dévoré comme dormi par le fruit de la chute, par le fruit de la chute innocente du paradis.

 

 

Harpo a sa langue dans une des poches de son pardessus.

 

Le pardessus de Harpo est la pantomime de son silence. Le pardessus de Harpo est un manteaumime, le manteaumime de la blessure indestructible.

 

A l'intérieur du pardessus d'Harpo, il y a l'encyclopédie du non-savoir.


A l'intérieur du pardessus d'Harpo, il n'y a pas tout et n'importe quoi. A l'intérieur du pardessus d'Harpo, il y a la prolifération de choses hors-tout du destin.

 

Ce que Harpo montre à chaque fois qu'il ouvre son pardessus c'est une prolifération de choses-regards semblables à la myriade d'yeux de la bête de l'apocalypse. Cependant Harpo apparait différent de la bête de l'apocalypse. En effet, cette prolifération de regards-outils ne le recouvre pas, cette prolifération de regards-outils serait plutôt inscrite, incrustée au dos sa parure. Quand Harpo ouvre son pardessus ce n'est pas afin d'exhiber son sexe, c'est afin de montrer le bricolage d'éblouissements de son pardessous.

 

La chair de Harpo apparait paradisiaque cependant son pardessus ne l'est pas. Le pardessus de Harpo serait la paupière absolue qui voit sa nudité, la paupière sidérante absolue qui voit les innombrables postures obscènes de sa nudité.

 

 

Harpo apparait comme un parachute qui bande. Harpo apparaît comme le miracle d’oubli tabou d'un parachute qui bande.

 

Selon Harpo, la force de gravitation ressemble à une bougie qui brûle à ses deux extrémités. Le monde de Harpo n'est pas un cosmos en expansion infinie. A l’intérieur du monde de Harpo la force de gravitation brûle à la fois de manière littérale comme à la suite du tas de silences du tabou.

 

Harpo hypnotise la lune. Harpo hypnotise la lune afin qu'elle tienne en équilibre à l'extrémité de son sexe. Harpo hypnotise la lune afin de jongler avec l'amnésie de son éclipse au sommet de son sexe. Harpo n'est ni hétérosexuel, ni homosexuel, Harpo est lunosexuel. Harpo ne désire pas la lune afin d'appartenir à l'infini du cosmos, Harpo désire la lune jusqu'à ce qu'elle devienne une toupie, la toupie de l'utopie, la toupie de l'utopie à l'instant l'instant. Harpo désire lutiner les postures d’obscénité de la lune. Harpo désire lutiner les postures d’obscénité de la lune en dehors du savoir et du non-savoir.

 

Harpo incarne la puérilité du viol. Quand Harpo force l'autre à lui tenir la jambe, c’est une forme de viol. Harpo viole ainsi à la manière d'un enfant parce qu'il viole avec sa posture et non avec son sexe. Harpo ne viole pas à travers l’acte d’imposer un désir sexuel, Harpo viole par le geste de reposer de manière souveraine la pulsion d’une posture inexorable.

 

 

"Pour trouver quelque chose, beaucoup d'hommes ont besoin de savoir que ce quelque chose existe." Lichtenberg. Harpo n'a pas besoin de savoir si quelque chose existe ou non pour le perdre à volonté. Harpo ne cherche jamais à savoir si ce qu'il détruit existe ou non. Et c’est ainsi qu’il compose avec une insouciance à perdre haleine les pulsations d’anesthésie de sa terreur

 

Harpo affirme la violence sans intention de nuire comme l’innocence sans intention d'aimer. Harpo affirme l’instinct de destruction de ce qui ne désire pas la mort de l'autre comme l’instinct d'innocence de ce qui ne veut pas la vie de l'autre. Harpo apparaît en deçà de la différence vie-mort. Harpo dort en deçà de la différence vie-mort par la mystification taboue de l'immortalité.

 

 

"L'homme sain a toutes les maladies mentales, l'aliéné n'en a qu'une." Musil. La grâce de Harpo détruit à la fois la folie et l'hygiène mentale. Harpo dispose de toutes les maladies mentales plus celle de n'être jamais fou. Harpo dispose de toutes les maladies mentales plus le zéro de la sainteté. Harpo se promène hagard comme le Don Juan des maladies mentales. Harpo dispose des maladies mentales jusqu’à séduire leur disparition même. Harpo promet aux maladies mentales la main morte de son immortalité afin d’abandonner les maladies mentales par la suite, par la trajectoire même de leur suite.

 

"Il me faut tout acquérir, non seulement le présent et l'avenir mais encore le passé, cette chose que tout homme reçoit gratuitement en partage, cela aussi je dois l'acquérir, c'est peut-être la plus dure besogne: si la terre tourne à droite, je ne sais si elle le fait, je dois tourner à gauche pour rattraper le passé." F. Kafka

A l’inverse Harpo travaille à perdre ce qui pour chacun se perd sans effort : le présent. La besogne taboue de Harpo affirme le geste de perdre le présent en dehors du temps, de perdre le présent comme une clef, la clef du sommeil, la clef de la cataracte du sommeil, la clef de la cataracte de sommeil de sa harpe. Harpo joue à perdre la clef de sommeil de la grâce à l'intérieur de l’instinct de tabou de l'immortalité. Pour Harpo, la besogne de perdre le présent semble illimitée. En effet, pour Harpo, le monde ne tourne pas seulement dans un sens de telle manière qu'en allant dans l'autre sens, il parviendrait à perdre le présent. Le monde tourne dans tous les sens à la fois. C’est pourquoi afin de perdre le présent comme clef de sommeil de la grâce, Harpo tourne lui aussi dans tous les sens à la fois selon malgré tout un autre style que le monde. Harpo affirme le geste de tourner dans tous les sens à mains nues, de tourner dans tous les sens à tabou ouvert comme à mains nues.

 

 

Harpo ne fait pas plusieurs choses à la fois, Harpo affecte plusieurs fois à la chose. Harpo affecte plusieurs fois à la chose taboue de la chute comme à la chose de la chute taboue.

 

L’épouvante désinvolte de Harpo affirme la pulsion de manipuler les objets technologiques comme s'ils étaient des choses liturgiques, les choses de l'épidémie d'amnésie du destin immédiat.

 

Selon A. Jarry, il est possible de détruire une machine cependant il est impossible de la tuer. Harpo semble malgré tout apte à tuer les machines et cela parce qu'il n'a pas peur de les manger.

 

 

La ruse sublime de Harpo est de ne jamais persuader les autres de son existence (l’inverse donc de la ruse du diable selon Baudelaire "laisser croire qu'il n'existe pas"). Harpo ne cherche jamais à prouver qu'il existe. Harpo tait son existence. Harpo improvise une multitude de gestes insensés afin d’affirmer la grâce inexorable de taire son existence.

 

Harpo apparaît par la grâce du silence sans affirmer cependant la valeur du silence. Harpo mange le silence par les gestes de sa translucidité comme le silence mange Harpo par les gestes de son sommeil. Harpo mange le silence en dehors de sa chair par la dénudation de mains de sa harpe comme le silence mange Harpo par l'improvisation d'amnésie de son sommeil.

 

 

Harpo refuse le langage sans jamais s'enfermer en lui-même. Harpo refuse le langage à visage ouvert, à visage explosé. Harpo n'est pas autiste, Harpo apparait plutôt comme l’automate de l'immédiat, l’automate paradoxal de l’immédiat. Si Harpo joue à s'enfermer c'est au bord de la prison radieuse de sa harpe, au bord de la prison de sources de sa harpe. Harpo caresse les cordes de sa harpe comme les barreaux d'une prison-falaise fascinée à plaisir.

 

Harpo incarne la puérilité aléatoire de l’épouvante, parce qu’il répète les autres sans répéter leur langage. Harpo répète les gestes des autres cependant il ne répète pas le sens de ces gestes. Harpo répète les gestes afin de détruire leur sens. Harpo répète les gestes à blanc, à blanc tabou, à blanc de terreur taboue jusqu’à apparaitre comme la forme aberrante du destin. Harpo apparait comme le destin du premier venu, du premier venu du dernier des hommes.

 

Harpo jouit du langage cependant il n'en jouit pas à travers la prononciation du sens. Harpo apparait comme l’automate d'instinct du tabou qui lit et écrit le langage sans jamais se croire obligé de le signifier. Harpo sait comment lire la parole sans avoir besoin de parler. Harpo lit le langage par la grâce taboue de la suite de ses gestes. La révolution de la lecture de la parole par Harpo serait semblable à celle effectuée par les moines du Moyen-Age quand ils commencèrent à lire mentalement à l'intérieur de leur crâne. A cette différence près que pour Harpo son crâne c'est l'espace et le temps du monde même. Harpo ne lit pas la parole à l'intérieur de sa pensée, Harpo lit la parole au dehors par les gestes de répétition monstrueuse de son apparition même. Harpo lit la parole par le tohu-bohu de grâce de la répétition de ses gestes. Harpo lit la parole par les contorsions de chute de l'instinct tabou de son apparition.

 

Harpo sait comment manger l'écriture sans avoir besoin d'écrire. Harpo mange l'écriture comme il marche à mains nues à l’intérieur du déluge d’anesthésie de la terre. Harpo marche à l’intérieur de l'écriture comme il mange à mains nues l’apocalypse de silence du ciel.

 

 

(…)