Marcello Mastroianni, Marionnette de l’Attente 

 

 

 

 

 

 

Pour Mastroianni un personnage est un camarade de jeu, un ami imaginaire. Pour Mastroianni, un personnage n’a pas plus de poids qu’un vêtement. Mastroianni s’habille d’un personnage comme d’un gilet de flanelle ou même d’un foulard qu’il porte d’ailleurs de manière dilettante autrement dit sans se fouler. Parfois encore Mastroianni tient son personnage à l’extrémité de la main comme une valise vide. C’est comme si pour Mastroianni son personnage n’était rien d’autre qu’une sorte d’accessoire, un accessoire qui permet d’accéder à une révélation des sentiments, à une révélation neutre des sentiments. Il y a en effet une sorte de monstration neutre, d’exhibitionnisme fade dans la façon de jouer de Mastroianni.

 

 

 

Mastroianni semble toujours en vacances, en vacances à l’intérieur de son personnage  comme en vacances à l’intérieur du film et même d’ailleurs en vacances à l’intérieur de sa vie. Mastroianni n’incarne pas. Mastroianni n’agit pas. Mastroianni dédaigne néanmoins autant la distanciation que l’incarnation et l’action. Mastroianni apparait plutôt comme celui qui vaque à l’incarnation ou celui qui vaque à l’action, comme celui qui vaque à l’incarnation de l’action à l’intérieur même du plan.

 

 

 

Mastroianni évolue parmi l’espace comme s’il semblait toujours attendre vaguement quelque chose, comme s’il semblait attendre sans cesse quelque chose de l’espace même, une sorte de signe de reconnaissance, ou encore un signe d’acquiescement, un signe d’acquiescement amical, signe de reconnaissance amical qu’il trouve souvent chez les hommes et les femmes qui l’entourent mais qu’il désirerait cependant obtenir de l’espace même.

 

 

 

Mastroianni se déplace et parle d’une manière telle qu‘il semble attendre l’espace, qu’il semble attendre la venue même de l’espace et cette venue de l’espace cependant parfois aussi l’étonne à l’intérieur même de son déplacement et de sa parole.

 

 

 

Il y a chez Mastroianni une façon paradoxale d’attendre sans jamais s’attendre, d’attendre sans jamais s’attendre à rien et cette attente sans attente apparait aussi comme la forme de sa tendresse. Mastroianni semble flâner en attendant, en attendant d’attendre et il flâne assez vite et parfois même très vite. Mastroianni n’est pas celui qui s’attend à tout et il n’est pas non plus celui qui s’attend à n’importe quoi, il serait plutôt celui qui s’attend à n’importe quelque chose, celui qui s’attend sans attendre à n’importe quoi de précis, à n’importe quoi de cependant déterminé et ce n’importe quoi déterminé devient alors visible à l’intérieur de son regard à la façon d’une flottaison d’acuité, d’une flottaison aigue, d’une acuité flottante.

 

 

 

Le regard de Mastroianni n’est pas celui de la conscience, le regard de Mastroianni serait plutôt celui d’une coquille vide, d’une coquille vide qui n’est ni consciente ni inconsciente, le regard d’une coquille vide apte à révéler une sorte de détermination du n’importe quoi.

 

 

 

Mastroianni joue au conditionnel, au conditionnel neutre, au conditionnel de la féerie neutre. Mastroianni flâne un tantinet tragique. Mastroianni flâne un tantinet tragique comme le marionnettiste de son âme, comme le marionnettiste discret de son âme.

 

 

 

L’allure de Mastroianni apparait à la fois engourdie et en suspens. Mastroianni décalque le plan. Mastroianni décalque le plan par un paradoxal maintien flottant, par l’intermédiaire d’un paradoxal maintien flottant. Mastroianni joue en effet comme l’intermédiaire de lui-même, comme l’intermédiaire de son attente, comme l’intermédiaire de son attente flottante.

 

 

 

Ce que Mastroianni donne le plus souvent à voir c’est à la fois un maintien et un désœuvrement, le maintien à l’intérieur du désœuvrement même. Mastroianni c’est par excellence l’acteur désœuvré. Ainsi ce que Mastroianni donne à voir c’est la condition même de l’acteur, la condition désœuvrée de l’acteur, la condition d’attente, d’attente désœuvrée de l’acteur. Mastroianni joue la condition même de l’acteur, à savoir celui qui attend, celui qui attend la scène. Ainsi Mastroianni serait celui qui joue au conditionnel neutre la condition même de l’acteur, la condition d’attente de l’acteur. Le jeu de Mastroianni met ainsi à l’intérieur du plan, au milieu du plan, parmi le plan l’attente même de l’acteur avant la prise du vue, l’attente de l’acteur avant le ça tourne de la camera. Le jeu de Mastroianni est ainsi une façon de retourner cette attente, de retourner cette attente comme une veste au centre même du plan.

 

 

 

Mastroianni joue comme un traitre, un traitre de la neutralité. Mastroianni joue comme un traitre simultanément à son propre personnage et au cinéma. Mastroianni trahit à la fois son personnage et le cinéma par la monstration neutre de l’attente, par la monstration neutre de l’attente de l’acteur à l’intérieur même du plan. Mastroianni joue comme un traitre de la neutralité qui semble laisser en plan son personnage et le cinéma. Mastroianni laisse en plan le personnage et le cinéma en retournant le plan comme la veste de l’attente, comme la veste de ravissement ironique de l’attente, comme la veste de ravissement radieux de l’attente.

 

 

 

 

 

Mastroianni masse la disparition de ses nerfs. Mastroianni masse la disparition mentale de ses nerfs. Mastroianni masse la disparition mentale de ses nerfs avec une mansuétude flâneuse, avec une mansuétude vagabonde, avec une mansuétude doucement vagabonde, avec une mansuétude de douceur, avec une mansuétude de douceur vagabonde.

 

 

 

Mastroianni reste à l’intérieur du plan avec patience, avec une patience flâneuse, avec une patience nonchalante. Mastroianni est le patient du plan, le patient du cinéma. Mastroianni reste à l’intérieur du plan comme un convalescent espiègle à l’intérieur d’une salle d’attente, comme un enfant sage, c’est à dire comme un enfant joyeusement désespéré.

 

 

 

L’élégance de Mastroianni est celle de la placidité. Mastroianni semble toujours posé là ou plutôt supposé là. Il semble ainsi suspendre l’espace où il est placé. Mastroianni est placide  c’est-à-dire qu’il est toujours placé dans le plan et que cette aptitude à rester placé dans le plan, à se tenir tranquillement dans le plan corrompt cependant délicatement le plan tel un acide et le ronge alors à la manière d’un sourire nonchalant.

 

 

 

Mastroianni ne se tient pas au centre et il ne se tient pas non plus à côté. Mastroianni se tient plutôt en marge au centre. Mastroianni se tient en marge au centre par lévitation minimum, par lévitation d‘amnésie minimum. Mastroianni se tient en marge au centre par miracle d’amnésie, par miracle d’amnésie du minimum. Mastroianni se tient en marge au centre par miracle du sourire, par miracle d’amnésie du sourire, par miracle d’amnésie minimum du sourire.

 

 

 

 

 

Par leur apathie désœuvrée à l’intérieur même du plan le jeu de Mastroianni et celui de Bardot se ressemblent. Mastroianni semble toujours jouer comme s’il n’était que sa doublure lumière. Mastroianni attend que ça se passe. Mastroianni attend que ça se passe dans le plan. Mastroianni attend que le cinéma se passe. Mastroianni joue comme il attend que la passion du cinéma se passe. Mastroianni redouble à chaque instant le plan de l’éventualité de son vide, de l’hypothèse de son vide, de l’hypothèse de sa disparition, de l’hypothèse de sa fumeuse disparition.

 

 

 

Mastroianni est un acteur fumeur. Mastroianni joue comme s’il fumait le plan. Mastroianni joue comme s’il flânait à l‘intérieur du plan à fumer le plan, comme s’il flânait à l’intérieur du plan à fumer la lumière du plan, à fumer la doublure de lumière du plan.

 

 

 

Mastroianni joue comme il fume le film. Mastroianni joue comme il fume le cinéma. Mastroianni joue comme il fume la passion du cinéma. Mastroianni joue comme il fume avec nonchalance la passion du cinéma. Mastroianni  joue comme il flâne à l’intérieur du plan à fumer la passion du cinéma, à fumer la passion du cinéma en attendant que la passion du cinéma se passe.

 

 

 

 

 

Il n’y a ni intelligence, ni sentiment dans le jeu de Mastroianni, seulement de l’intuition, l’intuition d’apparaitre là, l’intuition d’apparaitre ici ou là. Mastroianni joue l’ici ou là, l’ici ou là de c’est comme ça, l’ici ou là de l’ainsi, l’ici ou là de c’est comme ça ainsi.

 

 

 

Mastroianni joue comme il jongle avec des figures de coton, avec des figurines de coton. Mastroianni joue comme il jongle avec des poupées de chloroforme. Mastroianni joue comme il jongle avec des marionnettes de chloroforme.

 

 

 

L’art de Mastroianni est de somnoler à l’intérieur du plan jusqu’à ce que le plan lui-même somnole. Mastroianni n’hypnotise pas la camera comme Brando ou Léaud. Mastroianni berce la caméra. Mastroianni berce la caméra et ainsi l’endort. Mastroianni joue comme un enfant qui berce sa mère, comme un enfant qui berce la mère-caméra. (C’est sans aucun doute cette aptitude de Mastroianni à endormir le plan qui plaisait à R. Ruiz. En effet pour Ruiz, le cinéma c’est précisément ce qui révèle les visions du sommeil, les hallucinations de la somnolence. Ruiz rêvait de spectateurs qui sachent comment dormir les films. Mastroianni était mieux encore cet acteur qui savait dormir le film pendant son tournage même.)

 

 

 

Mastroianni joue ainsi à la manière d’un somnambule. Mastroianni joue à la manière d’un somnambule qui essaie d’endormir le plan, qui essaie d’endormir l’espace et le temps du plan. Mastroianni joue comme un somnambule qui essaie d’endormir le plan afin de savourer ensuite l’instant où il devient le seul à apparaitre éveillé à l’intérieur d’un monde endormi.

 

 

 

Il y a une forme de bienveillance amorale dans le jeu de Mastroianni, la bienveillance amorale du somnambule, la bienveillance amorale de celui qui somnole ici où là.

 

 

 

Mastroianni somnole d’aisance. Mastroianni somnole d’aisance monotone. Mastroianni somnole d’aisance mélancolique, d’une très guillerette aisance mélancolique qui semble déposer l’espace entre guillemets. Mastroianni semble citer l’espace où il apparait. Mastroianni joue comme il cite l’espace. Mastroianni joue comme il cite l’espace entre parenthèses, comme il cite l’espace entre virgules, comme il cite l’espace entre parenthèses de virgules.

 

 

 

Mastroianni joue comme une femme endormie, comme une femme endormie les yeux ouverts. Mastroianni joue à la fois comme une femme qui apparait éveillée les yeux fermés, éveillée nue les yeux fermés et comme une femme qui apparait endormie les yeux ouverts, qui apparait endormie habillée les yeux ouverts.

 

 

 

 

 

Mastroianni a des manières d’illusionniste. Mastroianni a des manières d’illusionniste inconséquent. Mastroianni joue avec des manières d’illusionniste inconséquent.

 

 

 

A l’intérieur de chaque scène, la subtilité somnambulique de Mastroianni rend alors finalement cette scène sans conséquence, cette séquence inconséquente. Les scènes où Mastroianni joue semblent alors ne plus se succéder, elles semblent plutôt flotter, elles semblent plutôt flotter entre l’espace et le temps, dans une sorte d’éther malicieux, un éther malicieux entre l’espace et le temps.

 

 

 

Mastroianni joue comme il démonte le cinéma. Mastroianni joue comme il démonte le cinéma jusqu’à son inconséquence. Mastroianni joue comme il démonte le mécanisme du cinéma, la machinerie du cinéma jusqu’à son inconséquence. Le jeu de Mastroianni n’interdit pas le montage. Le jeu de Mastroianni chloroforme le montage. La magie de Mastroianni, la magie nonchalante de Mastroianni c’est de chloroformer le montage des plans. Le jeu de Mastroianni invente ainsi le plan sans conséquence, le plan de l’inconséquence.

 

 

 

 

 

Comme chez Georges Clooney il y a le sentiment d’un sans importance du jeu chez Mastroianni, celle de l’espièglerie presque automatique de l’acteur. Mastroianni propose non seulement une distanciation du jeu mais aussi surtout une inconséquence du jeu. Le jeu reste sans conséquence, le jeu reste sans conséquence sur l’existence de celui qui joue. Le jeu de l’acteur est ainsi une sorte d’escroquerie dilettante ou même encore un bluff, un bluff d’amateur.

 

 

 

Il y a un repos hypothétique, une éloquence désœuvrée de Mastroianni. Comme Bill Murray aussi, Mastroianni dispose d’une aptitude de contemplation verbale qui parvient à laisser tranquillement passer le cirque, l’opéra du cinéma autour de lui et qui par ce geste aussi le subtilise, le dérobe, le vole au passage.

 

 

 

Mastroianni joue comme un beau parleur même quand il reste muet. Le jeu de Mastroianni c’est d’abord celui de la conversation. Mastroianni écoute parler. Mastroianni écoute parler le plan. Mastroianni écoute parler le bruit du plan, le bruit machinal du plan, le brouhaha du plan, le brouhaha automatique du plan.

 

 

 

 

 

Dans les films de Fellini (La Dolce Vita et Huit et Demi surtout), le spectacle semble à chaque instant tourner autour de Mastroianni sans qu’il y soit pourtant présent de manière intense, le spectacle du film tourne à chaque instant autour de lui et pourtant il ne semble pas s’y tenir. Mastroianni s’y promène plutôt immatériellement. Il y a une flânerie immatérielle dans l’attitude de Mastroianni, un aspect presque angélique. Mastroianni se promène comme un ange, un ange qui pourrait aussi être un roi, un ange qui serait n’importe quel roi, un ange comme un n’importe que roi.

 

 

 

Dans les films de Fellini Mastroianni est le substitut du metteur en scène, il est l’ersatz de Fellini, l’ersatz autrement dit celui qui remplace sa parole. Dans les films de Fellini  Mastroianni parle à la place de Fellini et pourtant ce qu’il dit alors à la place de Fellini, il n’en a pas la moindre idée et d’ailleurs Fellini non plus ne le sait pas. Dans les films de Fellini Mastroianni parle à la place de Fellini sans savoir ce qu’il dit comme en rêve, et ce qui sait ce qu’il dit ce n’est ni Mastroianni, ni Fellini, c’est le film. Dans un documentaire, on voit Mastroianni demander un moment à Fellini quel sera son texte pour la scène dont Fellini prépare alors le décor. Et Fellini lui répond un peu agacé et moqueur. « Ce que tu dis dans la scène ? Je ne sais pas. » )

 

 

 

 

 

Le burlesque de Mastroianni est celui du minimum. Ce n’est pas cependant celui du strict minimum, plutôt celui du minimum en expansion, du minimum dilaté, du minimum dilatoire. Mastroianni c’est l’exubérance du minimum, l’exubérance espiègle du minimum. Mastroianni c’est le minimum de la pupille de l’œil, le minimum de la pupille de l’œil en expansion.

 

 

 

Mastroianni joue comme le maestro du minimum, le maestro nonchalant du minimum.  Mastroianni ne joue pas comme le maestro du minimum vital, il joue plutôt comme le maestro du minimum mortel. Jouer c’est alors accorder le moins de chances hypothétiques à la mort (comme par exemple dans le titre du film de Ruiz. Trois Vies pour une seule Mort).

 

 

 

 

 

Dans Break Up de M. Ferreri, Mastroianni apparait flottant comme un ballon parmi les ballons. Ferreri y montre Mastroianni comme une idée fixe flottante, comme l’imminence mortuaire d’une idée fixe flottante, comme l’imminence mortuaire d’une obsession flottante.  Mastroianni souffle dans chaque ballon comme dans la comédie d’un cercueil, comme dans la comédie caméléonesque d’un cercueil. Mastroianni souffle dans chaque ballon comme dans la membrane d’un cercueil, comme dans la membrane de cellophane d’un cercueil, comme dans la membrane de celluloïd d’un cercueil, comme dans  la membrane caméléonesque d’un cercueil, comme dans la membrane de cellophane caméléonesque d’un cercueil, comme dans la membrane de celluloïd caméléonesque d’un cercueil. Mastroianni souffle dans chaque ballon comme il insinue presque brutalement l’espièglerie du deuil, l’espièglerie grotesque du deuil.

 

 

 

Mastroianni joue comme il absente ses plus comédiennes condoléances. Mastroianni joue comme il suspend ses plus comédiennes condoléances. Mastroianni joue comme il souffle, insuffle ses plus comédiennes condoléances. Mastroianni essaime ses plus comédiennes condoléances à souffle perdu.

 

 

 

Mastroianni mime l’indolence de condoléances. Mastroianni mime la comédie des condoléances, la comédie des condoléances indolentes. Mastroianni brode la comédie des condoléances. Mastroianni brode la comédie des condoléances indolentes.

 

 

 

Mastroianni semble toujours suivre de loin le passage de son propre cercueil. Mastroianni marche souvent comme il semble suivre de loin et presque distraitement le sillage sinueux de son propre cercueil.

 

 

 

 

 

Il y a une sorte de modération étrange chez Mastroianni, une sorte de modération excessive dans le jeu et dans l’acte même de rester là, une sorte d’excès de modération qu’indique par exemple le rictus à la fois idiot et inquiétant de son sourire à chaque fois qu’il joue une scène où le personnage choisit de se détacher quelques instants de son propre caractère (par exemple quand Mastroianni fait de la trottinette à travers le salon de Sophia Loren dans une Journée Particulière d’Ettore Scola).

 

 

 

Il y a de la moutarde dans le jeu de Mastroianni, une moutarde de suavité, une moutarde de somnolence, une moutarde d’évanescence, une moutarde de puérilité aussi. En effet la sagesse de Mastroianni a un aspect puéril, Mastroianni joue comme un moutard de la sagesse.

 

 

 

Il y a une sorte d’espièglerie apathique chez  Mastroianni, une moquerie atone, une moutarde de moquerie atone.  Il y a une étrange illumination dans le jeu de Mastroianni, une illumination monotone, l’illumination d’une espièglerie apathique, l’illumination d’une moquerie atone, l’illumination d’une moutarde de moquerie atone. 

 

 

 

Mastroianni ne s’efface pas à l’intérieur du plan. Mastroianni pastelise plutôt le plan. Malgré tout Mastroianni ne pastelise pas le plan avec de la guimauve. Mastroianni pastelise le plan avec des épices, Mastroianni pastelise le plan avec du sel, du poivre et de la moutarde.

 

 

 

 

 

Mastroianni a des fourmis dans la voix.

 

 

 

Il y a une sorte d’égarement des souvenirs, d’égarement discret des souvenirs à l’intérieur de la voix de Mastroianni. Il y a une sorte une sorte de cendres des souvenirs, une sorte de cendres de cigarette des souvenirs à l’intérieur de la voix de Mastroianni. La parole de Mastroianni semble s’évaporer comme le profil de sa voix, comme le profil perdu de sa voix, comme le profil perdu du fil des souvenirs de sa voix.

 

 

 

La voix de Mastroianni ressemble à la fois à une mosaïque de fumée et à une mosaïque de bulles de champagne. La voix de Mastroianni ressemble à la mosaïque de bulles de champagne de la fumée.

 

 

 

 

 

La pupille de l’œil de Mastroianni révèle la minutie de l’illusion, la minutie de l’étonnement, la minutie de l’illusion étonnée, la minutie de l’étonnement atténué. La pupille de l’œil de Mastroianni révèle le point-virgule de l’illusion, le point-virgule de l’illusion atténuée, le point-virgule de l’illusion minimale, le point-virgule de l’illusion modeste.

 

 

 

L’espièglerie de Mastroianni ressemble à une sorte d’espionnage de sa jonglerie, d’espionnage discret de sa jonglerie, d’espionnage nonchalant de sa jonglerie, d’espionnage inconséquent de sa jonglerie.

 

 

 

L’espièglerie de Mastroianni n’est pas une ironie. Mastroianni ne juge pas à travers sa conscience. Mastroianni préfère plutôt jouer son sourire, jouer son sourire par la lévitation de son amnésie, par la lévitation de son vide, par la lévitation d’amnésie de son vide.

 

 

 

L’élégance espiègle de Mastroianni c’est la subtilité d’esquiver à la fois l’humour et l’ironie.   Mastroianni esquive l’ironie à l’intérieur du mime et l’humour à l’intérieur du gag. Mastroianni esquive l’ironie à l’intérieur de l’imminence du mime et l’humour à l’intérieur de la monotonie du gag.

 

 

 

Mastroianni n’est ni un ironiste (à savoir celui qui « remonte de la loi vers un plus haut principe ») ni un humoriste (celui qui « descend de la loi vers les conséquences » Deleuze). Le désespoir espiègle du jeu de Mastroianni est plutôt de descendre de l’illusion, de la manie de l’illusion, des manières de l’illusion vers son inconséquence, inconséquence de l’illusion qui attend malgré tout toujours à l’intérieur du plan comme chanson du sourire, comme chanson somnambule du sourire, comme enchantement du sourire, comme enchantement somnambule du sourire.

 

 

 

 

 

Mastroianni est un séducteur autrement dit un détourneur. Mastroianni détourne le cinéma. Mastroianni détourne le tournage du cinéma. Mastroianni détourne le tournage du cinéma c’est-à-dire qu’il détricote le film, il détricote l’enregistrement du film, il détricote l’enregistrement du film à l’intérieur même du plan. Mastroianni ne détourne pas le cinéma afin de révéler le réel. Mastroianni  détourne le tournage du cinéma  afin de révéler un sourire, le sourire du rendez-vous de l’espace et du temps, le sourire de rendez-vous radieux, de rendez-vous éthéré, de rendez-vous à la fois radieux et éthéré de l’espace et du temps. Mastroianni détourne le tournage du cinéma afin de transformer le tournage du cinéma en chanson du sourire, en chanson somnambule du sourire.

 

 

 

Mastroianni ne joue pas un rôle. Mastroianni joue plutôt le tour du rôle. L’attente de Mastroianni semble alors détourer le rôle afin de n’en garder que la silhouette, afin de n’en garder que la silhouette rudimentaire, que la silhouette minimale. Mastroianni joue le rôle qui tourne sur lui-même comme une chanson, comme un disque rayé parfois même, le disque rayé du sourire. Mastroianni joue la ritournelle du rôle, la ritournelle de sourire du rôle.

 

 

 

Mastroianni n’est ni attaché au plan ni détaché du plan. Mastroianni apparait plutôt enchanté  au plan, autrement dit enchainé au chant du plan, enchainé pour rire au chant du plan. Mastroianni enchante le plan. Mastroianni métamorphose le plan en chanson. Le dédoublement d’acteur de Mastroianni est d’abord le dédoublement du langage et du chant. Mastroianni semble en effet à la fois chanter autre chose que ce qu’il dit et chanter autre chose que ce qu’il tait. A l’intérieur de la chair de Mastroianni, il y a ainsi un chant de sourires. A l’intérieur de la chair de Mastroianni attend une ritournelle de sourires, une ritournelle de sourires nonchalants. Cette ritournelle n’est pas cachée, secrète, c’est plutôt une ritournelle indicible, une ritournelle de sourires indicible, une ritournelle innommable, une ritournelle de sourires innommable, une ritournelle de sourires à la fois indicible et innommable, à la fois à jamais indicible et innommable.