Thelonious Monk 

 

 

 

Monk joue du piano comme un mutant paradoxal de l’immobilité. 

 

Monk improvise la mosaïque du silence. Monk improvise la mosaïque somnambule du silence, la mosaïque cul-de-jatte du silence, la mosaïque somnambule cul-de-jatte du silence. Monk improvise la mosaïque quadrumane du silence, la mosaïque somnambule quadrumane du silence, la mosaïque somnambule cul-de-jatte quadrumane du silence. 

 

Il y a un aspect byzantin à l’intérieur du jeu de Monk. Monk joue du piano comme un ours byzantin, comme un ours somnambule byzantin, comme un monstre byzantin, comme un monstre somnambule byzantin. Monk joue du piano comme un monstre du chaos tranquille. 

 

Monk médite la clef du chaos. Monk médite la clef de tranquillité du chaos. Monk médite la clef de monstruosité du chaos, la clef de monstruosité du chaos tranquille. 

 

 

Monk joue du temps. Monk ne joue pas de la musique à l’intérieur du temps. Monk joue du temps par le geste de taire la musique, par le geste de taire la musique avec le piano, par le geste de taire la musique avec le piédestal de gravitation du piano, avec le toboggan de gravitation de piano, avec le toboggan de lave du piano, avec le toboggan de gel du piano, avec le toboggan de lave gelée du piano. 

 

Monk joue du temps avec le piano du silence. Monk joue du temps avec le piano de marteaux du silence, avec le piano d’aimants du silence, avec le piano de marteaux-aimants du silence. 

 

Monk joue les masses du temps. Monk joue les masses de nuances du temps. Monk joue les masses d’aimants du temps, les masses d’aimants nuancés du temps. Monk joue les masses de silence du temps, les masses de nuances taciturnes du temps, les masses d’aimants taciturnes du temps. 

 

Monk provoque à la fois la lévitation de la gravitation des notes comme la gravitation de la lévitation des notes à l’intérieur des masses du temps, à l’intérieur des masses de nuances du temps. 

 

 

« Je suis même parfois tenté d’imaginer que, entre les deux mains de Monk, il puisse y avoir des siècles. Voire des millénaires. » Peter Szendy 

 

Entre les deux mains de Monk il y a le temps. Entre les deux mains de Monk il y a la déchirure démesurée du temps. 

 

Entre les deux mains de Monk, il y a le temps, malgré tout Monk ne tient pas le temps entre ses mains. Entre les deux mains de Monk il y a le temps et c’est malgré tout le temps qui ainsi  tient Monk, c’est malgré tout le temps le temps qui ainsi tient Monk du dehors. 

 

Monk joue possédé par le temps. Monk joue possédé ahuri par le temps même. Monk joue possédé étonné par le temps même. Monk joue possédé ahuri par le temps qui se trouve entre ses mains, comme si le temps possédait le corps de Monk entre les mains de Monk même. 

 

Monk ne possède pas le temps. Monk n’est pas intégralement possédé par le temps. Monk apparait possédé par le temps entre le vide même de ses mains. La chair de Monk apparait possédée par le temps entre le vide de ses mains, d’où son ahurissement, d’où son extrême ahurissement, d’où son extrême étonnement. 

 

Monk joue du piano ahuri par le dehors du temps. Monk joue du piano hébété par le dehors du temps, par le dehors immédiat du temps. Monk joue du piano ahuri, hébété par le dehors du temps qui le possède, par le dehors immense du temps qui le possède entre ses mains, par le dehors immense du temps qui le possède entre la pulsation de vide de ses mains. 

 

Monk joue du piano hébété par le dehors d’immensité de temps, par le dehors de préhistoire du temps, par le dehors de préhistoire immense du temps qui le possède entre ses mains, qui le possède entre la pulsation d’aimants de ses mains. 

 

Monk a le commencement du temps à l’intérieur d’une main et à l’intérieur de l’autre main la fin du monde. Monk a le commencement du monde à l’intérieur d’une main et à l’intérieur de l’autre main la fin du temps. 

 

 

Monk improvise le temps. Monk improvise les formes du temps, les formes de discontinuité du temps. Ainsi à chaque accord discordant, Monk semble court-circuiter des siècles, court-circuiter des millénaires à main nues. Monk a ainsi la préhistoire à l’intérieur de la main gauche (des tas de grottes préhistoriques à l’intérieur de la main gauche) et la musique du 20ème siècle à l’intérieur de la main droite. Monk ressemble ainsi à cette aberration sublime qu’Eric Chevillard évoque à l’intérieur de Préhistoire, l’aberration d’apparaitre comme le contemporain à la fois de la taille du silex, de l’invention de la roue, de la découverte de l’électricité et de la création de l’art abstrait. « Nous appartenons bien à cette même époque que l’avenir jugera, où l’homme presque simultanément isola le feu et l’atome…cette époque brève mais fertile qui vit coup sur coup l’invention du bronze et du cinématographe, où triomphaient l’art rupestre et la peinture abstraite. » Thelonious Monk joue ainsi à la fois comme un abstrait de la période paléolithique et comme un électrocuté des coups de silex du piano. Monk a l’intuition d’une violence chtonienne et titanesque du piano. 

 

 

Monk médite la préhistoire du piano. Monk médite les percussions de préhistoire du piano. Monk médite les rythmes de préhistoire du piano, les scansions de préhistoire du piano, les pulsions de préhistoire du piano, les pulsations de préhistoire du piano. 

 

Monk médite les nuances de scandale du piano, les nuances de scandale préhistorique du piano, les nuances de percussions du piano, les nuances de percussions préhistoriques du piano. 

 

Monk joue du jazz de Lascaux. Monk joue du jazz paléolithique. Monk pose ses mains sur le piano exactement comme les hommes préhistoriques incrustaient les empreintes de leurs paumes sur les parois des grottes.              

 

Monk accomplit des accords de mains négatives sur la paroi de grotte du silence. Monk sculpte la grotte du silence avec son piano, avec le poignard de son piano, avec l’iceberg de son piano, avec le poignard d’iceberg de son piano. 

 

Monk martèle la grotte de préhistoire du silence. Monk martèle la grotte de préhistoire du silence avec le tambour de poignards de son piano, avec les poignards de gel de son piano, avec le tambour de poignards gelés de son piano. 

 

 

Monk recommence à zéro. Monk recommence à chaque instant à zéro. Monk recommence à chaque note à zéro. 

 

Monk recommence le chaos du monde. Monk recommence le chaos du monde à zéro. Monk recommence le chaos de tranquillité du monde à zéro. 

 

Monk recommence le temps à zéro. Monk ne recommence pas tout à zéro. Monk recommence le temps à zéro en dehors de tout. 

 

Monk recommence le chaos du temps à zéro. Monk recommence le chaos de tranquillité du temps à zéro. Monk recommence le chaos de temps du monde à zéro. Monk recommence le chaos de temps du monde à zéro en dehors de tout. 

 

Etrange poitrine de Thelonious Monk. Etrange respiration prostrée de T. Monk quand Monk attend le temps, quand Monk attend le recommencement du temps, le recommencement à zéro du temps. C’est comme si sa poitrine se tenait là debout saturée de pouces, comme si sa poitrine se tenait là debout saturée de pouces d’épouvante, comme si sa poitrine se tenait là saturée de poumons de pouces, saturée de pouces-poumons, saturée des pouces-poumons de l’épouvante. 

 

 

Monk joue du piano comme un forgeron. Monk joue du piano comme le forgeron du froid, le forgeron du froid immense. Monk joue du piano comme le forgeron des icebergs, comme le forgeron de la dérive de la banquise, comme le forgeron de la dérive des continents. 

 

Monk joue du piano à la fois comme le bijoutier du volcan et le forgeron du froid, comme le bijoutier du volcan et le forgeron de l’iceberg. 

 

Monk joue du piano comme un forgeron ahuri, comme un forgeron ahuri par son art même, comme un forgeron ahuri par la puissance de son art même. 

 

Monk forge le froid avec les marteaux du feu comme il forge le feu avec les marteaux du froid. 

 

Monk joue du piano comme un archéologue forgeron, comme l’archéologue forgeron du volcan, comme l’archéologue forgeron du froid, comme l’archéologue-forgeron du volcan du froid. 

 

Monk martèle le chaos de la tranquillité. Monk martèle le chaos du temps. Monk martèle le chaos de tranquillité du temps. Monk martèle le chaos de tranquillité du temps à mains nues. 

 

Monk martèle la transhumance de tact du temps. Monk martèle la transhumance de tact du temps à mains nues. 

 

Monk joue du piano comme il cloue les marteaux. Monk joue du piano comme il cloue les marteaux à mains nues. Monk joue du piano comme il cloue le volcan des marteaux, comme il cloue le volcan des marteaux à mains nues. 

 

Monk joue du piano comme il cloue le volcan des marteaux avec les aimants de ses mains, avec la pulsation d’aimants de ses mains, avec les aimants de nudité de ses mains. 

 

Monk sculpte des aimants d’espace. Monk sculpte des marteaux de temps avec des aimants d’espace et tamise des marteaux d‘espace avec des aimants de temps. 

 

Monk martèle tamise. Monk martèle cisèle. Monk martèle tamise cisèle d’un seul et même geste, d’un seul et unique geste. Monk martèle tamise cisèle les bijoux du brouillard, les bijoux de brouillard du silence, les bijoux de brouillard du temps, les bijoux de brouillard du silence du temps. 

 

Monk joue du piano comme une machine à clouer la gravitation, comme une machine à clouer le magma de la gravitation, comme une machine à clouer les aimants de la gravitation, le magma d’aimants de la gravitation.  

 

Monk cloue la transhumance du tonnerre. Monk cloue la transhumance du tonnerre à mains nues. Monk cloue la transhumance du tonnerre noir, la transhumance du tonnerre noir à mains nues. 

 

Monk joue du piano comme il accomplit la mystification de préhistoire du volcan. Monk joue du piano comme il taillade avec violence le magma de silex du silence. 

 

 

Monk joue du piano comme un bonhomme de neige noire. Monk joue du piano comme un bonhomme de neige maudit, comme un bonhomme de neige noire maudit. 

 

Monk joue comme un ours somnambule, comme un ours somnambule de neige noire, comme un ours somnambule maudit, comme un ours somnambule de neige noire maudit. 

 

Monk joue du piano comme une bête, comme une bête de somme, comme une bête d’immense sommeil. Monk joue du piano comme une bête de somme anthracite, comme une  bête de somme de diamants, comme une bête de somme de diamants anthracite. 

 

Monk joue du piano comme un ours anthracite, comme un ours anthracite à l’intérieur duquel hiberne la multiplicité des mondes. 

 

Monk joue du piano comme un ours à l’intérieur duquel hiberne le monde, à l’intérieur duquel hiberne la constellation des mondes, la constellation de chaos des mondes, la myriade des mondes, la myriade de chaos des mondes, la myriade de trous noirs des mondes. 

 

Monk joue du piano comme un ours martèle un banc de poisson. Monk joue du piano comme un ours qui pêche des poissons à l’intérieur du torrent. Monk joue du piano comme un grizzly pantois, comme un grizzly pantois de joie épouvantée qui s’amuse à pécher de prodigieux saumons à l’intérieur d’un torrent de l’Alaska, qui s’amuse à pécher d’apophantiques saumons à l’intérieur d’un torrent de l’Alaska. 

 

Monk joue à la fois comme un archéologue et comme un animal, comme l’archéologue de son animalité même, l’archéologue de sa bestialité même, l’archéologue du silence de sa bestialité, l’archéologue du silence souverain de sa bestialité. 

 

Monk joue du piano comme l’atlas archéologue de son ahurissement, l’atlas-archéologue de sa bestialité, l’atlas-archéologue de son ahurissement bestial. Monk joue du piano comme l’atlas-archéologue de son hébétude, l’atlas-archéologue de son hébétude bestiale. 

 

Monk joue du piano comme un ours archéologue, comme un mammouth archéologue, comme un ours-mammouth, comme un ours-mammouth archéologue. Monk joue du piano comme l’ours-mammouth archéologue de sa disparition, comme l’ours-mammouth archéologue de son ombre. Monk joue du piano comme l’ours-mammouth archéologue de la pyramide de gel de sa disparition, de la pyramide de givre de son ombre, de la pyramide de verglas de son ombre. 

 

Monk joue à la fois comme un homme extrêmement civilisé, un homme extrêmement civilisé archéologue de sa bestialité et comme un animal préhistorique, un animal préhistorique  archéologue d’une civilisation encore inconnue. 

 

Le primitivisme de Monk affirme le jeu de répéter la civilisation. Ainsi le jeu de Monk au piano répète la construction même du piano. Monk joue du piano comme quelqu’un qui construit un piano. Monk joue du piano comme un charpentier animal, comme un charpentier bestial qui essaierait de construire pour la première fois un piano. Le jeu de Monk au piano répète la construction technique du piano. Le jeu de Monk médite la construction même du piano à coups de marteaux. Le jeu de Monk médite la construction même du piano avec les coups de marteaux de ses doigts, avec les coups de marteaux-silex de ses doigts. Monk joue du piano comme un charpentier de la préhistoire qui essaierait de construire un piano à coups de silex, à coups de silex toujours déjà martelés. Monk joue du piano comme il martèle les coups de marteaux avec ses doigts, comme il martèle les coups de marteaux de la construction du piano avec le silex de ses doigts, avec les silex magnanimes de ses doigts, avec les aimants de silex de ses doigts, avec les aimants de silex magnanimes de ses doigts. 

 

 

Monk joue du piano comme un gorille, comme un ours-gorille, comme un gorille- mammouth, comme un ours-gorille-mammouth. Monk joue du piano comme l’ours-mammouth de la honte, comme le gorille-mammouth de la honte, l’ours-gorille-mammouth de la honte martelée, l’ours-gorille-mammouth de la honte brutale martelée. 

 

Il y a une très étrange honte à l’intérieur du jeu de Monk, une honte immense, une honte inhumaine, une honte quasi cosmique. Ce n’est pas exactement la honte d’être homme dont parle Deleuze, non pas la honte d’être homme devant les autres hommes, plutôt la honte d’apparaitre uniquement en tant qu’homme face à la présence même du cosmos. 

 

Monk joue du piano comme un archéologue mutant, comme l’archéologue mutant de la honte, comme l’archéologue mutant de l’animalité de la honte. 

 

 

Monk joue du piano à la vitesse de son ombre. 

 

Monk sculpte son ombre avec son piano. Monk sculpte la paralysie de son ombre avec l’électrocution de son piano. Monk sculpte la paralysie de son piano avec l’électrocution de son ombre. 

 

Monk exsude son ombre. Monk exsude l’électrocution de son ombre. Monk exsude l’essaim de son ombre, l‘essaim d’électrocution de son ombre. 

 

Monk tourne très lentement sur lui-même à proximité du piano comme s’il tournait autour de l’axe de son ombre, comme s’il tournait autour de l’axe stellaire de son ombre, autour de l’axe armillaire de son ombre, comme s’il tournait autour du vide de l’espace par l’ellipse même de son éclipse. 

 

Monk tourne autour de l’axe de son ombre comme autour du tombeau de sa bestialité, comme autour de la bestialité de son tombeau, comme autour du tombeau de sa honte, comme autour du tombeau de sa honte bestiale, comme autour de la honte bestiale de son tombeau, comme autour du tombeau de son hébétude bestiale, comme autour du tombeau de son ahurissement bestial. 

 

Monk joue du piano comme l’archéologue mutant de son tombeau, de son tombeau ici-maintenant, de son tombeau ici ou encore, de son tombeau ici ou encore maintenant. 

 

 

Monk montre le monde. Monk omet le monde. Monk montre le monde qu’il omet comme il omet le monde qu’il montre. 

 

Monk montre la multiplicité des mondes. Monk montre la multiplicité des mondes qu’il omet  comme il omet la multiplicité des mondes qu’il montre. 

 

Monk médite des montagnes de chaos tranquille. Monk médite des montagnes d’omission.  Monk médite les montagnes de chaos tranquille de l’omission. 

 

Monk omet par innocence. Monk omet par chaos de l’innocence, par tact de l’innocence, par chaos de tact de l’innocence. 

 

Monk montre le chaos de l’omission. Monk montre l’innocence de l’omission, le chaos d’innocence de l’omission, le chaos de monstruosité de l’omission, le chaos d’innocence monstrueuse de l’omission. 

 

Monk omet ce qu’il montre par hébétude, par hébétude abrupte, par chaos de l’innocence hébétée, par chaos de l’innocence abrupte, par chaos de l’innocence hébétée abrupte. 

 

Monk omet le monde par miracle. Monk omet le monde qu’il montre par miracle. Monk omet le monde par scandale du miracle. Monk omet le monde qu’il montre par scandale du miracle. 

 

Monk omet le monde par le temps comme il omet le temps par le monde. Monk omet le monde par le vide du temps comme il omet le temps par le silence du monde. 

 

Monk orchestre l’omission. Monk orchestre la transe de l’omission, la transe minérale de l’omission. Monk orchestre les diamants de l’omission, les diamants anthracite de l’omission, la transe de diamants de l’omission, la transe de diamants anthracite de l’omission. 

 

 

Monk émonde. Monk émonde ce qu’il montre. Monk émonde le monde qu’il montre. 

 

Monk émonde le volcan. Monk émonde le cratère du volcan. Monk émonde le volcan du gel. Monk émonde le volcan du froid. Monk émonde le cratère de volcan du froid. 

 

Monk émonde le vide. Monk émonde le volcan du vide. Monk émonde le volcan de vide du froid. 

 

 

Monk montre le piano. Monk montre le piano comme un tambour, comme un tambour de verglas. Monk montre le piano comme un tambour de stalagmites et de stalactites. Monk montre le piano comme un tambour d’iceberg. 

 

Monk montre le piano à chaque note. Monk montre le piano à chaque note de glas, à chaque note de verglas, à chaque note de glas verglacé, à chaque note de glas magnanime, de glas verglacé magnanime. 

 

Monk montre le piano comme clef de la monotonie, comme abime de la monotonie, comme clef d’abime de la monotonie. 

 

Monk montre le montage du piano. Monk montre le montage de braises du piano, le montage de glace du piano, le montage de braises glacées du piano, le montage de braises verglacées du piano. 

 

Monk montre le silence. Monk montre la clef du silence. Monk montre la clef magnanime du silence, la clef verglacée du silence, la clef magnanime verglacée du silence. 

 

 

A l’inverse d’Art Tatum, Monk ne cherche jamais à développer la vitesse et la fluidité des doigts. Monk invente plutôt une forme de gravitation et d’intensité des mains, une forme de gravitation intense des mains.  

 

Monk n’utilise quasiment pas le poignet, la flexibilité du poignet pour jouer. Monk joue à poignet fixe, à poignet paralysé. Monk utilise plutôt le décalage gigantesque, la déhiscence immense entre la main et le bras. 

 

Monk joue avec des mains-bras, même les coudes restent alors presque paralysés. Monk joue avec des mains-bras en immisçant malgré tout entre les mains et les bras des sortes de constellations incroyables de vide, des constellations prodigieuses de matière sombre. 

 

Monk projette l’intégralité des bras à l’intérieur des mains et l’intégralité des mains à l’intérieur des doigts. Monk joue ainsi avec des bras-mains comme avec des mains-doigts. Monk joue ainsi avec des bras-doigts. Et parfois même Monk projette l’intégralité des épaules à l’intérieur des mains et l’intégralité des mains à l’intérieur des doigts .Monk joue ainsi avec des épaules-mains comme avec des mains-doigts. Monk joue ainsi avec des épaules-doigts. 

 

Le jeu de Monk détruit la fluidité des poignets et des coudes. Monk improvise plutôt avec les épaules. Le clavier du piano apparait ainsi pour Monk comme l’écran de projection de ses épaules, comme l’écran de projection de ses clavicules. 

 

Monk se tient parfois l’épaule gauche beaucoup plus basse que la droite quand la main gauche attend, quand la main gauche attend le magma du temps, quand la main gauche attend le magma d’aimants du temps. 

 

Monk ne martèle pas le piano avec les poings. Monk ne martèle pas le piano à poings fermés ou à paumes fermées. Monk martèle plutôt le piano à paumes ouvertes, à paumes ouvertes et à doigts fermés, à doigts à la fois ferrés et fermés. 

 

Monk joue du piano à doigts ferrés. Les bagues de Monk ferrent en effet ses doigts comme des sabots. Avec ses bagues autour de ses doigts, Monk sabote la musique, Monk sabote la musique avec superbe. Monk sabote la musique d’hésitations superbes. Monk sabote la musique comme un âne saint, comme l’âne d’Au Hasard Balthazar de Robert Bresson. 

 

Monk joue du piano à la fois comme un ours et comme un âne. Les bonnets que porte Monk sont d’abord des bonnets d’âne, les bonnets de l’ânonnement, les bonnets de l’ânonnement indiscutable, les bonnets de l’ânonnement d’autorité, les bonnets de l’ânonnement magistral. Monk joue du piano comme un ours qui possède un cheval ferré, un âne ferré à l’extrémité de chaque doigt. (Bonnets et bagues pour Monk c’est bonnet noir et noir bonnet, pour Monk les bonnets ressemblent aux bagues et les bagues aux bonnets. Le bonnet apparait comme la bague de la tête, la bague du crâne et la bague comme le bonnet des doigts, comme la cagoule des doigts.) 

 

 

Monk invente une forme de rythme qui survient comme une forme de gravitation non-terrestre, une forme de gravitation paradoxalement en apesanteur. La musique de Monk donne à sentir une force de gravitation des notes, malgré tout cette force de gravitation des notes ne touche jamais le sol, n’atteint jamais le sol. Monk montre une force de gravitation des notes qui apparait paradoxalement en apesanteur. 

 

La musique de Monk n’esquive pas la terre. La musique de Monk oublie plutôt volontairement la surface du sol. La musique de Monk apparait ainsi à la fois en apesanteur et gravitationnelle, à la fois en apesanteur et tellurique. Le silence de Monk vient à la fois du vide de l’espace et du centre de la terre, du vide de l’espace comme du centre de la terre et cela sans jamais toucher le sol. 

 

La musique de Monk affirme ainsi la lévitation de la gravitation même. La musique de Monk parvient à provoquer la lévitation du centre de la terre au-dessus du sol, la lévitation de la  lave du centre de la terre au-dessus du sol. 

 

 

Il y a ce geste prodigieux de Monk pour marquer le tempo. Monk ne frappe jamais le sol avec le pied, il préfère à la fois projeter, plonger et patiner la lévitation même de son pied au-dessus du sol. Pour Monk, marquer le tempo, c’est quelque chose comme révéler le tellurisme du vide, le séisme du vide, l’imminence de séisme du vide, l’imminence de séisme du vide entre la terre et son pied, l’imminence de séisme du vide au-dessus du sol comme au-dessous de son pied. Monk marque le tempo par le geste de patiner à la surface du vide. Pour Monk, marquer le tempo, c’est révéler la patinoire du temps, la patinoire de temps du vide même, la patinoire de vide entre la terre et son pied, c’est montrer la patinoire de lave du temps entre la terre et son pied, la patinoire de feu comme le volcan de glace entre la terre et son pied. 

 

Les pieds de Monk, la plante des pieds de Monk ne marquent pas le tempo. Les pieds de Monk patinent le tempo. Les pieds de Monk patinent le tempo au-dessus du sol. Les pieds de Monk patinent le tempo sur la glace, sur le verglas que ses doigts à la fois imaginent et martèlent, que ses doigts à la fois secrètent et cognent. 

 

Monk paradoxalise les gestes des mains et des pieds. Sa virtuosité n’est pas celle de polir, de patiner, de lustrer, de laquer les notes avec les doigts et de marquer le tempo avec les pieds (l’attitude d’Art Tatum disons). Sa virtuosité c’est plutôt le jeu de pulser le tempo avec les doigts et de polir, de patiner, de lustrer, de laquer, de patauger même les notes avec les pieds, de patauger selon laque, de patauger selon lustre les notes avec les pieds. 

 

Monk patine le rythme avec la sandale du scandale, avec la sandale du miracle, avec la sandale de scandale du miracle. 

 

 

Monk montre à chaque instant le carré des mains comme le carré des pieds. Monk joue du piano comme un quadrumane. Monk joue du piano comme un quadrumane anthracite. 

 

Monk joue du piano à quatre pattes. Monk joue du piano à califourchon. Monk joue du piano à quatre pattes debout, à quatre pattes à califourchon debout. 

 

Monk joue du piano comme un quadrumane somnambule. Le corps de Monk apparait comme un carré somnambule. Le somnambulisme de Monk sait comment transformer le carré de sa chair en sphère, en sphère de musique. Monk montre la sphère de la musique par le cube somnambule de son corps. 

 

Le corps de Monk apparait comme un cube somnambule par lequel il tente de faire coïncider la déchirure démesurée de ses mains et de ses pieds. 

 

Monk fait des nœuds de carrés. Monk provoque des nœuds de carrés. Monk provoque des nœuds de carrés avec des coïncidences de déchirures. 

 

 

Monk c’est le Malevitch du piano. Monk ressemble à la fois à Van Gogh et à Malevitch. Van Gogh pour les formes de la gravitation stridente, pour les formes cinglantes de la gravitation, et Malevitch pour les formes minérales de l’apesanteur. 

 

Monk a mangé le carré noir sur fond blanc de Malevitch. Monk a mangé le carré noir sur fond blanc de Malevitch comme un œuf, comme l’œuf du chaos, comme l’œuf du chaos tranquille. 

 

 

Monk joue du piano comme le Sisyphe du pôle nord. 

 

Monk possède le pôle nord à l’intérieur d’une main et le pôle sud à l’intérieur de l’autre. Monk possède le pôle nord du silence à l’intérieur d’une main et le pôle sud de la musique à l’intérieur de l’autre. 

 

Monk possède le pôle nord de préhistoire du silence à l’intérieur de la main gauche et le pôle sud de civilisation de la musique à l’intérieur de la main droite. Monk projette le pôle nord de préhistoire du silence à l’intérieur de la main gauche et pose le pôle sud de civilisation de la musique à l’intérieur de la main droite. 

 

 

Monk joue du piano comme un Mallarmé brutal. Monk joue du piano comme un Mallarmé abrupt, comme un Mallarmé martelé. Monk joue du piano comme un Mallarmé brutal abrupt  martelé. Monk joue du piano comme un Mallarmé bestial, comme un Mallarmé bestial brutal abrupt martelé. 

 

Monk joue du piano comme un mastodonte de subtilité. Monk joue de la batterie avec le piano. Monk joue de la batterie de nuances, de la batterie de nuances anti-aériennes avec le piano. 

 

Monk joue du piano comme une machine à coudre le calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur. 

 

 

Thelonious Monk a un prénom d’empereur et un nom d’onomatopée. 

 

 

Avec ses bonnets incohérents, Monk ressemble parfois à un trappeur, une sorte de trappeur paradoxal qui tenterait de tamiser des pépites d’or pour en extraire des torrents, pour en extraire des pianos, pour en extraire des torrents de pianos. 

 

Il y a aussi quelque chose d’heideggérien dans le regard absorbé et les mouvements à petits pas de Monk, les mouvements à pas minuscules de Monk. Monk déambule comme un Heidegger aborigène, un Heidegger aborigène du vide cosmique plutôt que berger de l’être. 

 

 

Cela reste extrêmement difficile de dire de quel pays, de quelle contrée vient Monk. Il y a en effet un aspect quasi agéographique de Monk. 

 

Monk ressemble à un aborigène de l’Alaska. Monk ressemble à un chinois des Comores, à un comanche de Madagascar et à un aborigène de l’Alaska. 

 

Monk ressemble à un mongol du Congo, à un touareg de l’Amazonie, à un mandarin des Comores, à un massai de l’Himalaya, à un inuit du Kilimandjaro, à un comanche de Madagascar, à un pharaon de la Patagonie, à un dogon de la toundra et à un aborigène de l’Alaska. 

 

 

Il y a du fakir dans la manière de jouer de Monk. Monk touche les notes du piano exactement comme un fakir marche sur les braises. Monk joue du piano comme un fakir frankensteinien. 

 

Monk se tient face au piano à la fois comme la baleine et comme le harpon. Monk se tient immobile face au piano comme une baleine qui médite le harpon, comme une baleine qui sculpte le harpon, comme une baleine qui par pulsion de méditation sculpte la harpe d’oxygène aberrant du harpon.   

 

 

Quand Monk s’amuse à tourner sur lui-même, Monk ne danse pas sur la musique, c’est plutôt la musique qui danse sur Monk. C’est plutôt la musique qui danse sur le silence de Monk. La musique danse sur le silence de Monk comme un gibbon au cou d’un ours.

 

 

 

(…)