Il est né avec un chapeau. La sage-femme, surprise par cette aberration qui n’était pas anatomique, jugea normal de lui ôter. Le bébé s’y opposa avec une force et une violence incroyables. Le chapeau resta donc sur sa tête. Avoir un chapeau sur la tête semblait être son seul et unique désir. Il ne criait jamais pour demander à manger, ne pleurait jamais pour indiquer qu’il avait sommeil. Avoir un chapeau semblait être pour lui la forme même du bonheur absolu. Ce chapeau était pour lui la magnifique parure de l’innommable. C’était comme s’il disposait de la révélation de son destin avant même de naître, et que c’était son chapeau.

Ainsi pendant l’intégralité de son existence, il mangea, dormit, fit l’amour, se lava et se coiffa, avec son chapeau à chaque instant posé sur le crâne. Pourtant il n’utilisait pas ce chapeau à la façon d’un chapeau. Ce chapeau était pour lui quelque chose d’invulnérable qu’il préférait cependant protéger. C’est pourquoi quand il allait dehors, il enveloppait son chapeau avec quelque chose d’autre, comme une odeur d’amnésie, afin qu’il ne s’abîme pas.

Personne ne réussit jamais à lui enlever son chapeau. Il était d’une vivacité telle que malgré les innombrables combats qu’il dut accomplir, il parvint toujours à sauvegarder au sommet de sa tête l’aura de sa bêtise. Cette vigilance extrême donna à son allure un aspect à la fois fluide et crispé. A sa mort, après de multiples discours et un vote universel, on décida de le lui enlever. On découvrit alors miraculeusement coincé entre le feutre du chapeau et le crâne un extrait de ciel, un extrait de ciel sauf, imminent, un extrait de ciel bégayé.

 

 

 

Il ne porte qu’un simple chapeau sur la tête. Tous ceux qui le rencontrent et le voient ainsi n’ont qu’une idée, lui parler de ce chapeau qui ne protège que de façon infime sa nudité. Est-ce humour, négligence, orgueil, oubli ? Quant à lui, cette demande incessante des autres à ce sujet ne le concerne quasiment pas. En vérité il ne la comprend pas. En effet il ne sait pas qu’il ne porte qu’un simple chapeau sur la tête. A l’inverse ce qui l’intéresse au plus haut point c’est de savoir pourquoi chaque homme qu’il rencontre a l’allure d’un automate fasciné par un secret informulable. Tel est son problème, problème par lequel sa luxure devient la forme naïve de son immortalité.

 

 

 

Il est né avec une inévitable et indicible dignité : chapeau rigoureusement disposé sur la tête, costume d’encyclopédie universelle, nœud de cravate judicieusement serré tel un nœud gordien, chaussettes de situations catatoniques et chemise immarcescible. Il est né habillé avec autant de respect qu’un homme qui va à l’enterrement d’un autre. C’est pourquoi depuis qu’il est né, il a choisi de vivre toujours nu, d’une nudité paradoxalement révélée par les habits de cérémonie de sa naissance.

 

 

 

C’est un unicellulaire avec un chapeau. Ce chapeau est le lapsus d’utopie de son visage.

 

 

 

Il est toujours intégralement digne dans les situations dérisoires. Lorsqu'il va acheter du pain à la boulangerie, il semble effectuer un épuisant rituel. A l'inverse, son attitude apparait d'une obscénité incroyable aux instants de tragédie de son existence. Ainsi pendant le temps de son inhumation, il déclara l’indécence de son amour aux nuages qui jouaient à imaginer l'élan de la lenteur à l’intérieur du ciel. 

 

 

Chacun d'entre eux sait qu'il est un sage cependant la totalité d'entre eux ne le sait pas. Et cette distinction révèle précisément le symbole de sa sagesse, Il y a toujours auprès de lui quelqu'un qui désire savoir ce qu'il pense au sujet de n'importe quoi. Quand il sait, il répond par des coups, des coups de ciel lascif, comme la mélodie d’une bataille de parfums. Quand il ne sait pas, il exclame le vide de son crâne jusqu'à ce qu’apparaisse la pandiculation d’herbes de l’incroyable. Le gag de clarté de son sommeil répète à chaque instant une phrase unique: 'Etre vu par une mouche équivaut à tuer un enfant, caresser un tigre équivaut à sauver l'indécence inventive d'une âme, telles sont les règles alibres c'est-à-dire approximatives comme inexorables de la sagesse".

 

 

 

Il est intégralement libre un quart d’heure par jour. Cependant il ne sait jamais à quel quart d‘heure de la journée. Pour le découvrir il cherche sans cesse des indices de sa liberté intégrale, car bizarrement cette liberté n’est pas immédiatement sensible. Le problème est que chercher des indices de sa liberté est souvent identique à l’acte de l’anéantir. Parfois il croit avoir la preuve de sa liberté mais il s’agit d’une erreur, ce qui suscite des quiproquos effrayants. Parfois il est effectivement libre lorsqu’il le découvre mais c’est justement à la dernière seconde de liberté de la journée. Parfois par une coïncidence géniale (c’est la coïncidence qui est géniale ce n’est pas lui), il découvre qu’il est libre au début du quart d’heure où effectivement il l’est. Le quart d’heure qu’il vit est alors quasiment divin mais la déception qui lui succède est tout aussi divine. En effet il ne sait jamais s’il aura la chance de retrouver ou non ce quart d’heure de liberté intégrale. Ainsi le reste de son existence s’organise autour de cet extrait de liberté. Il est incapable de ne pas y penser, ne serait-ce qu’une seconde parce qu’il croit que pendant cette seconde il dédaigne peut-être sans le savoir son quart d’heure de liberté. Il est donc parfaitement incapable d’être indifférent à la question quotidienne de sa liberté. Il est l’esclave d’une liberté continuellement possible et rarement vécue. Ceux qui le rencontrent estiment qu’il ressemble à une limace ailée.

 

 

 

La liberté est entrée en lui. Elle avait peut-être perdu son chemin, elle cherchait peut-être une demeure momentanée comme le flagrant délit d’un refuge. Après cela, il ne l’a plus jamais revue. Il aurait même des difficultés à la reconnaitre. Il y a si longtemps que la liberté s’est engouffrée en lui. Il ne sait pas si elle s’y trouve toujours ou non. Il sait uniquement qu’il n’est plus apte à se souvenir du visage de cette liberté. Il a l’impression qu’il ne parviendrait à reconnaitre ce visage que s’il le voyait ressortir de son corps. Il pense ainsi qu’il y eut un temps où la liberté était là parmi son corps tel un parasite neutre, un parasite qui n’était ni agréable, ni désagréable, un parasite sage comme une image. Cependant il ne sait pas si ce temps passé est le même ou non que le temps présent. Il ne sait pas si ce temps d’une liberté invisible à l’intérieur de lui-même est toujours un temps qui existe ou un temps qui n’existe plus.

 

 

 

Avec une extrême douceur, une extrême rigueur, il s’extrayait tranquillement de lui. Il eut besoin d’innombrables jours, d’innombrables années afin de s’extraire ainsi intégralement. La forme de son existence ne ressemblait qu’à cela. Contempler à chaque instant cette extraction en dehors de soi. Cette extraction ne le faisait pas souffrir et elle ne le réjouissait pas. C’était ainsi, il s’extrayait. Il aurait été aussi farfelu de chercher à favoriser cette extraction que de s’y opposer. C’est pourquoi, il  contemplait seulement la chose. Ainsi, quand il fut intégralement sorti de lui-même et qu’il parvint à apparaitre face à lui, il eut alors la certitude qu’il était temps de disparaitre.