Sa perception de la réalité est délicatement totalitaire. Il prétend que tous les phénomènes sont des gommes. Certes il admet qu’il y a sans doute des différences entre les objets, il distingue la gomme-cœur de la gomme-œil, la gomme-soleil de la gomme-bouteille, la gomme-liberté de la gomme-blague. Cependant il n’en reste pas moins qu’il s’agit pour lui d’abord et avant tout de gommes. Il n’y a en vérité qu’un objet qu’il ne réussit pas à définir C’est un objet mou, qui se décompose rapidement sous la pression et dont le passage anéantit les traces graphiques. Cet objet, qu’il est incapable de conceptualiser avec rigueur, il le nomme “le rien du tout”.

 

 

 

C’est un cynique du remerciement. Il marche avec son cerveau dans sa main et il demande à tous ceux qu’il ne rencontre pas s’ils n’ont pas vu passer de temps à autre l’intelligence du ciel. A ceux qui meurent de faim et qui implorent de la nourriture, il propose respectueusement un morceau de son cerveau, parce qu’il croit sincèrement que son cerveau est la nourriture dont ils rêvent. A chaque pas qu’il accomplit, son cerveau fond dans sa main telle une fécondité de simulacres qui renient à la fois la crudité et la cuisson. A chaque pas qu’il accomplit, son cerveau se change en ordinateur de charité de l’indifférence.

 

 

 

La vie, sa vie, notre vie, leur vie, d’autres vies, (la vie) ; l’écho corrigera. Il n’a qu’un ennemi. Son ennemi est marié, il a des enfants, c’est un honnête homme. Il a tué ses parents le même jour pour éviter à l’un de pleurer la perte de l’autre. Son ennemi dit à chaque seconde la vérité, cependant il ne la dit pas toujours. L’écho est son exclusif ennemi. Quant à lui il n’est rien d’autre qu’un des signes de ponctuation de l’écho.

 

 

 

Torturé à travers la loterie de l'adieu, il somnolait comme un doux mort en sursis lorsqu’un mendiant de sagesse lui vola par inadvertance son cerveau. Le mendiant croyait en effet lui avoir ainsi proposé la gomme de cristal d'un quiproquo. Il était donc désormais à tout prix obligé, même s'il devait vendre la vanité de son âme, de découvrir un ersatz de cercueil à la place de son cerveau. Il ne savait pas quoi choisir, soit un estomasque, soit le sosie de l'horizon, soit le fœtus d'une encyclopédie entre parenthèses, soit un un, soit le calendrier fétichiste du deux, il continuait donc à hésiter. En attendant le non unicellulaire de sa nuque considérait la mort comme une pure formalité, le néant ready-made d'un simulacre de suicide.

 

 

 

Sa vie est exclusivement ironique, tous ses actes sont effectués à l'envers. Lorsqu'il a peur, il sourit. Lorsqu'il désire faire une plaisanterie son corps tremble comme s'il ressentait soudain d'horribles brûlures. Lorsqu’il insulte et frappe quelqu'un c'est qu'il l'aime pour toujours. S'il étreint quelqu'un avec douceur c'est qu'il le hait. Il cherche sans cesse d'où provient cette manie de l'ironie organique cependant sa recherche est quasiment impossible étant donné qu'elle est elle-même ironique et qu'elle ne peut donc s'accomplir qu’à travers son indifférence. D'honnêtes médecins supposent que cette folie est due au fait qu'il a vu sa propre image de façon futilement précoce autrement dit dans le ventre même de sa mère.

 

 

 

Au centre du rire de son œil unique subsiste la montagne de ses toussotements. Il a donc décidé de réécrire la vieillesse ivre de son testament. Il lègue la lutte des classes à sa fille avortée. II hésite à léguer le péché originel soit à la justice soit à la police. Il langue sans la léguer l'hallucination de sa gloire aux pétales de surdité de ses pleurs. Il lègue la scintillation de ses excréments à l'impossibilité encyclopédique de sa mort. En vérité, la disparition de sa mémoire est son seul testament, ou plutôt le cercueil de somnolence de son testament. En vérité la délicatesse de son épouvante et la discrétion de sa démence sont adressées au cœur de son cerveau.