Dans la civilisation des voix, chacun dort approximativement une seconde sur trois. Cela saccade éperdument la vie quotidienne. Le problème crucial de cette civilisation est ainsi de parvenir à harmoniser le rythme des différents sommeils. Cette harmonisation s’accomplit par le geste d’inventer la forme d’une cérémonie où les anticipations de chaque sommeil provoquent des postures de disparitions efficaces.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, ils ne considèrent pas le sommeil comme un repos. Pour eux, le repos ressemble à une abstraction, une abstraction de l’amnésie. Ainsi dans la civilisation des voix, le sommeil a la forme d‘une crampe de translucidité comme le rythme d’une foudre d’eau. Une attention sidérante est ainsi nécessaire pour parvenir à vivre les uns auprès des autres. En effet, l’instant du sommeil n’est pas toujours visible et il est souvent confondu avec un simple instant de nonchalance. C’est pourquoi le problème crucial de la civilisation des voix est de parvenir à harmoniser le rythme des sommeils. Harmoniser le rythme des multiples sommeils révèle ainsi le jeu d’inventer un espace où la mélodie météorique de leurs trajectoires intensifie le besoin d’extase du partage du temps. 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, chacun dort un instant sur trois et l’instant du sommeil est considéré comme celui de la parole. Les trois instants se suivent toujours selon le même ordre. Le premier instant est celui de la terreur du visage, le deuxième celui de la joie du silence et le troisième celui de la parole du sommeil. Exister est pour eux le geste d’épuiser jusqu’à l’inconnu la suite de ces trois instants. Ils considèrent aussi comme tabou d’essayer de transformer la suite de ces trois instants sauf quand la chair affirme par la sensation d’anesthésie de la nécessité cette suite inexorable comme nuage d’improvisation aveugle de la séduction.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, le monde n’existe qu’à l’instant où ils se taisent. Dès qu’ils parlent, il n’y a plus de monde autour d’eux. Le monde alors ne disparait même pas, c’est plutôt comme si il n’avait jamais existé. Ainsi ils parlent toujours à l’intérieur du vide.  Le vide semble à la fois le lieu et l’invention de leur parole. Ils ont parfois le sentiment que leur parole et le vide composent un corps siamois, un corps double qui ne possède qu’un seul sexe, le sexe du silence de l’inconnu.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, la parole et le silence ne s’opposent pas. Dans la civilisation des voix, la parole et le silence ressemblent plutôt à des espèces animales différentes.  Ainsi le jour apparaissent l’escargot de la parole et le tigre du silence et la nuit l’escargot du silence et le tigre de la parole.

 

 

 

Sur la planète des voix, chacun n’est apte à dire qu'un seul mot. C'est par ce mot que les autres  le reconnaissent. Ce mot unique qui n'est jamais considéré comme étant leur nom, ils sont aussi aptes à le prononcer avec d’innombrables intonations. Leurs conversations ressemblent ainsi à des formes de danse où ils modifient l’aspect de leur visage à chaque fois qu'ils formulent ce mot unique. Sur la planète des voix, c’est comme si la parole apparaissait par la suite inachevée de la multiplicité des visages afin de dire un seul mot.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, l’anatomie des voix n’est jamais transformée par le temps. Cependant chaque voix dispose d’un nom différent selon la voix à qui elle s’adresse ou selon la voix qui s’adresse à elle. Chaque voix dispose d’un nom différent pour chaque voix à qui elle parle et pour chaque voix qu’elle écoute parler.

 

 

 

Sur la planète des voix, chaque soupir est une société secrète.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, chacun porte un uniforme à l’instant où il retient son souffle.

 

Dans la civilisation des voix, les souffles n’ont un visage que lorsqu’ils naissent, meurent ou tuent un autre souffle.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les visages surgissent comme des hallucinations de souffle à la surface des rendez-vous d'ainsi de l'au revoir.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, ils ne disent jamais au revoir. Ils disent plutôt « Il est préférable de disparaitre un jour où l’autre. ». Etl’accent indicible au-dessus du où est à la fois l’indice d‘une plaisanterie et d’une offrande.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, le cœur est l’organe du vice. Dans la civilisation des voix il y a des établissements spécialisés où il est possible de choisir un homme ou une femme dont on entendra battre le cœur à son insu. En vérité ces hommes et ces femmes savent que quelqu’un écoute battre leur cœur, cependant ils ne savent jamais à quel instant cet acte est accompli.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les sentiments existent de manière invisible. Dans la civilisation des voix, les sentiments ne deviennent visibles qu’à l’instant où quelqu’un les oublie.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, on fait un enfant à quelqu'un à chaque fois qu'on l’oublie.

 

 

 

 

 

Sur la planète des voix, le coït ressemble à un geste de courage.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les sexes des femmes se trouvent à l'intérieur des sourcils des hommes.

 

Dans la civilisation des voix, faire l’amour est la forme anthropophage de la politesse comme la forme courtoise de l’anthropophagie. Dans la civilisation des voix, faire l’amour est le geste de manger le tact d’énigme de  l’autre.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, ils se maquillent comme ils se mangent les uns les autres.

 

 

 

Sur la planète des voix inconnues, la seule forme d’élégance est de parvenir à manger la disparition de l'autre.

 

 

 

 

 

Leur communauté est soudée par la fête de toujours se parler sans jamais pouvoir se voir. Même lorsqu'ils sont extrêmement loin les uns des autres, ils sont toujours aptes à s'adresser la parole. Et à l’inverse, même lorsqu'ils se touchent à l'intérieur de la lumière, leurs regards ne se rencontrent pas. C'est le peuple des imperceptibles, la civilisation des voix. Il n'y a aucune angoisse dans ce peuple seulement une forme d'épuisement étrange qui ressemble à l'épouvante funambulesque du passé. Dans cette civilisation, ils pensent que le concept de vérité est sans valeur. Ils ne pensent pas que la vérité n'existe pas, ils pensent plutôt que la vérité n'est pas un événement aussi fabuleux et inoubliable qu'un éternuement.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, lorsque quelqu’un désire éternuer il doit impérativement se rendre au temple des éternuements. Ceux qui éternuent en dehors du temple sont immanquablement condamnés à mort, ceux qui éternuent à un ou deux pas du temple ont droit à des circonstances atténuantes et ne sont condamnés qu’à la prison à perpétuité.

 

 

 

Sur la planète des voix, les femmes lascives éternuent leur nudité.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, ils considèrent la conversation comme le geste d’extase cynique d’éternuer en même temps.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, le jour de l’anniversaire est aussi celui de l’éternuement de l’ombre.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, il n’y a pas de différence entre envoyer une lettre et regarder.

 

 

 

Dans la civilisation des voix l’humus du sol apparait formé par les lettres d’amour que les voix jettent par sagesse au loin après les avoir lues avec l’œil de leur ventre.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, le linceul des morts apparait formé par les lettres d’amour qu’ils ont reçu pendant l’intégralité leur existence.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les cercueils sont les encyclopédies de lapsus des remerciements.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, ils considèrent que la santé est de parvenir à recomposer intégralement le puzzle de son nom dispersé à l’intérieur du ciel. Dans la civilisation des voix, les chirurgiens sont ceux qui savent découper avec calme les espaces de ciel où des noms ont été inscrits.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, la structure de la santé est identique à celle de la mode. Chaque année, le signe de l’acceptation sociale est de changer de maladie.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les révolutions sont les privilèges des chevelures.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les révolutions sont structurées comme des successions de suicides. D’innombrables suicides sont disposés de telle sorte que cela suscite des mutations sociales irréversibles.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, le meurtre est impossible. Dans la civilisation des voix, il y a des combats cependant ce sont des combats sans aucun mort. Dans la civilisation des voix, les combats provoquent uniquement des proliférations de blessures.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les femmes à l’instant où elles chantent accouchent de couteaux et les enfants sont utilisés comme fusils dans les combats.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, ils font la guerre avec des bombes-fœtus.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les guerres sont utilisées comme cadeaux de bienvenue aux voyageurs.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, il n'existe qu'une seule forme de plaisanterie, celle d'adopter le nombril d'un tribunal. Dans la civilisation des voix, les guerres ont lieu uniquement dans les pharmacies. A l'entrée des boucheries, ils effectuent des exercices demathématiques ou bien encore ils jouent aux échecs, Les prisons sont impossibles à distinguer des musées. Et les salles de cinéma sont semblables à des lavomatiques gigantesques pour les linceuls du vent.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les salles de cinéma ressemblent à des lavomatiques pour culs-de-jatte lovés à l'intérieur des linceuls de l’inconnu.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, le spectacle cinématographique fonctionne d'une manière étrange. Aucun lieu n'est exclusivement consacré au cinéma, il n'existe pas de salle de cinéma. Isoler le spectacle cinématographique à l'intérieur d'un espace leur semble une idée ridicule et surtout immonde. Les voix affirment que cette idée est l'indice d'une pauvreté métaphysique impardonnable. En effet, le cinéma n'a pas lieu selon eux à l'intérieur de l'espace, il a lieu à l'intérieur du temps. Ils affirment que le cinéma révèle la forme de l'inouï stratigraphique de  du temps, l'événement de la métamorphose du temps en écran épileptique de l'érosion. A la surface de ce temps-écran sont projetées des voix fictives, les voix végétales des pensées dévolues. Et à l'inverse, l'écran projette des images sur les voix mêmes des spectateurs et les transforme ainsi en visages. C'est l'unique expérience par laquelle les voix rencontrent une image. L'image n'est pas projetée devant leurs yeux, puisque les voix n'en ont pas, cependant elle survient projetée sur l'affectation de leur existence afin de les transformer ainsi en visages de voix. Lors de ces expériences cinématographiques les voix jouissent ainsi avec une épouvante langoureuse de l'apparition de la solitude, apparition de la solitude que le reste du temps elles ne connaissent pas.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les nombres ressemblent à des pierres précieuses.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, l'inconnu apparait comme le peuple des oscillations de l'ainsi.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, ils appellent vacances l’espace où il est préférable de dévorer ses rêves avec son sommeil.

 

 

 

 

 

Dans la civilisation des voix, les hommes sont des brouillons de roues.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, il y a des maisons vides habitées uniquement par des roues vagabondes en exil.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, il y a des abattoirs d‘à bientôt, des boulangeries-toboggans et des cimetières de musique.

 

 

 

Dans la civilisation des voix, il reste tabou de sourire, ou bien uniquement quand une bombe vous tombe dessus.