Il se tient face à une foule et il lui semble que son travail est d’intercepter les messages que cette foule envoie. Cette foule n’envoie pas ses messages de façon confuse, elle n’envoie même pas plusieurs messages à la fois. Cette foule en mouvement incessant envoie d’innombrables messages très vite mais toujours l’un après l’autre selon un ordre qu’il ne comprend pas. Cette prolifération de messages cependant ordonnés l’inquiète plus que s’il se tenait devant une succession de messages envoyée de façon capricieuse à travers un dirigeant déterminé. En dépit de son inquiétude, il réussit à saisir presque tous les messages et à les renvoyer vers la foule. Lorsque parfois un des messages lui échappe, il devient alors pendant quelques secondes transparent, la foule elle-même devient aussi transparente et ne reste ainsi visible que le déplacement du message lui-même.
Il n'a jamais été seul. Auprès de lui il y a sans cesse quelqu'un, soit en chair et en os, soit exclusivement en chair, soit exclusivement en os, soit exclusivement en et, soit en ni l'un ni l'autre, soit en pensée, soit en apostrophe, soit en soit, soit en alphabet.
Il n’a jamais vécu seul. Ses moindres désirs, ses moindres pensées ne peuvent subsister qu’en public. Sa sueur, sa salive, son haleine, ses borborygmes sont glorieux. Même lorsqu’il semble physiquement seul, ce n’est qu’un leurre, son corps est alors la reproduction futile de sa gloire.
Sa substance est essentiellement publique. Lorsqu’il parle, il ne parle pas à quelqu’un, il parle obligatoirement à la totalité de l’espèce humaine. C’est la raison pour laquelle il n’est jamais épuisé et il n’est jamais non plus heureux.
Il croit que l’univers est une machination de virgules. Et il pense que le pouvoir n’est rien d’autre que l’intervalle entre toutes ces virgules.
L’isolement de sa vie est si furieusement apocryphe qu’il parasite son corps à la façon d’un crime explétivement démenti.