Il n’aime que les femmes d’un mètre soixante et onze et de soixante kilos cependant il reste à jamais incapable d’évaluer intuitivement la taille et le poids des femmes. C’est pourquoi il est toujours obligé de leur demander ces quelques indications avant de savoir s’il les aimera ou non. Un jour il tombe amoureux d’une femme qui lui répond qu’en effet elle mesure un mètre soixante et onze et pèse soixante kilos. Elle a répondu cela intégralement au hasard. Elle a simplement répondu cela parce qu’elle n’a jamais connu ni sa taille ni son poids.

 

 

 

Sa vision des femmes est affublée d’un handicap bizarre. Il ne voit jamais l’intégralité d’un corps de femme, il n’est apte à en voir que la moitié : soit la moitié inférieure, des pieds au sexe, soit la moitié supérieure, du sexe au visage. Cette forme de vision n’est cependant jamais définitive. Ainsi il lui arrive de rencontrer une femme qu’il a déjà vu des pieds au sexe et de la voir cette fois du sexe au visage. Il ne parvient pas toujours d’ailleurs à identifier cette femme en faisant le rapprochement entre les deux moitiés de son corps. D’où d’innombrables confusions et aussi de multiples surprises de tact. Il lui arrive aussi  à l’inverse de penser que deux moitiés de corps qui sont celles de deux femmes différentes appartiennent à une femme unique, d’où d’innombrables surprises et de simples confusions d’élégance.

Etant donné qu’il était à la fois joueur et sentimental, c’est le hasard du destin qui provoqua l’événement de son mariage. Il choisit en effet de se marier avec la seule femme dont il n’avait vu que le haut du corps, le haut, à chaque fois, le haut, à jamais, le haut. Et cette particularité étrange lui avait semblé être l’indice même de son amour.

Son existence avec cette femme fut  heureuse jusqu’au jour ou alors qu’il pensait la tromper avec le bas d’une autre femme qui était sa maitresse depuis quelques semaines, il eut la révélation que cette  moitié inférieure de corps était en vérité celle de son épouse. Cette révélation de la coïncidence du haut et du bas de sa femme l’épouvanta comme la plaisanterie d’un miracle. Et c’est ce jour-là, ce jour où il voyait pour la première fois sa femme en entier,  des pieds à la tête, que sa femme décida de lui demander le divorce.

 

 

 

 

 

Il n’est ni sentimental, ni libertin. Sa sagesse est la forme de son indécence. Il ne désire ni jouir physiquement des femmes ni les aimer idéalement. Il jouit seulement d’avoir rendez-vous avec les femmes à l’instant précis où son âme envisage leur chair. Il préfère partager ainsi avec elles le lieu d’illusion du plaisir.

 

 

 

Il lui avait offert une de ses habitudes de chute libre et elle avait accepté le cadeau de manière étrange. En effet elle avait pris le cadeau longtemps entre ses mains puis elle l’avait abandonné à l’intérieur du lieu même de son offrande. Jamais un geste de femme ne l’avait autant ému. Il en avait rougi de volupté,  comme si par ce geste la femme était parvenue à révéler la joie extrême d’apparaitre ici-bas.

 

 

 

Il donne l'impression de dormir enraciné à la suite des jours qu'il inscrit à la surface du vide. De temps à autre, il contemple avec une excitation impeccable les femmes qui surgissent à proximité de son plaisir. Quand il a l'intuition inexorable qu'elles se trouvent belles, il les saisit au vol et les desquame avec langueur, afin d’inventer ainsi la parure de râles lascifs qui brûle d'orgueil sous la passion d’espace de leur peau.

 

 

 

 

 

Depuis qu’il a fait l’amour pour la première fois, chacune de ses paroles approximativement un jour après avoir été dite se transforme en cheval. Cela ne l’ennuie pas, cela provoque  en lui un enthousiasme quasi absolu. La prolifération de ses chevaux ne l’inquiète pas, elle lui plait. Ses chevaux le suivent partout, il y en a qui meurent, d’autres parfois disparaissent, cependant cela n’a pour lui aucune importance, cela n’abolit jamais l’exactitude de son euphorie. Ce sont ses chevaux, les chevaux invulnérables de ses déclarations, de ses déclarations d’amour. Il ne cherche pas à savoir ce qu’ils désirent ou ce qu’ils font, il préfère seulement les aimer et il les aime à jamais. Ainsi il parle comme un orage de paix, il parle toujours aidé par l’allure magnifique, audacieuse, virtuose, lucide de ses chevaux.

 

 

 

A chaque fois qu’il fait l’amour il essaie de sauvegarder en équilibre le couteau qu’il a auparavant planté avec précision au sommet de son crâne. Si pendant qu’il fait l’amour le couteau s’effondre c’est l’indice qu’il est pour lui préférable  de ne plus faire l’amour avec la femme qui a ainsi provoqué ce déséquilibre.

Un jour malgré tout, il a la tentation de faire encore une fois l’amour avec une femme qui a antérieurement provoqué le déséquilibre du couteau. Par ruse cependant il décide alors de faire l’amour avec elle sans avoir auparavant planté de couteau dans sa tête. Ce jour-là à l’instant de jouir, un couteau d’oubli absolu surgit à l’extrémité de son crâne. Etrangement, la lame du couteau  n’est pas plantée dans sa tête, elle s’élance avec tranquillité à destination du ciel. Il ne parvient jamais ensuite à ôter ce couteau de son crâne et il reste ainsi paré jusqu’à sa mort.

 

 

 

Chaque matin, à l’instant de l’éveil, il explose. Sa chair se décompose avec violence et apparait projetée dans d’innombrables directions dans un rayon de quelques mètres. Malgré tout il apparait déchiqueté sans aucune douleur et il reste ainsi tranquillement décomposé. Après l’explosion il a toujours besoin d’environ une heure afin de se recomposer. Ses proches sont habitués à cette explosion inconséquente. Ils en rient parfois et ce rire est l’indice de leur bienveillance. Quant aux autres, il s’amuse à juger de leur valeur par le geste de les confronter au phénomène. Leur indifférence ou leur désespoir, leur frénésie ou leur sérénité quand l’explosion a lieu lui indiquent avec exactitude quelle considération il leur offrira par la suite. L’attitude des femmes après une nuit érotique le ravit particulièrement. Il y a celles qui ne voient même pas que sa chair a explosé, elles appellent plusieurs fois dans  la maison puis choisissent de partir. D’autres s’affolent, crient, pleurent ou s’agitent avec tant de maladresse qu’elles ne parviennent pas un seul instant à l’aider. Les femmes qu’il préfère, elles, se réveillent épouvantées, cependant elles restent extrêmement calmes. Elles regardent les extraits de sa chair avec une lucidité subtile et essaient ensuite de lui redonner une forme. Les femmes qui eurent cette attitude, il les désire encore, les autres n’ont pour lui plus aucune importance. La femme avec laquelle il s’est marié eut elle une attitude unique. Elle contempla les fragments de sa chair éparse, resta fabuleusement paisible et silencieuse, n’effectua ensuite aucun geste afin d’essayer de le recomposer et déclara avec un sourire d’insouciance « Comment ça va ce matin, allez hop mon amour, debout. »