Elle contemple avec une exaltation subtile des traces de sperme sur la disparition des draps. Elle examine ces traces de sperme avec une scientifique frivolité. En effet, elle utilise le sexe de son amant comme microscope. Elle contemple ces traces de sperme comme si elles composaient la mélodie fragile d'une nageoire de dauphin transposée à l'extrémité de l'espace. Elle ne comprend pas ce qu'elle voit comme ce qu'elle voit ne la surprend pas. Elle voit ainsi la forme de c'est-à-dire féerique du désespoir, un cortège de paradoxes faciles, une théorie des improbabilités où le possible semble détruit par la monotonie hagarde du hasard, un pari de Pascal qui a oublié Dieu par la déchirure du ciel.

 

 

 

A chaque fois qu’elle fait l’amour, cette femme exactement un jour plus tard accouche d’une chose, une chose de temps. Elle a déjà accouché avec joie d’une aile chirurgicale, d’un poisson planétaire, d’un parapluie de larmes, d’un ghetto d’hallucinations, d’un toboggan d’oranges, d’un gong de sang. Malgré tout elle n’a encore jamais accouché d’un enfant. Elle affirme que c’est pour elle préférable. En effet, un enfant doit être aidé, sa mère doit lui apprendre comment vivre et elle n’a aucune envie d’apprendre à vivre à qui que ce soit étant donné qu’elle n’a aucune idée de ce qu’est la vie. C’est pourquoi d’ailleurs elle abandonne à chaque fois ce qu’elle accouche sans avoir ensuite le moindre remords. Elle sait malgré tout qu’à chaque fois qu’elle pense à l’acte sexuel, à la seconde d’après elle prononce automatiquement un enfant. Cela lui est déjà arrivé une fois et elle avait alors décidé d’abandonner l’enfant ainsi prononcé. Elle a abandonné l’enfant cependant le souvenir de cet abandon ne l’a pas abandonnée. Un matin, un homme lui a demandé gravement si elle n’avait pas un jour vu Dieu, comme ça qui sait, pendant une petite promenade, comment dire, matinale.

 

 

 

Elle est la seule à croire qu'elle est enceinte. Les médecins lui ont pourtant expliqué qu'elle faisait erreur, que cet enfant n'est qu'une lubie, un enfantasme, elle ne veut rien savoir. "Les tests ne peuvent pas sentir ce que mon ventre sent. Ce sont les tests qui rêvent, pas moi, je suis parfaitement sûre d'être enceinte." dit-elle. Enveloppée dans sa croyance, elle ne désire d'ailleurs pas convaincre les autres de la vérité de ce qu'elle pense. Lorsqu'on cherche à lui faire comprendre rationnellement la situation, elle reste doucement muette et sourit avec des dents de vertueuse fanatique. Désormais, elle parle moins ; lorsqu'elle parle, elle s'adresse le plus souvent à l’image de l’enfant qui est sensé attendre au centre de son ventre et elle emploie alors les expressions idiotes d'une mère normale. Le jour vient où elle est la seule à croire qu'elle est sur le point d'accoucher et aussi la seule à voir son enfant paraître. A partir de ce moment, elle lave, allaite et berce un simulacre de vie à qui elle a donné un nom secret. Son mari, pour mettre fin à cette folie ridicule lui propose alors de faire ensemble réellement un enfant. Elle lui répond qu'elle ne désire pas avoir un deuxième enfant, que cela engendrerait trop de difficultés et qu'elle préfère se consacrer à celui qu'elle a déjà. En effet elle est pour lui une mère idéale, elle lui accorde tout ce qu'il demande et elle ne s'oppose jamais à sa liberté. Devant l’impasse de la situation, son mari espérant abolir à travers cet acte les simagrées incohérentes de sa femme, décide de lui faire un enfant à son insu. Après l'avoir droguée, il l'insémine pendant qu’elle est inanimée. Quelques mois plus tard, le ventre de la femme gonfle de façon flagrante. Les tests médicaux indiquent qu'elle est enceinte. Cependant elle n'est pas le moins du monde troublée par cette nouvelle pour l'excellente raison qu'elle prétend ne pas attendre d'enfant. "Il n'y a pas d'enfant à l'intérieur de mon ventre, c'est une farce de l'indécidable pour me duper." Ainsi, comme si elle était la substance même de la loi, elle accouche avec une indifférence infinie d'un enfant qu'elle s'obstine à concevoir en tant que signe de ponctuation anonyme d'une langue morte. Après son accouchement, elle observe son enfant comme si elle lisait une information quelconque dans le journal puis elle le gomme à jamais de sa vie comme s'il n'avait été qu'un lapsus parodique de mutisme interdit.

 

 

 

 

 

A chaque fois qu'elle est désirée, son corps se change en miroir. Elle signale ainsi avec une indifférence parfaite que la vérité de sa survie est identique au simulacre de son absence.

 

 

 

Elle est si belle et elle se regarde si souvent dans le miroir qu’une fois son miroir lui fait un enfant en secret. Elle porte effectivement son enfant dans son ventre, cependant c’est le miroir qui le met au jour.

 

 

 

Elle prostitue son corps aux prophéties de gloire de l'incognito. Elle ne prostitue pas son corps aux hommes, elle prostitue son corps au sperme messianique qui attend au centre de leur insomnie. Sa vérité est ainsi identique à l'imposture de sa sainteté.

 

 

 

Elle a dissimulé son ventre à l'intérieur de son cerveau et son cerveau à l'intérieur de son cœur. La vérité de son horreur est le quiproquo de transparence de ses cris.

 

 

 

Il est préférable de rester extrêmement gentil avec la demoiselle-contradiction. Ses larmes sont meurtrières. Sa tristesse est toxique. Cependant il est difficile de savoir comment ne pas provoquer ses pleurs. En effet sa crainte n'est que la coquetterie de son bonheur.