Il s’éveille parfois en pleine nuit pour allumer son téléviseur et vérifier que la télévision continue à diffuser des images en son absence.

 

 

 

Depuis qu’il est né il regarde la télévision. Il ne dort pas, il ne veille pas. Il a délégué son sommeil aux images elles-mêmes et sa veille au passage d’une image à une autre, passage en vérité à chaque fois identique, faille similaire au nombril du néant. Il est donc au courant de tout ce qui se passe dans l’univers et aussi de tout ce qui se passe dans son corps lui-même. Car il y a sans cesse à la télévision des reportages sur son propre organisme. “Je m’ai à l’œil.” pense-t-il. Et lorsque les programmes sont accidentellement interrompus, il choisit de s’éteindre lui-même plutôt que d’éteindre la télévision.

 

 

 

Il retarderait même la seconde de sa mort pour ne pas manquer une émission de télévision.

 

 

 

 

 

Lorsqu'il est angoissé, il téléphone aux fleurs.

 

 

 

Il a des téléphones à la place des mains. Pour détecter le labyrinthe d’ultimatums de l'air.

 

 

 

Il ne téléphone jamais à quelqu’un. Il téléphone à personne autrement dit à la foule infinie de la preuve de vivre.

 

 

 

Il téléphone, il téléphone à perpétuité. Etre pour lui c’est être au téléphone. Il parle au téléphone, il rencontre des gens au téléphone, il respire au téléphone, il respire le bruissement de l’air, il mange au téléphone, il se nourrit du bruissement des aliments, il dort au téléphone, il désire au téléphone. Et lorsque par inadvertance, il raccroche le téléphone, il a l’impression de s’être crucifié lui-même.

 

 

 

Il reçoit des coups de téléphone ou des coups de feu. Il note des listes de numéros. Il stocke dans des albums de souvenirs des modes d’emploi d’aspirateur. Il n’est jamais condamné et il ne condamne jamais, il est neutre à la façon de l’ubiquité inerte de la loi. Lorsque quelqu’un lui dit merci, il lui octroie en échange une pièce de monnaie tel un espion de son idiotie.

 

 

 

Il est réveillé chaque jour par le coup de téléphone d’un individu qui lui dit « Je vous connais, je vérifie que je vous connais. » 

 

 

 

Désœuvré, un midi, il fait un numéro de téléphone indécidable. A l'autre bout du fil, il entend sa propre voix lui dire. "Vous avez fait une erreur, il y a ici quelqu'un mais le numéro que vous avez appelé n'existe pas."

 

 

 

 

Cet homme n’est célèbre que parmi les microbes. Les autres hommes en ont conscience et ils lui ont même parfois accordé quelques honneurs. Cependant pour les microbes, c’est différent. Pour les microbes, c’est un Dieu, une espèce à lui tout seul qu’il est impossible de ne pas adorer. Cette divinisation par les microbes n’exempte pourtant pas cet homme de la maladie. Comme tous les autres hommes, les microbes souvent le contaminent. Cependant les microbes qui sont alors envoyés sur son corps revendiquent cette situation comme un signe d’élection. Survivre dans le corps même de leur Dieu est pour eux la forme la plus grandiose et la plus merveilleuse de la prière. Ils multiplient alors les invocations, les appels et les sacrifices mais cela cependant en vain. En effet cet homme resta toute sa vie sourd aux prières des microbes. Il ignora donc qu’il était le dieu des microbes et il mourut sans l’avoir jamais su. Le ridicule de sa malédiction est d’avoir ignoré qu’il était un Dieu. Depuis le jour de sa mort, les microbes, fous de chagrin et de douleur, n’ont de cesse de se venger sur les autres hommes, qu’ils estiment n’être que les simulacres grotesques de leur dieu disparu.