Sa bouche est devenue une machine à oublier. Chaque mot qu'il prononce abolit à jamais de sa  mémoire la chose qu'il désigne. Il oublie la chose sans jamais oublier le mot. Il est ainsi saturé de mots sans signification, comme des outils superflus, des machines à produire des déchets qui subsistent en lui comme les masques de distraction de la vérité. Il évite méthodiquement de parler, de se présenter, de faire des déclarations d'amour. Ce mutisme reste cependant inutile. En effet non seulement il oublie toutes les choses qu'il nomme mais de plus il mémorise tous les mots qu'il ne dit pas. Sa mémoire devient ainsi semblable à un labyrinthe de lapsus indicibles. Il est condamné à ne plus jamais rencontrer le silence. Son mutisme n’est rien d’autre qu’un ersatz d’interdit.

Ainsi la malédiction de son oubli devient son Dieu. Il n'a plus de conscience, il n'a plus d'inconscient, il est sa conscience et il est son inconscient. Un jour il décide de prononcer le mot mort. Cette prononciation n'engendre alors aucun oubli, elle engendre au contraire une mémoire immonde. Il comprend alors que la mort n’est qu’un mot, la pureté d'un mot et qu'il est donc impossible d'oublier ce que ce mot désigne. Il a ainsi la révélation que la malédiction d'oublier les choses que la bouche nomme est identique à l'obligation d'attendre éternellement au centre de la mémoire du pur mot de la mort.

 

 

 

Il n'utilise que les mots dont il ignore le sens. Les mots dont il connaît la signification, il les sacrifie au centre de la gomme de son cœur. II ne dit pas la vérité et il ne ment pas, il bavarde divinement, il prononce le simulacre parfait de l'insignifiance du langage.

 

 

 

Il pense avoir découvert une technique pour anéantir l'angoisse. Lorsqu'il est ému, il n'emploie que des mots dont il ignore le sens. Il fait alors semblant de parler. Il prononce consciencieusement des mots insignifiants. Il mime la prononciation d'une langue délibérément futile. A l'inverse, lorsqu'il subsiste sans désir, il dépense avec une fureur invisible la totalité des mots qu'il connaît. Désormais, il n'est plus angoissé cependant il ne fait que survivre à son insu au centre du rien du tout. Désormais son activité exclusive est de transsubstantier les menaces de mort que personne ne lui envoie en masque de jugement de la distraction de Dieu.

 

 

 

La rumeur dit qu'il est un os. Il faut croire qu'il n'appartient à personne puisque depuis qu'il attend stupidement au centre de tout et aux yeux de tous, aucun individu ne l'a encore réclamé. Il est vrai qu'il n'est pas très intéressant. En fait, il ne connaît pas d'autre bonheur que de prononcer sans arrêt les mêmes mots "Ceci n'est pas une phrase, le langage n'existe". A chaque seconde il avoue la vanité de sa mauvaise foi. Ce que la rumeur ne dit jamais c'est qu'il est aussi le logos de gomme de l'origine, l'os obstétricien du néant, l’idiotie d'un adieu aussi néanthropomorphe que néanthropophage.

 

 

 

Il n'entend pas les bruits inhumains, il entend exclusivement le sens des paroles des hommes. Il n'entend que les sons à travers lesquels les hommes signalent leur obligation d'être tant bien que mal éternels. Il est sans cesse accompagné d'un interprète qui ne fait en vérité rien d'autre que reproduire à l'identique les mots qu'il prononce. L'interprète cependant ne reproduit que les mots qui lui semblent singuliers, il ne reproduit pas les paroles insignifiantes qui ne sont que l'écho du bavardage universel. Du fait du parasitage continu de son interprète à ses côtés, il n'a qu'une seule pensée en tête, devenir l'interprète de son interprète. Il désire reproduire l'air de rien les mots que son interprète a précédemment reproduits dans l'espoir de leur restituer à travers cet acte leur originalité. Il sait néanmoins que sa ruse est dérisoire. En effet il a l’impression qu'il n'est pas à chaque fois qu’il parle accompagné par le même interprète et que de plus les autres hommes désirent eux aussi se changer en interprètes de ses innombrables interprètes.

 

 

 

Il ne connait pas les paroles intimes, c’est un intermédiaire infini. Les paroles qu’on lui adresse ne lui sont jamais exclusivement adressées. Les paroles qu’on lui adresse visent toujours quelqu’un d’autre à travers lui. Il est conducteur de paroles comme un corps chimique peut être conducteur d’électricité. Ainsi toutes les paroles qu’il reçoit sont impersonnelles puisqu’elles sont adressées à tous, et cependant il est le seul homme à qui toutes les paroles qui sont adressées sont aussi adressées en vérité à d’autres. Il est donc l’élu d’une parole impersonnelle. Il n’est pas un porte-parole, il est un porte-écoute. Il est la divinité de ce qui est divisé à travers le n’importe que tout. Il est prié à travers la lumière de l’anonymat.

 

 

 

Il n’a pas d’existence autonome, il est parlé à travers tous les autres. Toutes les paroles qu’il entend sont aussi simultanément adressées à tous. Il est cependant le seul homme au monde à être le récepteur d’une parole adressée à tous. Ainsi ce qui lui est exclusivement adressé est justement le fait que la parole ne lui est jamais exclusivement adressée. Ainsi l’adresse de la parole n’est pas son privilège cependant l’adresse de la totalité de la parole est sa propriété. Il subsiste donc en tant que partie de la totalité de la parole et en même temps il  désigne cette totalité en tant qu’oreille spectrale, c’est la raison pour laquelle il est obligé de rester à chaque seconde muet.

 

 

 

Il n‘entend jamais ce que les autres disent de lui  en sa présence. A l’inverse, il entend ce que la totalité des autres dit de lui en son absence. Ainsi ce n’est jamais quelqu’un de singulier qui lui parle, ce qui lui parle c’est obligatoirement n’importe qui. Lorsqu’un homme s’évertue cependant à dire quelque chose en sa présence, il l’interrompt sans tarder " Soyez sans crainte, je vous crois, je vous crois sur parole. " Puis il lui tapote le bout du nez comme si l’autre était une taupe céleste, la taupe céleste qui renifle les miroirs d’interdits idiots et futiles entre ses innombrables oreilles.

 

 

 

Il dit exclusivement ce que tous les autres ont déjà dit. D’ailleurs il a décidé de rester soi-disant muet.

 

 

 

Il ne croit jamais à ce qu’il dit. Il croit exclusivement à ce que les autres disent. A chaque seconde il torture les aveux même de l’air.

 

 

 

Lorsqu’il parle à quelqu’un, il croit qu’il se parle à lui-même et lorsqu’il se parle à lui-même il croit qu’il parle à quelqu’un d’autre. Il est le pur délateur de la gloire. Son corps n’est rien d’autre qu’une lettre anonyme de l’espoir.

 

 

 

A chaque seconde il dit " Plus vite, plus vite. " et cela sans jamais parler à quelqu’un.

 

 

 

Il croit que parler c’est échanger des mots, échanger à chaque seconde des mots sans jamais faire de phrases. Désormais il a exterminé sa réserve de mots connus et il ne peut donc plus échanger que des mots dont il ne connait pas le sens. Ainsi à la façon d’une pensée d’ange au sommet de la montagne d’or de son ignorance, il attend anxieusement que l’éternité passe.

 

 

 

Il est si honnête qu’il a des scrupules à employer un mot à son insu, sans lui avoir auparavant demandé son accord. Ainsi pour chaque mot qu’il prononce, il se croit obligé d’envoyer à ce mot une lettre de demande d’autorisation de prononciation, ce qui ralentit bien entendu le rythme de sa parole et le déçoit aussi sans cesse du fait de l’absence de réponse systématique des mots aux lettres qu’il leur envoie. Il pense parfois avec amertume qu’il y a là une sorte de négligence de la part des mots puis il s’avise que les mots ont sans doute des occupations plus importantes à accomplir que celles de s’attarder à lui envoyer des messages. C’est pourquoi spontanément il patiente et il reste muet, excepté lorsque par malentendu il interprète une situation de sa vie quotidienne tel un oracle ou un signe d’approbation secret.

 

 

 

Il est incapable de faire la moindre phrase. Les phrases ne l’intéressent pas. Lorsqu’on lui demande de faire une phrase, il détourne la tête avec une grimace de dégout. Et lorsqu’il est auprès de quelqu’un qui fait des phrases, il souffre et crie comme si chaque phrase était un couteau qui lui tailladait le visage. Il ne déteste pas le langage, il déteste exclusivement les phrases. A l’inverse, il adore les noms propres. Parler consiste en vérité pour lui à accumuler des noms propres. C’est comme si il croyait que chaque nom propre était un Dieu. Ainsi sa façon de parler est une sorte d’inventaire, de juxtaposition interminable de noms propres. Selon son humeur et ce qu’il désire vous dire, il les prononce à un rythme et avec des intonations variables. Il s’ingénie même parfois à insérer certains noms à l’intérieur d’autres noms ou à n’en prononcer que des morceaux. Dire des noms, rien d’autre ne semble lui plaire et à ce sujet il est effroyablement exigeant. Il suffit cependant que vous prononciez devant lui un nom propre dont il n’a jamais encore entendu parler et il vous regarde avec dans les yeux une reconnaissance innommable. Si en plus de prononcer ce nom qui lui est inconnu, vous parvenez à désigner celui qui le porte, l’humilité de sa reconnaissance se change en frénésie du désir. Il vous caresse, vous embrasse, cherche à vous déshabiller et commence à se déshabiller lui-même. C’est pourquoi ceux qui lui adressent la parole choisissent de rester le plus souvent rigoureux et prudents.

 

 

 

 

 

Il s’hypnotise avec ses propres paroles.

 

 

 

La totalité des paroles qu’il a prononcées est son testament.

 

 

 

Il fait infiniment semblant de parler. Sa parole n’est que le lapsus de liberté de la paranoïa de ses oreilles.

 

 

 

Il parle un mot sur deux. Il adresse l’autre mot en sacrifice à la futilité de la vérité.

 

 

 

Tous les mots qu’il prononce sont éternels, cependant les idées qu’il énonce restent éphémères. D’où la niaiserie des ultimatums de son ennui.

 

 

 

Il parle une langue de gloire structurée exclusivement de nombres, des nombres d’interrogation. Il parle une langue de nombres qui anéantit simultanément l’affirmation et la négation à travers des aveux de questions. 

 

 

 

Il ne parle que lorsque la perfection de son crime a peur. La totalité des guerres qu’il n‘a pas connues sont coagulées sur l’envers de sa bouche.

 

 

 

 

 

Il croit entendre dans chacune des paroles qui lui sont adressées sa propre condamnation à mort.

 

 

 

Il croit qu’il n’est vivant que lorsqu’il parle. Il croit qu’il lui est interdit de rester muet au risque d’être changé en cadavre.

 

 

 

Il ne parle jamais le premier à quelqu’un. Il croit en effet que parler en premier à quelqu’un est condamner l’autre à mort. Il se promène ainsi de lambeaux de paroles en lambeaux de paroles condamné à la discrétion par le dédain courtois d’être un meurtrier virtuel.

 

 

 

A chaque fois qu’il parle à quelqu’un, il sait qu’il lui fait un enfant, un enfant fou, un enfant d’hypnose téléphonique qui survivra à la mort même de l’espèce humaine. Cet enfant est pour lui identique à une formule de liberté qui entre dans le labyrinthe de son désir et qu’ainsi il ne revoit plus jamais.

 

 

 

Il n'est jamais vivant lorsqu'il parle, il est à naître. Lorsqu'il parle il n'existe pas, il est sur le point de vivre, il est au centre de la possibilité même de vivre. Sa parole est à la fois l'indice qu'il n'existe pas et l'indice qu'il va bientôt apparaitre à l’intérieur d'un futur insensé. Ainsi même s'il n'est pas vivant lorsqu'il parle, il sera vivant après avoir parlé.

 

 

 

 

 

Les autres pensent qu’il parle tout seul, en vérité il parle à la transparence de l’air. Il lui dit “Ecoute c’est un jeu idéal. Le dernier venu tire une balle de revolver en direction du ciel. Là où elle retombe, ce sera ton œil.”

 

 

 

Il pense que c’est à force de trop parler que chacun devient vieux. C’est pourquoi pour rester jeune il préfère ne plus parler à personne.

 

 

 

Lorsqu’il parle il s’adresse aux vociférations de cristal de l’imprévisible. Il désire avec modestie les attendre. Il devient ainsi semblable aux funérailles de cris de son cerveau.

 

 

 

Les jours où il n'a rien à dire, il paie une prostituée pour qu’elle adresse sa parole à la disparition de son cerveau.

 

 

 

 

 

Il ne parle qu’à reculons. Son cœur est la fidélité d’incertitude de l’alphabet.

 

 

 

Il ne connait pas d’autre façon de parler que de tourner avec ses mots autour de son cœur.

 

 

 

 

 

Il ressemble à un Dieu lorsqu'il parle et à une bactérie lorsqu'il est muet. C'est pourquoi il parle sans cesse, ce qui interdit quasiment aux autres de lui parler. Souvent il évite aussi de dormir. En effet lorsqu'il dort il est à la merci de la plus infime faim d'insecte.

 

 

 

Lorsqu’il parle, il pense que le fantasme est le suicide de la faim. Lorsqu’il écoute parler, il pense que la faim est le suicide du phantasme.

 

 

 

A chaque fois qu'il prononce un mot, un poil pousse à la surface de son corps, un poil définitif et impavide. Ainsi, de discours en discours, de raisonnement en raisonnement, de théorie en théorie, il devient semblable à l'automate timide d'une pubescente férocité.

 

 

 

 

 

Son nom a toujours été connu de tous et cependant personne ne connait son visage. Quand il se présente à quelqu’un il déclare avec une solennité insouciante « Je suis ravi de vous rencontrer.». Et sa conversation en reste là. En effet c’est la seule et unique phrase qu’il sait dire aux autres.

 

 

 

Il parle aux phrases comme si elles étaient des individus vivants. Il parle aux phrases comme à des  individus vivants qui forment des phrases qui elles aussi deviennent des individus vivants à qui alors il ne sait pas quoi dire parce qu'il ne leur a pas été présenté.

Il est ainsi en pourparlers avec la femme adultère de la fatalité. Il parle à la vérité du premier venu comme à un hasard superflu, le hasard superflu du désespoir de pose de son exil.

 

 

 

Il a toujours une cicatrice d’éblouissement, une balafre de bulles à l’extrémité de la bouche. Ses mâchoires semblent délibérer le désir de massacre de son cerveau. Sa parole est souvent banale, cependant elle a quelque chose de bizarre parce qu’il ne tourne jamais la tête vers celui à qui il parle. Il dévisage toujours en même temps des vagabonds qui attendent non loin de là  comme s’il essayait ainsi d’anticiper les apartés d’utopie de son ombre.

 

 

 

Le sens de ses paroles est presque toujours incompréhensible cependant la forme de sa voix survient de manière incroyablement exacte. Sa voix révèle la confusion de lave de la clarté. Sa voix ébauche le vagabondage même de sa bouche comme mosaïque de cicatrices du vide.

 

 

 

Chaque phrase qu’il dit reste à jamais secrète. A l’instant où il la dit, celui à qui il adresse cette phrase est apte à l’entendre, malgré tout il n’est pas apte à la mémoriser. Cette phrase reste destinée à disparaître, elle reste destinée  à l’absolu de l’oubli. Ainsi il parle et chacune de ses paroles sauvegarde le vide d’un miracle.

 

 

 

 

 

Sa parole désire seulement posséder un jour ou l’autre un corps afin de s’y reposer.

 

 

 

Il est nécessaire qu’il parle pour tenir debout. Son équilibre semble provoqué par la projection de ses paroles. Il affirme qu’il y a autant de manières d’apparaître debout que de formes de paroles. Il possède ainsi une parole d’oreille et une parole de bouche, une parole de ventre et une parole de front, une parole de sexe et une parole de cou. Quand il s’arrête de parler il tombe et il s’endort immédiatement.

 

 

 

Il n’a pas d’autre poids que celui de ses paroles. Dès qu’il reste silencieux, il s’élève instantanément dans les airs.

 

 

 

Il ne pèse pas ses mots, il les décapite en marge de son cerveau  pour les changer en paume de pesanteur de son regard.

 

 

 

Il parle avec une épouvante solennelle et puérile comme s’il avait le sentiment que chacune de ses paroles révélait le cercueil d’ivresse de son cerveau.

 

 

 

 

 

Il parle comme un pendu étranglé par sa langue. Il parle comme un pendu qui utilise la vérité de sa langue comme une corde et l’illusion de sa corde comme une langue.

 

 

 

Quand il parle sa bouche mange sa langue et quand il écoute parler sa langue mange sa bouche.

 

 

 

Sa langue est un poignard. C’est pourquoi il a le sentiment à l’instant où il parle de dépecer un corps invisible. Chaque parole est pour lui semblable à la dissection d’une viande de rêve,  une viande de hasard rêvé, la viande de vide de la certitude.

 

 

 

Lorsqu'il parle, il a un hélicoptère de maquillage à l'orée des gencives. Lorsqu'il parle, le regard de sa salive provoque des insinuations de nostalgie immorale.

 

 

 

Ses paroles ressemblent à des cristaux de préhistoire fixés par le fil de l'exil à des étreintes de parfums.

 

 

 

 

 

Il est habillé par l'intervalle du silence et de la parole, il bégaie. Il fait battre absurdement le précipice de sa langue au sommet de la montagne de son souffle. Chaque fragment de son corps prononce un mot unique, un mot qu'il flaire comme un extrait de fable. La grammaire de son regard multiplie ainsi la respiration de sa soif par l'équilibre ébloui de ses mains.

 

 

 

Il porte une porte sur son dos comme une pierre abasourdie par l'utilité fragile du hasard. Cette porte ne cesse pas de parler sans jamais entendre ce qu'elle dit. En vérité personne n'entend ce que la porte dit. La porte donne le sentiment de parler à l'apparition innommable de l’espace. C'est pourquoi cette parole apparait à chaque instant comme l’impact d'un sourire en marge du miracle.

 

 

 

Il porte une porte sur son dos comme le tact d'une bouche implosée par la disparition du  hasard. Cette porte parle de temps à autre sans jamais adresser sa parole à quelqu'un. Cette parole donne ainsi le sentiment de vouloir dévorer la marge de papier du sang.

 

 

 

 

 

Il parle à chaque instant de lui sans jamais dire je. Il s’évoque par le vide même de son prénom. Il s’évoque comme s’il était l’enfant orphelin de sa vieillesse.

 

 

 

Quand il parle, il voit la translucidité de son ombre traverser les oreilles des autres sans y inscrire la moindre trace. Quand il parle il voit le hasard de sa voix s’immiscer à l’intérieur des oreilles des autres comme la disparition de monotonie de son désespoir. Cependant il ne voit jamais le hasard de sa voix sortir des oreilles des autres. En effet seul son aveuglement sait où à cet instant sa voix s’en va.

 

 

 

 

 

Il est né et a vécu l’intégralité de son existence dans un pays dont il n’a jamais connu la langue. Ses parents parlaient la langue du pays cependant il ne la comprenait pas. Il parlait une autre langue, sans savoir par qui il l’avait apprise. Ce n’était pas d’ailleurs une langue inconnue, c’était une langue de l’Antarctique, une langue parlée au Pôle Nord où il n’était jamais allé. C’est comme si il avait été recueilli et éduqué par un extrait de langue qui s’était perdu loin de son territoire. Et de même c’est comme s’il avait accueilli cette langue qui sans son aide aurait peut-être à jamais disparue. C’est comme s’ils étaient les réfugiés l’un de l’autre. Il s’est réfugié dans la langue et la langue s’est réfugiée en lui et cette double fuite figée forme ainsi un peuple absolu.

 

 

 

II ne parle qu’à l’instant où il rate une marche d’escalier. Il rythme le jugement dernier avec le scepticisme du hasard.

 

 

 

 

 

Il respecte l’ordre de la circulation routière même lorsqu’il parle ou écoute parler dans un salon.

 

 

 

Lorsqu'il est en société, il ne raconte jamais une même histoire à une assemblée qui reste muette, il préfère raconter plusieurs histoires en même temps, une pour chacun de ceux qui sont là, jusqu'à ce que les autres choisissent de lui raconter, en même temps, une seule et même histoire chacun à sa façon. Il considère que le jeu de la parole ressemble ainsi au geste de boire la brûlure de l'invisible.