Platini

 

 

 

 

 

Platini est un joueur platonicien. Platini joue au football comme un Platon désinvolte. Il y a un perspectivisme nonchalant et aussi une nonchalance perspectiviste de Platini. Platini joue au football comme un Pierro della Francesca dilettante. Le jeu de Platini propose une sorte de perspectivisme dilettante, de perspectivisme désinvolte, de platonisme nonchalant.

 

 

 

Platini de même que Cruijff est un théoricien du football. Ce qui intéresse d’abord Platini ce sont les idées du jeu. Ce qui intéresse d’abord Platini ce sont les idées du jeu et ensuite la manière élégante de planifier ces idées de jeu. Platini a l’art de planifier très vite, de planifier rapidement. Platini a l’aptitude étrange presque angélique de planifier spontanément. Platini joue au football comme il improvise des plans, comme il esquisse des planifications. Platini joue au football comme il s’amuse avec des programmes. Platini planifie des instantanés. Platini programme des instantanés. Platini programme des intuitions instantanées. En cela Platini serait une sorte de footballeur photographe. Platini semble en effet se promener un peu au hasard sur le terrain et voir soudain des lignes de lumière, des figures de lumière apparaitre à la surface du terrain, figures de lumière qu’il fixe alors par le geste d‘une passe.

 

 

 

Platini ressemble à la fois à un architecte et à un calligraphe zen. C’est comme si à chaque geste, à chaque passe surtout, Platini essayait de peindre un palais, un palais florentin en un seul coup de pinceau. C’est comme si à chaque passe Platini essayait de calligraphier la globalité d’un palais, la globalité d’un palais florentin. 

 

 

 

Ce qui est magnifique aussi dans le jeu de Platini c’est que ce palais d’un seul geste qu’il essaie d’accomplir n’est pas seulement le palais de son équipe, le palais du jeu de son équipe, le palais composé par les positions et les mouvements des joueurs de son équipe. Ce palais c’est plutôt celui du match même. La passe de Platini parvient ainsi à révéler une structure d’équilibre des deux équipes à la fois.

 

 

 

Platini cherche presque toujours la diagonale, la diagonale majeure qui parvient à faire tenir un instant le match en équilibre parfait. Platini cherche la diagonale majeure de l’idée par laquelle transmuter le match en palais imprévisible, en palais de l’équilibre imprévisible, en palais inattendu, en palais de l’équilibre inattendu.

 

 

 

Il y aurait peut-être aussi une relation entre Platini et Borg, entre le football de Platini et le tennis de Borg. La frappe brossée de Platini serait peut-être en effet une sorte d’emprunt et d’adaptation au football du lift de Borg. Platini aurait transposé à l’intérieur du football l’invention tennistique de Borg. (Le lift de Borg apparait au début des années 1970 et le coup franc brossé de Platini  au milieu de la même décennie.)

 

 

 

Le lift et la frappe brossée sont l’un et l’autre une sorte de droite courbe ou de courbe droite autrement dit une façon de contourner l’espace, une sorte de diagonale contournante, de diagonale paradoxalement enveloppée. Et puis surtout ce que le lift et la frappe brossée provoquent c’est une double vitesse, une double vitesse de la balle. La vitesse de la balle alors n’est plus homogène, son mouvement courbe est aussi une façon d’accumuler une vitesse virtuelle afin de la libérer ensuite. Ainsi ce n’est plus le joueur qui accélère c’est la balle elle-même. Le joueur frappe la balle de telle façon que la balle dispose alors d’un pouvoir d’accélération. Cette façon de frapper la balle révèle ainsi une manière singulière d’imaginer le temps, d’imaginer le temps du jeu, celui où la balle dispose désormais d’une mémoire de sa vitesse.

 

 

 

Quand  Platini frappe un coup franc brossé c’est comme si il ripolinait l’atmosphère, c’est comme si il ripolinait majestueusement l‘atmosphère. Il y a en effet dans le jeu de Platini un paradoxe, celui d’une majesté triviale. Platini joue à la fois somptueusement et banalement. Son jeu est à la fois celui d’un prince et d’un quidam, celui d’un prince et de n’importe qui.  Platini joue au football comme un prince de la banalité. L’attitude de Platini sur le terrain  ressemble ainsi souvent à celle d’un promeneur ou d’un étudiant quelconque qui jouerait au football ou plutôt qui semblerait apprendre à jouer au football dans un parc avec des amis.