Salut Ivar, 

 

 

 

A propos de Pierre

 

 

 

Une remarque d’un paléontologue à la télévision : la taille d’un silex biface serait comparable à l’élaboration d’une phrase. Les hommes préhistoriques taillaient les pierres exactement  comme s’ils composaient des phrases. La taille de la pierre serait ainsi la forme du langage antérieure au langage c’est à dire la poésie. La poésie affirme le geste de tailler la pierre. La poésie affirme le geste de tailler des phrases de pierres, des phrases de pierres antérieures à la parole même. 

 

 

Le paléontologue précisait. « Je ne sais pas si ces hommes de la préhistoire étaient aptes à discourir de façon philosophique. Malgré tout je suis certain qu’ils avaient déjà une vision. Pour tailler les pierres ainsi, il est nécessaire d’avoir une vision. Et c’est cela le plus important. Avec le geste de tailler la pierre, l’essentiel est là, l’essentiel de la particularité humaine est déjà là. » 

 

 

 

Reste l’image du personnage principal de la séance final, qui s’adresse au ciel ou à une statue de sainte ou de la vierge placée en hauteur – et que je ne verrais pas). Il enfile, d’un ton résigné, ces injures, dignes d’un film de Godard : “Salope, salopette, vironal, imbécile...” Je ne suis plus sûr du terme “vironal” : un médicament, psychotrope. 

 

Il y a dans le film L’Œil qui Ment de R. Ruiz, un gag magnifique où un prêtre (interprété par Daniel Prévost) jette des pierres à une apparition de la Vierge hors-champ et où cette image invisible de la Vierge hors-champ lui renvoie quasi instantanément ces mêmes pierres sur la tête. 

 

 

Ruiz est extrêmement sensible à la relation entre les voix et les pierres. Pour Ruiz, les voix viennent des pierres. Il a d’ailleurs écrit à ce propos une étrange pièce de théâtre intitulée Le Convive de Pierre où (si je me souviens bien) des voix de plusieurs femmes hantent une statue. La pièce est une sorte de relecture surréaliste du mythe de Don Juan. 

 

 

Il y a aussi ces vers étranges de Baudelaire dans Les Bijoux « Pour troubler le repos où mon âme était mise, Et pour la déranger du rocher de cristal Où, calme et solitaire, elle s’était assise. » Cela dit à propos des fragments de la chair d’une femme qui « S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal, » Ainsi la femme apparaitrait pour nous détourner, pour nous déséquilibrer de la pierre sur laquelle nous avons trouvé le repos, le repos assis. Et qui sait si la femme ne cherche pas à prendre la place de ce rocher, à prendre la place du rocher de Sisyphe ? Qui sait si la femme ne cherche pas aussi parfois à devenir le rocher de Sisyphe du repos de l’homme ? Pourquoi ne pas alors imaginer Sisyphe ni heureux ni malheureux, pourquoi ne pas imaginer Sisyphe simplement concupiscent ? Pourquoi ne pas imaginer Sisyphe à la fois exalté et désespéré, portant une femme de pierre sur son dos et de temps à autre même sur ses fesses, la femme de pierre de son prénom perdu ? 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                  A Bientôt          Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierres Perdues

 

 

 

Cher Boris,

 

                   j’ai encore des problèmes avec cet ordinateur : des messages que je fais passer de la boîte de réception (surchargée) dans la corbeille disparaissent, souvent je ne les ai pas encore lus, ou pas entièrement. Ces messages sont censés m’attendre dans la corbeille et je ne les y retrouve pas. Mon fils a l’impression que c’est la souris, qui déconne. « Et quand la souris déconne », ajoute-t-il, mais il s’arrête là, et se contente de hocher la tête d’un air mystérieux...

 

    C’est ce qui est arrivé avec Pierres, ton dernier envoi. Disparu. Je suis vraiment navré te devoir te demander de me le réenvoyer...

 

    Bien amicalement,

 

Ivar