Parentés ?

 

 

 

Cher Camarade,

 

c’est curieux, Florence parle de Parant dans son flotoir fantôme, et peu de temps après l’avoir lue je tombe « tout à fait par hasard », en cherchant autre chose, sur la carte qu’il m’avait donnée. Nous étions quatre lecteurs au Petit-Palais, Parant, Lucien Suel, une personne dont je n’ai pas retenu le nom, et mézigue (je n’ose plus écrire « moi-même » depuis que j’ai mes troubles d’identité). La performance de Parant (que je n’avais jamais lu que du bout des yeux) m’avait étonné, et il avait de son côté, disait-il, beaucoup aimé m’entendre (mais je n’avais presque rien lu, et pas choisi mes textes). Et donc il m’a tendu cette carte, qui porte trois adresses (!), la première étant la principale.

 

 (…)                                            

 

Je crois que Parant vit dans son monde. L’avez-vous lu déjà ? Je ne sais ce que vous pensez (penseriez) de son écriture... Peut-être faudrait-il lui envoyer quelque chose, Nuages, Fenêtres ?  – C’est la coïncidence que je relevais en commençant qui m’incite à vous faire cette suggestion. (…).

 

      Concernant votre Léaud, vous me l’avez adressé par la poste, je ne veux pas me défaire de mon exemplaire de ce précieux document (en l’expédiant à Bonnaffé) ! et ma photocopieuse ne marche pas fort bien. Si vous l’avez toujours sur votre ordinateur, pouvez-vous me l’adresser en PJ ?

 

      Merci d’avance, et amicalement,

 

Ch’Vavar

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut à vous Ivar,

 

 

 

 

 

J’ai découvert les livres de Parant au début des années 90, à l’époque où j’étais professeur de français dans la ville palindromique de Laval. Le génie de Parant m’a semblé instantanément évident. Je lisais ainsi Parant avec enthousiasme et attention quand j’ai commencé à écrire ce qui deviendra ensuite A Oui. Les chapitres Main et Regard de A Oui et aussi ce que je dis à propos de la lumière dans le chapitre Pensée sont des réponses à des extraits de livres de Parant. Enfin une phrase du chapitre Homme « Chaque homme est reconnaissable à sa bouche dans le futur, à ses mains dans le présent et à la silhouette de ses yeux dans le passé. » est une réécriture à la Lautréamont d’une phrase d’un de ses livres (j’ai oublié lequel).

 

 

 

Ce qui est très beau surtout dans l’écriture de Parant c’est sa manière d’utiliser sans cesse les mêmes mots, les même thèmes : la lumière, les mains, les yeux, le sexe, la tête, la terre, le ciel, le feu, et de les faire ainsi tourner les uns autour des autres comme des astres. Il y a un aspect à la fois sidéral et sidérant dans l’écriture de Parant. Cette technique d’écriture a sans doute eu une influence (une influence astrale donc) sur ma manière d’écrire. Laurent m’a dit l’autre jour au téléphone que Parant était le poète contemporain dont le lexique était le plus pauvre et le plus épuré (si je me souviens bien des deux adjectifs qu’il a employés). Le geste d’ascèse lexicale de A Oui viendrait ainsi peut-être de là. Franchement je ne sais pas.

 

 

 

J’ai parlé aussi une fois de l’œuvre de Parant avec Eric Chevillard. J’avais été très surpris d’une remarque d’Eric à son sujet. Eric reconnaissait la valeur de Parant cependant il ajouta qu’il trouvait l’angle de vue de Parant réduit. Je suis resté un peu interloqué et je lui ai demandé « Pourtant c’est une vision panoramique, une vision cosmique. » Eric reprit « Soit, cependant elle n’est rien d’autre que cosmique, cette vision a un aspect limité, réducteur même parfois. » Je poursuivis « Cette vision serait en quelque sorte limitée à l’infini, confinée aux confins du cosmos. » Eric acquiesça « Voilà. Parant s’installe confortablement dans son petit coin de cosmos et il n’en sort pas. » J’ai donc d’abord été troublé par cette remarque d’Eric et pourtant environ 10 ans après, j’ai de plus en plus le sentiment que c‘était une intuition exacte. 

 

 

 

Pendant ma conversation téléphonique avec Laurent je lui ai dit aussi que quand bien même j’avais lu les livres de Parant avec passion et admiration, ils ne parvenaient jamais (à l’inverse par exemple de ceux de Ponge ou de Michaux) à s’inscrire à l’intérieur de ma mémoire, à l’intérieur de ma chair, à l’intérieur de la mémoire de ma chair. Comme si bizarrement, les phrases qu’il écrivait restaient emprisonnées à l’intérieur de ses livres. Et cela peut-être parce que la rhétorique de Parant est une rhétorique de l’hypothèse. La structure grammaticale qui revient sans doute  le plus souvent dans ses livres est celle du et si. Les livres de Parant proposent ainsi des hypothèses de cosmos et il me semble que ces hypothèses de cosmos restent en suspens dans la lumière, dans l’air de lumière de la pensée de Parant lui-même. C’est comme si Parant ne parvenait jamais (à l’inverse de Pollock) à projeter ces hypothèses de cosmos afin de leur donner une forme intense pour le lecteur. Ce défaut est encore plus perceptible dans son œuvre de plasticien qui est inerte, statique, presque funèbre. Ses amoncellements de boules ressemblent très souvent à des tumulus. En cela la vision du monde de Parant est souvent comparable à celle de son ami Novarina. Pour eux, la matière est morte. La matière est une Substance Mort pour reprendre un titre de P.K. Dick. Pour Parant ce qui réveille, ce qui réanime la matière c’est uniquement le mouvement subtil des yeux et des mains.

 

 

 

 

 

                                                                                                     A Bientôt          Boris