Salut Ivar,

 

 

A propos du projet de panthéonisation de Rimbaud, je trouve cette idée ridicule, cependant cette idée ne m’indigne pas. Elle a un aspect compréhensible.  

 

Je te l’avais déjà indiqué à l’intérieur de mon texte à propos de Rimbaud. Je pense qu’il y a en effet un lien entre la poésie de Rimbaud et le capitalisme. C’est un lien infime, c’est cependant un lien.

 

Ce n’est évidemment pas non plus un hasard si ce qu’il est prévu de panthéoniser c’est le couple homosexuel Verlaine-Rimbaud. L’homosexualité qu’elle soit réalisée ou refoulée, accomplie ou fantasmée est en effet l’essence de toute relation sociale. Il n’y a de société qu’homosexuelle. Il n’y a de société qu’à travers un désir homosexuel direct ou indirect. 

 

 

Cela étant dit, d’autres que toi éprouvent eux aussi du dégoût envers ce projet. Pierre Jourde par exemple en parle avec agacement. Si tu cherches des alliés pour ton combat, en voici à l’évidence un.

 

 

Enfin pour le dire franchement, je pense que les mesures sanitaires qui nous sont imposées depuis plusieurs mois sont un événement plus important et plus effroyable. Je t’en reparlerai un jour prochain. 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                      Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

Mon cher Boris, l'idée de la panthéonisation n'est pas que ridicule, elle est monstrueuse, et à mes yeux, tu t'en doutes, comme aux yeux de François Leperlier (mais il a préféré ne pas appuyer -- déjà -- sur ce point), elle apparaît comme le signe lugubre, obscène ! de la haine du sens et de la victoire annoncée du nihilisme.

   Et je n'arrive décidément pas à en rire.

   Mais je sais bien que tu ne vois pas "l'histoire" comme cela.

   Nous ne livrons pas un combat : il semble que Dominique de Villepin ait renversé les panthéonisateurs culs par dessus têtes, et il serait tout de même étonnant qu'ils reviennent à la charge après avoir pris une telle raclée. -- Nous nous contentons de prendre date, en quelque sorte.

   "Les mesures sanitaires qu'on nous impose", au point que nous allons finir par les réclamer, sont pour moi un moment important du déploiement de la "gouvernance du monde", qui sera, qui est déjà la gouvernance de la fin du monde.

   Bien amicalement,

Ivar

P.S.- Konrad Schmitt qui, tu t'en souviens peut-être, est gardien de nuit au musée d'Orsay, me dit qu'une exposition Spilliaert sera présentée très bientôt.

 

 

 

 

 

Cher Boris, je reçois à l'instant ce courriel d'Auxeméry :

 

Cher ami,

 

Au réveil ce matin, j’ouvre le volume des Inscriptions de Scutenaire et tombe là-dessus, que je vous soumets :

 

« … Estimer du point de vue littéraire des ouvrages comme ceux d’Arthur Rimbaud, c’est envisager sous l’angle de, par exemple, la chorégraphie classique, les actions  criminelles de Dillinger sous le prétexte que le gangster, pour les accomplir, utilisait parfois ses jambes. »  (Edition Allia, page 119)

 

Je lui réponds : "C'est exactement ça, c'est extraordinairement ça !"

 

A bientôt,

Ivar

 

 

 

 

 

 

Cher Boris, je t'adresse un texte de Roger Gilbert-Lecomte sur Rimbaud, et deux passages assez saisissants de Henry Miller, que je reçois ce matin de Julien Starck, toujours en Palestine.

   Amicalement,

Ivar

 

 

 

 

 

 

Salut Ivar,

 

 

Je connaissais déjà ces phrases de Henry Miller à propos de Rimbaud. J’ai le sentiment que la phrase la plus importante est celle-ci. « S’il a nié le Père et le Fils, il n’a pas nié le Saint Esprit. » C’est précisément cela qui chez Rimbaud me déplait, une revendication inconsciente, non-dite, muette de l’esprit saint qui anéantit à la fois Dieu et le Christ. Cette revendication muette de l’esprit saint c’est justement l’aspect diabolique de Rimbaud. Bloy le savait, le diable c’est le néant de l’esprit saint. Le néant de l’esprit saint autrement dit l’intelligence. Dans son Dictionnaire Egoïste de la Littérature Française C. Dantzig note ceci à propos d’Une Saison en Enfer. « C’est le discours de l’intelligence absolue. Il a tout compris ou cru tout comprendre, et s’est dégoûté de tout, à commencer de lui-même. » Le diabolisme de Rimbaud ce serait donc de laisser croire qu’il suffit d’avoir une consciente parfaite de l’enfer pour devenir alors apte à créer un paradis. « Il représente l’état de grâce dans lequel se trouve l’homme parfaitement conscient qui, acceptant son Enfer sans réserve, découvre un Paradis qu’il a lui-même créé. » Je pense que sur ce point H. Miller fait une erreur. En effet pour inventer le paradis il ne suffit pas de penser l’enfer, il apparait aussi nécessaire d’oublier l’enfer, il apparait aussi nécessaire de ne pas « avoir le goût du malheur. (« Et partout le goût du malheur a suivi Rimbaud. » note Roger Gilbert-Lecomte.) Pour inventer les formes du paradis, il apparait surtout nécessaire d’imaginer les formes de l’innocence, les formes souveraines de l’innocence. C’est cet instinct heureux de l’innocence qui manque à Rimbaud parce qu’il y a en lui trop de rancune et de vengeance. Rimbaud est sans cesse hanté à travers cette rancune du néant, cette vengeance du néant. Ce qui interdit l’innocence chez Rimbaud  c’est son nihilisme, c’est sa raison nihiliste. C’est là que se trouve la différence décisive entre Rimbaud et Lautréamont. Rimbaud rationnalise l’enfer. Rimbaud rationalise l’enfer à travers une série d’hallucinations. A l’inverse, Lautréamont délire l’enfer. Lautréamont délire l’enfer par une suite de métamorphoses. Rimbaud se satisfait donc exclusivement d’annoncer l’enfer en tant que spectacle, en tant que spectacle psychique. Rimbaud n’imagine jamais et cela simplement parce qu’il n’a aucune aptitude à la métamorphose. 

 

L’intuition théologique de Lautréamont à propos de la trinité est beaucoup plus profonde et subtile que celle de Nietzche, de Rimbaud ou d’Artaud. Lautréamont a essayé d’abolir à la fois le Père, le Fils et le Saint Esprit par la métamorphose animale. Négation explicite à propos de Dieu et de l’Esprit Saint. « Le malheur est dans Elohim. » Abolition implicite à propos du Christ. L’extraordinaire audace de Lautréamont c’est en effet de chercher à détruire la trinité sans jamais nommer le Christ. Ce geste de ne jamais nommer le Christ était ce qui avait sidéré Bloy à la lecture des Chants de Maldoror. La démence théologique de Lautréamont se trouve en effet précisément là. Essayer d’imaginer le mal et de détruire le mal sans nommer le Christ c’est à dire aussi à l’inverse de Nietzsche et d’Artaud sans être jaloux du Christ, sans désirer s’y substituer. C’est précisément pourquoi j’admire Lautréamont et cela quand bien même j’ai essayé d’inventer autre chose qui reste pour l’instant presque intégralement clandestin, sauf le Christ Approximatif. A la différence de Lautréamont et de Rimbaud, ce que j’essaie c’est d’imaginer le mal et d‘inventer un paradis sans croire au Christ et sans cependant non plus désirer abolir le Christ. Ce que j’essaie c’est plutôt de métamorphoser le Christ, c’est de métamorphoser le Christ afin d’affirmer ainsi une forme de Christ animal. Ce que j’essaie c’est plutôt d’affirmer une forme de Christ animal athée.

 

Imaginer c’est métamorphoser. Ainsi pour imaginer le paradis il apparait aussi nécessaire de métamorphoser le Christ. Métamorphoser le Christ c’est d’abord évidemment une manière de manger le Christ, malgré tout c’est manger le Christ de manière non chrétienne, sans messe et sans communion (Voir à ce propos Notes autour de L’Auteur et moi d’Eric Chevillard). Métamorphoser le Christ c’est manger le Christ non pas comme pain, comme pain de l’humanité, comme pain de rédemption de l’humanité, plutôt comme fruit, comme fruit de la chute, comme fruit paradoxal de la chute. Métamorphoser le Christ c’est manger le Christ comme fruit de la chute du paradis, comme fruit paradoxal de la chute du paradis, comme fruit paradoxal de la chute innocente du paradis.

 

 

Ce que H. Miller écrit aussi à propos de la bombe atomique est extrêmement intéressant. « Quel poème aujourd’hui a bouleversé le monde comme l’a fait la bombe atomique ? (…) Je n’appelle pas poètes les gens qui font des vers, avec ou sans rimes, mais l’homme qui est capable de changer profondément le monde. Si un tel poète vit au milieu de nous, qu’il se nomme ! Qu’il fasse entendre sa voix ! Mais que cette voix puisse couvrir le rugissement de la bombe. »

 

Celui qui aujourd’hui essaie d’inventer une œuvre qui parvienne à répondre à la bombe atomique, c’est le cinéaste David Lynch, en particulier à l’intérieur de Twin Peaks le Retour. A propos de ce film de Lynch, j’ai  écrit ceci. 

 

Le monde de Twin Peaks le Retour c’est celui de M. Mc Luhan à savoir celui de l’électricité comme système nerveux universel autrement dit celui d’« un organisme qui a le cerveau en dehors du crâne et les nerfs à l’extérieur de la peau ». Le problème de Twin Peaks le Retour c’est ainsi d’essayer de transformer l’électricité en visage, c’est d’essayer de donner un visage à l’électricité, c’est d’essayer de donner un visage éthique à l’électricité.

 

Essayer de donner un visage à l’électricité, eh bien c’est aussi une manière d’essayer de donner un visage à l’explosion de la bombe atomique. La radiation universelle de l’électricité  est en effet une sorte d’ersatz quotidien de la radiation atomique. 

 

(…)  

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                      Boris