Salut à vous Ivar,

 

 

 

 

 

(J’ai l’intention de venir vous voir à Amiens entre le 18 et le 21 Novembre. Je ne sais pas encore quel jour exactement.)

 

 

 

Je vous envoie ces remarques contradictoires, à la fois polémiques et bienveillantes à propos de Rimbaud.

 

 

 

 

 

Rimbaud, c’est étonnant que vous le rejetiez ainsi ? tout de même, il est le plus grand, et le plus fraternel, même dans son retrait.

 

Ma réticence envers Rimbaud vous surprend et vous intrigue. Essayons d’être clair, même si cela va être un peu difficile. De Rimbaud, il ne me reste plus que des impressions qui datent de presque 30 ans. La lecture de Rimbaud de même que celle de Nietzsche et pour des motifs parfois semblables m’a déçu. C’est sans aucun doute cela le plus important : la déception. Cette déception n’est cependant pas radicale. J’aime bien par exemple les premiers poèmes de Rimbaud, les petits poèmes de la sensation simple (Ma Bohème) et à l’inverse aussi un grand poème virtuose comme le Bateau Ivre. Et j’aime aussi les poèmes de la fin  « Par délicatesse J’ai perdu ma vie » ou « Elle est retrouvée. Quoi ?- L’Eternité. C’est la mer allée Avec le soleil. » ou encore « Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon. » Mais dans Une Saison en Enfer et Les Illuminations je vois surtout du dégoût et de la bouffonnerie, une bouffonnerie dégoûtée  (en cela Rimbaud et Nietzsche se ressemblent). C’est comme si en vieillissant (si j’ose utiliser ce mot pour désigner un adolescent), Rimbaud avait peu à peu renié la jubilation de ses sensations enfantines ;  n’est plus alors resté que la virtuosité, une virtuosité nihiliste dans Une Saison en Enfer et une virtuosité enchanteresse, énervante à la Nerval dans Les Illuminations.

 

 

 

C’est peut-être les Illuminations qui dans l’œuvre de Rimbaud m’agacent le plus : cette façon d’annoncer sans cesse des visions prodigieuses qu’il ne fait qu’esquisser à toute berzingue comme des enluminures factices d’un décor de carton-pâte. Lire Rimbaud c’est le plus souvent se promener en locomotive à travers les coulisses théâtrales du panorama de son cerveau. Ce qui fatigue en Rimbaud, c’est aussi surtout son arrogance narcissique et sa présomption prophétique (similaires une fois encore à celles de Nietzsche). Son imposture est celle de l’initié, de celui qui à chaque seconde prétend voir et savoir. En cela l’inverse des Illuminations de Rimbaud ce serait Sens Plastique de Malcolm de Chazal. Aucun effet d’annonce et pourtant la révélation d’une énigme de la sensation à chaque phrase. Le critique Jean-Pierre Richard dans Poésie et Profondeur a assez bien décrit cette présomption prophétique de Rimbaud. « Mais cet inconnu, Rimbaud peut-il vraiment affirmer qu’il ne le connait pas déjà ? Cherche-t-il sans savoir ce qu’il trouvera ? Il semble au contraire qu’avant même le départ de l’aventure il se faisait une idée très nette de son aboutissement. Le ton de ses déclarations évoque moins un Rimbaud voyant qu’un Rimbaud prophète. » En effet Rimbaud n’est pas un voyant de l’imagination comme Chazal, c’est plutôt un prophète de la raison. Et c’est pourquoi d’ailleurs ses pseudo-visions ne sont rien d’autre que des vignettes de vitesse d’un décor en toc, le décor de cartoôn strident de son désir rationnel de connaissance. Jean-Pierre Richard remarque aussi « Pour comprendre le renoncement de Rimbaud, il faut avoir exactement saisi quel était son projet, et pourquoi ce projet n’a pas été rempli. Car si la poésie lui apparait finalement comme une activité d’échec, c’est pour avoir commencé par lui être une activité d’exploration et de conquête : une entreprise, conduite selon certains plans très précis. » Rimbaud a toujours conçu la poésie à la façon d’un programme rationnel, un programme rationnel de prise, d’emprise, d’entreprise. Ce qui lui a toujours manqué, c’est l’abandon que vous évoquez parfois. Et à force de désirer s’approprier le monde à n’importe quel prix, il a fini ridiculement isolé dans le désert, le désert de la raison infinie, le désert du désir infini de la raison. Il y a une sorte d’hystérie rationnelle dans la poésie de Rimbaud, un aspect 18ème siècle quasi voltairien. « Dérèglement raisonné de tous les sens » dit-il. J’ai le sentiment que la poésie apparait précisément par le geste inverse, celui de donner une forme exacte à la déraison de la sensation, celui de proposer une règle précise afin d’équilibrer la déraison de la sensation.  

 

 

 

Le très démodé et pourtant très sagace André Suarès a écrit dans Portraits et Préférences un essai passionnant à propos de Rimbaud. Suarès insiste sur l‘aspect nihiliste de Rimbaud. Selon Suarès, Rimbaud est le poète de la raison nihiliste. « Négateur effréné, sans borne et sans mesure. (…). Il ne nie pas seulement par sentiment. La raison y a le plus de part. » « Rimbaud a tout détruit, et à la fin il s’est trouvé qu’ayant tout anéanti il a du se détruire lui-même : il s’est pesé de néant comme tout le reste. Dès lors, il s’est anéanti. » « Et il se tait, parce qu’il n’a plus rien à dire. » C’est pourquoi enfin, et c’est aussi très important, le malentendu à propos de l’arrêt de l’écriture par Rimbaud est gigantesque. Pour reprendre une distinction  que j’évoquais dans une de mes lettres précédentes. Il n’y a jamais eu de silence de Rimbaud. Ce qui s’est produit c’est un mutisme de Rimbaud. Après Les Illuminations Rimbaud est resté muet, muet de haine et de dégoût. Il est resté muet parce que la poésie n’avait plus pour lui aucune valeur, parce que la poésie n’était plus pour lui que de la merde. Il y a donc un mutisme de Rimbaud qui est une condamnation de la poésie, qui assimile la poésie à des élucubrations imbéciles d’adolescent. Le mutisme de Rimbaud est le mutisme dégoûté de celui qui n‘est pas parvenu à dire le monde parce qu’il n’a jamais eu le simple courage de s’y abandonner, le simple courage d’abandonner à la fois sa chair et son âme à la certitude de la sensation en dehors du désir de vérité. « Davantage baigné de sagesse orientale, Rimbaud eut peut-être été capable de cette humilité (s’oublier soi-même, résigner son pouvoir de domination, son droit d’intervention, se tenir pour moins important que les choses qui l’entourent) : lui-même reconnait à diverses reprises tout le prix spirituel d’une stupeur qui n’est au fond qu’un effacement du moi devant les choses. Mais il reste trop occidental, et cela quoi qu’il fasse, pour si totalement abdiquer raison ou volonté, pour choisir de se mettre lui-même entre parenthèses. … Car s’il veut la folie, c’est par raison ; s’il se lie au hasard, c’est en vertu d’un plan très sûr ; l’incontrôlé même lui est système. » J.P Richard

 

 

 

Rimbaud est le poète de la libre circulation, de la libre circulation du désir, de la libre circulation du phantasme, en cela sa poésie est parfaitement adéquate à l’idéologie capitaliste. Il y a une superficialité publicitaire dans la poésie de Rimbaud. « Rimbaud refuse toutes les formes sensibles du profond…ses visions s’étalent sur un écran sans épaisseur ; pellicules suprêmement minces, et pourtant increvables, car il n’y a rien derrière … » J.P Richard. Rimbaud développe ainsi la publicité du gratuit selon une ribambelle d’ellipses. Il y a chez Rimbaud une obsession du nouveau en adéquation  avec la structure d’obsolescence programmée de l’époque moderne. La poésie de Rimbaud propage la vitesse du néant, la vitesse rationnelle du néant. La poésie de Rimbaud développe un tourbillon de simulacres, une farandole d’hallucinations hic et nunc, obsolètes sitôt dites.

 

 

 

Je n’ai donc pas l’impression que ce soit un hasard si Rimbaud est devenu ainsi une sorte d’icone à la con de la poésie autorisée, une sorte de marque de rocker qui pense, de James Dean qui aurait lu Baudelaire, dont l’effigie publicitaire est imprimée sur les tee-shirts et les posters. Et cela ne me semble pas non plus un hasard si je n’ai jamais vu à l’inverse de tee-shirts et de posters avec l’image de Lautréamont ou de Mallarmé. Un texte tel que Solde serait à lire ainsi non pas en tant que satire moqueuse mais en tant que revendication cynique de l’idéologie de l’échange obligatoire autrement dit en tant que réclame de ce que sera la vie de Rimbaud après avoir cessé d’écrire, celle répugnante d’un marchand d’armes dans un désert idiot. « A vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout sexe, de toute descendance !... A vendre, la mort atroce pour les fidèles et les amants. » C’est justement pour cela que l’œuvre de Rimbaud n’est pas l’indice de l’apothéose de la poésie mais au contraire le signe de son échec le plus ignoble. C’est pour cela d’ailleurs aussi que sur la photo de Rimbaud en compagnie des marchands d’armes outrecuidants sur la terrasse d’un hôtel d’Aden, Rimbaud n’a pas l’air d’un homme heureux, il a plutôt la très sale tronche d’un renégat de l’existence, d’un traitre sans élégance. La trogne d’un adolescent grincheux qui est gêné d’être photographié pendant un repas de famille. Je connais bien ce non-visage faux, j‘avais le même avant d’écrire. Sur cette photo, Rimbaud a le masque d’un personnage de Gombrowicz, celui d’un homme qui n’accepte pas la splendeur de l’immaturité, une trombine d’hypocrite angoissé au regard torve. (Comment tourner à chaque instant sans devenir torve, sans s’engluer le regard d’une morve mort-vivante torve, c’est une des difficultés physiologiques de la poésie.) Tel serait l’échec ridicule de Rimbaud, à force de désirer fuir sans cesse la famille, il a finalement été contraint de vivre dans le désert parmi une clique d’aventuriers plus abjecte encore que n’importe quelle famille. Chesterton a très bien parlé de cette fausse liberté anti-familiale. « Les écrivains modernes, qui ont suggéré que la famille est une institution mauvaise, se sont généralement bornés à suggérer avec beaucoup d’âpreté, d’amertume ou de pathos qu’elle n’était peut-être pas toujours très harmonieuse. Mais la famille est une bonne institution précisément parce qu’elle n’est pas harmonieuse. Elle est saine justement parce qu’elle contient tant de divergences et de variétés. Elle est, comme disent les sentimentaux, un petit royaume et, comme tous les petits royaumes, elle se trouve dans un état voisin de l’anarchie. (…) Tous ceux hommes ou femmes, qui pour des raisons bonnes ou mauvaises se révoltent contre la famille, se révoltent tout simplement pour des raisons bonnes ou mauvaises contre l’humanité. (…) Ceux qui, à tort ou à raison, veulent sortir de tout cela désirent, entrer dans un monde plus étroit. Ils sont effrayés et consternés par l’immensité et la variété de la famille. » 

 

 

 

Je n’ai pas le sentiment que la vie soit ailleurs et encore moins que la vie soit de vendre des armes ailleurs, d’être un adulte qui vend des armes ailleurs. J’ai plutôt le sentiment qu’exister c’est donner des clefs maintenant, c’est apparaitre comme un enfant heureux qui donne des clefs ici-maintenant. Exister c’est donner des clefs au monde sans jamais prétendre en être le propriétaire exclusif. « J’ai seul la clef de cette parade sauvage. » se vante Rimbaud. Or désirer s’approprier la clef qui ouvre et ferme le monde, de telle sorte que cette clef préserve en vérité le trésor supposé de son moi, c’est changer la clef en arme meurtrière.

 

 

 

René Char, malgré ses attitudes fatigantes de héros précieux, est sans doute le plus rigoureux et le plus noble des héritiers poétiques de Rimbaud. Il est celui qui plutôt que de se satisfaire de vendre des armes a préféré les utiliser pour combattre à une époque où il était nécessaire de combattre. « Et face à tout cela un colt, promesse de soleil levant. » Char a bien vu que l’invention essentielle de Rimbaud était celle de la vitesse et de l’ellipse. (« Chez Rimbaud, la diction précède d’une idée la contradiction. Sa découverte, sa date incendiaire, c’est la rapidité. »). En effet Rimbaud juxtapose des ellipses à perdre haleine. Rimbaud juxtapose les ellipses du souffle coupé, les ellipses de désert du souffle coupé, les ellipses de poussière de l’asphyxie, de l’asphyxie splendide. (Suarès a noté lui aussi cette puissance de l’ellipse, de l’ellipse miroitante chez Rimbaud, « Son esprit, si hardi et si fort à saisir les apparences, est aussi impuissant à leur donner un lien que le miroir ne l’est à donner à toutes les formes, tous les scintillements, tous les instants qu’il mire. »)

 

 

 

Je dirais donc que Rimbaud est un virtuose des lettres de très grand talent, d’une extraordinaire virtuosité qui a été confondue avec du génie. Rimbaud ressemble ainsi beaucoup plus à Aragon qu’à Lautréamont. Malgré ses allures de voyou, il y a du bourgeois en Rimbaud. Il préfigure le bourgeois-bohème du 21ème siècle qui confond la liberté et le mouvement, le bonheur et la circulation. A l’inverse sous ses airs de politesse bourgeoise, il y a une audace et une démence chez Mallarmé que Rimbaud n’a pas. La politesse de Mallarmé est une politesse audacieuse parce que ce n’est pas une politesse sociale, c’est une politesse quasi métaphysique, une politesse du vide semblable à celle des sages orientaux. Mallarmé est quelquechose comme un Racine chinois, un Racine zen.

 

 

 

« Le travail humain, c’est l‘explosion qui éclaire mon abime de temps en temps. »

 

Il y aurait ainsi pour Rimbaud un grisou du travail. Grisou que Rimbaud donne à entendre avec ce magnifique mot qu’il invente Baou « Baou, l’herbe d’été bourdonnante et puante ». J’ai toujours eu le sentiment que ce mot de Baou, cette onomatopée impériale, était la clef de l’écriture de Rimbaud. Baou, boum de boue de la beauté, détonation de bas boueux et de haute beauté, explosion par laquelle la beauté devient boue comme la boue devient belle, détonation ultra bizarre de l’âme de  Rimbaud, de la tournure d’âme de Rimbaud.

 

 

 

Rimbaud sait l’extase du tournoiement « Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! » « Tournoyez, n’est-ce pas, l’hiver, Pour que chaque passant repense ! » Ces phrases de Rimbaud seraient peut-être aussi à rapprocher de celles de Tarkos dans Processe. « La tête tourne, tout le corps tourne autour de la tête. » « La chose tourne sur ses deux mains. Elle a une main droite et une main gauche. Ses mains tournent, dans un sens puis dans l’autre. La chose fait faire un tour complet à ses deux mains… La main tourne et tout tourne autour de la main. » Ainsi à l’instant de l’amour, la tête tourne comme une main, la tête tourne comme une chose, la tête tourne comme la main d’une chose, comme la chose d’une main.

 

 

 

 

 

 

 

Rhapsodie littérale pour Arthur Rimbaud.

 

 

 

 

 

Baou. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! 

 

 

 

Baou. J’ai embrassé l’aube d’été. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour !

 

 

 

Baou. J’ai embrassé l’aube d’été. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! Se faire l’âme monstrueuse… Amours monstres, O maintenant nous si digne de ses tortures ! Quelle bête faut-il adorer ? Dans quel sang marcher ? 

 

 

 

Baou. J’ai embrassé l’aube d’été. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! Tournoyez, n’est-ce pas, l’hiver, Pour que chaque passant repense ! Se faire l’âme monstrueuse… Amours monstres, O maintenant nous si digne de ses tortures ! Quelle bête faut-il adorer ? Dans quel sang marcher ? 

 

 

 

Baou. J’ai embrassé l’aube d’été. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! Tournoyez, n’est-ce pas, l’hiver, Pour que chaque passant repense ! Se faire l’âme monstrueuse… Amours monstres, O maintenant nous si digne de ses tortures ! Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou. Quelle bête faut-il adorer ? Dans quel sang marcher ? 

 

 

 

Quel saccage au jardin de la beauté ! Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit. 

 

 

 

Quel saccage au jardin de la beauté ! Le saccage des promenades… Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit. 

 

 

 

Quel saccage au jardin de la beauté ! Le saccage des promenades… Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte. Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit.

 

 

 

Quel saccage au jardin de la beauté ! Le saccage des promenades… Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte. J’ai embrassé l’aube d’été. Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit.

 

 

 

Quel saccage au jardin de la beauté ! Le saccage des promenades… Pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens ? Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte. J’ai embrassé l’aube d’été. Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit. 

 

 

 

Quel saccage au jardin de la beauté ! Le saccage des promenades… Pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens ? Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte. Et dès lors je me suis baigné dans le Poème de la Mer infusé d’astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend. J’ai embrassé l’aube d’été.  Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit.  

 

 

 

Quel saccage au jardin de la beauté ! Le saccage des promenades… Pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens ? Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte. Et dès lors je me suis baigné dans le Poème de la Mer infusé d’astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend. Où rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ! J’ai embrassé l’aube d’été.  Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit.  

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Oh les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà ! 

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Et la saveur forcenée de ses effets. Oh les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà ! 

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Et la saveur forcenée de ses effets. Des noyés descendaient dormir, à reculons ! Oh les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà ! 

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon.

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Et la saveur forcenée de ses effets. Oh les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon.

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Par délicatesse J’ai perdu ma vie. Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon.

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Par délicatesse J’ai perdu ma vie. Plus de mots. J’ensevelis les morts à l’intérieur de mon ventre. Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon.

 

 

 

Le clair déluge qui sourd des prés. Et la saveur forcenée de ses effets. Oh  les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà ! Par délicatesse J’ai perdu ma vie. Plus de mots. J’ensevelis les morts à l’intérieur de mon ventre. Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon.

 

 

 

Baou. J’ai embrassé l’aube d’été. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! Le clair déluge qui sourd des prés. Par délicatesse J’ai perdu ma vie. Plus de mots. J’ensevelis les morts à l’intérieur de mon ventre. Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon.

 

 

 

Baou. J’ai embrassé l’aube d’été. Le paradis des orages s’effondre. Et le rêve fraichit. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour ! Le clair déluge qui sourd des prés. Oh  les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà ! Quel saccage au jardin de la beauté ! Le saccage des promenades… Par délicatesse J’ai perdu ma vie. Plus de mots. J’ensevelis les morts à l’intérieur de mon ventre. Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Des humains suffrages, Des communs élans, Là tu te dégages Et voles selon.

 

 

 

 

 

Post-scriptum

 

 

 

Pour être franc, je dois vous dire que j’ai un peu rusé dans ma première lettre et qu’il y a en effet malgré tout un aspect rimbaldien et même une sorte de saison en enfer à l’intérieur de A Oui. Pour simplifier sans développer chaque détail, disons que les différentes parties de A Oui  sont affectées soit d’une valeur positive, soit d’une valeur négative, soit d’une valeur zéro. La saison en enfer (affectée donc d’une valeur négative) irait du chapitre Homme au chapitre Nihilisme. A Oui a été composé de telle manière que cette dimension négative ne soit qu’une époque momentanée du livre. C’est pourquoi (comme je vous l’ai déjà dit une fois au téléphone) publier A Oui en plusieurs parties serait pour moi inadmissible, ce serait détruire la composition rythmique même du livre. Par exemple, finir le livre avec le chapitre Nihilisme serait assujettir le texte à sa saison en enfer, ce qui est un non-sens et même un contre-sens, un contre-sens ignominieux. Ce que cherche à dire à ce propos A Oui c’est que l’enfer n’est pas le point final de l’existence, (en cela je suis proche de Rimbaud), et même que l’enfer n’existe pas, que l’enfer subsiste exclusivement, subsiste exclusivement en tant que ponctuation infinie de la pensée, en tant que pur possible de l’espèce de l’être (et là cette fois, je m’éloigne de Rimbaud). A Oui ne s’achève pas cependant avec le chapitre Paradis. Ce qui achève le livre, c’est la couleur. Ainsi, ce qui donne la force de traverser l’enfer, ce n’est pas seulement la certitude d’exister au paradis, c’est plutôt la sensation de la couleur, la sensation de la couleur comme projection d’apocalypse du paradis, c’est-à-dire comme chute immortelle de la chair jusqu’à oui.

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                     A Bientôt          Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Ami,

 

grand honte de répondre si peu et si mal à vos lettres magnifiques sur Parant et sur Rimbaud.

 

Sur Rimbaud...

 

Reprocher sa vie et sa fin à Rimbaud, c’est comme reprocher ses marches au Christ, ses paroles et sa croix. – Voilà comment je sens le truc.

 

Rimbaud est dans l’Aventure – c’est déjà un abandon, et quel ! Il est à ce qui vient, arrive à ce qui arrive : il y court (trop vite, d’accord) (c’est vrai qu’il y court forcené). Il est destiné à ce vers quoi il court (à rien sans doute, d’accord). Il répond à une nécessité pressante. Ses fêtes de la patience ne sont faites que de ses impatiences, il court au désert et au vide, il court au rien, il court à la dernière miette parce qu’il sait que de toute façon il y va, alors autant ne pas chômer en route, autant aller voir tout de suite ce qu’il y a au bout : une fois qu’il a compris qu’il ne changera pas le monde, et pas plus la vie, Rimbaud se fout à peu près de tout, et – évidemment – il n’est pas hédoniste pour un sou.

 

Poses de héros, de maudit ou de saint – elles sont nécessaires, et bouffonnes. Le seul recul que Rimbaud se trouve est la bouffonnerie (et « l’égarement »).

 

Bien sûr qu’Arthur a besoin de la raison pour faire le tour de la déraison. Et c’est peut-être moins le propre de son siècle que de toute mystique (disons comme ça) que de chercher une méthode. Et puis aussi quand même, il pense à rendre compte et à partager : le « Nouvel Amour ». Mais c’est vrai qu’il partage jusqu’au bout avec son siècle (au moins jusqu’en 1891) l’idée de Progrès, avec des rages, des trépignements (des renoncements).

 

Mais c’est bien tout. Même dans ce partage-là il est bien seul et il a quand même tout à faire tout seul, surtout écrivant : il n’a pas croisé Ducasse, à peine a-t-il frôlé Mallarmé, et si Verlaine le comprend loin, il sait bien qu’il ne le suivra pas aussi loin qu’il le comprend (« il » : ici à la fois l’un et l’autre). Il a donc tout à faire tout seul. Solitude qu’il n’assume pas sans une grande souffrance.

 

J’arrête là. Vous savez bien que Rimbaud, fabuleux, est incroyablement vrai. De là qu’il comprenne toute la poésie si vite, jusqu’à, forcené, s’en arracher.

 

Votre texte est extraordinaire et terrifiant, ou plutôt... tétanisant ! – Ne me demandez pas de le garder par devers moi, c’est IMPOSSIBLE ! Qu’au moins quelques personnes le lisent, avec la rhapsodie... allons, disons « crétinisante » ! qui le suit (dont l’esprit est évidemment très différent de « mon » poème Passage de J.N.A.Rimbaud.

 

                                                                                                                     

 

(…)

 

                   Salut et fraternité,