Salut Ivar, 

 

 

 

Je t’envoie Notes à propos de Mallarmé. 

 

 

 

(Une indication. J’ai aussi envoyé ce texte à Laurent Albarracin.) 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                            A Bientôt                Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes à propos de Mallarmé. 

 

 

 

 

« Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui. »

 

Pour Mallarmé, le gel apparait toujours saturé d’ailes. Pour Mallarmé, le gel apparait toujours saturé d’ailes paralysées, saturé d’ailes fixées, saturé d’ailes figées à la stupeur de leur désir, à la stupeur en effigie de leur désir. Pour Mallarmé, le gel apparait saturé d’ailes de cristal. Pour Mallarmé, le gel apparait comme un cristal d’ailes, un cristal d’ailes figées, un cristal d’ailes figées en effigie. 

 

 

Pour Mallarmé, un livre apparait à la fois comme un éventail et comme un tombeau. Pour Mallarmé, un livre à apparait à la fois ouvert comme un éventail et fermé comme un tombeau. Pour Mallarmé, le livre apparait comme un éventail-tombeau, à savoir à la fois comme un éventail funèbre et un tombeau volatil. Pour Mallarmé, le livre volatilise le tombeau. Le livre volatilise le tombeau en glacier de papier. Le livre volatilise le tombeau en « transparent glacier des vols qui n’ont pas fui. » 

 

 

 

« La décantation de l’être en miroir. » Stétié

 

En effet Mallarmé décante l’être parmi le miroir. Mallarmé décante l’être parmi l’entre du miroir, parmi l’ennui du miroir, parmi l’entre d’ennui du miroir. Mallarmé décante l’être parmi le gel du miroir, parmi l’abime du miroir, par l’abime de gel du miroir. Mallarmé décante l’être parmi l’abime d’ennui du miroir, parmi le gel d’ennui du miroir, parmi l’abime de gel ennuyé du miroir. 

 

 

Mallarmé décante le néant de l’être. Mallarmé décante le néant même de l’être parmi le gouffre de laque de miroir, parmi le lac de laque du miroir. (« Miroir, gouffre laqué. » comme l’écrit magnifiquement Laurent Albarracin.)  

 

 

Le problème de Mallarmé ce serait de parvenir à faire rimer le vide et le néant, de parvenir à faire rimer le vide de l’objet et le néant de la conscience. Le problème de Mallarmé serait de parvenir à faire rimer le vide de l’objet et le néant de la conscience par le rimmel du miroir, par l’œil de rimmel du miroir, parmi l’œil de rime-aile du miroir. 

 

 

Le miroir « Eau froide par l’ennui dans son cadre gelée. »

 

Ainsi ce qui à la fois rime et mire pour Mallarmé c’est l’ennui, c’est l’insistance de l’ennui, c’est l’insistance d’aïon de l’ennui, c’est le rimmel d’aïon de l’ennui, c’est le maquillage d’aïon de l’ennui. 

 

 

 

« Rien n’aura eu lieu que le lieu. »

 

Mallarmé cependant ne dit pas le rien, Mallarmé plutôt suggère, évoque, invoque, appelle le vide par l’intermédiaire d’objets singuliers : miroir, coquillage, éventail, bibelots divers. 

 

 

Ce qui apparait superbe à l‘intérieur de l’écriture de Mallarmé c’est précisément la relation  entre le vide et l’objet. En effet pour Mallarmé à la fois l’objet apparait à l’intérieur du vide et le vide apparait à l’intérieur de l’objet. 

 

 

Mallarmé n’est pas un poète du pur néant. Mallarmé serait plutôt un poète de la relation subtile, sibylline, équivoque entre le vide et l’objet. Poète essentiellement chinois donc.          « Mallarmé est un esprit chinois : je veux dire par là que, très tôt, dans son approche du monde et de la vie, il a fait - à la manière taoïste bien que par d’autres voies - l’expérience du vide … » Stétié. Ce que Mallarmé essaie ainsi de dire ce serait à la fois des pensées-objet, des pensées-vide et des objets-vide. 

 

 

Le bibelot du poème de Mallarmé donne à sentir à la fois une pensée-objet et une pensée-vide, à la fois une idée-objet, une idée-vide et un objet-vide. Le bibelot de Mallarmé donne à sentir à la fois l’idée-objet du vide et l’idée-vide de l’objet. 

 

 

 

C’est comme si la poésie de Mallarmé accomplissait une sorte de redoublement de la philosophie de Hegel, une sorte de mise en abime de la philosophie de Hegel, de mise en abime objectale de la philosophie de Hegel. Ce qu’invente la poésie de Mallarmé c’est à la fois l’anéantissement de l’objet à travers l’esprit infini et aussi l’abolition de l’esprit infini à l’intérieur de l’objet, à l’intérieur du vide de l’objet. Mallarmé invente une manière de poser Hegel au carré, de disposer Hegel au carré, de disposer Hegel au carré des dés, au carré de selon des dés, au carré des dés de selon. 

 

 

Mallarmé essaie de trouver le lieu de coïncidence entre le vide du dehors et le néant de la conscience et aussi le lieu de coïncidence entre l’entre et le selon. Mallarmé essaie de trouver le lieu de coïncidence entre le vide du dehors et le néant de la conscience incarcéré selon, entre le vide du dehors et le néant de la conscience incarcéré pli entre pli selon, incarcéré pli contre pli selon. 

 

 

Ainsi écrire pour Mallarmé ce n’est comme pour Rimbaud « voler selon ». Écrire pour Mallarmé ce serait plutôt poser selon. Écrire pour Mallarmé ce serait poser selon l’entre du gel, poser selon l’entre du miroir, poser selon l’entre de gel du miroir. 

 

 

 

Même si Mallarmé insiste très souvent sur le néant de la conscience (Le très hégélien Igitur par exemple). Mallarmé sait aussi comment séduire et charmer le néant de la conscience par l’intermédiaire des objets. L’écriture de Mallarmé à la fois séduit et charme les objets à travers le néant de la conscience et aussi séduit et charme le néant de la conscience avec les objets. L’écriture de Mallarmé serait ainsi celle d’une séduction réciproque, d’un charme réciproque entre le néant de la conscience et les objets. 

 

 

L’écriture de Mallarmé n’est pas à la recherche du pur néant. De la traversée du néant il reste en effet toujours quelque chose même si ce n’est alors qu’un frisson d’atomes, d’arômes, d’atomes aromatiques. 

 

 

Stetié a superbement mis en évidence la puissance de séduction de l’écriture de Mallarmé. « De tous les poètes (…) Mallarmé est sans doute le plus mystérieusement séduisant. (Cela  dit, si Mallarmé sait jouer de sa séduction, il ne semble pas qu’il ait jamais utilisé le mot. Plus souvent, pour dire le concept en question, c’est au mot charme qu’il aura recours. » Il y a en effet une séduction métaphysique de l’écriture de Mallarmé, séduction métaphysique semblable à celle théorisée par Baudrillard. « Le monde n’a pas été produit, le monde a été séduit. » 

 

 

Cette séduction de Mallarmé c’est d’abord celle du geste de l’adresse ou de la dédicace. « On notera que la plupart des textes mallarméens de la séduction sont des poèmes d’adresse. » S. Stétié. 

 

 

Le problème reste de savoir à quoi ressemble exactement l’adresse de Mallarmé. A qui exactement Mallarmé adresse ce qu’il écrit, à qui exactement Mallarmé adresse son œuvre ?  Mallarmé adresse peut-être son œuvre au miroir, au gel du miroir, au feu de gel du miroir. Il y aurait ainsi un narcissisme suicidaire, une sorte de suicide narcissique de l’œuvre de Mallarmé. Ou encore Mallarmé adresse ce qu’il écrit au pli de lumière du miroir autrement dit aussi peut-être à l’idée du hasard, à l’idée de suicide du hasard. 

 

 

 

« Suspens provocateur : l’esprit. »  J.P Richard

 

Mallarmé considère ainsi la pensée à la fois comme un suspens et une provocation. Mallarmé considère la pensée comme la provocation d’un suspens, comme la provocation d’une hypothèse. 

 

 

Pour Mallarmé la politesse serait une sorte d’hésitation de la pensée, une sorte d’hésitation stellaire de la pensée. Pour Mallarmé la politesse révèle une sorte d’oscillation du vide. Pour Mallarmé la politesse pose et même appose l’oscillation même du vide, l’oscillation stellaire du vide. 

 

 

Il y a une très grande ambivalence à l’intérieur de l’écriture de Mallarmé, une forme d’hésitation quasi étoilée, une forme d’hésitation métaphysique sidérante, c’est-à-dire une hésitation stellaire, une hésitation cosmique, hésitation cosmique qui est celle du « compte stellaire en formation » S. Stétié a bien remarqué cette ambivalence. « Mallarmé profitera de toutes les ambiguïtés présentes dans la langue, dans le monde et dans l’esprit, pour faire de l’ambiguïté le lieu unique de la certitude, et c’est à dire aussi bien de l’incertitude… » 

 

 

L’hésitation de Mallarmé c’est aussi l‘hésitation de la démarche, l’hésitation à poser les pieds à la surface du sol. Mallarmé semble marcher sur la terre comme s’il marchait à la surface d’un abime, à la surface d’un gouffre gelé. André Suarès dans Portraits et Préférences a magnifiquement évoqué cette frilosité de la silhouette de Mallarmé, cette prudence frileuse de la démarche de Mallarmé. « A la fin de sa vie, nos pas se croisèrent, un après-midi, sur la route de Vulaines. C’était un petit homme chétif, maigre, pâle et souffreteux ; il semblait avoir toujours froid. Il paraissait timide, modeste dans l’orgueil d’être lui-même, orgueilleux dans la modestie. Tâtant le sol d’un pied circonspect, il marchait lentement. » 

 

 

 

« Je dis : une fleur ! et hors de l’oubli (…) musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. »

 

Pour Mallarmé l’idée c’est d’abord la fleur dite. Pour Mallarmé l’idée c’est la fleur dite comme élévation de la voix, comme élévation musicale de la voix, comme élévation suave de la voix et même qui sait comme érection de la voix, comme érection musicale et suave de la voix. 

 

 

Ce que le mot fleur pour Mallarmé révèle ce n’est pas l’absence de la fleur, c’est l’absence de la fleur dans le bouquet. Pour Mallarmé, le mot fleur serait ce qui révèle l’idée de la fleur en dehors du bouquet, en dehors de l’assemblage du bouquet. Pour Mallarmé, le mot fleur est ce qui isole la fleur, ce qui isole la fleur de l’ensemble des autres fleurs, ce qui l’isole en tant qu’absence, en tant qu’emblème de son absence, en tant qu’allégorie de son absence. Pour Mallarmé, le mot fleur révèle l’idée à la fois vocale et musicale de la fleur par laquelle la fleur s’isole de l’ensemble des autres fleurs en tant qu’absence emblématique, en tant qu’absence allégorique. Pour Mallarmé, dire une fleur ce n’est pas absenter la fleur, ce n’est pas absenter la fleur à elle-même, c’est absenter la fleur du bouquet, c’est absenter la fleur de l’ensemble des autres fleurs. 

 

 

« Mallarmé profondément matérialiste, ne songe pas à rejoindre les idées, encore moins à les livrer à notre contemplation. Il sait bien qu’elles n’existent pas. »  Sartre 

 

Mallarmé essaie plutôt de contempler l’idée comme forme de la disparition, comme forme de l’évanouissement, comme forme de ce qui s’évanouit dans la nature, comme forme de ce qui s’évanouit par lucidité lacunaire, par lacune de lucidité à l’intérieur de la nature à savoir comme fleur. 

 

 

« Gloire du long désir. Idées »  

 

Ainsi pour Mallarmé, ce que révèle l’idée c’est la gloire du désir. L’idée ce serait quelque chose comme le désir en gloire, désir en gloire comparable à l’apparition d’une fleur, désir en gloire de l’apparition à la fois présente et absente d’une fleur, plus précisément de la fleur nommée l’iris. 

 

 

Pour Mallarmé, l’idée c’est la gloire de désir d’une fleur, la gloire de désir de l’iris. C’est le désir en gloire d’une fleur, le désir en gloire de l’iris. Pour Mallarmé, l’idée c’est le désir en gloire de la fleur de l’œil, le désir en gloire de la fleur du regard (et aussi du regard de la fleur). En cela, il y aurait sans doute une relation entre Mallarmé et Chazal : l’instant de la conscience supra-lucide de Chazal à savoir celui à la fois de regarder la fleur et de se sentir regardé par la fleur. 

 

 

« De la famille des iridées. »

 

Pour Mallarmé, l’idée appartient ainsi à une famille, à une famille de fleurs, à une famille de regards, à une famille de regards de fleurs. Pour Mallarmé, la fleur de l’idée n’appartient pas à une classe sociale, à une communauté sociale ou encore à un peuple. Pour Mallarmé, la fleur de l’idée appartient plutôt à une famille botanique. 

 

 

Écrire de manière idéale pour Mallarmé ce serait ainsi transformer chaque objet en fleur, ce serait transformer chaque objet en fleur-miroir. Écrire de manière idéale pour Mallarmé ce serait changer chaque objet en fleur du gouffre, en fleur-miroir du gouffre. 

 

 

 

Un problème important ce serait alors de savoir qu’elle est le sens du mot « idée » pour Mallarmé. Le mot idée j’insiste. Se souvenir à ce propos de la plaisanterie de Mallarmé adressée à Degas. « Un poète n’écrit pas avec des idées, il écrit avec des mots. » Ainsi Mallarmé n’écrit pas avec des idées, il écrit plutôt avec des mots qui évoquent des idées. 

 

 

L’idée selon Mallarmé, n’est ainsi ni une idée platonicienne, ni une idée kantienne, ni une idée hégélienne. L’étrangeté de Mallarmé c‘est qu’il atteint l’idée par la sensation, c’est qu’il révèle l’idée par la sensation, c’est qu’il révèle l’idée par la sensation du vide. « Et vous serez terrifié d’apprendre que je suis arrivé à l’Idée de l’Univers par la seule sensation et que, par exemple, pour garder une notion ineffaçable du Néant pur, j’ai dû imposer à mon cerveau la sensation du vide absolu. »   Mallarmé, lettre à Villiers de L’Isle-Adam 

 

 

L’idée pour Mallarmé n’est ni l’idée du vrai, ni l’idée du bien ni même l’idée du beau. L’idée pour Mallarmé ce serait d’abord l’idée de l’objet. Mallarmé a l’intuition essentielle que c’est par l’idée de l’objet (et aussi l’objet de l’idée) que la beauté apparait, que la beauté apparait évoquée, que la beauté survient évoquée. Cette idée de l’objet ce serait plus précisément l’idée du bibelot. 

 

 

 

Ce qui pour Mallarmé suggère la puissance de l’abolition, c’est en effet essentiellement le bibelot, le célèbre « aboli bibelot d’inanité sonore. » 

 

La démence de Mallarmé c’est de considérer le bibelot comme une bombe, c’est de considérer le bibelot comme une bombe virtuelle, comme une bombe virtuelle posée au milieu du salon. La démence de Mallarmé c’est de considérer le bibelot comme si c’était une bombe quasi stellaire.

 

 

(La métaphore selon Mallarmé n’est pas en effet une intensification du comme, c’est plutôt une intensification du comme si, du comme quasi. Ainsi pour Mallarmé la comparaison est toujours d’abord une hypothèse.) 

 

 

La démence de Mallarmé est de faire l’expérience, l’expérience hypothétique des bibelots de l’intérieur bourgeois comme s’ils étaient des bombes, comme s’ils étaient des bombes d’anarchistes, des bombes d’anarchistes qui désirent détruire ces salons bourgeois. « Un terroriste pur et dur, un séducteur-né. L’un a besoin de l’autre : ils ne peuvent aller  qu’ensemble, si l’un veut vraiment tout faire sauter et si l’autre veut gagner du temps et protéger autant qu’il peut le confort du premier. » Stétié. En cela pour reprendre une formule superbe de Sartre, Mallarmé écrit comme un terroriste de la politesse. « Non il ne fera pas sauter le monde : il le mettra entre parenthèses. Il choisit le terrorisme de la politesse ; avec les choses, avec les hommes, avec lui-même, il conserve toujours une imperceptible distance. » 

 

 

L’ambivalence de l’écriture de Mallarmé est d’inventer ainsi une sorte d’aristocratisme mental, d’aristocratisme métaphysique par anarchisme bourgeois. « Etrange illusion des poètes : ce qu’ils nomme aristocratie de l’esprit, c’est la sublimation des vertus bourgeoises. » Sartre 

 

 

 

Mallarmé essaie de transformer la vitre en bombe. Mallarmé essaie de transformer la vitre de la mysticité « Que la vitre soit l’Art soit la Mysticité » en bombe de l’anarchie. Pour Mallarmé, un poème ce n’est pas une bombe qui fait éclater les vitres, un poème c’est plutôt une vitre qui fait éclater les bombes, une vitre qui explose comme une bombe, une vitre intacte qui explose malgré tout comme une bombe. 

 

 

Le problème de Mallarmé c’est d’essayer de transformer la distinction en déflagration, ou plutôt d’affirmer la déflagration de la distinction même. Mallarmé essaie de transformer la distinction de l’œil, la distinction métaphysique de l’œil en déflagration de l’anarchie, en déflagration tactile de l’anarchie. 

 

 

Cette déflagration tactile de l’anarchie c’est celle du dé. Cette déflagration tactile de l’anarchie c’est celle du coup de dé. L’expression coup de dé indique qu’il y a donc un coup du hasard, une violence du hasard et même une sorte de combat du hasard. Ce serait l’aspect presque héraclitéen de Mallarmé. Le poème de Mallarmé vitrifie Héraclite. L’écriture de Mallarmé vitrifie le hasard polémique d’Héraclite. 

 

 

Pour Mallarmé, le dé éclate comme une bombe. Pour Mallarmé, le dé éclate comme un « calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur. » Pour Mallarmé, le dé dédicace le calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur. 

 

 

Pour Mallarmé, le dé dédicace le désastre. Le dé dédicace le désastre au vide du lieu. Le dé dédicace le désastre à l’aura de vide du lieu. Le dé dédicace le désastre à l’aura de vide de l’avoir lieu. 

 

 

Pour Mallarmé, le dé dédicace le désastre comme diadème. Le dé dédicace le désastre comme diadème du hasard, comme diadème du vide, comme diadème de hasard du vide. Le dé dédicace le désastre comme diadème du gel, comme diadème de hasard du gel, comme diadème de gel du vide. 

 

 

Ou encore pour Mallarmé, le dé dédicace le hasard même. Le dé dédicace le hasard au désastre. Le dé dédicace le hasard au diadème du désastre, au diadème de gel du désastre, au diadème de désastre du vide. 

 

 

 

L’idée pour Mallarmé c’est le suicide. L’idée pour Mallarmé c’est le dé. L’idée pour Mallarmé c’est le suicide du dé. L’idée pour Mallarmé c’est la fleur du suicide. Ce que cherche à révéler ou plutôt à évoquer Mallarmé, c’est une sorte d’idée-suicide, une sorte de suicIdée. Ce que cherche à évoquer Mallarmé, c’est l’idée de suicide du hasard, c’est la suicIdée du hasard, c’est la fleur de suicIdée du hasard. 

 

 

Ainsi Mallarmé n’écrit finalement ni avec des mots ni avec des idées, Mallarmé écrit plutôt avec des suicIdées. Chaque vers, chaque phrase de Mallarmé essaie d’évoquer une idée-suicide, chaque phrase de Mallarmé essaie de suggérer une idée-suicide. 

 

 

La séduction essentielle de Mallarmé c’est celle du suicide. La séduction et le suicide sont d’ailleurs des quasi anagrammes. La séduction essentielle de Mallarmé c’est celle de l’idée de suicide. 

 

 

Pour Mallarmé, la fleur de l’idée, la fleur de lucidité de l’idée, la fleur lacunaire de l’idée, la fleur de lucidité lacunaire de l’idée, c’est le calice, le calice silicé de la coïncidence de la séduction et du suicide, de l’alliance de la séduction et du suicide. 

 

 

« Ces poèmes inouïs qui sont à la fois des paroles silencieuses et des objets truqués. » Stétié

 

Le truc de Mallarmé, le truc de structure de Mallarmé, c’est de construire un miroir à coups de dés. Le truc de structure de Mallarmé c’est de construire un miroir d’océan à coups de dés. 

 

 

« Dans un acte où le hasard est en jeu, c’est toujours le hasard qui accomplit sa propre Idée en s’affirmant ou se niant. »

 

Le dé truqué de Mallarmé se situe alors dans le ou du « en s’affirmant ou se niant. » Mallarmé fait en effet semblant de croire qu’à l’intérieur du poème le hasard s’affirme ou se nie alors qu’il sait que le poème est plutôt de faire comme si le hasard à la fois s’affirmait et se niait. Le truc de Mallarmé ce serait ainsi de dissimuler le et avec le ou. L’humour de Mallarmé, le truc humoristique de Mallarmé ce serait d’escamoter le et avec le ou, d’escamoter le et entre l’affirmation et la négation avec le ou. 

 

 

Mallarmé écrit avec des dés truqués. Mallarmé écrit avec les dés truqués du suicide, avec les dés truqués de la séduction du suicide. Mallarmé écrit avec les dés truqués du narcissisme, avec les dés truqués du suicide narcissique. Mallarmé écrit avec les dés de séduction du suicide, avec les dés de séduction du suicide narcissique. 

 

 

 

L’écriture de Mallarmé révèle une manière d’intérioriser la rature. Mallarmé rature à l’intérieur du vide. Ou plutôt Mallarmé rature à blanc. Mallarmé rature à l’intérieur du vide à blanc. Ou plutôt Mallarmé rature à la fois à l’intérieur du néant de la conscience et à l’intérieur du vide du dehors. 

 

 

L’écriture de Mallarmé rature à blanc. L’écriture de Mallarmé rature à blanc par le gel de la phrase, par le gel d’extase de la phrase, par le gel de politesse de la phrase, par le gel de politesse extatique de la phrase. L’écriture de Mallarmé rature à blanc par le gel de frivolité de la phrase, par le gel de frivolité extatique de la phrase. L’écriture de Mallarmé rature à blanc par le gel d’ennui de la phrase, par le gel d’extase comme d’ennui de la phrase, par le gel d’extase comme d’ennui frivole de la phrase.  

 

 

L’écriture de Mallarmé révèle une forme de rature à blanc. L’écriture de Mallarmé révèle une forme de rature réciproque à blanc de l’objet à travers le néant de la conscience et du néant de la conscience par l’objet, rature réciproque à blanc de l’objet à travers le néant infini de la conscience et du néant de la conscience par le vide de l’objet, par l’avoir lieu de vide de l’objet. 

 

 

Mallarmé essaie ainsi de dire l’objet du vide. Mallarmé essaie de dire l’objet même du vide par le chant du blanc, par le chant de ratures du blanc. Mallarmé essaie de dire l’objet même du vide par le chant de dés du blanc, par le chant d’étoiles du blanc, par le chant de dés-étoiles du blanc. Mallarmé essaie de dire l’objet même du vide par le chant de ratures stellaires du blanc, par le chant de ratures comme coups de dés stellaires du blanc. 

 

 

 

Cette rature réciproque à blanc de l’écriture de Mallarmé serait aussi une sorte de double suicide, une sorte de suicide redoublé, une sorte de suicide en miroir et même de suicide en abyme. A l’intérieur du poème de Mallarmé, à la fois l’objet se suicide à l’intérieur de l’idée et l’idée se suicide à l’intérieur de l’objet. Le poème compose ainsi une sorte d’idée de suicide de l’objet, une sorte de suicIdée objectale. Cette suicIdée objectale c’est le bibelot, le bibelot aboli, le bibelot de l’abolition. 

 

 

Le poème de Mallarmé ressemble ainsi à un suicide de porcelaine, un sacrifice de faïence ou un attentat réflexif en éventail. Ecrire pour Mallarmé c’est se tuer à coups d’éventail, c’est s’assassiner à l’intérieur d’une tasse de thé, c’est s’assassiner avec une délicatesse sidérante, avec une délicatesse astrale à l’intérieur d’une tasse de thé. 

 

 

Il y a aussi quelque chose de presque duchampien à l’intérieur de la poésie de Mallarmé. Pour Mallarmé, un poème c’est déjà une sorte de ready-made, une sorte de ready-made de l’âme, un ready-made de l’âme qui résulte du suicide réciproque de l’objet à l’intérieur de l’idée et de l’idée à l’intérieur de l’objet. Ou encore le poème serait le ready-made même du langage, le ready-made même du langage qui résulte du suicide réciproque de la conscience et de l’objet. 

 

 

 

« Dans cette expérience à blanc de la mort volontaire, Mallarmé découvre tout à coup sa doctrine. »  Sartre

 

Pour Mallarmé, l’écriture survient comme un suicide à blanc. Pour Mallarmé, l’écriture révèle une manière de se suicider à blanc, une manière de se suicider comme si, une manière d’hasarder le comme si du suicide. La séduction selon Mallarmé c’est aussi le comme si du suicide, le comme si essentiel du suicide, le comme si idéal du suicide. 

 

 

Pour Mallarmé, écrire c’est se suicider parmi le miroir du blanc, parmi le luxe du blanc, parmi le miroir de luxe du blanc. Pour Mallarmé, écrire c’est se suicider parmi le luxe inouï du blanc, parmi les allusions du blanc, parmi les allusions inouïes du blanc, par le luxe d’allusions du blanc, parmi le luxe d’allusions inouïes du blanc. 

 

 

Pour Mallarmé, écrire c’est se suicider parmi un miroir-ready-made, parmi le miroir-ready- made du blanc, parmi le ready-made luxueux du blanc, parmi le miroir-ready-made luxueux du blanc, parmi le miroir-ready-made d’allusions du blanc, parmi le miroir-ready-made d’allusions luxueuses du blanc. 

 

 

Par la séduction d’ennui du suicide, par la séduction d’ennui narcissique du suicide, Mallarmé essaie ainsi de transformer l’idée en ready-made du hasard et le hasard en ready-made de l’idée. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Salut Ivar, 

 

 

 

Merci à toi pour l’envoi de La Vache d’Entropie. J’ai déjà lu quelques extraits.  

 

 

J’aime beaucoup par exemple ces phrases de quatre sonnets et un cinquième. « Le collier / de mon sang se brise, » « Je vois dans la chaleur le grand déhanchement des céRéales. » 

 

 

Et j’aime encore aussi cette vision de la course « L’averse est un monument (et depuis un bon moment). »  

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                    A Bientôt        Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Boris,

 

(…)

 

Justement ces deux derniers jours j'ai travaillé sur tes "Notes à propos de Mallarmé" -- fascinantes. J'ai écrit la nuit dernière quelques paragraphes sur tes deux premières pages. Je voulais les mettre au net aujourd'hui, mais je n'ai jamais eu la paix (il y a chez les voisins un jeune enfant très bruyant). Il me faut le calme absolu, le silence, pour pouvoir écrire. J'attends la rentrée des classes, qui me laisse quelques heures de répit par jour -- quand je ne suis pas dérangé autrement !

 

Je ne lis pas grand chose, j'ai changé d'ophtalmo, mais toujours pas de solution pour ma vue. Là, je lis un livre sur Robespierre. C'est très intense.

 

J'espère que tout va bien au prieuré !

 

Amicalement,

 

Ivar

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Boris,

 

                    je réponds enfin (à une partie) de ton texte magnifique sur Mallarmé.

 

   Vraiment ç'a été difficile, mon engourdissement mental, mes problèmes informatiques (continus depuis mars ou avril derniers), des travaux dans la maison, le chat qui ne veut pas descendre de mes genoux, etc. etc. !

 

(...)

 

   Bien à toi, avec toute mon amitié,

 

Ivar

 

 

 

 

 

 

 

 

4, 5, 6... 10 janvier 2019

 

Cher Boris,

 

quelques lignes, difficilement écrites en lisant ton texte sur Mallarmé. Encore ne se rapportent-elles qu’aux premières pages.

 

Pages fascinantes.

 

Je ne peux les discuter. Elles sont essentiellement poétiques, enlevées par un principe poétique. Je m’abandonne moi-même à ce principe, différemment. Et difficilement, je l’ai dit, faute d’avoir à ma disposition, en ce moment, la force mentale nécessaire. (J’ajoute que je me retrouve avec un autre traitement de texte, sans l’avoir demandé, et ça ne m’aide pas à me concentrer !) 

 

 

« Ce qui apparaît superbe, à l’intérieur de l’écriture de Mallarmé c’est précisément la relation entre le vide et l’objet. En effet pour Mallarmé à la fois l’objet apparaît à l’intérieur du vide et le vide apparaît à l’intérieur de l’objet. » 

 

L’objet est porteur de vide, et il est apporté par le vide au vide, comme à lui-même, mais déjà autre, en don (peut-être en preuve). N’existe encore que le vide, mais il est déjà, osons le dire, son propre jumeau.

 

« L’objet » est d’abord comme un pli du vide, une pellicule de quelque chose entre le vide et le vide, le vide qu’il contient et le vide où il est contenu. Et il y aurait moins « relation entre le vide et l’objet » que relation du vide au vide rendue possible seulement par l’objet. L’objet est alors la relation. L’objet n’est jamais que la relation du vide au vide, du vide à lui-même ; l’objet est aussi une compensation hasardée à la gémellité impossible (en tout cas impensable) du vide.

 

Par l’objet, le vide se retourne et d’une certaine manière s’arrache à lui-même.

 

Du vide au vide, il y a un pas. Un pas possible qui n’est justement pas un « pas » de négation (en tout cas pas à ce moment). Le vide n’est jamais le même ; jamais lui-même. Ou plutôt il ne coïncide jamais avec lui-même. Il y a une sorte d’ubiquité radicale du vide, qui « ne tient pas en place » (en lui-même). Il y a donc du jeu dans le vide, qui permet le pas. Ce pas du vide vers lui (plutôt qu’en lui) est hasardé, mais il est une interrogation positive. Donc déjà une affirmation. Cependant toujours cette affirmation restera marquée par le caractère hasardé et interrogatif de ce début.

 

(Ce pas est un pas du vide vers lui, plutôt qu’en lui. Mais si le vide va vers quelque chose, ça ne peut-être que vers lui-même, puisqu’il reste en lui-même. Il n’a d’issue hors de lui-même qu’en lui-même.)

 

Et, autrement, tout autrement, le vide de l’objet n’est pas LE vide. D’abord c’est un vide que le vide s’arrache à lui-même pour le présenter (l’objet), en don et en preuve (au vide). Ainsi présenté l’objet permet aussi au vide de se représenter ce qu’il n’est pas ; ce qui serait un début pour se représenter (à lui-même) ce qu’il est, s’il était. On sent bien qu’à un moment devient nécessaire une représentation —laquelle n’est pas répétition, elle n’est pas tout à fait de la nature du vide, elle est faite d’un arrachement et fonde, dans l’ouverture, le trou de cet arrachement, une présence.

 

Cependant le vide a bientôt besoin de donner à l’objet ce que lui-même n’a pas : une place, un creux. Par l’objet, le vide se procure par procuration l’idée et le souci de la conservation, et le luxe du concave. Je ne veux pas dire ici que l’objet est concave, mais qu’il a besoin pour sa concavité (car il est concave, au moins virtuellement), et surtout pour le revers convexe de sa concavité —d’une concavité plus grande, qui le contienne.

 

Mais cet objet ? Un artifice ? Une chimère ?

 

D’abord cette présence se tient incertaine entre l’esquisse et l’esquive. Mais tout à coup elle frappe de son évidence, de sa présence totale et comme pleine et complète (mais non pas pérenne : parce que le mouvement, le passage s’affirme avec l’apparition — qui implique aussi la disparition).

 

L’expérience terrifiante de Mallarmé l’a placé au point même où il peut voir cela, c’est-à-dire, tout d’abord, le Néant.

 

Et lui, homme de la sensation, au tempérament plutôt « impressionniste » (même s’il a été profondément envoûté et dérouté par Baudelaire), il sait tout de suite qu’il lui revient de faire le poème de cela, de cette présence déchirée et béante dans le vide, le « néant » (l’objet est comme une béance du néant : en se formant/se fermant, il ouvre le néant).

 

Il ne retournera au faune (croit-il), à ses chaleurs, à ses ébats, qu’une fois achevé le poème glacé d’Hérodiade.

 

Par lequel il en vint vraiment au « symbolisme ». Lui, le sensuel, il lui a été demandé d’être le plus intellectuel de tous. Et de loin. Et grande, de par sa vocation, sera sa solitude ; même, et peut-être surtout, au milieu de ses « disciples », aux mardis de la rue de Rome. 

 

« Même si Mallarmé insiste très souvent sur le néant de la conscience (le très hégélien Igitur par exemple), il sait aussi comment séduire et charmer le néant de la conscience par l’intermédiaire des objets. L’écriture de Mallarmé à la fois séduit et charme les objets à travers le néant de la conscience et aussi séduit et charme le néant de la conscience avec les objets. L’écriture de Mallarmé serait ainsi celle d’une séduction réciproque entre le néant de la conscience et les objets. » 

 

Oui, étant bien entendu qu’il faut alors donner leur sens le plus pur aux mots « séduction » et « charme ».

 

Le néant de la conscience... 

La conscience est néante parce qu’elle se trouve devant le néant et ne peut « contenir » que le néant. On pourrait dire plutôt qu’elle est vacante, ou vide, mais elle est en tout cas conscience. Et donc une relation (même virtuelle). Relation : une réflexion du vide en lui-même — un reflet ? Par ce reflet le vide se verrait. Il prend conscience de lui-même et se réfléchit. Tout de suite il voudra se dire. Il ne peut d’abord s’exprimer que dans la profusion de la création. Mais le désir et la nécessité apparaîtront d’un « vrai » langage : détaché, abstrait. Lequel viendra (après longtemps !) ; mais en tant que tel (langage) il n’est qu’un simulacre d’être, déjà de ne pouvoir montrer les objets qu’à travers des simulacres : les mots. Dans ce sens, il est (langage) une relation nécessaire, mais vide. Sauf à le considérer dans sa matérialité, sonore, puis visuelle aussi, phonèmes, graphèmes, mis de côté le fait que les mots ont une signification.

 

Cependant, si Mallarmé séduit le néant de la conscience et le charme, comme tu l’écris, « par l’intermédiaire des objets », il sait que « l’intermédiaire des objets », c’est leur simulacre. Il ne l’oublie pas.

 

Mallarmé prend ce simulacre parce qu’il n’a rien d’autre à prendre, rien dont il puisse effectivement se saisir, et ce simulacre devient « symbole ». Il va, grâce au charme, à la séduction, donner aux symboles un semblant de vie (il y a toujours tromperie dans le recours au charme et à la séduction), les doter du degré optimal de vie simulée, et de présence. — Puisque tout est néant, le simulacre symbolique n’est-il pas d’une certaine manière plus vrai que l’objet, dont il pallie l’insaisissabilité, l’évanescence ? 

 

« L’écriture de Mallarmé n’est pas à la recherche du pur néant. De la traversée du néant il reste en effet toujours quelque chose même si ce n’est encore qu’un frisson d’atomes, d’arômes, d’atomes aromatiques. » 

 

La deuxième phrase est admirable ! Poétiquement, et parce qu’elle dit « l’essence » de la poésie mallarméenne. Stéphane Mallarmé, ce sensuel, jouisseur que la « traversée du néant » a affûté, affiné, et je dirai « subtilisé » jusqu’à ce qu’il soit apte à percevoir les fluides essentiels presque au niveau des atomes !

 

Séduction de la poésie de Mallarmé. Tu remarques un peu plus loin dans tes notes que cette séduction passe toujours par l’adresse et la dédicace. Ses poèmes sont adressés, et le plus souvent explicitement, même nommément. 

 

« Cette séduction de Mallarmé c'est d'abord celle du geste de l'adresse et de la dé-dicace. "On notera que la plupart des textes mallarméens de la séduction sont des poèmes d'adresse." (Stétié)

 

Le problème reste de savoir à quoi ressemble exactement l’adresse de Mallarmé. À qui exactement Mallarmé adresse ce qu’il écrit, à qui exactement Mallarmé adresse son œuvre ? Mallarmé adresse peut-être son œuvre au miroir, au gel du miroir, au feu du gel du miroir. Il y aurait un narcissisme suicidaire, une sorte de suicide narcissique de l’œuvre de Mallarmé. Ou encore Mallarmé adresse ce qu’il écrit au pli de lumière du miroir, autrement dit aussi peut-être à l’idée du hasard, à l’idée de suicide du hasard. » 

 

Mallarmé adresse ce qu'il écrit tout d'abord à des personnes très précises, nommées (principe qu'il va reprendre de façon facétieuse et auto-ironique dans Les Loisirs de la Poste) ou anonymes (je veux dire qu'il peut avoir seulement « en tête » tel destinataire, ou tel groupe de destinataires). Et c'est vrai qu'il le fait (adresser) d'une manière très exacte, avec le plus grand tact, un tact d'exactitude déjà (tu vas parler plus loin de la politesse de Mallarmé). Quelquefois il prend un prétexte précis, lequel n'est pas forcément explicite, et d’autant plus complice en est alors la relation avec le destinataire (l’allusion, la suggestion, dans l’appareil de la politesse, rappellent ou instaurent une complicité).

 

Mais, au-delà, il s'adresse à tout le monde, s'écartant du parti-pris « élitiste » de son premier article*. Mallarmé est peut-être un anarchiste bourgeois, mais pas un anarchiste de droite. Il aime la foule, qu'elle ait un mouvement d'ensemble, collectif. Il aime les lieux publics, les théâtres, les salles de concert... Non comme lieux où se retrouve une bourgeoisie (et une increvable aristocratie), mais comme lieux pour l'unanimité des hommes – unanimité fraternelle et libre. Ainsi affectionne-t-il la fête foraine aussi bien.

 

Il y aurait beaucoup à dire sur ce chapitre : l'encanaillement poli et distant du poète ; comment il se met en scène dans ces situations, son ironie (polie, toujours polie), son goût du burlesque (poli, toujours poli), Moments où il touche sa moustache comme si elle était postiche, ou caresse d'un air entendu sa barbiche...

 

La « séduction » de Mallarmé , comme homme (et personnage) n'est qu'une forme de sa politesse. La séduction de sa poésie... c'est autre chose.

 

Ne pas oublier les nombreux poèmes qui ne s'adressent à personne, même pas à tous. Le sonnet en -x, celui du cygne... et bien d'autres parmi les plus importants.

 

Dans ces poèmes, Mallarmé est bien loin de s'adresser à tous (si ce n'est « lointainement », justement ! dans une postérité très reculée). L'adresse en est d'un tout autre ordre. Je dirai qu'ils sont adressés au vide, au néant. Sonnet en -x : il y a ce miroir, que tu évoques, mais le poète ne s'y reflète pas. S'y reflète, par hasard (et bien sûr nécessairement), telle constellation, tel arrangement d'étoile. Et on ne le sait d'ailleurs qu'au terme du poème, une fois tout le décor en creux disposé.

 

Ce poème est extraordinaire, où l'auteur laisse le vide à lui-même (ce « même » impliquant sans doute le miroir !). Lui n'est pas là. On a l'impression que comme auteur même, il a mystérieusement disparu. Seuls les « objets » ont une présence, ou une absence présente, une présence par l'absence, comme le ptyx (dont on sait qu'il n'existe pas). Le Maître manque, qui est allé « puiser des pleurs au Styx » .

 

Je ne vais pas commenter ici ce poème – abyssal, abyssal vers le haut, mais la glose en est de toute façon infinie, inachevable.

 

Je dirai seulement qu'à mon sens le poème n'est pas adressé au miroir. Le miroir n'est ici qu'un intermédiaire, un moyen, permettant de voir ce qu'on ne verrait pas d'où l'on est, Ce poème est adressé au néant. Peut-être à la chance du néant, au hasard.

 

Dans cette adresse est inclus d'une manière ou d'une autre le hasard, « pli de lumière (écris-tu) du miroir ».

 

Je ne crois pas à l'idée d'un « suicide narcissique » de Mallarmé, même dans son œuvre. L'idée du suicide est caduque depuis Igitur (qui l'a épuisée), Il n'y a pas non plus de narcissisme dans cette affaire : Mallarmé est un des poètes français les moins narcissiques, parce qu'il a effacé même son reflet.

 

Par politesse aussi, Mallarmé s'est effacé. Retiré même de son reflet. Mais je ne crois pas que ce soit par un suicide. – Je ne pense pas que Mallarmé puisse jamais parler sérieusement de suicide : « Victorieusement fui le suicide beau... ». Non.

 

Là où il se tient, « narcissisme » ne veut rien dire, et le suicide n'est plus de mise. Revenu du néant, Mallarmé s'adresse à lui, seul ; même s'il remue encore toute une unanimité humaine à venir, par la séduction de sa poésie, vers le point de cette adresse.

 

 

 

* Que je ne retrouve pas dans le Pléiade, je ne peux t’en donner le titre !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Foule de Mallarmé 

 

 

 

 

Salut Ivar, 

 

 

 

 

D’abord merci à toi pour ta réponse aux Notes à propos de Mallarmé. Tu y évoquais par exemple la relation de Mallarmé avec la foule. J’ai retrouvé à ce propos cet extrait de L’Univers Imaginaire de Mallarmé de Jean-Pierre Richard. 

 

 

« D’abord séparé de la foule par un désir de raffinement intime, et par la volonté de sauver d’elle le « sacré » et le « mystère » de tout art, voici donc que Mallarmé, sous l’influence sans doute de Wagner, réinstalle maintenant dans cette même foule des signes du mystère et de l’idéalité. « En la foule ou amplification majestueuse de chacun git abscons le rêve. » (Crayonné au Théâtre) » 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                     Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

Abscons

 

 

 

 

 

Merci, mon cher Boris, pour cette citation magnifique de Mallarmé : "En la foule ou amplification majestueuse de chacun gît abscons le rêve" ! C'est ce que je comprends dans l'expression "poésie populaire". Mais je ne pouvais pas le dire comme ça !

 

   A bientôt,

 

Ivar