Bonjour Eric,
Je t’envoie 2 esquisses d’essais à propos de Michaux.
A Bientôt Boris
Bonjour Eric,
J’ai toujours en attente pour toi une suite de méditations en désordre semblables à celles que je t’avais déjà envoyées. De mémoire, cela évoque entre autres : l’aspect pronominal des anges, le passé futur de la photographie, les proverbes schizophrènes, une liste d’animaux fantastiques, un catalogue des écrivains français vivants surnommés à la manière de Lautréamont, l’obsession du quoi chez Perros, la mitose de la pensée chez Michaux, une lecture de Dino Egger filtrée par deux livres de J.C Carrière, une relecture absurde (à bicyclette sur les mains) de l’œuvre d’Arno Schmidt, les tabous de l’enfance, une promenade réflexive avec le peintre Gerhard Richter, et le squelette toujours, toujours en attente ici-là enseveli et sidéral.
J’ai intitulé mentalement cela « Album de lectures pour l’ami lointain ». Auras-tu le temps cette année d’y répondre parfois ou est-ce que la masse de ton travail t’en empêchera ? Je serais heureux d’entendre de nouveau ta voix.
Je t’envoie aussi quelques extraits de lectures qui pourraient t’intéresser.
« Dire de deux choses qu’elles sont identiques est un non-sens, et dire d’une seule chose qu’elle est identique à elle-même, c’est ne rien dire du tout. » Wittgenstein
« Nous ne savons pas quoi faire d’une propriété qui consiste à être identique. De quoi pourrions-nous prédiquer la propriété d’identité ? De deux objets ? Mais c’est exclu par la dualité même de ces objets. D’un seul objet ? Mais appliquer le concept d’identité à un seul objet n’en dit rien, même si nous avons peut-être l’impression, en lui attribuant cette propriété, d’en dire quelque chose de capital. Par exemple, de lui donner de quoi être lui-même, de quoi éviter de se confondre avec quelque autre objet que ce soit, comme si « être identique » pouvait se comprendre comme une vertu de solidité ou de fermeté garantissant à l’objet sa pérennité face aux vicissitudes de l’existence. » V. Descombes
Et pourtant dans l’émission de télévision La Parenthèse Enchantée, la comédienne Frédérique Bel cite cette phrase de Confucius qui serait une manière élégante de résoudre la difficulté. « Nous avons deux vies et la deuxième commence quand nous nous apercevons que nous n’en avons qu’une seule. »
« Les pages du livre où nous sommes écrits
nul ne les tourne,
elles se lisent entre elles.
Et l’autre livre
celui que nous écrivons avec une plume sèche,
se termine au titre, s’endort où il commence.
Vaguement vis-à-vis
les deux livres s’effacent sans que rien ne s’éveille.
Où sommes-nous éveillés ? » R. Juarroz
A Bientôt Boris
Cher Boris,
Honte sur moi, je croyais t'avoir répondu à propos de tes pages sagaces sur Michaux. Je ne sais trop où j'ai la tête ; souvent dans de mauvais livres, hélas, puisque je suis maintenant chroniqueur pour le Monde des Livres. Ce qui effectivement s'ajoute à mes autres travaux, à la vie de famille, et absorbe les heures que je préférerais passer avec toi, notamment, pour converser de ce qui vraiment nous occupe. Je ne peux m'y engager pour le moment, mais je serai toujours heureux de lire, entre deux averses d'encre acide (ou plutôt saumâtre), les pages que tu voudras envoyer à l'ami lointain (par exemple, pour commencer, en livraisons séparées car je suis comme les autres, hélas, la profusion de ta pensée quelquefois me submerge : les proverbes schizophrènes, la liste d’animaux fantastiques, le catalogue des écrivains français vivants surnommés à la manière de Lautréamont).
J'avais appris par mon frère que tu envisageais de donner un micro-livre à Laurent Albarracin. L'information m'a paru douteuse, connaissant ton principe du tout ou rien, mais qu'en est-il ?
A toi,
Eric
(j'ai été très affecté cet été par la mort de mon ami Gaétan Soucy, l'as-tu lu ?)