Bonjour Eric,
Je t’envoie quelques extraits en désordre de Tu Sauf.
Antenne parabolique
Cher Boris,
Merci pour ces pages infinies. J'ai reçu ce matin les "Paraboles" qui me semblent révéler une facette encore de ton génie inextinguiblement profus ! C'est plus que nos cerveaux humains n'en peuvent admettre, on dirait que le sens circule dans tes phrases comme passe un frisson, le segment lu redevient froid, le segment à venir est une énigme. Pour te lire bien, l'oeil doit accommoder et surtout il importe de trouver la vitesse qui convient. Parfois il me semble que j'y parviens. Pas toujours. Merci en tout cas pour ta confiance. A défaut d'éditeur, n'as-tu jamais eu envie de publier ton oeuvre sur la Toile (presque assez vaste peut-être pour contenir toutes tes pages) ? Ce pourrait être l'aérolithe littéraire qui fait encore défaut à celle-ci (puis cela t'ouvrirait peut-être des opportunités pour la publication, papier ou numérique). Penses-y. Si tu le fais, j'embouche ma trompette et je relaye !
A toi,
Eric
Bonjour Eric,
Merci de ta réponse, elle m’a apaisé. Je suis extrêmement heureux que les extraits de Tu Sauf t’aient séduit. Comme dirait Dubuffet, cela provoque à l’intérieur de mon âme Grand Contentement. Merci aussi de l’aide de trompettiste que tu me proposes. Tu désires ainsi devenir mon Armstrong. Je dois cependant te confier que je n’ai jamais bien compris qui était exactement l’homme appelé par ce nom. Etait-il le plus grand trompettiste de la terre ou le premier homme à avoir marché sur la lune ? Le premier homme à avoir marché sur la terre ou le plus grand trompettiste de la lune ? Etait-il celui qui a marché sur la lune en soufflant dans une trompette ou plutôt celui qui a soufflé sur la lune en marchant sur cette même trompette ? Cela pour te dire mon hésitation. Ne vois pas dans cette réticence une sorte de fumisterie outrecuidante à la Blanchot. J’ai simplement le sentiment qu’il serait contradictoire et incohérent de diffuser mes textes sur internet. Il y a en effet dans ce que j’écris quelquechose qui essaie de s’extraire absolument du système de hantise électrique et d’information universelle de notre époque. Publier sur internet ce serait donc décider d’être identique à un supplicié qui applaudit son tortionnaire pour lui signaler qu’il apprécie le spectacle de son propre supplice, à une sorte de Artaud idiot qui aurait demandé d’augmenter les doses de ses électrochocs au docteur Ferdière.
Lors de la préparation de Poteaux d’Angle, Michaux avait eu cette phrase pour refuser le papier trop mou que lui conseillait son éditeur « On ne peut pas donner un coup de fouet dans du miel. » La toile d’internet est plus mielleuse encore. Les phrases que j’écris ne fouettent pas, malgré tout ces phrases sculptent. C’est pourquoi j’ai besoin du lieu gelé du papier pour accomplir ce geste. De plus, celui qui serait assez arrogant pour se croire capable du prodige de fouetter le miel risquerait finalement de s’y retrouver piégé à la façon d’une mouche ridicule. Et puis je l’admets, j’avais rêvé d’autres langes que des toiles d’araignées, d’autres anges gardiens que des diablotins électroniques pour la parution de mes premiers livres.
N’oublie pas aussi que nos rhétoriques présupposent des types de paranoïas différentes. Ta rhétorique est celle de la contre-attaque rusée. Ma rhétorique celle de la violence candide. Lorsque tu t’adresses à un lecteur sur internet, tu combats un ennemi virtuel en terrain neutre. Si je procédais de même, je m’adresserais à l’inverse à quelqu’un dont je ne saurais jamais s’il est un ami en territoire virtuellement ennemi.
Enfin pour le dire schématiquement, j’ai une confiance intégrale en l’espace du papier et une méfiance profonde envers l’ubiquité de l’électricité. C’est pourquoi si un jour je décide de diffuser mes textes sur internet, c’est que ma patience sera définitivement épuisée.
(…)
A Bientôt Boris