Bonjour Eric,
Je t’envoie des extraits de livres à la lecture desquels j’ai parfois pensé à toi.
Extraits de Les Lignes et les Jours de P. Sloterdijk
« Des paléontologues de l’University of Pennsylvania ont émis l’hypothèse selon laquelle le devenir-humain a pu être libéré voici 2,4 millions d’années par un affaiblissement, dû à une mutation, du développement des muscles maxillaires. La prémisse essentielle pour l’agrandissement du volume cérébral, typique de l’humain, a été le fait que, désormais, le muscles maxillaires - qui atteignent, chez le gorille, la force d’un biceps - s’atrophiaient et cessaient du même coup de presser prématurément les os du crâne dans leur position finale. L’assouplissement de la mâchoire inférieure est la condition anatomique de l’hominisation. A partir de ce point-là, grâce à l’espace gagné pour le néocortex et le jeu du larynx, l’animal préhumain est en route vers le langage. »
« La tradition n’est pas la conservation de la cendre, mais la transmission du feu. » G. Mahler
« Attribué à Rivarol. « L’égalité c’est merveilleux, mais pourquoi le dire au peuple ? »
« Une expression chinoise pour désigner les jeunes filles : « de l’eau renversée ». »
Extraits de Economie Eskimo (le Rêve de Zappa) de Pacôme Thiellement, chapitre intitulé Parenthèse de la Petite Fille.
« C’est l’enfant qui est le secret de la terre parce qu’il est aussi inachevé qu’elle, et aussi peu pressé. (…) Parce qu’ils acceptent la nature tournante de la Terre, les enfants sont sensibles aux fées qui sont les vecteurs de transformation immanente de la Terre et les dispensatrices de l’amour.
« C’est la paramorphose, la possibilité d’être plusieurs corps à la fois, la batterie d’identité disponibles à chaque instant. Et la paramorphose est aussi naturelle aux enfants qu’elle est inaccessible aux adultes. »
« Il y a deux manières d’être enfant : être un petit garçon ou être une petite fille. La petite fille et le petit garçon - en tant qu’ils sont des éléments pour une pensée- n’habitent pas le même monde, ne produisent pas le même corps et le même rapport au corps et n’impliquent pas même une analogue paramorphose. Il y a deux manières d’être enfant : ne pas être compris par les adultes, ou ne pas comprendre les adultes. Ces deux manières sont strictement incompatibles. Vouloir faire l’incompris, c’est le truc du petit garçon. (…) La petite fille, son truc, ce n’est pas de ne pas être comprise, mais c’est de ne pas comprendre ce qu’elle voit. La petite fille n’a pas de savoir préalable, pas de savoir de réserve. Elle fait usage de l’amnésie comme du filtre pour penser.
Que voit la petite fille ? Alice, par exemple, ne s’étonne pas de voir un lapin blanc courir ou parler. Elle s’étonne de le voir regarder sa montre, cet acte de pire servitude.
Tout homme est une petite fille quand il rêve, innocent et cruel, tenant le cercle des heures comme un bouquet de fleurs échoué entre ses mains. Les journées s’écoulent avec langueur, le moindre événement est susceptible de prendre des dimensions monumentales. »
L’art est là pour poser cette question : Que voit la petite fille ? »
Extraits de La Main et le Couteau de Serge Pey
Nous avons vu l’escalier qui conduisait
à l’escalier
et la fenêtre qui ouvrait la fenêtre
et la cave qui se remplissait de fleurs
jusqu’à la fumée de la cheminée
L’escalier
qui nous aide à marcher se déguise
en arme d’enfant
pour se rappeler le loyer éternel qu’il doit au rêve
La dernière marche
nous retourne
agrandit l’escalier que nous venons de monter
réveille toute la maison
puis aide notre ombre à se glisser jusqu’à nous
Dans notre dos
l’ombre s’empare de nos épaules
enveloppe nos pieds et notre tête
en devenant nous-mêmes un instant
Devant nous
elle se détache
en voulant rattraper
quelqu’un qui nous ressemble
puis se retourne et nous tire par les cheveux
jusqu’au mur où elle se perd
Une seule fois nous la saisissons
comme un levier pour nous soulever
vers quelque chose que nous reconnaissons
Mais une seule fois
sans nous avertir
alors que nous sommes déjà devenus une photo
transparente sur le mur
Extraits de L’Ordinaire, la Métaphysique d’Alain Roussel
« La table est toujours au centre. Même dans un coin, elle est au centre. (…) La table, en occupant le centre, me condamne à l’errance. »
« La seule justification de la tête est d’être le grenier du corps et la cave du ciel, instinct et lumière : un lieu pour la mémoire oubliée du monde dont je garde fidèlement les archives. »
« Dans le sommeil, c’est le corps tout entier, étendu dans le lit, qui devient pied, mais un pied immobile, tandis que le pied lui-même soudain délaissé, se dresse en oreille attentive pour écouter dans le rêve la marche énigmatique du dormeur. »
A Bientôt Boris