Bonjour Eric,

 

 

Je t’envoie cet extrait de texte à propos de Jean Dubuffet.

 

 

 

 

 

                                                                                                                  A Bientôt          Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Merci, Boris, (…).

Je n'ai pour l'instant que traversé ton texte sur Dubuffet. Se pose pour certaines de tes éruptions poétiques – à la fois tous les types connus, effusives, explosives, péléennes, etc., cendres, laves, fumées et projections – la question de la lisibilité. Je ne parle pas du sens, dont nous savons qu'il n'est pas chez toi de l'ordre de l'argumentatif, du dialectique ou de n'importe quel type de raisonnement (effusif, péléen, explosif, etc.), mais plus simplement de notre capacité visuelle à embrasser un tel flux. Incapacité plutôt, car il faudrait te lire par le menu quand c'est une impression de déferlement qui prédomine. Souvent, j'opte par prélèvement, par arrachage, plutôt. Comme j'y reviens, je ne prends pas toujours les mêmes morceaux. Mais ce n'est pas satisfaisant, je sais. Comment faire ? cela te préoccupe-t-il ? Il faut savoir te lire sans se gaver le crâne, sans le combler – tes mots dedans comme un ciment qui paralyse le cerveau – mais quelle vitesse est la bonne  ? Je ne la trouve pas toujours. Certaines fois je dois renoncer, je me couche et je laisse le galop me passer sur le corps. Il faut pour te lire une disponibilité idéale, faire le vide pour accueillir la trombe Wolowiec, tu comprends que ce n'est pas toujours possible...

A toi,

Eric

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Eric,

 

 

J’ai aujourd’hui le sentiment d’écrire à la manière d’un peintre. Le problème alors pour le lecteur c’est de parvenir à lire le texte comme s’il contemplait un tableau c’est-à-dire de parvenir à sentir à la fois la composition globale du texte et les gestes projectiles de chaque phrase et même les touches de couleur de chaque mot. Je l’ai déjà dit à Florence Trocmé, j’essaie ainsi de transposer le style de Pollock à l’intérieur de l’écriture. J’essaie d’inventer une forme de dripping (ou de all-over) aphoristique.

 

Contempler le texte disais-je, le problème reste de savoir à quoi ressemble la vitesse de la contemplation. Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Je sais cependant que pour affirmer ainsi la contemplation il apparait en effet nécessaire d’accueillir le vide. (François Matton selon sa méthode zen parle de cela très bien.)

 

Et puis ce qui est beau avec la peinture, c’est sa présence immédiate, c’est la présence immédiate des œuvres qui surgissent de manière instantanée. C’est pourquoi la contemplation d’un tableau a un rythme si étrange. Cette contemplation apparait en effet à la fois extrêmement vive et extrêmement lente. Je veux dire que face à un tableau nous voyons d’abord intégralement très vite (au premier regard) ce que nous aurons alors ensuite le loisir de regarder très lentement. A l’inverse la malédiction du livre c’est précisément de ne jamais apparaitre comme présence immédiate. (Avec le livre ce qui apparait comme présence immédiate c’est seulement le bloc de papier saturé d’inscriptions, malgré tout c’est déjà ça.) Ainsi ce que je cherche avec ma technique de la phrase déferlante, ce serait une manière de proposer une forme d’équivalent verbal aberrant à la présence immédiate de la peinture. 

 

Une indication enfin qui t’aidera peut-être pour le texte à propos de Dubuffet. Il me semble que j’y développe aussi (dans la première partie principalement) des procédés rhétoriques assez proches de ceux que tu as utilisés dans Iguanes et Moines. Disons le barattage tintinnabulant du baratin. Le texte est cependant sans doute un peu difficile parce que j’évoque de manière indistincte et presque aléatoire des époques différentes de l’œuvre de Dubuffet : les graffitis sablonneux du début, les panoramas urbains proliférants, la période somptueuse de l’Hourloupe et même les mires subtiles de la vieillesse. 

 

Post-scriptum. Je t’envoie une suite de notes à propos des sensations du cerveau je ne sais quand.

 

 

 

 

 

                                                                                                                  A Bientôt          Boris