Bonjour Eric,

 

 

 

Je viens de relire le petit essai de Proust à propos de Flaubert (Sur le Style de Flaubert).

 

J’avais oublié la plupart des aspects du texte si ce n’est une formule de la première page restée célèbre. « Un homme qui par l’usage entièrement nouveau et personnel qu’il a fait du passé défini, du passé indéfini, du participe présent, de certains pronoms et de certaines prépositions, a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant, avec ses Catégories (…). » 

 

 

Pour le reste du texte, j’ai parfois été profondément déçu. Par exemple « Ce qui étonne seulement chez un tel maitre, c’est la médiocrité de sa correspondance. » (A ce propos j’ai de plus en plus l’impression que la correspondance de Flaubert serait le cœur d’un enjeu littéraire gigantesque.) Ou encore « Il n’y a peut-être pas dans tout Flaubert une seule belle métaphore. Bien plus, ses images sont généralement si faibles qu’elles ne s’élèvent guère au-dessus de celles que pourraient trouver ses personnages les plus insignifiants. » (J’ai toujours eu envers l’œuvre de Proust des réticences diverses, eh bien ces deux jugements incompréhensibles ne font qu’accentuer sans aucun doute ces réticences.) 

 

 

Il y a évidemment aussi de belles remarques. Le « grand trottoir roulant que sont les pages de Flaubert. » Ou « A mon avis la chose la plus belle de L’éducation sentimentale, ce n’est pas une phrase mais un blanc. » J’ai souvent aussi été surpris du manque de clarté parfois de la pensée de Proust. Sa façon de faire subrepticement glisser les concepts comme des foulards de neurones flous à travers les interstices de la ponctuation.

 

 

Proust achève son essai par une hypothèse extrêmement étrange, celle d’un monde où les hommes n’auraient plus honte de la mort, idée insérée parmi une phrase où Proust note à la fois que Nerval n’avait pas honte de sa folie et que les hommes n’ont pas honte de dormir. (La difficulté du style de Proust résulte d’ailleurs de ces innombrables insertions glissées ou glissements insérés.) « Sa folie est alors comme le prolongement de son œuvre ; il s’en évade bientôt pour recommencer à écrire. Et la folie, aboutissant de l’œuvre précédente, devient point de départ et matière même de l’œuvre qui suit. Le poète n’a pas plus honte de l’accès terminé que nous ne rougissons chaque jour d’avoir dormi, que peut-être un jour, nous ne serons confus d’avoir passé un instant par la mort. » Ne plus avoir honte de la mort ce serait ainsi pour Flaubert révéler la mort comme forme du et. « La conjonction « et » n’a nullement dans Flaubert l’objet que la grammaire lui assigne. Elle marque une pause dans une mesure rythmique et divise un tableau. » En ce qui concerne Proust, ne plus avoir honte de la mort ce serait plutôt changer la mort en virgule (ou en point-virgule). En effet dans les phrases de Proust les virgules et les points-virgules ressemblent à des sortes de morts passagères, des sortes de morts virtuelles.  

 

 

 

 

Post-scriptum.

 

 

Je trouve ton article du Monde des Livres à propos de Gherasim Luca très élégant. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                  A Bientôt          Boris