Bonjour Eric,

 

 

 

 

 

D’abord merci d’avoir écrit L’Auteur et Moi, livre aussi drôle que profond. Et parce que le propos reste un petit peu vague, je t’envoie quelques pages pour essayer d’intensifier ce remerciement.

 

 

 

 

 

Notes autour de L’Auteur et Moi.

 

 

 

 

 

Le besoin de manger apparait avec le besoin de dormir et le besoin d’habiter comme l’un des axes de l’existence de l’homme. Le besoin de manger apparait pour l’homme à la fois biologique et symbolique. L’homme a besoin de manger à la fois afin de survivre et afin de donner une forme à son existence.

 

 

 

Il y a une relation profonde entre le geste de manger et l’imagination. L’imagination mange. L’imagination mange le monde. L’imagination affirme une manière de manger le monde comme une manière d’apparaitre mangé par le monde. Nous imaginons comme nous mangeons. L’imagination métaphorise la faim comme elle mange la métaphore. L’imagination métaphorise l’extase de manger comme elle mange la métaphore d’exister. « Un fruit à lui seul est une promesse de monde, une invitation à être au monde. Quand l’imagination cosmique travaille sur cette image première, c’est le monde lui-même qui est un fruit gigantesque. »  G. Bachelard

 

 

 

Ce que nous mangeons symbolise quelquechose cependant il est difficile de savoir quoi. Ce que nous mangeons est-ce le symbole de la métamorphose, de ce qui chaque jour métamorphose la chair ou le signe de l’identité, le signe de ce qui maintient chaque jour le corps identique à lui-même ? Quand nous mangeons, que mangeons-nous, un corps, un signe, un symbole, le corps de Dieu, le signe de notre humanité ou le symbole de la solitude ?

 

 

 

L’Auteur et Moi serait une fable humoristique à propos de l’Eucharistie.

Le christianisme est la religion de la communion, du repas pris en commun. Ce que la religion chrétienne interdit c’est de manger seul et aussi de manger seul à seul. Dans la religion chrétienne, il est interdit de manger sa solitude et il est interdit de manger la solitude de l’autre. Le scandale du partage intime du fruit par Adam et Eve au paradis c’est précisément cela. La religion chrétienne c’est l’obligation de manger Dieu en commun pour ne pas manger son existence, pour ne pas manger la solitude de son existence et aussi pour ne pas partager le repas de sa solitude avec une autre solitude. La religion chrétienne c’est l’obligation de manger Dieu parmi la société des hommes pour ne pas manger sa solitude en dehors de Dieu et de l’humanité.

 

 

 

Le problème de la religion chrétienne n’est pas tant de de savoir ce que nous mangeons (pour elle peut-être gratin de chou-fleur ou truite aux amandes qu’importe), c’est surtout de savoir avec qui nous mangeons. Ce que la religion chrétienne interdit ce serait de manger le gratin de choux fleurs ou la truite aux amandes seul. Je ne sais lequel des deux plats est selon toi le plus chrétien et il est difficile de le deviner. Le gratin de chou-fleur est-il un étouffe-chrétien ou un étouffe athée ? Tu désignes parfois le chou-fleur du terme générique de crucifère, il y a à la fois du Christ et du Diable dans ce terme, le chou-fleur serait une sorte de Lucifer crucifié. Tu compares aussi cependant les amandes effilées qui agrémentent la truite à des hosties. Disons que la truite aux amandes serait pour toi quelquechose comme un repas de communion que la majorité des hommes dédaignerait, un repas de communion adressé seulement à quelques esthètes.

 

 

 

Avec qui manger la truite aux amandes ? Pourquoi ne pas essayer de manger la truite aux amandes avec la truite aux amandes elle-même. Manger sa solitude c’est précisément le geste de partager la nourriture avec la nourriture même. Manger sa solitude c’est manger la nourriture en compagnie de la nourriture, c’est partager le pain avec la nourriture que nous mangeons, c’est partager le pain du vide, le pain athée du vide avec la nourriture que nous mangeons (ou plutôt avec la nourriture que la chair mange en dehors de je et de nous).

 

 

 

Je me souviens que la seule fois où je t’ai vu manger seul, c’était un matin au petit déjeuner à Dijon, tu mangeais une pomme que tu pelais très consciencieusement, Adam approximativement réveillé et cependant méthodique dans le paradis sobre de sa cuisine.

 

 

 

« Moi, moi, moi répète le chou-fleur et jamais vous ne tirerez rien d’autre de lui : et c’est de cela seulement qu’il veut vous convaincre, c’est cela qu’il veut vous faire avaler, c’est cela qui doit nourrir son homme ! »

 

L’acte de manger son identité serait l’acte de crétinerie gratinée de la réflexivité infinie. Le gratin de chou-fleur est crêté de crétinerie, pour employer un adjectif qui fait les délices d’un de nos romanciers pour fast-food.

 

 

 

L’acte de se manger soi-même, de manger son identité pose le problème théologique de savoir si celui qui se mange ainsi lui-même est le Christ ou le Diable, ou encore s’il est un Christ diabolique. J’ai plutôt l’impression que l’acte de manger son identité, de manger son propre moi est celui d’un Dieu diabolique. La messe en tant qu’acte d’un Dieu qui se mange lui-même à travers la masse des hommes autrement dit en tant qu’acte d’une masse d’hommes qui se mange elle-même à travers Dieu serait diabolique. La communion universelle à travers laquelle l’humanité se mange en tant que Dieu serait diabolique. Le diable ce serait Dieu qui se mange en tant qu’homme et l’humanité qui se mange en tant que Dieu. C’est pourquoi j’ai le sentiment qu’il est préférable de manger sa solitude. Manger son identité serait l’acte  religieux par excellence. Manger sa solitude serait la forme même du geste athée.

 

 

 

Le philosophe M. Serres a remarqué que la nourriture chrétienne, la nourriture consacrée chrétienne était une nourriture fermentée (le pain, le vin), une nourriture qui emploie dialectiquement la décomposition même de la matière comme puissance de composition et d’élévation. En cela le gratin de chou-fleur serait bien une nourriture fondamentalement chrétienne, si ce n’est que pour toi le gratin de chou-fleur serait plutôt la platée raclée et renâclante de la haine, l’hostie de l’hostilité.

 

 

 

« Dieu de Dieu, ô mon Dieu ! Délivre-nous du gratin de chou-fleur quotidien. »

 

Ainsi ce que tu cherches c’est paradoxalement un Dieu qui délivre de l’Eucharistie, c’est-à-dire l’oubli d’un Dieu qui délivre du péché de l’Eucharistie, du péché de manger chaque jour Dieu en commun.

 

 

 

Le problème du choix entre le gratin de chou-fleur et la truite aux amandes que tu exposes avec virtuosité n’est pas qu’un pur alibi, un Mac Guffin rhétorique, ce problème révèle un enjeu profond. Le prétexte rhétorique de L’Auteur et Moi n’est pas si indifférent que cela, c’est un prétexte théologique, c’est pourquoi si indifférence il y a ce serait celle des proportions même du monde, (« Les cercles s’élargirent si bien autour du point de chute que le monde indifférent s’y trouva enclos. ») monde indifféremment rond comme un chou-fleur qui se dévore le cerveau, un serpent qui se mord la queue ou chou-fleur-serpent qui se mange je ne sais quoi.

 

 

 

 « Mais il y eut un jour, ce beau jour - Dieu comme les jours pourtant pourraient être beaux !- comme ils seraient beaux, tous, si une idée si simple enchantait chacun d’eux, si nous savions marier avec tant de réussite un poisson et un fruit-, ce jour donc où quelqu’un- mais qui ? et comment ? à la suite de quel hasard, de quelle intuition, de quel calcul ? conçut cela, effiler des amandes sur la truite couchée dans sa poêle…»

 

Cela ressemble à du Chesterton (Le Sel de la Vie). « Parmi les bienfaiteurs imaginaires de tous les temps, je crus voir une catégorie prédominante. Je veux dire les gens qui, dans l’obscur commencement des temps, lièrent une chose à une autre, de façon artificielle mais permanente. Ainsi, quel prêtre des premiers âges du monde maria le pain et le fromage ? Qui était le sauvage visionnaire (dans la suite des temps) qui, après  avoir mis à sac les forêts et dénombré tous les fruits de la terre, découvrit que les amandes et les raisins s’étaient cherchés depuis le commencement du monde ? »

 

 

 

Entre le gratin de chou-fleur et la truite aux amandes, entre l’acte de manger l’identité de l’humanité et le geste de manger la solitude de la chair,  il y aurait peut-être une troisième éventualité, celle de manger sa lézarde, (quelquechose comme un gratin aux amandes ou une truite aux choux fleurs). Selon Cassingena dans Etincelles, ce geste de manger sa lézarde, c’est le partage du pain. « La fracture du pain, la fracture tout court, s’est produite à des profondeurs dont nous n’avons pas idée, subrepticement, clandestinement, Pâques a tout rendu frangible et fragile. Depuis la fraction pascale, c’est cette bienheureuse lézarde qui rend accessible le mystère des êtres et des choses. » Manger sa lézarde ce serait manger l’oscillation du Christ, le scepticisme du Christ, la sagesse d’un Christ ni humain ni divin.

 

 

 

(Je joue ici à un jeu que tu évoques dans L’Autofictif. Lire deux livres en même temps afin d’examiner les précipités chimiques de pensée que cela provoque. « Parfois je commence deux lectures en même temps, je mets les deux livres en concurrence, je suis curieux de savoir lequel va mangerl’autre.» Ce livre partenaire de dévoration comme de poussière de L’Auteur et Moi s’intitule Etincelles de F. Cassingena.)

 

 

 

Cassingena a aussi cette remarque étonnante, proche de Pessoa. « Que vient faire Jésus-Christ en ce monde ? Peut-être rien d’autre que partager notre habituel ennui, et par là le consacrer, de telle sorte que nous finissions par nous faire à cet ennui et que nous l’aimions. Jésus dans l’ennui, dès sa naissance, de par sa naissance même, puisqu’aussi bien l’ennui est la condition même de l’homme, mais un ennui si ténu … qu’il n’en faut dire aucun mal. » Le gratin aux amandes ou la truite aux choux fleurs ne seraient ni le gratin de chou-fleur de l’angoisse ni la truite aux amandes de l’extase, ils seraient les indices d’une dévoration partagé de l’ennui.     « Cet ennui que nous sécrétons faute d’imagination. » Nous aurions ainsi besoin du Christ, besoin de manger le Christ quand nous n’avons pas la force d’imaginer. Le Christ serait ce qui nous reste à manger quand nous n’avons pas l’audace d’imaginer ce que nous mangeons.

 

 

 

« L’hostie, fantôme ironique du pain quotidien revenu des limbes. »  

 

Soit, (l’hostie soit), cependant l’hostie serait peut-être aussi un ange humoristique, l’ange humoristique d’un pain anachronique, l’ange humoristique de la venue anachronique du pain de chaque jour.

Problème. Dieu est-il ironie ou humour ? J’ai plutôt tendance à concevoir Dieu en tant qu’ironiste et à imaginer le Christ comme un humoriste. (Selon Chesterton, il y a un rire secret du Christ « Je le dis avec respect : il y avait en cette personnalité incomparable un rien de timidité, appelons-la ainsi. Il y a quelque chose qu’il a caché quand il est monté sur la montagne pour prier. Il y a quelque chose qu’il couvrit toujours d’un silence abrupt ou d’un isolement impétueux. Il y avait une chose trop grande pour que Dieu pût nous la montrer quand il marchait sur notre terre, j’ai parfois imaginé que c’était son rire. » Et c’est précisément parce que j’ai le sentiment qu’il y a un humour du Christ que je suis à la fois admirateur du Christ et athée.

 

 

 

Si l’humour est de devenir invisible, de disparaitre aux yeux des hommes, le Christ semble d’abord un humoriste pitoyable, un humoriste raté. Malgré tout, le Christ peut aussi être considéré comme un humoriste prodigieux, un homme qui aurait paradoxalement tenté de devenir invisible aux yeux de tous, un homme universellement invisible. Le Christ reste encore maintenant profondément méconnu, incompréhensible, absurde, inintelligible. Il y a ceux qui pensent que cette méconnaissance résulte de la niaiserie du clergé et ceux qui pensent plutôt que l’inintelligibilité du Christ est l’œuvre du Christ même, la forme aussi de son efficacité.

 

 

 

La farine et l’argent de la farine, c’est l’hostie. « Que dirait-on d’un boulanger ironique qui en échange de notre piécette, en guise de la baguette promise nous roulerait dans la farine ? » Et de même que dirions-nous d’un Christ ironique qui roulerait dans la farine cette piécette elle-même, la piécette de notre prétendue dette infinie et nous inviterait ensuite à la manger comme si ingérer cette escroquerie était la garantie d’un corps ressuscité ? Si le Christ était un ironiste, il serait identique au diable. Cependant l’escroquerie qui nous propose de consommer le corps du Christ en tant que corps ressuscité est celle de Dieu non celle du Christ, celle d’un Dieu diabolique (Dieu diabolique dont Paul est le plus fervent apôtre).

Le Christ est un humoriste simplement parce qu’il reste humble. Le Christ ne croit pas à la toute-puissance de la pensée, celle qui pour le diable change les pierres en pains, celle qui pour Dieu change la chair mortelle en hostie de la résurrection éternelle. Le Christ affirme seulement l’incarnation de la parole, l’incarnation de la parole qu’il donne à chaque instant à disparaitre à la masse des hommes, l’incarnation de la parole qu’il donne à chaque instant à partager comme nourriture du vide, nourriture humoristique du vide, comme nourriture de sourire du vide, sourire de nourriture du vide. 

Le Christ n’est pas un Dieu. La ruse du diable ce serait justement de nous faire croire qu’il est un Dieu. Le Christ est plutôt simplement un homme qui invente le miracle d’incarner sa parole et qui nous propose de manger le rire immanent de ce miracle. En cela le Christ est un sage, un sage qui essaierait d’accomplir la coïncidence de l’humour et de l’amour, (semblable à celle que tu évoques à propos de Beckett), un sage qui donnerait à manger la rencontre de l’amour à l’intérieur de la solitude du rire comme la rencontre du rire à l’intérieur de la solitude de l’amour.

 

 

 

L’hostie est parfois comparée à l’amande, l’amande effilée «  hostie(s) diaphane(s) roussie(s) dans le beurre… » c’est-à-dire à un fruit-flèche et parfois comparée à une assiette « Mon assiette attendait la truite pour mériter le nom d’hostie. » L’hostie est ainsi à la fois ce qui contient la nourriture et la nourriture même. L’hostie est l’assiette et la nourriture dans l’assiette. L’hostie est l’assiette comestible. Pourtant l’assiette est aussi l’hostie de l’idiotie, l’hostie de l’athéisme idiot. L’assiette est l’hostie de l’immangeable.

 

 

 

Il y a chez toi une profonde ambivalence, une profonde complexité de l’auto dévoration.

L’auto dévoration est la marque d’un manque, elle révèle la faim en tant que frustration essentielle. « Mais le chou-fleur se mange lui-même comme les poupées russes se dévorent les unes les autres. Il te laisse avec ta faim et ton désir inassouvis. »

L’auto dévoration  est aussi la forme du rire. « Le rire prend la tête entre ses dents et ne fait qu’une bouchée de son visage. » la forme d’un devenir âme du rire, un devenir paradoxalement intègre. « Chaque jour il se mangerait entièrement et ainsi se régénérerait chaque jour tel qu’en lui-même… cette opération répétée quotidiennement finirait par produire un être extrêmement raffiné et pur. « (Les Absences du Capitaine Cook)

Le geste de l’auto dévoration apparait enfin comme un geste d’ascèse semblable à un devenir-femme « Tout entier m’involuter- m’envaginer ! Disparaitre par auto absorption. » Manger sa chair est la démence de subtilité, la démence d’ascèse subtile de devenir œuf, de devenir un œuf-femme, un œuf-femme invisible. Gober la tombe comme un œuf, gober la tombe comme un œuf-femme. Se gober comme une tombe afin de devenir un œuf-femme invisible tel serait le geste Dino Egger.

 

 

 

Le problème du christianisme. Qui mange qui ? Est-ce l’homme qui mange Dieu ou Dieu qui mange l’homme ? « Dieu, ogre insatiable qui dévore ses proies vivantes. » Est-ce un Dieu mort qui mange l’homme vivant, un Dieu vivant qui mange un homme mort, un homme mort qui mange un Dieu vivant, ou un homme vivant qui mange un Dieu mort ? Le problème du christianisme. Est-ce le père qui mange le fils ou le fils qui mange le père ? Est-ce un Dieu- père qui mange l’homme-fils ou l’homme-fils qui mange le Dieu-père ? Est-ce un Dieu-père mort qui mange l’homme-fils vivant, ou l’homme-fils vivant qui mange un Dieu-père mort ? Est-ce le Dieu-père vivant qui mange l’homme-fils mort, ou l’homme-fils mort qui mange le Dieu-père vivant ?

 

 

 

Nous nous mangeons nous-mêmes pour ne plus manger le père, pour ne plus manger la mère. Nous nous mangeons nous-mêmes pour manger ce qui reste entre le père et la mère, le reste essentiel entre le père et la mère, un reste essentiel qui ne serait ni masculin, ni féminin, ni humain, ni inhumain. Ce reste essentiel serait un secret indicible, un secret indicible à la fois aux autres et à soi-même. (« … même au langage il n’est pas question de communiquer son secret. » P. Quignard.) Ainsi le secret que nous préférons ne pas partager avec le langage, nous le mangeons.  

 

 

 

« Les langues naturelles qui dérivent des rêves qu’inventèrent les hallucinations affamées… »  P. Quignard

 

Le langage serait une hallucination de la faim. Le langage serait une vision fanatique et forcenée de la faim. « Ma langue natale était dans ma bouche comme morte, langue mort-née… » La langue serait l’hallucination de la faim mort-née, l’hallucination de faim d’un œuf mort-né, l’hallucination de faim d’un œuf tombal.

 

 

 

«  Jadis, nous mangeâmes sans faim. Puis nous naquîmes. Alors nous mangeâmes à partir de la faim et notre corps fut vide sans cesse et devint peu à peu à partir de ce vide, personnel (ou du moins personnalisable). » P. Quignard

 

 « Le chou-fleur… il y a même dans sa compacité grumeleuse des promesses semblables à celle de l’œuf. »

 

Le chou-fleur est peut-être pour toi l’emblème ambivalent d’une faim originelle, d’une faim antérieure aux hommes sinon au monde. Le chou-fleur serait l’œuf du temps, l’œuf de la faim du temps.

 

 

 

 

 

« Le temps est ce qui dévore tout, y compris lui-même. » P. Quignard

 

L’antériorité du temps serait provoquée par la faim. L’antériorité du temps serait la forme même de la faim. Cependant je n’ai pas le sentiment que cette faim soit spécifiquement humaine, elle serait plutôt une faim cosmique. L’antériorité du temps apparait plutôt provoquée par la faim du monde, par la faim de la matière du monde. L’antériorité du temps apparait provoquée par la faim de métamorphose de la matière, faim de métamorphose du monde qui apparait aussi comme la forme de son rire. L’antériorité du temps apparait provoquée par la faim de métamorphose de la matière comme affirmation d’un rire absolu. C’est comme si la matière du monde avait faim d’elle-même, comme si le cosmos avait à chaque instant faim de se transformer. Dévoration abyssale du cosmos par laquelle en effet le commencement coïncide avec la fin, le big-bang est semblable à l’apocalypse « car sait-on jamais ce qui commence et ce qui finit : Big-bang, est-ce que cela ne semble pas résonner comme la fin plutôt que le début de toute chose ? » La faim ce serait précisément le commencement de la fin comme la fin du commencement, la faim ce serait le commencement de la fin de la fin du commencement par lequel le paradis se mange le fruit, par lequel le paradis de la matière anticipe sur le serpent de l’esprit, va miraculeusement plus vite que le serpent de l’esprit et se mange le fruit.

 

 

 

La faim serait ce qui transforme le vide du temps en rire de l’antériorité du temps. La faim serait ce qui retourne, ce qui retrousse, ce qui révulse le vide du temps pour le transformer en rire de l’antériorité du temps.

 

 

 

« L’expérience humaine fondamentale : la peur d’être mangé. Les fauves regardent les hommes comme comestibles. Nous serions une espèce si ce n’est sublime en tout cas succulente. » P. Quignard

 

Il existe une joie de manger comme une terreur d’apparaitre mangé, une joie de manger le monde et une terreur d’apparaitre mangé par le monde. Et aussi plus honteusement une joie d’apparaitre mangé par le monde et une terreur de manger le monde. La chair surgit chaque jour à l’intérieur d’un monde qu’elle dévore et qui la dévore et ce jeu de dévorations entrelacées, ce jeu de dévorations qui s’étreignent invente la forme symbolique du temps. Le temps apparait comme forme symbolique d’une antériorité absolue, d’un rire d’antériorité absolu parce que nous mangeons le monde et que le monde nous mange.

 

 

 

« C’est cela être pris en tenaille… les deux mandibules de la mâchoire sont perpétuellement  présymboliques.»  « La désymbolisation tel est Dieu. » P. Quignard

 

Dieu se situe entre nos mâchoires. Dieu se situe entre les mâchoires des hommes. Dieu est la faim de néant qui change les mâchoires des hommes en tenailles de la renaissance, en tenailles suppliciantes de la résurrection.

 

« Et c’est en serrant les dents qu’il invite maintenant son lecteur à tourner les pages. »

Dieu est à l’inverse ce qui serre les dents sans jamais tourner les pages, ce qui serre les dents d’une faim infinie, d’une faim de néant infini pour ne pas tourner les pages. Dieu est celui qui serre les dents pour ne pas manger, pour ne pas tourner les pages de ce qu’il mange, pour ne pas manger ce que le monde écrit.

 

 

 

(Ta chronique du Monde des Livres sur Les Affinités Mystérieuses de P. Quignard était doucement cruelle. Je préfère le P. Quignard essayiste au P. Quignard romancier. Dans ses traités, il cuisine son emphase avec tact, c’est un bon traiteur. Dans ses romans il est souvent indigeste.) 

 

 

 

 

 

L’Auteur et Moi, livre de l’humilité souveraine. « Qui s’est abaissé devant une fourmi n’a plus à s’abaisser devant un lion.»  H. Michaux 

 

 

 

D’où vient un livre, de quel gratin d’impressions, de souvenirs et de pensées ? Dans les années 70, il y avait un sketch de Zouc avec une fourmi. Je ne me souviens que de ces quelques mots « Oh la petite fourmi, elle est mignonne la petite fourmi.» A la fin du sketch, Zouc  l’écrasait soudain et proclamait « Y’a plus de petite fourmi ! » (Une d’un coup). Ton livre est peut-être une réminiscence de ce sketch contredite par la formule de Michaux.

 

 

 

« Voici donc que ce livre aurait pu être aussi bien non plus intitulé L’Auteur et Moi mais plus exactement Ma fourmi. »

 

La fourmi ce serait ainsi le et entre l’auteur et le moi, entre la truite aux amandes de l’auteur et le gratin aux choux fleurs du moi. Ce qu’il y a, entre le gratin de chou-fleur et la truite aux amandes, c’est aussi le monde (« Il existe un monde entre le gratin de chou-fleur et la truite aux amandes, et ce monde est justement celui que l’homme a bâti en donnant le meilleur de lui-même pour le rendre habitable…la civilisation si vous voulez. ») Ce qu’il y a pour toi entre le gratin de choux fleur et la truite aux amandes ce serait à la fois la civilisation et le et,c’est-à-dire la civilisation du et.

 

 

 

L’histoire de Blaise et de la fourmi se déroule entre deux oreilles. La fourmi est d’abord extraite de l’oreille du soliloque (l’oreille scoliosée du soliloque) et à la fin à l’inverse, la fourmi (le discours de la fourmi) déguste l’oreille du personnage de Blaise. Il y a chez toi une vision de l’oreille parfois semblable à celle de D. Lynch. L’oreille est pour toi à la fois l’origine et la fin du récit. L’oreille est la boucle du récit, ce qui simultanément l’enroule et l’enferme. Le récit se développe par ouï-dire de l’oreille. Le récit veille sur ses deux oreilles. Le récit veille sur la boucle de ces deux oreilles et cette boucle est sa bouche. (Le prénom de ton personnage Blaise étymologiquement signifie Bègue. Ainsi ce qui fabule, ce qui provoque la fable dans L’Auteur et Moi c’est le bégaiement de l’oreille. La note de bas de page serait l’indice de ce bégaiement). Le personnage de Blaise n’est pas vraiment dépourvu de nom, il serait doté d’un prénom implicite. Hasardons Pascal, Blaise Pascal, autrement dit Blaise de Pâques (Pâques qui s’entend aussi dans la pâquerette que tu entends dans P4). Problème. Qu’y a-t-il entre Blaise et le Sans nom, entre Blaise et la Pâque implicite de son absence de nom ? Qu’y a-t-il entre Blaise et le Sans nom de l’Esprit Saint. Qu’y a-t-il entre le Blaise et le Sans nom de l’Esprit assassin, assassaint, le récit bégaie cela. L’Auteur et Moi serait une fable de La Fontaine qui aurait pour personnage principal un Blaise Pascal conçu comme une sorte d’explorateur chamane. (Salutations distinguées à Antoine Volodine.) La composition de L’Auteur et Moi me semble aussi superbe que celle des Absences du Capitaine Cook. De même que dans Les Absences du Capitaine Cook tu parvenais à porter à incandescence les procédés de digressions pseudo délirantes de La Nébuleuse du Crabe et d’Un Fantôme, de même dans L’Auteur et Moi tu parviens à porter à leur sommet les techniques de métanarration borgésienne et d’autobiographie sporadique par brisure mirobolante que tu avais déjà utilisées dans L’Œuvre Posthume de Thomas Pilaster et Du Hérisson.

 

 

 

La fourmi est extraite de l’oreille du soliloque, comme si elle était évoquée par un ange de l’annonciation. L’oreille angélique du soliloque annonce la fourmi de même que la fourmi annonce l’enfant. « Elle perle à la surface de toute chose et c’est alors que survient l’enfant. » La fourmi serait une sorte de Christ-enfant, ou encore un Christ-nourrisson.

 

 

 

Pour la fourmi, la lézarde est le chemin, la lézarde est le seul et unique chemin. « Qui parmi nous  se croit assez bien campé et d’une envergure telle que la fourmi ne trouvera pas en lui- même la faille ? Si son magnifique aplomb se lézarde entre ses orteils, elle passera par là. » Ainsi c’est par la lézarde de l’homme que la fourmi s’enfuit. La fourmi s’enfuit à l’intérieur du vide sur lequel l’homme se tient en équilibre. La fuite même de la fourmi devient le fil de funambule de l’homme. « Qui marche au pas derrière une fourmi ne sera plus jamais appelé vagabond. » Qui marche sur les mains bras dessus bras dessous avec une fourmi, seul le brin d’herbe sait comment l’appeler acrobate.

 

 

 

Fourmi et chou-fleur sont l’un et l’autre en relation avec la faille, avec la lézarde. Cependant leur attitude envers cette faille est différente et même antagoniste. Alors que le chou-fleur fait proliférer la faille à l’infini, « On ne se nourrit pas d’une platée si mal agglomérée sans se morceler soi-même. L’individu d’abord se fendille puis sa fêlure comme une onde se propage alentour. » La fourmi préfère elle une faille unique pour la transformer en ce que Deleuze appelait une ligne de fuite. La ligne de fuite de la fourmi serait celle à la fois austère et folâtre de l’irréflexion obtuse du non-retour.

 

 

 

« Il s’agissait de nous en remettre entièrement, aveuglement et sans discussion aux décisions de notre fourmi, de lui confier notre destin en somme… Ce parti-pris si improbable, inimaginable même, nous rendait à peu près invisible… »

 

Suivre le fil d’humilité de la fourmi c’est ainsi devenir imperceptible, indétectable par la police et la justice. Suivre le fil d’humilité de la fourmi c’est peut-être une manière d’en finir avec le jugement de Dieu pour reprendre la formule d’Artaud.

 

 

 

L’une des grandes lacunes de la religion chrétienne est la faiblesse de son imagination animale. Dans la pensée chrétienne les animaux ne sont que des emblèmes spirituels (agneau, serpent…), jamais des symboles incarnés avec intensité. C’est pourquoi il est toujours à la fois amusant et exaltant d’animaliser le Christ, afin de donner à sentir la grâce fabuleuse de sa bêtise, la splendeur étonnante de son obstination. La fourmi ce serait ainsi le Christ animal, le Christ de l’humble courage animal « La fourmi, voilà, existe à peine et pourtant ne redoute rien, devrait être écrasée par la seule idée de l’immensité du monde qui la surplombe et pourtant non. » 

 

 

 

« Qui ne se sentirait  rempli de joie d’avoir su conclure un accord même tacite, avec un tamanoir, … Rien ne m’émeut comme de gagner la confiance d’un animal. N’est-ce pas là le pur amour dégagé des spécieuses visées de l’espèce. » « Il me fallait un tamanoir, un tamanoir pour veiller sur les détails qui échappent à notre contrôle dans les moments d’ivresse…» 

 

Tu retrouves ainsi le sentiment profond du totémisme. L’homme a besoin d’un animal. L’homme a besoin d’un animal qui veille sur lui. L’homme a besoin d’une forme animale qui le protège. L’homme a besoin de confier sa vie, le sens de sa vie, le sens informe de sa vie à un animal, afin que cet animal donne une forme précise à l’aspect informe de sa vie.

 

 

 

L’Auteur et Moi s’amuse ainsi avec deux problèmes religieux prodigieux, le totémisme et l’Eucharistie. Ce qui apparait mystérieux dans ton livre, c’est que la relation entre ces deux problèmes reste intégralement elliptique, ce qui les relie c’est le détour même de la fable. Ce serait d’ailleurs depuis toujours la fable qui essaie de mettre en relation le totémisme et l’Eucharistie. Il faudrait peut-être relire les Fables de La Fontaine de cette façon.

 

 

 

Je me souviens qu’une fois dans ton appartement de la rue Bossuet, nous avions déjà parlé ensemble de cette hypothèse d’un Christ animal, nous nous étions alors demandé s’il apparaitrait afin de sauver les animaux de son espèce ou pour sauver les hommes (problème qui est aussi celui de Choir).

 

 

 

La fourmi comme Christ animal porte le fardeau de sa croix avec une extraordinaire aisance comme un simple grain de riz. « Elle allait toujours devant elle et plus étonnamment, il nous apparut bien vite que ce fardeau ne la ralentissait pas. » Si la fourmi porte ce fardeau avec une telle facilité, c’est que ce fardeau n’est qu’un leurre. Ce grain de riz serait plutôt la goutte de sperme glacé du Bouddha.

 

 

 

Il y a une ruse humoristique du Christ animal. Le Christ animal porte sa croix exactement comme la fourmi porte son grain de riz. Le Christ animal porte le faix de sa croix pour nous attirer dans le faisceau de son piège anthropophage.

 

 

 

Magnifique résolution narrative que celle des personnages finalement mangés par les fourmis. Trouvaille d’autant plus magnifique qu’elle est extrêmement simple. Cette fin révèle un problème théologique profond. Que préférer, manger le Christ, l’humanité du Christ ou apparaitre mangé par le Christ, par l’animalité du Christ ? Manger le Christ avec la masse des hommes ou apparaitre mangé par une masse de Christs, par une masse fourmillante de Christs ? Difficile de savoir si cette fin des personnages est grandiose ou dérisoire.

 

 

 

Quelques hypothèses contradictoires.

La mésaventure finale de tes personnages a un aspect un peu nietzschéen. Celui qui fuit la communauté chrétienne des hommes finit paradoxalement dévoré par une foule de Christs minuscules, une foule gullivérienne de Christs. L’Auteur et Moi ce serait la fin de Nietzsche racontée par Swift. Ou encore la fin de Nietzsche raconté par La Fontaine et le pari de Pascal raconté par Swift. Ou encore le pari de Pascal  qui aurait été vécu par un Nietzsche chamane raconté à la fois par La Fontaine et Swift.

 

 

 

La seule manière de ne pas manger le Christ et de ne pas apparaitre mangé par le Christ, par la masse des Christs animaux serait d’essayer de manger le gratin de chou-fleur seul et la truite aux amandes avec les autres, non pas avec la communauté indifférenciée des autres plutôt avec les autres que nous préférons, avec les autres qui nous plaisent. Ce serait disons une attitude spinoziste.

 

 

 

L’énigme de L’Auteur et Moi serait celle de la relation entre l’Eucharistie et la fourmi  imaginée comme Christ animal. Pour toi la seule Eucharistie apte à sauver l’homme n’est pas celle qui consiste à manger le Christ ; de quelque façon que nous mangions le Christ cela serait obligatoirement similaire à l’ingestion nauséabonde et grotesque d’un gratin de chou-fleur. La seule Eucharistie salvatrice serait à l’inverse d’apparaitre dévoré par la fourmi comme Christ animal et qui sait si ainsi dévorée la chair de l’homme n’aurait pas la saveur d’une truite aux amandes.

 

 

 

Cette fourmi Christ qui porte un grain de riz sur son dos comme un leurre de résurrection, comme une ruse d’hostie, c’est peut être aussi la forme excitante de Dieu, la forme du Carpe Dieu « Ma fourmi était la seconde dont je pouvais jouir… » La fourmi Christ rusée serait ainsi celle qui nous apprendrait à faire coïncider le pain quotidien avec le Carpe Diem, celle qui nous apprendrait à manger les hosties comme des bonbons, les bonbons de la frivolité , celle qui nous apprendrait à manger les hosties comme des grains de riz, comme des grains de rire « Le riz est une céréale mais une céréale n’est pas toujours du riz » avais-tu dis pendant un déjeuner à Dijon, et cela m’avait fait rire). La fourmi Christ nous apprendrait ainsi à manger les hosties comme les grains de rire de chaque jour, les grains de rire de chaque instant. Selon Chesterton, le Carpe Diem a un aspect néfaste « La religion Carpe Diem n’est pas celle de gens heureux, c’est celle de gens très malheureux. La grande joie ne cueille pas les boutons de rose pendant qu’elle le peut ; elle a les yeux fixés sur la rose immortelle… » Malgré tout, la fourmi Christ rusée nous apprendrait à manger la faim comme nous cueillons une rose, et aussi à cueillir la faim comme nous mangeons la rose (la rose à la fois instantanée et immémoriale que tu évoques dans L’Autofictif.)

 

 

 

La seule manière de devenir à jamais invisible ce serait peut-être d’apparaitre mangé par les fourmis, d’apparaitre mangé par la prolifération des Christs animaux, par la prolifération des fourmis comme fils sans Dieu, comme fils animaux athées, par la prolifération animale des fils athées, des fils de l‘humilité athée.

Il y a une extase de l’athéisme minuscule, de l’athéisme humble, qui n’est ni celle de la joie de la liberté, ni celle de la tristesse de l’abandon. L’athéisme n’est pas seulement comme le vin, il est parfois aussi comme l’eau, comme l’eau qui s’évanouit dans la nature. (Extase de l’humilité athée que tu évoques d’ailleurs « J’y goutais d’autres jouissances qui seront peut-être jugées honteuses et scandaleuses, voire abjectes, ignominieuses, c’est dire leur intensité qui me caressait le corps et l’âme ».) Apparaitre ainsi mangé par la prolifération animale de Christs athées, de Christs fils athées, je ne sais si c’est le Paradis, cependant je suis certain que ce n’est ni le purgatoire, ni l’enfer.

 

 

 

 

 

Depuis notre première rencontre, j’ai toujours pensé que tu avais tort de ne pas accorder d’attention à la dimension chrétienne de ton existence, que tu avais tort de ne pas lire ton christianisme afin de jouer ensuite avec. Face au mystère de l’Eucharistie, ton attitude était encore celle d’un premier communiant. «… il s’enfuit de la sacristie un jour où il se retrouva seul à servir la messe, pris de panique, avant de rejoindre ses parents dans l’église au premier rang… ». L’Auteur et Moi détruit cela avec une fabuleuse aisance, ce serait plutôt un livre écrit à la manière d’un dernier communiant.

 

 

 

Je n’ai pas une connaissance de l’œuvre de Bloy assez subtile pour pouvoir le dire (la conception de l’Eucharistie selon Bloy par exemple). Cependant l’exergue bloyen de L’Auteur et Moi n’est pas insignifiant, c’est aussi un livre sur la logique du diable, sur les procédés logiques et narratifs du diable, ce que tu annonces d’ailleurs explicitement « Pour conduire et endiabler ses récits, il compte sur les accélérations délirantes que favorise son goût du discours logique poussé jusqu’à ses ultimes conséquences et conclusions. » « Le diable est artiste, aucun doute là-dessus. » G.Perros. Je n’ai pas cette impression. Pour moi ni le diable, ni Dieu, ni le Christ ne sont aptes à inventer et à imaginer des formes, des formes de monde. Dieu et diable ont le pouvoir de signifier. Et le Christ sait comment esquiver, dédaigner, mépriser, oublier et même détruire les significations que Dieu et diable engendrent.

 

 

 

L’Auteur et Moi, la fable d’un La Fontaine qui aurait lu Léon Bloy. Morale de la fable : Qui s’est abaissé devant une fourmi n’a plus à s’abaisser devant un Léon, fût-il Bloy.

 

 

 

« Mon imagination est une source de colle. » L. Bloy

 

A savoir, l’imagination jaillit comme du sperme. Il y a en effet une manière d’imaginer le sperme comme forme extrême du pain. Source de colle semblable à la fois à la giclure de chou-fleur qui fait splatch et à la truite qui file comme une flèche à l’intérieur de l’eau. « La flèche qui file à travers les airs, sait-elle si elle doit finalement se ficher dans un cœur et dans une pomme ? S’en fiche justement, s’en fiche précisément…. » Et parce qu’elle s‘en fiche précisément sait comment transformer les cœurs en pommes et les pommes en cœurs.

 

 

 

 

 

« Je me suis trouvé dès ma naissance enrôlé de fait pour ne pas dire de force dans la communauté humaine. » 

 

Soit cependant cet enrôlement obligatoire dans la masse de l’humanité n’est pas une exception, c’est justement le cas de chaque homme. L’humanité n’est rien d’autre que la masse de ceux qui hésitent à appartenir à l’humanité, qui hésitent à se croire véritablement humains. C’est comme si la masse de l’humanité était composée de la masse d’hésitation et de honte d’être homme, de la masse d’hésitation honteuse d’être homme, la masse des quasi hommes isolés, isolés hésitants et honteux à la lisière de l’humanité même.

 

 

 

Chaque homme a l’impression de ne pas appartenir d’abord à l’humanité. Chaque homme a l’impression de devoir accepter l’humanité en tant que rôle, comme si l’homme était d’abord un personnage, en quête non seulement d’un auteur mais aussi de son rôle, et même comme si l’homme n’était qu’un acteur, un acteur à la recherche simultanément de son personnage, de l’auteur de son personnage et de la pièce qu’il doit jouer. Plutôt que de prétendre comme Shakespeare que « Le monde est un théâtre dont nous sommes les acteurs. », il serait peut-être préférable de dire que l’homme est un acteur sans théâtre, un acteur à la recherche même de son théâtre, à la recherche d’un théâtre où jouer son rôle. Ou encore, il n’y aurait pas pour l’homme d’autre théâtre que son propre cerveau, et l’homme y est doublement isolé, acteur isolé sur scène qui joue devant une salle vide et spectateur isolé dans la salle qui regarde une scène où il n’y a personne. Le cerveau de chaque homme serait le théâtre de poche de ses actes humains, de ses agissements humains, de ses passages à l’acte humain et il y éprouve une impression d’isolement.

 

 

 

« Dans nos solitudes respectives, il nous reste au moins la consolation de penser que nous ne sommes pas seuls à être seuls, et cette simple pensée pour tant de solitudes disséminées à travers le monde est déjà un commencement de communion. » F. Cassingena

 

La masse de l’humanité serait ainsi la masse de ceux qui communient dans leur isolement même, et peut être  même de ceux qui n’ont le pouvoir de communier que dans leur isolement.

 

 

 

« Il faut que l’homme s’écoute en son centre, l’intermédiaire est en lui, c’est ce no man’s land qui est proprement l‘homme. »  G. Perros

 

Ainsi ce qui invente l’homme, la figure humaine, la figurine humaine, c’est le vide même à l’intérieur de l’homme. Cependant je n’ai pas le sentiment que ce vide soit au centre. Ce vide qui évoque l’homme est plutôt excentrique, il est plutôt une excentricité, un axe excentrique semblable à l’éthique de son sourire, au sourire de son éthique, axe excentrique par lequel  l’homme à la fois se révèle et tourne sur lui-même, par lequel l’homme devient le satellite de son existence.

 

 

 

Ce no man’s land n’est pas le propre de l’homme, il est plutôt ce qui révèle l’impropriété de l’homme. Ce vide révèle que l’homme n’appartient à personne, que l’homme n’est la propriété de personne, pas même de l’homme. L’humain n’est pas au centre de l’homme. L’humain n’est pas un no man’s land au centre de l’homme. L’humain serait plutôt un no man’s land autour de l’homme. L’humain serait plutôt un no man’s land qui papillonne à chaque instant autour de l’homme, une ruche de vide, la ruche de l’absence ambiante. L’humain serait l’ambiance de l’homme, le bruit d’ambiance de l’homme. 

 

 

 

« Au monde il existe et il n’existera jamais qu’un seul homme. Il est tout entier en chacun de nous, donc il est nous-même. Chacun est l’autre et les autres… Sauf qu’un phénomène, dont je ne connais même pas le nom, semble diviser à l’infini cet homme unique, le fragmente apparemment dans l’accident et dans la forme, et rend étranger à nous-mêmes chacun des fragments. »  J. Genet 

 

Plutôt, il y au monde une seule espèce humaine, cette espèce humaine n’existe pas, elle est justement ce qui hante en tant qu’il y a, il y a de l’insomnie. Cet il y a de l’espèce humaine désire notre identité, elle désire nous identifier, cependant elle ne nous nomme pas, elle identifie sans nommer. Le vide entre le nom et le prénom parvient à transformer cet il y a de  l’espèce humaine en geste anthropomorphe, en geste anthropomorphe de l’existence. Par le vide entre son prénom et son nom chacun dispose d’une forme humaine étrange, c’est-à-dire étrangère à son espèce.

 

 

 

« L’anthropomorphose n’est pas achevée…L’homme doit être laissé comme non fini, c’est-à-dire comme appartenant à une espèce en cours de métamorphose infinie dans une nature qui est elle-même une métamorphose infinie. »  P. Quignard

 

Chaque homme serait une hypothèse, une hypothèse contingente de l’espèce humaine. Chaque homme ne serait pas un pur représentant de l’humanité, il serait plutôt ce qui cherche à se tenir en équilibre à la limite même de l’humanité. Chaque homme serait une hypothèse limitrophe de l’espèce humaine, une hypothèse de métamorphose (une hypothèse de mutation) de l’espèce humaine.

 

 

 

Dans le monde, l’homme semble à la fois de trop et quelconque, de trop en tant que quelconque, sorte d’emblème d’une banalité extravagante. L’homme fait tache dans le paysage et pourtant on ne le voit pas, l’homme est une tache transparente, une souillure diaphane. S’il y a une incongruité de l’homme, c’est d’emmener partout avec lui son cadre naturel, à la façon d’un caméléon qui s’observe dans un miroir. C’est comme si l’homme devait sans cesse se vêtir d’innombrables peaux animales, comme s’il devait sans cesse jouer le rôle d’un animal pour avoir une chance d’apparaitre au monde. L’homme est un Palafox qui s’ignore, un Palafox qui à la façon du bourgeois gentilhomme fait des animaux, joue des rôles animaux sans le savoir. L’homme serait l’arlequin conventionnel des attitudes animales. L’homme serait le suppôt de la métamorphose animale, alors que les animaux eux parviendraient à l’inverse à incarner une forme animale unique. Et c’est peut-être cela qui en l’homme déplait aux animaux, son inconsistance, son manque de maintien à l’intérieur d’une forme animale précise, cette sorte de frégolisme frileux par lequel il choisit de passer d’une forme animale a un autre sans jamais en aimer une seule. « L’incuriosité des animaux à notre endroit est une constante vexation. » Ce qui agacerait les animaux, ce serait notre infidélité envers les formes animales, cette façon  que l’homme a de consommer des virtualités animales spirituellement sans jamais avoir l’audace de les incarner, sans avoir jamais le courage de les posséder par l’intégralité de sa chair. Ce qui déplait aux animaux en l’homme c’est son manque de confiance formelle, son inaptitude à avoir une confiance absolue en une forme animale précise. « Nous allons muter, nous mutons : moutons… » Ce que l’homme cherche peut-être en passant ainsi d’une forme animale à une autre, ce serait paradoxalement d’éviter la mutation animale pour rester éternellement identique à lui-même. Ainsi il n’y aurait de mutation incarnée que pour les animaux. Les animaux incarneraient une mutation sans métamorphose. Les hommes représenteraient une pseudo-métamorphose sans mutation. Ils changeraient sans cesse spirituellement de formes animales pour mimer et fixer à jamais le sens flou de leur identité.

 

 

 

« Nous étions presque semblables et les deux termes de cette réalité me chagrinaient également…Ce presque qui nous rapproche catastrophiquement nous différencie aussi, mais à peine… cette divergence infime nous l’éprouvons comme une monstruosité, laquelle nous rend aussitôt autrui insupportable, comme si nous étions soudain nous- mêmes obligés de vivre à quelques centimètres de notre corps lézardé. »

 

Il y a une lézarde parmi les hommes. Il y une lézarde qui se situe à la fois entre les hommes et à l’intérieur de chaque corps, lézarde qui immisce bizarrement l’intervalle entre les corps humains à l’intérieur même de ces corps. Selon toi le corps de l’autre est ce qui lézarde mon propre corps. J’ai le sentiment que cela n’est exact que pour le corps sexué, le corps à l’instant de l’excitation sexuelle. Le corps sexué féminin lézarde le corps sexué masculin et de même à l’inverse le corps sexué masculin lézarde le corps sexué féminin. Par l’étreinte sexuelle nous entrelaçons nos lézardes, nous entrelaçons nos lézardes au sommet du mur de l’amour (l’amur comme disait Lacan).

Malgré tout, comme chair de sensations, la présence de l’autre ne lézarde pas le corps. Et cela précisément parce que la présence de l’autre apparait animale plutôt qu’humaine, animale avant d’être sexuelle, sensuellement animale avant d’être sexuellement humaine. « L’animal nous renvoie à une solitude où nous nous épanouissons et nous développons harmonieusement. » Selon toi, cette petite différence entre les hommes serait un indice de monstruosité. J’ai plutôt le sentiment de la monstruosité comme affirmation d’une particularité animale immense. La monstruosité ce serait l’affirmation d’une forme animale particulière qui n’appartiendrait à aucune espèce, d’une forme animale inventée par métamorphose symbolique chaque jour. La monstruosité c’est la force de métamorphose par laquelle la chair apparait comme celle d’un ours-escargot un jour et comme celle d’un éléphant-hirondelle le lendemain. Ce qui distingue l’homme et le monstre, c’est que le monstre incarne la métamorphose animale. Le monstre incarne chaque jour une métamorphose animale particulière, cette métamorphose a lieu, cette métamorphose a lieu entre terre et ciel. Le monstre c’est Dino Egger qui chaque matin mange Palafox au petit déjeuner.

 

 

 

(Il y a différentes formes de folie. Tu serais plutôt un fêlé (un lézardé), je serais plutôt un demeuré. Ta folie serait plutôt de type schizophrène « L’écrivain est sur plusieurs plans de réalité. » (au début de L’Auteur et moi tu utilises souvent l’adverbe sinon, la schizophrénie du sinon). Ma démence serait plutôt du type autiste. Lézardé, c’est pourquoi ce n’est pas un hasard  si le mur devant ta maison s’est effondré. Comme un lézard, tu ne demeures pas à l’intérieur de ta maison, tu préfères résider parmi les failles des murs de ta maison, c’est sur le seuil interstitiel de ta maison que tu somnoles ultra vigilant.)

 

 

 

« Eclusier, avec une préférence instinctive pour cette dernière profession. »

 

« L’homme est l’obstacle majeur à l’homme, mais comme l’écluse à la rivière. » G. Perros

 

 

 

 

 

 «Seule la mort se passe de mots - serait-elle la seule réalité ; et tout le reste une fiction dont nous serions à la fois les auteurs et les personnages. »

 

Et si c’était l’inverse, et si la mort n’était qu’un mot, si la mort n’était que langage, imposture du langage et que l’apparition silencieuse de l’existence était ce qui a chaque instant savait comment détruire avec une miraculeuse tranquillité la croyance en la vérité exclusive de la mort. Cette croyance en la vérité de la mort ne serait rien d’autre que le corollaire de la croyance idiote en l’identité de l’homme. La mort ne dit la vérité que pour celui qui croit en lui-même, que pour celui qui croit en la transcendance de sa propre identité. La mort ne dit la vérité que pour celui qui croit en la vie divine du moi. A l’inverse pour celui qui ne croit pas à la transcendance de son identité, la mort n’est pas la vérité, la mort est seulement un événement, l’événement de la destruction de la chair, l’événement de la décomposition de la chair. Quand la chair existe, elle compose, elle apparait comme une composition de formes. Quand la chair devient morte, elle apparait comme le hasard d’une décomposition. (Le Christ fils athée serait ainsi celui qui ne croit pas à la mort du père en tant que vérité).

 

 

 

« Comment avoir une attitude vis-à-vis de la mort ? Aucun sens. »  G.Perros

 

En effet, avoir une attitude envers la mort, c’est sacrifier l’insouciance de son temps. La mort n’est ni la vérité de la vie, ni ce qui donne une forme à l’existence. La mort n’a ni une valeur philosophique (vérité), ni une valeur esthétique (forme). La mort n’a ni une valeur philosophique de révélation, ni une valeur symbolique de figuration. La mort est simplement un évènement de la vie, l’évènement de la fin de la vie. La mort est un fait, un fait de la vie, un fait de la vie quotidienne. La mort est l’événement de la fin organique des jours. Celui qui est mort n’a plus le sentiment de la succession chronologique des jours. Et qui sait, il a peut-être alors le sentiment de la suite des jours comme saisons, comme saisons aléatoires de l’immortalité.

 

 

 

« Une figure géométrique demeure incertaine aussi longtemps que le dernier côté n’a point été tracé. Ainsi en est-il de même de la figure de notre vie avec cette particularité qu’ici ce n’est point nous qui traçons le dernier trait rejoignant les extrêmes, mais notre mort, la mort et la mort seule décide de la figure de notre vie. »  F. Cassingena

 

La mort décide peut-être de la figure géométrique de la vie, cependant elle ne décide pas de la forme de l’existence, et cela simplement parce que la forme de l’existence n‘est pas géométrique. La forme de l’existence apparait à la fois animale et symbolique c’est à dire monstrueuse.

 

 

 

« L’homme est le seul être au monde qui soit capable de rire de sa propre mort, d’en rire aux éclats comme d’en sourire très doucement, et ce simple fait présume déjà en faveur de son immortalité. » F. Cassingena

 

L’humour intense est de rire de la mort. L’humour intense est de rire uniquement de la mort. L’humour intense n’est pas de rire de la vie des hommes en se plaçant du point de vue de la mort, du point de vue de la vérité de la mort.  L’humour intense est de rire de la vérité de la mort. Ou plutôt l’humour intense est de rire à la fois de la vie et de la mort, de la fausseté de la vie et de la vérité de la mort, de la vérité de la vie et de la fausseté de la mort par le jeu d’affirmer la certitude de chute de l’existence.

 

 

 

« N’était la mort, la mort effective ou préméditée, notre mort ou celle des autres, nous demeurerions en une plaisanterie perpétuelle, et il ne nous viendrait jamais à l’idée sans doute de nous diriger vers une profondeur des choses et de nous-même. » F. Cassingena

 

Même si nous étions immortels, l’existence resterait une plaisanterie, une plaisanterie et une tragédie, la plaisanterie de la tragédie même. La mort fait le sérieux de la vie, cependant elle ne provoque pas la forme tragique de l’existence. Même si nous étions immortels, resterait le problème de savoir où effectuer des gestes particuliers, resterait la plaisanterie comme la tragédie d’avoir lieu, d’avoir lieu à la surface de la terre, de trouver lieu à la surface de la terre. Et c’est précisément parce que nous apparaissons immortels que se pose à chaque instant pour nous le problème d’avoir lieu, c’est à dire le problème de savoir comment composer l’espace avec nos sentiments et nos gestes comme celui de composer nos sentiments et nos gestes avec l’espace.

 

 

 

 

 

« Pimoe Fauvel »

 

Fauvel, il y a de la félinité ailée, de la lionne ailée dans ce nom. (R. Char a je ne sais plus où cette formule « les lions ailés de la moisson.»

 

 

 

« Personne ne s’appelle Pimoe, Pimoe » « Blaise, 42 ans » 

 

Ainsi l’amour serait la rencontre d’un homme sans nom et d’une femme au prénom imaginaire. Pimoe, prénom de la vie (zoe) pimpante, prénom de l’œuf pimpant.

 

 

 

« D’abord moins par cynisme ou refus douloureux du réel que par pauvreté d’imagination, mes parents attribuaient aux nouveau-nés les prénoms de morts. » « … nommer ses personnages … Ainsi l’auteur a-t-il couramment recours à l’usurpation d’identité … Et afin de ne contrarier personne, ni susciter de fâcheuses confusions, il prélève de préférence ces noms sur les tombes. »

 

Selon toi, le prénom et le nom appartiendraient l’un et l’autre d’abord à la mort. Les prénoms et les noms appartiennent aux morts avant d’être portés par les vivants. Ainsi, la mort se passe de mots, cependant la mort ne se passe pas de prénoms et de noms. La mort emploie sans cesse des prénoms et des noms pour les passer aux hommes à la fois comme des maladies ou des titres de gloire. La mort ne parle pas, la mort ne fait aucun discours, cependant elle emploie fictivement des prénoms et des noms, elle emploie des prénoms et des noms pour leur faire faire des tours de passe-passe. Les prénoms et les noms sont les mots de passe de la mort. Les prénoms et les noms sont les mots de passe-temps, les mots de passe-passe temps de la mort. Ou encore c’est peut-être les prénoms et les noms qui à l’inverse évoquent la mort, évoquent la mort sans jamais la dire, qui s’amusent avec la mort, qui rient aux éclats ou sourient très doucement de la mort, ou plus subtilement encore qui se rient de la mort sans que cette mort ne soit pourtant la leur.

 

 

 

« Mais il lui faut un prétexte pour commencer ; n’importe lequel, la qualité première d’un prétexte est d’être indifférent. »

 

Et si la mort n’était que cela, un prétexte indifférent. Et si la mort n’était que cela, la source de colle d’un prétexte indifférent que les prénoms et les noms utilisent de manière désinvolte, de manière dilettante afin de savourer l’amusement d’apparaitre et de disparaitre à l’intérieur du monde.

 

 

 

Problème. Prélever des prénoms et des noms sur les tombes afin ensuite de les goûter logiquement est-il un acte diabolique, un geste innocent, ou une attitude « diabolique en toute innocence » pour reprendre la très bizarre formule de Kafka ?Et aussi sur quelle tombe prélever le prénom de Blaise ? Sur la tombe du Christ, du Christ sans Dieu, sur la tombe du pain, sur la tombe de la résurrection, sur la tombe de la résurrection sans pain, sur la tombe du pain qui ne ressuscite pas, sur la tombe d’une fourmilière, sur la tombe de la pourriture même, de la pourriture qui fait fourmiller prodigieusement le corps, sur la tombe d’un fourmilière de pain, d’une fourmilière de miettes de pains, sur la tombe de la pourriture du pain, de la pourriture fourmillante du pain ?

 

 

 

« Dino Egger…son suicide est alors le mode paradoxal qu’il aura choisi pour apparaitre. »

 

En cela Dino Egger est semblable au Christ. Le Christ s’est suicidé sur la croix, suicide par lequel il s’est aussi jeté à la manière d’un Empédocle humoriste dans le volcan de la nourriture, dans le cratère en éruption du pain.

 

 

 

« La rêverie émue de l’auteur tournait depuis longtemps autour de ce drame et de ce tombeau et il résolut de mêler leurs deux prénoms, Dina et Nino, lorsqu’il conçut le personnage de son dernier livre, ainsi naquit Dino Egger qui d’ailleurs ne naquit jamais.»

 

Dino Egger semble inventé par un inceste à la fois fœtal et tombal, la vie de la fille lovée comme dans un ventre à l’intérieur de celle du père et le prénom du père mélangé au prénom de sa fille à la surface même du tombeau. Dino Egger effectue l’étreinte immortelle du prénom du père et du prénom de la fille à la surface du tombeau. 

 

 

 

« Car c’est aussi le fils qui meurt quand meurt le père. »

 

Phrase par laquelle tu oublies la mère. C’est comme si pour toi le fils n’était le fils que de son père, comme si le fils était le fils du père sans être celui de la mère. Et de même peut-être à l’inverse comme si la fille n’était la fille que de la mère sans l’être du père. Ou encore c’est comme si pour toi  le fils recevait de la mère la vie et du père la mort et qu’à l’inverse la fille recevait du père la vie et de la mère la mort. Paradoxale conception d’une paternité et d’une filialité non réciproque selon laquelle la vie se transmettrait entre parents et enfants de sexes différents et la mort entre parents et enfants du même sexe, conception qui expliquerait pourquoi tu préfères être le père de filles plutôt que de fils.

 

 

 

Je n’ai pas le sentiment que les prénoms et les noms appartiennent au langage, j’ai plutôt le sentiment qu’ils transforment le langage en peinture, en sculpture ou en musique. Les prénoms et les noms ressemblent à des touches de couleur ou à des timbres d’instrument de musique. Les prénoms et les noms rythment le langage, ils pulsent le langage jusqu’à le transformer en timbre de voix ou en touches de couleur, en timbre de couleur ou en touches de voix.

 

 

 

 

 

Chaque artiste qu’il soit connu ou qu’il reste inconnu, qu’il soit universellement célèbre ou qu’il reste intégralement inconnu est toujours un Dino Egger. Il reste toujours un Dino Egger pour les autres hommes qui font semblant de s’intéresser à son œuvre et aussi un Dino Egger pour lui-même parce que ce qu’il écrit ne parvient jamais à transformer profondément son existence. Chaque matin celui qui écrit recommence à zéro, c’est comme si celui qui écrit n’avait le pouvoir de transformer son existence que pendant un seul et unique jour et que chaque nuit il perdait ce pouvoir, et que chaque nuit il oubliait la transformation qu’il avait accomplie le jour d’avant. C’est comme si celui qui écrit n’avait le pouvoir d’escalader (et parfois de franchir) la montagne de l’espèce humaine qu’en une seule journée et que le sommeil de chaque nuit venait ensuite le redéposer en bas de cette montagne. Ainsi nous n’avons pas le pouvoir de capitaliser nos extases, chacune des extases par lesquelles nous parvenons à nous extraire du stéréotype d’être homme. A chaque fois il reste un lendemain,  chacun de nos jours d’extase ne révèle finalement qu’un lendemain, un lendemain où nous n’avons plus qu’à essayer de retrouver cette même extase. (Il y aurait une sorte de contradiction essentielle entre le capitalisme et l’extase. Le capitalisme nie l’extase et l’extase n’est jamais capitale, elle ne réussit jamais à faire capituler définitivement l’obligation d’être homme). Chaque matin l’extase par laquelle nous avons le jour d’avant perdu la tête retombe par terre à nos pieds. La prodigieuse disparition de notre tête d’homme, de notre visage conventionnel d’homme retombe chaque matin à nos pieds. Et à chacun de nos éveils, nous piétinons l’extase du jour d’avant, l’empreinte de pas de notre éveil est aussi un tombeau.

 

 

 

Et c’est sans doute aussi pour cela que l’espèce humaine ne parvient jamais à accomplir le moindre progrès. Parce que chaque homme est incapable de se transmettre d’abord à lui-même ce qu’il a découvert. Ce que chaque homme invente chaque jour presqu’intégralement il l’oublie. Il n’en mémorise que des bribes, des bribes hasardeuses, (« L’auteur s’afflige parfois de ne pouvoir faire fond sur l’œuvre accomplie…Tout reste à refaire- mais il pourra s’acharner, il n’aura devant lui que le vide, et derrière l’oubli. ») Et de même, parce que d’une génération à une autre ne se transmettent que d’infimes fragments de savoir, chaque génération recommence presque à zéro ce que la génération précédente a essayé d’accomplir. (Comme dirait Agathe presque et ce presque évite la barbarie.) Ce qui se transmet d’une génération à l’autre ce sont les techniques, les langues, les institutions et les monuments qui disparaissent un peu moins vite que les hommes, qui cependant disparaissent eux aussi. C’est comme si l’espèce humaine et les diverses civilisations se développaient de manière parallèle, comme si l’espèce humaine d’une époque à une autre faisait semblant d’appartenir à une civilisation, comme si l’espèce humaine jouait à la civilisation, civilisation qu’elle oublie ensuite à jamais. C’est comme si les civilisations n’étaient que des modes, des modulations frivoles et inconséquentes de l’espèce humaine, des vêtements, des déguisements, des habits de cérémonie ou de gala que l’espèce humaine institue puis destitue de façon capricieuse. Les civilisations ne seraient rien d’autre que des colifichets d’une espèce humaine qui resterait identique à elle-même, identique à son idiotie essentielle, l’idiotie divine de la vie quotidienne.

 

 

 

Chaque homme ne s’élève qu’au jour le jour. Chaque jour il bâtit une pyramide mentale que chaque nuit fait disparaitre comme un chapeau dans le lapin. Chaque jour l’homme bâtit une pyramide de poussière, une pyramide de prestidigitation, une pyramide de poussière prestidigitatrice. Chaque jour l’homme a l’impression qu’au sommet de chaque grain de poussière une pyramide le contemple, la pyramide de ce jour même.

 

  

 

« La notion d’homme est proche de la notion d’équilibre. » F. Ponge

 

Sur ce point Ponge et Michaux se ressemblent. L’homme bâtit des pyramides non seulement afin que les pyramides tiennent debout mais encore et surtout afin de tenir lui-même debout, afin de rester lui-même debout, que ce soit au sommet ou en bas de la pyramide. La posture d’équilibre de l’homme ne lui est pas acquise pour toujours, il doit la recommencer à zéro chaque jour. Si l’homme se lève chaque matin, c’est aussi afin de savoir une fois encore comment parvenir à tenir debout. L’homme a besoin d’inventer chaque jour un monde nouveau qu’il superpose à la multitude des mondes précédents. L’homme a peut-être aussi besoin pour pouvoir tenir en équilibre debout chaque matin de s’inventer un nouveau corps, un nouveau visage et un nouveau corps, qu’il dispose à la fois avec désespoir et avec joie au sommet du tas de ses corps et visages antérieurs. L’homme a besoin de bâtir des pyramides parce qu’il a le sentiment d’exister lui-même comme une pyramide, la pyramide composée de la superposition de ses corps et visages d’un seul jour, pyramide dont il ne parvient jamais à dominer la forme. Cette forme pyramidale il en fait l’expérience sans jamais la dominer, c’est précisément elle qui à l’inverse chaque matin le domine un peu plus, comme s’il était chaque matin un peu plus surplombé par le temps même de son existence, par l’intensité d’oubli de son existence, comme si chaque matin le temps d’oubli pyramidal de son existence le regardait d’un peu plus haut, avec encore un peu plus de lucidité et de mépris, comme si chaque matin l’homme semblait impeccablement contemplé par la pyramide de mépris lucide de son amnésie.

 

 

 

« L’homme ne tiendrait pas debout et perdrait l’équilibre s’il n’avait ce gratte-ciel qu’est la liturgie. » F. Cassingena

 

Ainsi ce qui nous tient debout c’est la liturgie de l’amnésie comme du mépris. Ce qui nous tient debout, c’est la liturgie d’amnésie du mépris, la liturgie d’exaltation amnésique du mépris, la relecture d’exaltation amnésique du mépris.

 

 

 

« Il trouve dans cet exercice  l’occasion de tout foutre en l’air sans toucher à rien. » 

 

Ou encore, écrire comme foutre quelquechose à la fois en feu, en terre, en eau et en air par le geste de toucher ce quelquechose en dehors de tout.

 

 

 

J’ai toujours eu le sentiment naïf d’écrire afin de transformer quelquechose, non pas afin de  modifier l’univers des hommes, plutôt afin de transformer le monde, afin de transformer l’apparition même du monde sans m’attarder à changer la société des hommes. Transformer l’apparition du monde sans toucher aux hommes, ce serait le geste de candeur de mon mépris.

 

 

 

Celui qui écrit commence par écrire pour se transformer et transformer le monde, pour se transformer par le geste de transformer le monde. Puis jour après jour il comprend que même s’il écrit pour transformer le monde, des phrases s’ajoutent aux phrases, des pages s’ajoutent aux pages et ce qu’il écrit ne le transforme pas, simplement il vieillit, des jours s’ajoutent aux jours, cependant les jours ne sont pas des pages, les jours à l’intérieur desquels il écrit ne sont pas les pages sur lesquelles il écrit. Ces jours ce n’est pas lui qui les imprime, ce sont eux qui s’impriment sur lui. Ces jours, c’est plutôt la presse subtile de l‘espace entre terre et ciel qui les imprime sur son corps et son visage. Il y a une imprimerie météorologique de l’espace entre terre et ciel qui transforme notre corps et notre visage, transformation par laquelle nous vieillissons, transformation par laquelle le temps écrit sur notre chair même, et cette transformation nous ne savons jamais à quoi exactement elle ressemble.

 

 

 

« La neige est à elle seule une civilisation si brillante qu’elle donne un regard de ruine à tout ce sur quoi elle tombe. »  F. Cassingena

 

La météorologie invente ainsi des formes de civilisations inhumaines. La composition (l’orchestration) des météores invente les civilisations des événements de la matière. Paradoxalement ces civilisations météorologiques semblent plus subtiles et intenses que les civilisations humaines. C’est comme si les saisons étaient les civilisations immortelles du monde, les quatre civilisations chaque fois recommencées du monde, civilisations des saisons qui révèlent l’aspect fugace des civilisations humaines. Les civilisations humaines ne seraient que des approximations passagères des quatre civilisations indestructibles, la civilisation du printemps, la civilisation de l’été, la civilisation de l’automne et la civilisation de l’hiver.

 

 

 

« L’eau est pour laver le corps. La neige est pour laver l’os, pour laver l’âme à la racine, et pour creuser à neuf l’orbite du regard. »  F. Cassingena

 

Chaque saison lave un fragment de la chair. L’hiver lave et intensifie les os. L’été lave et intensifie les nerfs. L’automne lave et intensifie les muscles. Le printemps lave et intensifie le sang. L’hiver donne à sentir le regard même des os, le regard même du squelette. L’hiver donne à sentir la lucidité de l’équilibre, le squelette de lucidité de l’équilibre.

L’hiver révèle l’équilibre lucide des os. L’automne révèle l’équilibre clair-obscur des muscles. L’été révèle l’équilibre aérien des nerfs. Le printemps révèle l’équilibre explosif du sang. Et chacune de ces formes d’équilibre apparait comme la pierre de touche d’une civilisation particulière. La civilisation de chaque saison compose ainsi une architecture de connivences entre la météorologie du dehors et l’animalité de la chair. 

 

 

 

Chaque saison compose une civilisation de météores. Chaque saison projette et incruste un style de météore à l’intérieur d’un fragment de la chair. L’hiver projette et incruste la neige à l’intérieur des os. L’hiver projette et incruste les météores de la neige jusqu’à la lucidité des os. L’automne projette les météores de la pluie à l’intérieur des muscles. L’été incruste les météores de la lumière jusqu’aux nerfs. Le printemps incruste les météores de la végétation jusqu’au sang.

 

 

 

« Les hommes survivants suspendaient dans les branches des arbres les cadavres de leurs proches ; il les exposaient à la cime des montagnes ; ils les plaçaient au sommet des tours de pierre. Ils les laissaient à la disposition des oiseaux qui séparaient les os de la chair. …la décarnisation  achevée en quelques heures restaient les ossements encore en connexion. Alors commençaient les funérailles culturelles proprement dites. »  P.Quignard

 

Le geste rituel de la civilisation ne serait pas celui d’enterrer les corps, il serait plutôt celui d’ensevelir le squelette, celui d’inhumer les os. C’est comme si pour l’homme ce que le rite funéraire devait sauvegarder intact n’était pas la chair, plutôt les os c’est-à-dire ce qui serait malgré tout resté intact sans rite funéraire, comme si le geste même de la civilisation n’était pas de sauvegarder ce que l’homme seul a le pouvoir de sauvegarder, plutôt celui de protéger ce qui est déjà indestructible, presque indestructible. C’est comme si pour l’homme ce qui de son corps devait nécessairement rester intact était sa matière toujours déjà minérale. Le geste rituel de la civilisation serait ainsi de redonner la terre humaine à la terre inhumaine, de redonner le minerai humain au minerai inhumain, d’accomplir le retour de la terre humaine à la terre inhumaine, c’est à dire de s’amuser à la tragédie par le geste d’enterrer la terre, de s’amuser à la tragédie de la terre inhumaine qui inhume la terre humaine.

 

 

 

« Il n’y a jamais eu d’autonomie de la culture par rapport à la nature…la civilisation ne se sépare pas de la vie bestiale. »  P.Quignard

 

« Pourquoi dénier aux fourmis tout sens stratégique ? Elles traversent les siècles elles aussi, elles survivent aux cataclysmes, aux séismes, aux destructions, il faut bien qu’elles n’en soient pas complètement dépourvues. Leur organisation est la même depuis l’origine, tandis que nous devons sans cesse reformer et adapter la nôtre pour ne pas périr. »

 

Il y a en effet des civilisations animales, des formes de civilisations animales. Cependant comment savoir si ces civilisations restent toujours semblables. Les fourmilières ont peut-être elles aussi leurs révolutions historiques, leurs mutations violentes et leurs civilisations instantanées. Leurs civilisations se transforment aussi peut être de manière météorologique. Le pied de l’homme qui écrase la fourmilière ressemble alors pour elles à un météore, à une pyramide météorique. Les fourmis essaient peut être elles aussi des formes de civilisations qui nous restent à jamais inconnues, la civilisation des fourmis telle que nous croyons la connaitre n’étant que celle qu’elles adoptent lorsqu’elles se savent observées par l’homme. (La fin de  l’aventure avec la fourmi dans L’Auteur et Moi semblerait d’ailleurs en accord avec cette hypothèse.) Et puis aussi comment savoir si la civilisation des fourmis dans le regard du tigre a la même forme que celle dans le bec du rouge-gorge ? 

 

 

 

« Les abeilles, les fougères, les hommes, les grenouilles, les fourmis contribuent à une contemporanéité étrange qui est pourtant sans synchronie. »  P.Quignard

 

Nous ne sommes pas contemporains des autres animaux. Les civilisations humaines apparaissent plutôt contiguës aux civilisations animales. Et cette contiguïté provoque l’avoir lieu à la fois fabuleux et humoristique de l’utopie. Il y a une utopie d’exister, celle du partage anachronique de l’espace entre les civilisations humaines et les civilisations animales. Les civilisations des hommes, des animaux et des saisons apparaissent contiguës les unes aux autres, c’est comme si elles coïncidaient seulement par l’avoir lieu anachronique de l’utopie.

 

 

 

« Une chose aussi modeste et misérable qu’un grain de riz, notre formidable appareil sensible pas plus que notre prodigieux cerveau  ne peuvent le détecter, auront plus vite fait de découvrir trois nouvelles exoplanètes. »   

 

Ou encore, nous découvrons les grains de riz exactement comme nous découvrons des planètes. Chaque jour, nous trouvons de la nourriture comme des extraits de cosmos. Chaque jour nous trouvons la planète Mars de la viande rouge et la planète Terre de la pomme de terre posées sur l’anneau de Saturne de l’assiette à proximité de la planète Mercure du verre d’eau. Chaque fragment de la terre apparait comme une planète, c’est pourquoi nous évoluons à chaque instant comme des funambules ivres parmi la multiplicité des mondes.

 

 

 

Les hommes meurent, les civilisations s’effondrent, les galaxies disparaissent et le goût de la groseille reste malgré tout toujours intact.

 

 

 

 

 

« L’aphorisme accomplirait la plus haute ambition de l’écrivain, le précipité de son art et de sa vision du monde ramassée en une formule, s’il n’était aussi bien la forme exténuée du déchet. » 

 

« De l’écriture résiduelle. S’imposer la discipline de n’écrire que des résidus, c’est à dire des choses qui restent en nous-mêmes, qui restent de nous-mêmes, qui resteront pour les autres à l’avenir. Des choses qui résident, qui restent, qui résistent et dont la fugacité même du passage nous indique… l’importance réelle et la haute certitude. » F. Cassingena

 

Malgré tout, ce qui reste de nous-même ne reste pas toujours en nous-mêmes. Les phrases de la certitude nous les oublions elles aussi. Précisément ces phrases deviennent celles de la certitude quand la chair à la fois les affirme comme les oublie. Les phrases de la certitude apparaissent quand la chair répète en une seule fois une forme exacte de l’oubli.

 

 

 

Lire c’est manger le temps. Lire c’est manger le vide du temps, le vide anachronique du temps. Lire c’est manger avec ses ailes. Lire c’est manger le vide anachronique du temps avec l’extrémité tacite de ses ailes.

 

 

 

Et si le jour de Noël nous fêtions à la fois la naissance du Christ et les ailes de Noé, la naissance de Noé et les ailes du Christ ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                 Savoureux Noël                       A Bientôt             Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci, cher Boris, pour ces cadeaux de l'esprit déposés nuitamment dans mon bas de laine ! Je vais relire tout cela à tête reposée (aérée, rafraîchie), mais déjà le crucifère en Lucifer crucifié, comment ai-je pu ne pas le reconnaître ?!

 

J'ai su que tu avais un contact avec Laurent Albarracin, t'avais-je parlé de lui ? Il y a en effet une amitié poétique (est-ce possible ce sentiment de l'intelligence ?) possible entre vous, avec Chazal en interface, puis vous divergez, mais le point de rencontre existe et m'a toujours paru évident.

 

Bonne année, qui nous donnera je l'espère l'occasion de nous revoir,

 

A toi,

 

Eric