Bonjour Eric, 

 

 

 

« L’humour pour protéger la gravité de l’esprit de sérieux. La gravité pour protéger l’humour de l’inconséquence. »

 

L’humour serait ainsi une forme de tact qui parvient à distinguer la gravité et le sérieux, qui parvient à distinguer l’élégance de la gravité et la série du sérieux, la coquetterie de la gravité et l’automatisme du sérieux. Une nuance malgré tout. La gravité ne serait pas ce qui protège l’humour de l’inconséquence. La gravité serait plutôt ce qui parvient à distinguer l’humour de la futilité, ce qui parvient à distinguer l’humour de la distraction. Par la grâce de la gravité, et qui sait même par la grâce inconséquente de la gravité, par la coquetterie inconséquente de la gravité, l’humour n’est jamais une distraction futile, l’humour n’est jamais un cynisme distrait. 

 

 

« C’est vrai que comme tant d’autres écrivains fous d’écriture, j’étais parti pour devenir un génie, ou pour le croire, ce qui d’une certaine façon revient au même. Heureusement, j’ai appris à rire. »   L. Durrel

 

Il y aurait ainsi une sorte de combat implicite entre le génie et le rire. Le rire serait ce qui viendrait in extremis contredire le génie. Cependant il y aurait aussi une drôlerie de gravité du génie. Il y a ainsi une drôlerie de gel du génie, une drôlerie de gravité gelée du génie, une drôlerie de gel grave du génie. 

 

 

« Il est un humour bruyant qui essouffle la pensée. Il est un humour joyeux qui l’aère quand elle sent trop fort. »

 

Il y a aussi un humour tragique qui asphyxie la pensée avec l’obscénité même de son odeur. Il y a aussi un humour tabou qui s’amuse à asphyxier la pensée avec l’obscénité même de son odeur. 

 

 

 

« La chose la plus secrète, et un secret, tel devrait être l’humour chez chacun de nous. »  P. Handke 

 

 

« Chasse l’humour de tes manières ! Il doit rester profondément en toi, pour les moments décisifs, et n’éclater qu’alors, libérateur. »  P. Handke 

 

 

« Complètement joyeux, joyeux jusqu’à la contagion, je ne le suis qu’en riant à mes propres dépens. »   P. Handke 

 

 

« L’humour de ceux qui attendent ; l’humour dans la file d’attente. »   P. Handke 

 

 

 

L’humoriste c’est le funambule de l’horizon. L’humoriste c’est celui qui marche sur le fil de l’horizon.

 

 

« Funambule je le suis encore quand je marche sur mon lacet. »

 

Et cordonnier je le reste malgré tout quand je marche sur un fil. 

 

 

« Est-ce si différent enfin de danser sur une corde ou de se balancer au bout. »

 

Marcher sur la terre comme danser sur le fil du temps. Marcher entre terre et ciel comme danser sur le fil de feu du temps. Marcher entre terre et ciel comme danser pendu au fil du temps, comme danser pendu au fil de feu du temps. Marcher entre terre et ciel comme danser pendu au fil de démence du temps, comme danser pendu au fil de feu dément du temps. 

 

 

« Le poète marche sur une corde. Elle est posée par terre. »   C. Dantzig

 

Celui qui écrit marche sur la terre.  Et cette terre repose malgré tout sur un fil. Celui qui écrit marche sur la terre. Et cette terre repose sur le fil du ciel. 

 

 

Celui qui écrit marche par terre. Malgré tout celui qui écrit a le sentiment que cette terre sur laquelle il marche marche elle-même sur un fil et que ce fil sur lequel la terre marche marche lui-même sur le vide. 

 

 

 

Il y a un extrait de l’Autofictif où tu évoques quelqu’un qui roule dans les escaliers et se relève contusionné en haut (citation à retrouver). Cela serait à rapprocher de cette phrase de R. Juarroz. « Il se spécialise dans les escaliers descendants. Il finit par tomber vers le haut. » 

 

 

« L’humour est une sainteté noire. »  D. Noguez

 

La sainteté serait ainsi le degré le plus extrême de l’humour. La ruse de la sainteté serait de parvenir à goûter le zéro de l’humour à la fois au sommet de la terre comme à la base du ciel. L’humour de la sainteté (à savoir celui de Kafka ou de Beckett) serait de parvenir à trouver le lieu de coïncidence du sommet de la terre et de la base du ciel. L’humour de la sainteté serait de construire l’escalier du zéro. L’humour de la sainteté serait de construire un escalier où chaque marche révélerait une tournure particulière du zéro, une tournure incomparable du zéro, une tournure de spin particulière du zéro. L’humour de la sainteté serait de construire un escalier entre le sommet de la terre et la base du ciel, un escalier qui relie le sommet de la terre et la base du ciel par le geste d’entasser des zéros, par le geste de superposer des zéros, par le geste d’entasser des sursauts de zéros, des rebonds de zéros, des rebonds aberrants de zéros, des rebonds absurdes de zéros, des rebonds aberrants absurdes de zéros. L’humour de la sainteté ce serait ainsi comme tu l’évoques le geste paradoxal de dégringoler brutalement l’escalier et de se retrouver alors contusionné au sommet, de se retrouver miraculeusement contusionné au sommet, de se retrouver contusionné de sourires au sommet, de se retrouver contusionné de miracle au sommet, de se retrouver contusionné par les sourires du miracle au sommet. 

 

 

 

 

Post-scriptum. 

 

 

As-tu déjà entendu les chroniques de Marina Rollman sur France Inter. (Elles sont aussi visibles sur internet.) C’est parfois subtil et surprenant.  

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                        A Bientôt                    Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci, cher Boris, tu me fais découvrir Marina Rollman, et je suis conquis en effet !

 

Et comme toujours ton scalpel précis sur le corps que tu ouvres et qui se change en petite cuiller quand il faut délicatement trouver dedans le miel ou la compote.

 

Y a-t-il des objets qui t'ont résistés ? Des anguilles pour Boris, il y en a ?

 

A toi,

 

Eric

 

 

 

 

 

 

 

Eric,

 

 

 

L’anguille du point d’interrogation peut-être, que par inattention j’omets souvent (ma question à propos de Marina Rollman par exemple) (…).  

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                         Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Papier du Temps-Dino Egger

 

 

 

 

 

Bonjour Eric,  

 

 

 

Il y a pour toi quelque chose comme un livre blanc du temps, un livre blanc du temps  antérieur au monde. Et l’humour serait d’abord ce qui évolue à l’intérieur de ce livre blanc du temps. L’humour serait ce qui respire et même inhale ce livre blanc du temps. Tu as en effet  le sentiment que le temps existe toujours d’abord déjà comme un livre vide, un livre paradoxalement vide, et que le monde ne vient ensuite que pour noircir les pages de ce livre, pour noircir quasiment au hasard les pages de ce livre du temps. 

 

 

C’est comme si pour toi l’intégralité du temps ressemblait à un immense bloc de papier blanc  qui attendrait d’apparaitre ensuite écrit. Pour toi c’est comme si le monde, les événements du monde s’inscrivaient sur la page blanche du temps. Pour toi l’intégralité du temps, la globalité du temps apparait comme un immense almanach, un almanach des siècles, un almanach des millénaires. Ainsi c’est comme si l’impression que tu avais éprouvé une fois devant l’almanach d’une année de ta vie, tu l’éprouvais de manière imaginaire devant la globalité de ton existence et aussi devant la globalité de l’histoire des hommes, et plus encore devant la géologie préhistorique du monde même. Ainsi pour toi avant le monde il y a le temps. Ainsi pour toi le temps apparait comme antérieur au monde même. Ainsi pour toi l’intégralité du temps à savoir le passé, le présent et le futur apparait paradoxalement antérieure au monde même. C’est comme si pour toi le temps était une hypothèse de monde antérieure au monde, une hypothèse de monde à vide antérieure au monde même. 

 

 

Le problème reste alors de savoir comment, de quelle manière, selon quels procédés rhétoriques, selon quels procédés stylistiques le monde s’inscrit à l’intérieur du temps, le monde s’imprime à la surface du temps. Le problème c’est alors de savoir comment, de quelle manière l’immense bloc de papier du temps se transforme comme par miracle en monde, en présence du monde. 

 

 

Il y a à ce propos différentes manières d’imaginer à quelle matière ressemble le temps. Il y a le temps comme flux d’eau, le temps comme tas de terre, le temps comme pulsation de l’air ou le temps comme excitation du feu. Eh bien j’ai le sentiment que tu imagines plutôt le temps comme du papier. Exister pour toi c’est apparaitre à la surface du papier du temps ou plutôt c’est apparaitre à l’intérieur du papier du temps. Exister pour toi c’est exister à chaque instant au sommet de la pyramide de papier du temps. Exister pour toi c’est apparaitre à chaque instant à l’intérieur de l’escalier de papier du temps, c’est apparaitre à chaque instant à la fois à la base et au sommet de l’escalier de papier du temps. 

 

 

 

Dino Egger c’est l’hypothèse absolue. Dino Egger c’est l’hypothèse absolue qui retourne l’œuf dans sa tombe. Dino Egger c’est l’hypothèse absolue qui à la fois retourne l’œuf à l’intérieur de sa tombe et retourne la tombe à l’intérieur de l’œuf. Dino Egger c’est l’œuf-tombeau, c’est l’œuf-tombeau qui tourne comme une toupie, c’est l’œuf-tombeau qui tourne comme une toupie sur la ligne de l’horizon, c’est l’œuf-tombeau qui tourne comme une toupie un pied coincé sur la ligne de l’horizon. 

 

 

Dino Egger révèle l’œuf du monde. Dino Egger traverse le miroir de l’œuf du monde. Dino Egger révèle l’œuf de Moebius du monde. Dino Egger traverse le miroir de l’œuf du monde et révèle ainsi l’œuf de Moebius du monde. Dino Egger meurt comme il traverse le miroir de l’œuf du monde. Dino Egger meurt comme il révèle l’œuf de Moebius du monde. Et qui sait même Dino Egger meurt comme l’œuf de Moebius du monde. Dino Egger meurt immortel. Dino Egger meurt immortel comme l’œuf de Moebius du monde. 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                        A Bientôt                    Boris